Jean Belloc, journal d'un notaire de campagne
Si Jean Belloc partage sa vie entre Revel et Castelnaudary, c’est dans la cité chaurienne qu’il nous reçoit pour évoquer les souvenirs de sa vie de notaire de campagne. C’est ici qu’il a satisfait aux exigences de sa charge, dans un environnement rural qui nécessitait, peut-être plus que tout autre, écoute et disponibilité. Tantôt juge de paix tantôt écrivain public, la fonction de notaire revêt dans les années 50 un caractère résolument social. A cela s’ajoute une charge de travail conséquente qui a fait de la vie notariale de Jean Belloc un véritable sacerdoce. Au final, c’est pourtant tout autre chose qui se dégage de son imposante stature : une force tranquille et le sentiment d’avoir tenu son rôle au sein d’une société rurale en pleine mutation.
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Une vocation contrariée par la guerre
Quand la guerre éclate, Jean Belloc est élève au Collège de Revel. Il faut rendre aux enfants pensionnaires à cette époque leur courage car ils ne sont pas épargnés par les conditions de vie désastreuses subies dans le Lauragais et au-delà. La faim talonne leurs jeunes estomacs et les topinambours s’avèrent rapidement insuffisants pour satisfaire leur appétit d’adolescents. Malheureusement, le froid et la faim auront souvent des conséquences irréversibles sur la santé des jeunes pensionnaires. Déjà passionné de football et de natation, Jean s’imagine professeur de gymnastique dans un établissement scolaire de la région, mais une pleurésie fera s’envoler tous ses rêves d’exploits sportifs... L’option qui s’offre le plus naturellement à lui est alors de reprendre l’étude notariale paternelle mais sa maladie l’isole, tout contact avec les tuberculeux étant formellement proscrit. C’est donc de sa retraite aveyronnaise, chez sa grand-mère, qu’il prend d’abord des cours de notariat par correspondance. Une fois sur pied, il reprend le chemin des écoliers et intègre l’Ecole de Notariat de la Faculté de Droit de Toulouse. Après deux années d’études et un stage, Jean Belloc a définitivement tiré un trait sur sa première vocation : il sera notaire rural. La vie a cependant offert une belle revanche à ce passionné de sport qui fut couronné d’une médaille de bronze au Championnat d’Europe de natation de Cadix en 2009 (Couleur Lauragais n°125).
Jean Belloc à son bureau. On note, à sa gauche, la discrète présence de la machine à écrire,
un outil indispensable au notaire des années 60. Crédit photo : Collection jean Belloc
Les différentes casquettes du notaire rural
Jean Belloc affirme que pour être un bon notaire, il faut d’abord aimer les gens, être à l’aise à leur contact. On ne doute pas un instant de ce que nous rapporte cet homme affable, manifestement très marqué par la dimension sociale de ce que fut sa charge. Ceci, il l’a appris auprès de son père, Président des familles nombreuses de Castelnau-dary. Il se souvient de voyages qui les conduisaient, … suite page 16 lui et ses frères, jusqu’à Guéret où ils chargeaient des sacs de pommes de terre distribués à leur retour aux plus nécessiteux. De cette époque, il garde le souvenir d’un lien social vivace et d’une entraide qui allait souvent de soi. Dans les années 50 et au-delà, la seule parole du notaire, qui connaissait mieux que personne la situation et la moralité de son client, suffisait à convaincre un banquier frileux. C’était un temps où la parole donnée avait encore force de loi. En d’autres circonstances, le rôle de Jean Belloc est assimilable à celui de juge de paix et le conduit à superviser les transactions afin d’éviter tout risque de contentieux. Ce rôle de conciliateur va être essentiel dans plus
d’une situation, notamment pour toutes les questions relevant du droit de la famille, celles qui avaient la préférence de Jean Belloc.
Le notaire : un officier public
Cet officier public se voit confier par l’Etat une mission d’authentification des actes ou contrats passés devant lui. Charge créée par Napoléon Bonaparte le 17 mars 1803 (loi du 25 ventôse an XI), le notaire est nommé par arrêté du garde des Sceaux, Ministre de la Justice. Il exerce cependant en profession libérale. Son champ d’intervention est très large, il peut aussi bien être saisi de questions relevant du droit de la famille (successions, contrats de mariage, liquidation de communauté en cas de divorce), que de questions patrimoniales ou de droit immobilier (acquisition, vente). Il intervient également de plus en plus fréquemment en matière de droit des affaires et de conseil aux entreprises. Lorsqu’il dispose d’une étude (succession, achat de parts…), le notaire doit prêter serment devant le Tribunal de Grande Instance et devant la Chambre des Notaires du lieu de situation de l’office. L’officier public se voit alors confier le sceau de la République qu’il apposera sur les actes pour les authentifier. Ce sceau sera brisé lorsque le notaire cessera ses fonctions.
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Familles je vous aime !
Tout en se gardant de juger ses clients, Jean Belloc a pu observer, cinquante années durant, tous les recoins de l’âme humaine… Dans son étude se pressent des familles aux relations tantôt harmonieuses, difficiles, voire inexistantes. Toutes époques et toutes catégories sociales confondues, Jean Belloc note, quelle que soit la circonstance, qu’il se retrouve souvent en face des mêmes personnages : le généreux, le reconnaissant, le philanthrope, le mesquin, le cupide, le juste, le conciliateur, le vénal … Comme si la comédie humaine se jouait autour de personnages campés d’avance. Au fil des ans, le notaire est devenu un observateur averti et use d’un peu de psychologie pour remplir les missions qui sont les siennes. Dans cet imbroglio, il est souvent conduit à défaire le vrai du faux, à calmer les ardeurs de l’impétueux, à rappeler ses devoirs au chef de famille, à venir à bout de vieilles jalousies, à faire changer d’avis un têtu, en un mot à ramener tout le monde à la raison. A partir de là, tous les moyens sont bons pour éviter d’interminables et douloureuses procédures. A ce titre, certaines anecdotes glanées auprès du notaire honoraire en disent long… c’est le cas de celle qui suit. Un frère chipote un bout d’héritage à une sœur dévouée qui assume seule la charge de leurs parents. Un lundi, Jean Belloc croise l’intéressé qui lui raconte qu’il a profité d’une belle journée printanière pour aller se promener sur les chemins du Lauragais avec son épouse. Notre notaire poursuit la discussion, puis s’arrange pour glisser qu’il a justement aperçu sa sœur pas plus tard qu’hier, et qu’elle partait manifestement préparer le déjeuner de ses parents, sur quoi, le notaire prend congé. Après quelques jours de réflexion, le frère renonce finalement à ses prétentions de départ et reconnaît que sa sœur les mérite plus que lui… Comme quoi, il suffit parfois de jouer sur la corde sensible pour qu’un membre de la famille recouvre la raison. Pour le plus grand soulagement de tous, Jean Belloc avoue qu’il a eu la chance de participer et d’assister à de nombreux dénouements heureux. C’est une vraie reconnaissance lorsqu’un jour, une mère de famille vient le remercier d’avoir réconcilié ses enfants. Elle lui confie dans un grand soupir de soulagement : “Maintenant je peux partir tranquille…”. Jean Belloc reste pourtant modeste et semble même signifier dans un regard qu’il faudrait bien plus que cinquante années d’étude notariale pour sonder tous les mystères de l’âme humaine !
Le notaire est entouré de ses sept collaborateurs, deux d'entre eux auront par la suite leur propre étude.
A cette époque, la fonction de notaire tend à s'ouvrir à des professionnels ne disposant pas d'étude familiale.
Crédit photo : collection Jean belloc
L’écrivain public
Outre son rôle de conciliateur, le notaire est également un écrivain public. Il rédige tous types d’actes solennels, les testaments, donations, contrats de mariage, actes immobiliers ou de société…Dans cette tâche, on ne saurait tolérer aucune erreur de fond ni de forme. Il faut également s’assurer que la personne est bien apte à prendre ces dispositions au risque de s’exposer à des conséquences désastreuses. Pour avoir utilisé à mauvais escient le terme de “légataire à titre universel” en lieu et place de “légataire universel”, un client a sans le vouloir compliqué la vie de ses héritiers. En conséquence, nombre d’entre eux ont fini par renoncer à leur dû et la succession a duré plus de 25 ans ! Dans la campagne lauragaise, on entend ça et là d’autres histoires appartenant à la légende locale…Dans un petit village reculé, un vieillard aurait pris la place d’un autre, tout juste décédé, pour changer in extremis les termes d’un héritage déplaisant à la famille. Légende ou réalité, on ne le saura jamais et c’est bien ce qui fait le sel de toutes ces anecdotes !
Le notariat français en chiffres (1)
- 4 500 études notariales
- 8 000 notaires, et 45 000 employés et clercs de notaires
- Fréquentation des études par 20 millions de Français par an
- Signature de plus de 4 millions de contrats par an
1 - Chiffres publiés sur le Point 17/01/2007 |
Le clerc de notaire
C’est le principal collaborateur du notaire qu’il assiste dans la préparation, la rédaction et l’authentification des actes. Il est chargé de rassembler toutes les pièces administratives, de veiller à la bonne marche de la procédure et d’entretenir un bon relationnel avec les clients. |
Le chasseur d’héritiers
Dans sa carrière, Jean Belloc a également été conduit à rechercher de nombreux héritiers. Certains ont eu la chance de croiser la route de ”l’oncle d’Amérique” qui continue d’alimenter bien des fantasmes. Parfois, c’est le chemin inverse qu’il fallût prendre, aidé d’un généalogiste, pour aller à la recherche de descendants sur d’autres continents.
Dans les années 70, Jean Belloc est sollicité pour animer des journées d'information.
On le voit ici à la Chambre d'Agriculture de l'Aude face à un public d'agriculteurs. Crédit photo : collection Jean Belloc
L’étude notariale à l’épreuve du temps
En cinquante ans, Jean Belloc a vécu les évolutions majeures de la société rurale du 20ème siècle. Dans sa profession, l’avancée la plus significative, fut incontestablement le passage à l’ère informatique. Compte tenu du volume de dossiers à conserver, le notariat a ensuite nécessité une adoption rapide du tout numérique. Alors que son père rédigeait les actes à la main, lui, déjà, les tapait à la machine. Dès 1974, l’étude réunit toutes ses données sur un ordinateur central. Pour ce qui est de l’expertise, Jean Belloc a toujours fait preuve d’une très grande rigueur. Ce métier nécessite une réactualisation permanente des connaissances. L’environnement juridique et la jurisprudence sont susceptibles de changer tous les jours. Il en va de l’intérêt du client, de détenir une information actualisée.
La lecture du testament
Ce moment empreint de solennité a inspiré de nombreux romanciers et cinéastes. Il est effectivement très intéressant car il peut réunir tous les éléments de la dramaturgie. On pense à l’attente fébrile, aux regards qui s’évitent, au neveu qui retrouve quelque affection pour sa grand-tante une fois passée de vie à trépas, aux châteaux en Espagne échafaudés sous un écheveau de voiles et de mantilles…. Si quelques scènes de cet acabit, et leur dénouement, circulent encore dans les couloirs de la Chambre Dépar-tementale des Notaires, Jean Belloc n’en dira pas plus… Par conséquent, il ne nous reste plus qu’à imaginer quelques grands classiques du genre : parmi tous les héritiers, l’un d’entre eux est largement favorisé, le ou la défunte lègue une partie de ses biens à un amour jusqu’alors gardé secret, une grand-tante irascible fait dire à ses neveux d’aller se rhabiller par la voix du notaire… A moins que le legs ne soit affecté d'une condition suspensive (interdiction de vendre, obtention d’un diplôme, mariage …). Dans ce cas, les dernières volontés du défunt devront être scrupuleusement respectées au risque, pour le légataire, de se voir privé d’héritage. Tout cela relève bien sûr de la fiction, les adeptes du genre reverront à loisir l’inénarrable Viager de Pierre Tchernia (1972) mettant en scène Louis Martinet (Michel Serraut) que Léon Galipeau (Michel Galabru) rêvera jusqu’à son dernier souffle de voir passer de vie à trépas !
De sa vie de notaire rural, Jean Belloc garde avant tout, comme son père avant lui, le sentiment “d’avoir rendu service”. C’est indéniablement le côté humain de sa mission qui l’a marqué, bien plus que les centaines de transactions qu’il a encadrées. En conséquence, il conserve des liens ténus avec ses anciens clients, des liens qui se transmettent de génération en génération.
Isabelle Barèges
Jean Belloc conserve dans ses archives une copie de l'Acte constitutif de la Chambre des notaires de l'Aude.
Le document date du 17ème ventoze de l'An Douze de la République, soit le 7 mars 1804.