Musiques, fêtes et danses d'autrefois
Harmonies, fanfares, lyres, cliques, orphéons, écoles de musique : notre région se doit de rendre un vibrant hommage à tous ceux qui, créateurs et animateurs d’ensembles musicaux ont dispensé bénévolement l’enseignement de la musique, éveillé des vocations et par des concerts et bals populaires participé à l’animation et procuré de grands moments de bonheur à notre Lauragais laborieux.
Le groupe de danse de Quadrilles de Saint Félix “Les amoureux de la Belle époque” effectue en public quelques pas de danse d’autrefois. Cette équipe de Saint Féliciens passionnés se fait un plaisir de danser quelques figures de quadrilles comme “Les Tiroirs”, “les Lignes”, “les Moulinets”, “les Visites”, “les Lanciers”
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Un siècle de musique
De la fin du XIXème siècle et jusqu’aux années 1950 environ, malgré les interruptions dues aux deux guerres mondiales, naissent et prospèrent de réputées formations musicales : l’Harmonie de Caraman créé en 1880, la Lyre de Revel, la Lyre Lauragaise de Villefranche, les Sans Soucis de Castelnaudary, la Lyre du Vent d’Autan de Saint Félix Lauragais, le coq Revélois. Bien souvent des orchestres de bals champêtres en sont issus telle l’Harmonie Sainte Cécile de Caraman ansi que d’autres petites formations de nos fêtes et bals.
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Des orchestres de notre région : A gauche, La lyre du Vent d‘Autan de Saint Félix Lauragais (1938) A droite, l’Orphéon de Revel (grand concours international de musique de Bordeaux - 1928) - Crédit photos : Collection Hubert Roques |
Une vie de musicien
Une fois leur journée de travail terminée, agriculteurs, ouvriers, artisans, commerçants, se retrouvaient au village pour les répétitions, l’apprentissage du solfège et d’un instrument tel que pistons, clarinettes, basses. Les épouses n’appréciaient pas toujours les absences du foyer et ces veillées musicales. Conscience professionnelle : il nous a été cité quelques garçons qui emportaient leurs instruments dans la prairie où, bergers musiciens, ils avaient la charge de la garde des animaux de la ferme tandis que “Médor gardabo la troupelado”.
Les fêtes patronales
“Elles ne sont plus ce qu’elles étaient…” déclarent les nostalgiques. Un programme de la fête de Saint Félix Lauragais en 1905 fait état de 5 jours de réjouissances. Dans les années 1950, chaque village consacrait encore 3 jours à sa fête locale. Les musiciens se devaient d’être présents aux cérémonies de la messe, du monument aux morts, assuraient l’apéritif concert et parfois les aubades (ou tour de table) de porte à porte. Les bals se déroulaient de 16 heures (après les vêpres…) à 19 heures et de 21 heures à 1 heure du matin.
Entrez dans la danse
Les bals avaient lieu, non seulement pour les fêtes patronales mais “on remettait le couvert” pour la refête dans les semaines qui suivaient et à l’occasion des fêtes de sociétés, des foires de Caraman, Villefranche, Castelnaudary et autres et enfin tous les dimanches pendant la période du fameux carnaval (1) célébré dans presque tous les villages. Avec un orchestre sans prétention (un accordéon et une batterie suffisaient) sous une halle et bien souvent dans une salle de café, les jeunes de la commune qui avaient sollicité la générosité des habitants en quêtant “las carbounados (2)” en étaient les organisateurs.
Des instruments de musique
Installés sur la “tribune” de la halle, sur le kiosque de la place publique ou, bien plus modestement sur une charrette décorée de branchages, nos musiciens s’époumonaient en soufflant dans des cuivres : cornet à pistons, trombones, basses et clarinettes, et le batteur rythmait avec grosse caisse et cymbales. Aussi une bonne pause était-elle nécessaire après l’interprétation de chaque morceau. Dans les bals, l’arrivée du saxophone (inventé par un certain Adolphe Sax vers 1850) et de l’accordéon diatonique (3) puis chromatique (4) allait donner naissance au bal musette.
De la belle époque aux années folles et … à la danse atomique
Dans les années 1900, nous n’avions pas de danses typiquement lauragaises telles la sardane des catalans, le fandango basque ou la bourrée auvergnate. On dansait des rondos, farandoles et autres rebiroulet (5) ou bergetero (6) et aussi quelques danses bien spécifiques : la Maricongot (danse des dépiquages), la treille (danse des vendanges), le cordon-bleu pour les mariages, le bastringue du Lauragais, la buffatiero et même le Républicain (danse qui était un pied de nez aux “culs blancs”…). La belle époque voyait l’avènement de danses originaires de l’Europe de l’Est avec l’éternelle valse, la polka, la mazurka, le scottich d’outre Manche et le fameux quadrille toujours bien vivant à Caraman et à Saint Félix Lauragais. Les années folles de 1925 nous font danser le charleston américain, le paso doble (marche à la mode espagnole). La mazurka devient java et les “danses exotiques” séduisent les danseurs : rumba, conga, boléro, tango et samba.
Avec la deuxième guerre mondiale, le jazz américain “débarque” chez nous avec le fox-trot, le swing, le boogie-woogie cher aux “zazous”, le slow et… marque de l’histoire la très spectaculaire danse atomique (7) où étaient particulièrement appréciées les cavalières de petite taille.
La querelle des anciens et des modernes
Pour les organisateurs des bals et les orchestres, il n’était pas aisé de contenter tout le monde. Nos anciens réclamaient polka, mazurka et quadrille, mais nos jeunes appréciaient paso, samba et tango. Baziège avait résolu le problème en proposant un bal champêtre sous la halle et un musette en plein air. A Saint Félix, la Lyre Lauragaise de Villefranche alternait avec le talentueux Swing Mélody. Auriac sur Vendinelle semblait faire l’unanimité avec le renommé bal champêtre de Jean Bentaberry. Et c’est toujours avec beaucoup de plaisir que, sous la direction de Gérard Meissonnier on retrouve encore les danses d’antan à Caraman, à la Fête de la Cocagne de Saint Félix avec les danseurs de quadrille de la commune et le “Poutou de Toulouse”.
Les danseurs du “Poutou de Toulouse”, groupe folklorique traditionnel en pleine démonstration de leur talent.
Crédit photo : Fête historique de la Cocagne |
“Les amoureux de la Belle époque” , groupe de danse de quadrilles de Saint Félix, illustrent bien les années folles avec leurs costumes d’époque. Crédit photo : Fête historique de la Cocagne |
Le “confort” des danseurs
Nos danseurs d’aujourd’hui sont particulièrement gâtés : salles des fêtes, chapiteaux aux revêtements de sols “dansants”, voire pistes de danses avec parquets cirés. Autrefois on se satisfaisait du bitume de la place publique, du carrelage inégal d’une halle et parfois même du sol nu que les jeunes aménageaient, tout comme on préparait le “sol” de l’aire de battage. Ainsi à la fête de Cadenac, le 15 août, il était nécessaire d’arroser la piste de danse à l’aide d’eau apportée dans des comportes (8) afin de “domestiquer” la poussière soulevée par les danseurs.
Bals, fêtes et anecdotes
C’était bien avant 68 : le soir, les mères accompagnaient leurs filles au bal et se tenaient sagement assises sur des bancs autour de la piste. Si la cavalière invitée par son cavalier à se désaltérer d’une menthe à l’eau pendant l’entracte, tardait un peu à revenir au bal, les mères s’exclamaient : “Oun és la drolo ?”… Il y avait eu au préalable la danse d’invitation et aussi la danse de la fleur que le cavalier offrait à sa cavalière.
Mais les bals n’étaient pas toujours de “grands fleuves tranquilles” : rivalités, querelles de clocher, “chasses gardées”. Dans les années 1900, il arrivait que la fête fut troublée par des bagarres venant perturber la quiétude des lieux. Coups de poing, coups de bâtons pleuvaient : ainsi s’expliquait-on entre jeunes de Caraman, d’Auriac et autres villages.
Pendant la guerre, les bals furent interdits mais… des bals clandestins perduraient : on se donnait rendez-vous dans une ferme où un simple accordéon ou phonographe faisaient l’affaire. Et les gendarmes pourchassaient ces danseurs “hors la loi” : danses certes mais gare à la contre danse…
Hubert Roques
Nos remerciements à Maurice Meissonnier (de la saga Meissonnier de Caraman), à André Berjaud de Saint Julia, Gilbert Julia de Saint Félix et aux Poutou de Toulouse pour leurs témoignages à propos des musiques et bals d’autrefois.
Lexique :
1 - Carnaval : festivités débutant en janvier jusqu’à Pâques
2 - Carbounados : collecte faite en faveur des jeunes organisateurs des bals de carnaval.
3 - L'accordéon chromatique possède les 12 demi-tons de la gamme chromatique. Une touche enfoncée produira la même note que l'on tire ou que l'on pousse le soufflet. Certains ont des boutons, d'autres des touches de piano. Suivant les modèles, la tessiture peut dépasser 4 ou 5 octaves.
4 - Les accordéons diatoniques peuvent jouer des gammes diatoniques. Une touche enfoncée ne produira pas la même note selon que le musicien tire ou pousse le soufflet. On dit qu'il est bi-sonore.
5 - Le Rebiroulet (pirouette) : une danse typiquement lauragaise. Un danseur se plaçait entre deux danseuses, prenait de la main gauche sa danseuse du même côté et après avoir exécuté un tour avec elle en se tenant par la main, la remettait en place. Puis il prenait avec sa main droite sa danseuse du même côté et faisait avec elle un tour complet comme avec la première, puis il exécutait un mouvement en sens contraire de manière à faire changer sa danseuse de place, ce qui le forçait à revenir sur lui-même (Rebiroula)
6 - La Bergereto (la petite bergère) : un danseur et une danseuse se placent l’un en face de l’autre et s’avancent en se saluant ; puis ils se retournent et s’éloignent à reculons et rétrogradent toujours à reculons jusqu’à ce qu’ils se touchent, alors on se retourne et l’on bat ses mains contre les mains de son vis-à-vis. Cela fait, on s’éloigne un peu et l’on s’avance de nouveau. Enfin, quand on est près l’un de l’autre, le danseur embrasse sa danseuse.
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Cette affiche datant de 1947 présente deux orchestres : l’un “traditionnel” pour les anciens et l’autre “ plus moderne” pour les jeunes, lors d’une fête communale à Saint Félix. |
7 - Danse atomique : après Hiroshima une danse consistait à enlever sa cavalière le plus haut possible comme une bombe.
8 - Comporte : Espèce de cuveau, quelquefois de la contenance d'une demi-barrique, servant, dans le Midi, au transport de la vendange qui se fait ailleurs dans des hottes ; les poignées sont formées ordinairement des branches mêmes du bois employé ; les comportes sont cerclées de fer. |