Le Maïs, plante miracle en Lauragais (1650-1914)
En octobre 2002, une balade en Lauragais, de Lanta à Revel en passant
par Caraman et Castelnaudary, nous fait découvrir quelques rares champs
de maïs arrosés avec l'eau de lacs collinaires ; cette céréale
a donc presque disparu de nos collines et cependant il s'agit d'une plante
fondamentale soutenant la richesse du Lauragais ; base de l'alimentation des
paysans, il permet l'exportation du froment (blé) aux XVII et XIXème
siècles hors du Pays des Mille Collines : il permet l'Age d'Or du froment
et, grâce à lui, le Lauragais se couvre de splendides châteaux,
de maisons de maîtres, de belles églises gothiques, de bordes
aux murs de briques foraines. Tous les auteurs qui ont écrit sur l'histoire
économique du Lauragais sont d'accord pour exalter le rôle du
maïs à travers des formules chocs, comme le roi maïs, le
royaume du maïs, le miraculeux maïs, une zone pilote : le Lauragais.
Les dieux du Maïs aux Amériques
La première mention du maïs se trouve à la date du 5 novembre
1492 dans le journal de bord de Christophe Colomb qui avait découvert
l'Amérique et débarqué à Cuba le 27 octobre de
la même année ; je cite : " il y avait là de grandes
terres cultivées, avec des racines (sans doute la patate douce), une
sorte de fève (sans doute le haricot) et une sorte de blé appelé
maïse, qui est très savoureux cuit au four ou bien séché
et réduit en farine". Le maïs est donc américain ;
il est le principal support des magnifiques civilisations précolombiennes,
Mayas au Guatémala, Aztèques au Mexique, Incas au Pérou,
Bolivie, Colombie ; détruites par les Espagnols, ces civilisations
nous ont laissé de nombreux monuments comme les pyramides de Palenque
et les remparts de la capitale inca : Cuzco. Le maïs est assimilé
à des dieux : le dieu maïs mâle s'appelait Cinlvatl, et
la déesse Chicomecoatl, ou première femme réputée
savoir faire la cuisine. Le premier homme, comparable à Adam, était
construit avec du maïs ; je cite : " le premier homme était
fait d'argile, il fut détruit par une inondation ; le deuxième
homme, de bois, fut dispersé par une grande pluie. Seul le troisième
homme a survécu, il était fait de maïs". La puissance
et le rôle omniprésent du maïs dans ces civilisations apparaît
dans l'admirable poème d'un chant sacré indien Pawni, du Mexique
:
Au Mexique, le maïs constitue toujours la base de l'alimentation
(Crédit photo : Christine Le Morvan)
Maman
maïs
"Maman maïs écoute, montre nous le chemin
O puisse notre âme te toucher
Et notre prière t'atteindre
Donne nous des enfants. Maman maïs écoute.
Maman Maïs écoute, montre nous le chemin
O nous courbons la tête, nos âmes touchent ton âme
Puis d'un seul esprit
Nous choisissons le fils. Maman Maïs écoute.
O Maman Maïs écoute, montre nous le chemin
O la tête droite notre mère se lève
Et la voilà qui traverse l'espace
Vers sa mission. Maman Maïs écoute.
O Maman Maïs écoute, montre nous le chemin
O Nous trouvons sa cabane, nous entrons
Nous le trouvons endormi
Sans savoir notre présence. Maman Maïs écoute.
O Maman Maïs écoute, montre nous le chemin
O Voici qu'elle le caresse qu'un rêve s'ouvre
Qu'un oiseau appelle Mon fils
Il y répond de tout son cur. Maman Maïs écoute.
L'invasion du Maïs en Lauragais
Semences
de maïs produites en Lauragais
(Crédit
photo : Groupe Coopératif Occitan)
Le
maïs a remplacé le Pastel
Le maïs tropical a besoin d'eau et de chaleur pour un développement
très rapide : 4 mois, de mai à septembre ; la chaleur de l'été
lauragais est bien connue ; pour l'eau, les paysans comptaient avec les orages
fréquents en août. La plante s'est adaptée très
facilement aux conditions naturelles lauragaises avec la formation de variétés
locales : le Blanc des Landes, le jaune des Landes, le Blanc du Razès
; la variété la plus cultivée était la Millette
de Castelnaudary (blanc et jaune) ; épi long de 10-12 cm ; petits grains
très durs, donnant une farine très fine. Résistant très
bien à la sécheresse, les rendements de la millette étaient
énormes, surtout par comparaison avec ceux du blé : 20 à
40 grains pour 1 semé, contre 1 pour 4-5 pour le blé (au XVIIIème
siècle) ou 1 pour 8 vers 1880.
Le maïs apparaît pour la première fois dans une mercuriale
au marché du 5 octobre 1637 à Castelnaudary ; un mois plus tard,
le mardi 3 novembre 1637 le voilà vendu à Verfeil ; à
Toulouse en 1639. Il est connu sous divers noms : le blé d'Espagne,
blé de Turquie, millet d'Espagne, millet gros, "blé de
Turquie vulgairement appelé millet" ; le maïs arrive d'Espagne
par Bayonne et se répand d'Ouest en Est jusqu'à Toulouse - Castelnaudary
- Bram, puis dans tout le Sud Ouest ; 1667 : Angoulème, 1693 : Cognac,
Béziers en 1678.
Semences de maïs irriguées par pivot
(Crédit
photo : Groupe Coopératif Occitan)
Le maïs en Lauragais se développe rapidement au détriment
des surfaces emblavées, surtout lorsque les brassiers, maîtres-valets
et métayers obtinrent des propriétaires des parcelles (1 arpent)
à préparer par pelleversage et dont ils conservaient ensuite
la moitié des épis, pour l'alimentation familiale. Le maïs
est une "plante révolutionnaire" par les 3 sarclages (1)
qu'il exigeait et qui laissait un sol propre, sans mauvaises herbes, sur lequel
on semait du blé ; l'assolement blé-jachère est bouleversé
et devient un assolement triennal maïs-blé-jachère, avec
une augmentation sensible des rendements du blé. Les surfaces maïsicoles
progressent régulièrement durant tout le XVIIIème siècleet
la première moitié du XIXème siècle, jusqu'en
1850, où elles sont presque aussi importantes que les parcelles réservées
au blé : Le succès est spectaculaire. Les adversaires du maïs
sont les grands propriétaires qui souhaitent le maximum de blé
qu'ils vendent, grâce au canal de Riquet, de plus en plus cher ; ils
reprochent au maïs d'épuiser le sol et surtout, les brassiers
et maîtres valets négligeaient le blé au bénéfice
du maïs, notamment Accurse de Blandinières grand propriétaire
à Ayguesvives et Montesquieu.
Le déclin du maïs commence vers 1860, avec l'exode rural massif
des prolétaires ruraux qui quittent le Lauragais surpeuplé pour
gagner les villes de Toulouse, Carcassonne, Castres et le vignoble du Bas
Languedoc après 1890 (phylloxéra). Cependant, jusqu'en 1914
le maïs demeure une composante fondamentale de l'alimentation humaine.
Tout est consommé dans le maïs, même les racines, pour le
foyer de la salle commune, dans les bordes (voir croquis ci-dessous).
Maïs grain destiné à l'alimentation animale (Crédit photo : Groupe Coopératif Occitan) |
La cuisine du Maïs
Le meunier du village utilisait un système de meules spécial
pour que la farine soit bien fine pour préparer le millas. Les paysannes
préparaient aussi le mesturet, sorte de millas mélangé
avec de la purée de citrouilles ; la millassine est un gâteau
avec des ufs. Le millas pendant deux siècles, a été
la base de l'alimentation des classes pauvres : c'est "le pain du pauvre",
par comparaison avec le pain de blé, le pain blanc, noble, consommé
par la bourgeoisie, les propriétaires, les gens d'Eglise (on l'appelle
souvent le pain de couvent). La préparation du millas est tout un art
autrefois réservé aux grands mères ; dans un grand "payrol"
(chaudron de cuivre) dans une eau fortement salée et frémissante,
on jetait la farine poignée après poignée, lentement,
pendant 45 à 60 minutes ; on remue avec un bâton à touiller
appelé la cuillère à millas (la todelha) taillée
dans du bois de hêtre ou de châtaignier. Le millas est cuit quand
une croûte se formeau fond du chaudron ; un homme, ou deux, vidait la
masse sur la grande table et la pâte s'écoulait vers les bords
jusqu'à une épaisseur de 2 à 3 cm environ. Le millas
était le plat de résistance consommé à la place
du pain de blé, avec un bout de saucisse, des sardines grillées,
surtout avec des sauces et daubes ; cette dernière étant un
plat typique du Lauragais.
"le
milhàs ambe la dauba nos reviscola" : le millas avec la daube
nous rend la vie ; avec du civet, ou encore le millas-dessert cuit à
la poêle, avec du sucre ou de la confiture de figues.
Gavage au maïs
(Crédit
photo : Couleur Média)
La production de maïs, en 2002, est faible dans le Lauragais occidental,
plus importante dans le Lauragais audois grâce à l'aspersion
permise par l'eau de la Ganguise. La grande zone maïsicole s'est déplacée
vers la plaine de Pamiers-Saverdun-Auterive, ou d'immenses parcelles sont
arrosées par d'impressionnantes rampes d'arrosage (400m de long). Le
maïs lauragais est cependant le soutien d'un élevage de plus en
plus important d'oies et de canards pour les confits et les foies : il faut
voir les marchés de Castelnaudary, de Belpech, de Bram ou de Revel
et Villefranche. Le maïs revient dans l'alimentation des hommes : à
Auriac sur Vendinelle un moulin fournit une farine extra fine, le pain de
maïs est de retour chez le boulanger. Le "maïse" de Christophe
Colomb a connu une fabuleuse épopée économique et historique
; dans le paysage architectural actuel il est en partie responsable de la
construction des nombreux châteaux du XVIIIème siècle,
églises, maisons de maître, grandes bordes de briques foraines.
L'âge d'or du blé (1681-1860) a été possible grâce
au soutien du maïs.
Semailles au maïs cers 1950
(Crédit
photo : Collection Jean Odol)
(1) l'auteur est un ancien sarcleur de maïs
Jean ODOL
Bibliographie : R. Brunet : "Les campagnes toulousaines"
G. Jorré : "Le terrefort toulousain"
J. Odol : "Le Lauragais"
> Autre reportage (CL46) : Les Pierres
à Millas
Couleur Lauragais N°46 - octobre 2002