Poèmes
PAYS NATAL
Souvent quand je suis las, assis sur une pierre
A l'abri d'un sapin, j'aime me reposer
La tête entre mes poings et closes les paupières.
Foin du corps engourdi, l’esprit court les nuées !
Je vogue en liberté au cœur de paysages,
Qui plus beau, qui plus grand, et pourtant le voyage,
Quel que soit le chemin où l'esprit me conduise
Finit par se poser sur la flèche d'église
Qui dans l’eau du " bassin " se double en clairs remous.
Au bas je vois l’amas des tuiles du faubourg,
Les maisons accrochées au flanc de la colline
Le ballet des sapins qu'un vent houleux incline.
J'aperçois, alignés tout au long du chemin,
Des jardins ratissés avec un tendre soin
Puis, raclés par le vent, de vieux moulins d’antan
Qui broyaient en chantant le grain pour nos parents.
Avec le vent d’autan par les rues je me glisse,
Bondis de mur en mur sur ces pierres qu’il plisse.
De pente en raidillon, tournant, virevoltant,
Je me rue à l’assaut de Saint Michel montant,
Large, vaste, solide et qui frémit à peine,
Solidement ancré et dominant la plaine,
Forci de tant de siècles, habile à résister
A ce vent qui l’affouille sans le faire broncher.
Quelques remous houleux devant la collégiale
Tout au cœur du réseau de venelle en dédale,
Et voici que soudain sous le porche clocher,
Tête avant je m’engouffre inexorablement happé
Pour plonger au-delà droit vers les Pyrénées.
C'est là que je suis né, que mon cœur a battu
Ses premiers mouvements,
C'est là que, dans la joie et l'amour, j'ai vécu
Mes tout premiers instants.
Cet éther transparent où le soleil se noie
Dans un azur bleuté,
Est celui qui vibra des premiers cris de joie
jaillis de mon gosier.
Cette atmosphère pure et cette chaude terre
Aux grisâtres noirceurs,
C'est en eux que mes yeux avides de lumière
Ont puisé leur couleur
C'est ce sol qui reçut la tremblante caresse
De mes tout premiers pas,
Ces prés gorgés de fleurs, cette nature en liesse,
Ont ri à mes ébats
Aussi, quand sonnera au clocher de l'église
L'heure de m'en aller,
Je voudrais en un coin de cette terre grise
Pouvoir me reposer,
Je voudrais que mon corps, en cette heure suprême
Des glaces de la mort,
Vint réchauffer ses plaies en cette terre blême
Qui fume sous le soc
Je veux que quand mes os redeviendront poussière,
Atomes désunis,
Ce soit pour devenir de cette douce terre,
L’engrais porteur de vie.
Je voudrais être encore un peu de cet humus
Que j'aurai tant aimé
Et nourrir de mes flancs que je ne verrai plus
Une tige de blé.
Trebor SELLIAVAC
Castelnaudary - Novembre 1955