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Couleur Lauragais : les rubriques

Poèmes

La Montagne Noire

6 janvier
Noire, notre montagne ?...
Aujourd'hui, elle est plutôt bleu marine très foncé, lisse et unie comme si une grande main invisible avait effacé tous ses reliefs. Elle se détache sur une bande de ciel gris qui va se perdre dans la voûte sombre et menaçante de gros nuages noirs annonciateurs d'orage.

montagne noire

8 janvier
Il a neigé... Mon jardin dort sous un édredon blanc tout gonflé de douceur.
"Viens mon chien ! Allons voir la montagne !" La neige craque sous mes pas et ça et là zigzaguent des petits chemins fléchés tracés par les oiseaux et brusquement interrompus par un vol sans doute apeuré.
Et la voici, la montagne : de grandes tâches blanches s'étendent sur ses pentes comme autant de ces grands draps qu'on mettait autrefois à sécher à même les chaumes. Par ci par là, quelques coulées s'étirent comme des petits ruisseaux inachevés et un peu partout un saupoudrage timide sucre les pentes brunes.

montagne noire sous la neige

14 janvier
Ce matin, elle ressemble à un décor de théâtre bleu clair, parfaitement plat, comme découpé dans du carton pâte. Elle se dessine sur un fond de ciel hésitant griffé de traînées d'un blanc inerte, blafard qui peu à peu, vers la droite se ranime à la lumière d'un soleil malade qui essaie vainement de percer les nuages qui l'emprisonnent.
Au premier plan, se détachent sur ce fond bleu la flèche sombre d'un if esseulé, la rondeur des chênes et la masse brune des taillis que le froid semble avoir resserrés.

relief de la montagne noire

18 janvier
Je suis la route qui traverse un océan de verdure où brillent des milliers de petits feux allumés par un soleil tout fringant presque printanier. Il est encore tôt. Il va faire beau.
Quand je lève les yeux, j'ai face à moi un monde très différent de toutes ces nuances de vert illuminées de rosée qui m'entourent : elle est là ma montagne, sereine, hiératique. Ses rondeurs nettes et affermies se découpent sur un ciel pur, bleu dragée.
A midi, c'est sûr, il fait beau. Le soleil s'épanouit dans un ciel toujours aussi bleu et la montagne s'est mise à vivre : elle dévoile ses creux, ses vallons, ses rides dans tous les tons de brun, de bordeaux, de violine, de gris taupe et de gris souris qui font ressortir le blanc lumineux des murs d'une maison isolée que frappe le soleil. Seule la tâche douce et veloutée d'un pré vert s'allonge le long d'une pente comme un rappel des verts qui bordent mon chemin.

24 janvier
Surprise !... Elle a disparu, noyée dans une brume lointaine comme si un magicien facétieux l'avait supprimée d'un coup de baguette magique.
Pas même sa silhouette !
Pas même son ombre !
Rien !

montagne noire sous le gel

Et je ne vois que ce premier plan que je remarque moins lorsque mes yeux sont attirés par la majesté de la montagne qui se dresse à l'horizon : les maisons silencieuses, les champs éteints, les arêtes des peupliers, les arbres nus qui effilochent leurs branches tordues sur un ciel indécis, d'un blanc douteux morne, désespérément uni.
C'est l'horizon d'aujourd'hui, un horizon sans montagne que je ne reconnais plus.
Heureusement, elle sera là au rendez-vous demain.

Noire, notre montagne ?... Je dirais plutôt changeante, vivante, inattendue.
C'est la montagne couleur du temps.

Ginette Fournès