Contes
Conte du troisième millénaire : l'Ascenseur
Un
conte pour la Saint Valentin ?
Je pense à ce rêve que j'ai fait souvent et qui m'obsède...
Cela se passe au cours du troisième millénaire, quand le monde
et notre vie seront totalement régis par la technique et les ordinateurs,
et qu'il suffira d'appuyer sur un bouton pour tout obtenir.
C'est l'histoire d'un professeur d'Université dont toute la vie se
déroule dans un ascenseur. Cela se passe dans mille ans ... et il y
a mille étages (c'est évidemment allégorique ; l'ascenseur
n'a pas mille étages mais un grand nombre, et c'est un peu notre vie
à tous ... ). Comme chaque matin, le professeur d'Université
entre dans son ascenseur dont il contemple les boutons.
Il les connaît bien , depuis le temps !
A chacun correspond un moment de sa vie, de son travail, de ses loisirs. Le
13ème conduit à l'Université, le 25ème à
l'hypermarché, le 80ème chez lui, le 140ème à
la mer. Depuis qu'il a consolidé sa carrière, rejeté
les entraves du passé, acquis son vrai visage d'homme, il dispose d'à
peu près tous les boutons. Et il les a presque tous essayés.
Mais depuis quelque temps il éprouve une indéfinissable angoisse.
Lorsque l'ascenseur s'élance à travers les étages dont
les boutons s'illuminent au passage, il ressent de plus en plus violemment
l'impression de passer à côté de quelque chose. Comme
s'il existait quelque part un étage inconnu, interdit, un étage
sans bouton, devant lequel tout le monde passerait sans se douter de son existence.
La
pendule électrique de l'ascenseur indique que l'on est le 8 février
à 8 heures 08. Le professeur devrait appuyer sur le 15ème bouton,
pour lequel la porte d'acier de la cabine ouvre directement sur son amphithéâtre.
Mais plus que jamais, il se sent aujourd'hui oppressé et il s'adosse
rêveusement à la paroi opposée. Sa main, machinalement,
la parcourt, l'effleure. Et voici que soudain
Voici que joue brusquement un déclic caché et que l'ascenseur
démarre à grande vitesse. Il s'arrête bientôt tout
aussi brusquement, la paroi pivote et s'ouvre sur une vision insolite.
Cela tient un peu de la descente aux enfers Cela ressemble à un paradis
perdu ... C'est un monde déconcertant, fait de soleil et d'ombre, de
mousse et de roc, de cavernes et d'eau vive. Émerveillé, le
Professeur hésite mais il est fasciné par ce monde de fraîcheur
qu'il découvre, où s'égrène une musique douce,
et où une voix chante au loin, qui résonne en lui comme un véritable
appel. Timidement mais irrésistiblement, il avance de quelques pas.
Et c'est ainsi qu'en ce matin du 8 Février à 8 heures 08, le
Professeur pénètre dans le royaume de la Princesse. Et la Princesse
l'y attend ! Que dire d'elle, sinon qu'elle est à l'image de ses rêves
? Il en reconnaît les yeux, le sourire, la voix.
La douceur.
Elle l'attendait, et c'est ainsi que pendant trois jours et trois nuits, main
dans la main, ils vont errer dans son paysage. Que se disent-ils ? Que se
passe-t-il entre eux ? L'histoire ne le dit pas, sans doute le Professeur
l'ignore-t-il encore.
Car au bout de ces trois jours et de ces trois nuits, il se retrouve dans
la cabine de l'ascenseur qui se referme sur lui.
Il en contemple la paroi d'un air attendri : elle est totalement lisse. Mais
le Professeur sait bien qu'il est inutile de chercher ; on pourrait l'analyser
millimètre par millimètre qu'on ne trouverait pas trace du déclic
caché. Il est trop mystérieux, trop insolite : comme l'énergie
naît de l'union de deux particules, il n'est mû que par la conjonction
de deux volontés.
Et le Professeur sourit.
Il sourit encore lorsque l'ascenseur, dans un long chuintement, s'envole tout
seul vers le 15ème étage.
Mais soudain son sourire se fige !
Et il contemple, incrédule, la pendule électrique de l'ascenseur
qui indique toujours : 8 FEVRIER, 8 HEURES 08.
Jean FAGET