Pierre-Jean Fabre, alchimiste et médecin du Roi |
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Pierre-Jean Fabre (1588-1658) est un médecin et alchimiste natif de Castelnaudary. Il a publié de nombreux ouvrages de médecine sous son nom latin de Petri Johannis Fabry. Il est considéré comme le meilleur spécialiste de la peste à son époque et comme médecin du roi Louis XIII. Il prétend avoir transformé du plomb en argent.
Pierre-Jean Fabre arbore le bonnet carré |
1622. Fabre au chevet du Roi, à Castelnaudary
Nous sommes en 1622. Après avoir assiégé Montauban, le jeune roi Louis XIII marche à la tête de son armée, bien décidé à rétablir l'autorité royale et le culte catholique partout dans le royaume. Il vient déloger les huguenots qui tiennent plusieurs localités du Lauragais.
En juillet 1622, à Toulouse, sa Majesté est mal en point, si l'on en croit Jean Héroard, le Premier médecin du roi, qui note dans son journal : «Le 4, lundi. Éveillé à trois heures et demie après minuit, il se plaint, criant et me disant avoir eu froid étant couché dans le lit, et fort peu dormi, les yeux chauds et la tête pesante. Levé, blême, il se sent faible et lassé ; vêtu, botté, prié Dieu, déjeuné à quatre heures. Il part de Toulouse et arrive à dix heures et demie à Villefranche de Lauraguais ; à onze heures et demie il se plaint encore des mêmes choses qu'il avait fait ici dessus ; dîne pourtant. Il va après en sa chambre, en son cabinet ; son lit n'était pas venu, il se met tout vêtu sur une paillasse qu'on lui avait apprêtée de paille fraîche.» Dès l'aube, Louis XIII, reprend la route vers Castelnaudary avec plus de six-cents chariots chargés des munitions de guerre et dix mille hommes qui vont bivouaquer à Castelnaudary.
Les consuls de Castelnaudary accueillent le souverain à la Capelette. Il s'agit de la chapelle située au carrefour de la route de Revel et de la route de Toulouse, qui fait office, de nos jours, de boulangerie. Jean Héroard raconte : «Le 5, mardi. Il arrive à Castelnaudary, après avoir entendu les harangues des magistrats au faubourg. Entrée à onze heures.» Le Roi de France se plaint de maux de ventre affreux. Les soins que lui prodigue son Premier Médecin s'avèrent sans effet. Le Roi fait alors appeler à son chevet, les trois médecins de la ville : Clément Guilhermy, Jean Ferrand et Pierre-Jean Fabre. Après avoir ausculté le roi, Fabre diagnostique «une dysenterie pernicieuse». Le roi est impressionné par sa science.
A Castelnaudary, le souverain, même alité, continue de gouverner. Fabre a tous les droits. Il rapporte au roi qu'un gentilhomme huguenot du nom de Marc de Gaillard, écume le pays et dépouille de leurs biens les marchands sur la route près de Castelnaudary et n'hésite pas à leur ôter la vie. Fabre, qui a eu l'occasion de soigner ce personnage, se plaint amèrement de n'avoir pu être payé. Louis XIII ordonne au maréchal Bassompierre d'écraser le Mas Saintes-Puelles, bastion huguenot «qui se fait appeler ville, mais qui n'est qu'un gros village». Bassompierre fait abattre murailles et clocher à coups de canon et met le feu aux maisons qui restent debout.
Fabre s'applique à soulager le mal au ventre du roi et y réussit. Si bien que le jeudi 14 juillet, se sentant un peu mieux, Louis XIII quitte la ville de Castelnaudary, à la tête de «l'armade royale.» Il poursuit sa marche vers Carcassonne. Louis XIII emmène Fabre à la Cour et lui accorde la charge enviée de Médecin du Roy. Or l'esculape chaurien, sorti de sa province, n'est pas homme à se complaire parmi des courtisans, d'autant que Jean Héroard et les autres confrères le jalousent, et ne manquent pas de souligner doctement que ses traitements ont autant d'effet sur le mal dont souffre le Roi, qu'un emplâtre sur une jambe de bois. Sentant souffler le vent de la disgrâce, Fabre regagnera promptement son cabinet à Castelnaudary. Naturellement, c'est au Roi, que Pierre-Jean Fabre va dédier son premier ouvrage, le Palladium Spagyricum, un traité médical contre la peste, qu'il fait imprimer à Toulouse en 1624.
On sait aujourd'hui que le bon docteur Fabre avait peu de chances de guérir son royal patient. Car celui-ci souffre d'une maladie intestinale grave, une maladie évoluant par crises aiguës de maux de ventre, alternant avec des phases de rémission. Il s'agit peut-être de la maladie de Crohn, au vu du rapport d'autopsie pratiquée sur le souverain, en 1643 «Nous avons trouvé […] les intestins gresles démesurément boursoufflés et de couleur blafarde et nageant dans une quantité de sérosités sanieuses et purulentes, […] un ulcère a versé sa matière purulente, qui s'est trouvée amassée dans tout le ventre, dans laquelle nageaient les intestins, à la quantité de plus d'une chopine.» La maladie de Crohn a été décrite seulement en 1932. Le roi repassera par Castelnaudary, après la fameuse bataille de1632, soit dix ans plus tard. Or, entre temps la maladie et peut-être les potions que lui fait prendre son médecin Héroard, lui auront fait perdre tous ses cheveux. Louis XIII reviendra à Castelnaudary coiffé d'une perruque. Cela lui seyait si parfaitement, que tous les gentilhommes de la Cour, eux aussi, voulurent avoir une perruque. La mode était lancée.
1627. Comment Fabre transforme le plomb en argent
La notoriété de Pierre-Jean Fabre devient immense le jour où il réalise devant témoins, le rêve de tous les alchimistes : une transmutation. Dans l'Alchymista Christianus, il raconte l'expérience : «L'an du Seigneur 1627, à Castelnaudary, le 22 juillet, jour de la fête de la sainte Madeleine, j'ai expérimenté la vertu de ce fameux sel physique, en présence et avec l'aide de plusieurs personnes dignes de confiance. Le révérend Père Anaclet et le vénérable Père Adrien, très dévots religieux de l'ordre des Capucins, se trouvaient là, ainsi quel le sire de Sérignol, magistrat plein d'équité, lieutenant présidial en la sénéchaussée de Lauragais, chargé des enquêtes judiciaires. En grand secret, ce dernier m'a assisté dans presque toutes les opérations. Il maniait lui-même les soufflets et activait le feu, pour que dans une expérience si rare, si inouïe, si incroyable, de transmutation métallique, on ne pût concevoir le moindre soupçon de fraude. Un demi-grain de poudre de ce sel admirable, en l'espace d'une demi-heure, transforma une once entière de vif argent en argent absolument pur, beaucoup plus net et éclatant que l'argent ordinaire. Ce grain, recueilli et pesé avec soin, se révéla non seulement plus rouge, mais aussi plus gros et plus lourd qu'il ne l'était primitivement. Sa puissance ne s'était nullement épuisée dans la première transmutation d'une once de vif-argent : il lui en restait encore et, grâce à elle, une drachme de plomb fut changée en argent pur et véritable, dans une dernière expérience contrôlée.» (Traduction de René Nelli)
L'alchemistis, huile sur toile par Pietro Longhi (1701-1785)
Pierre-Jean Fabre croit avoir réussi une transmutation. Henry Ricalens et d'autres historiens modernes crient à l'imposture. Nous nous sommes demandés : Et si Fabre disait vrai ? Comme me le faisait remarquer, et je l'en remercie, un connaisseur des métaux, Benjamin Piveteau, il n'y a pas de quoi crier au miracle. Ce que Fabre semble ignorer, c'est que le minerai de plomb qu'il utilise contient sans doute, à l'état naturel, de l'argent. C'est tout simplement du plomb argentifère provenant d'une mine connue depuis l'Antiquité, qui est située à quelques lieues de Castelnaudary. «Il y a une mine de plomb qui paraît assez riche en argent», à la Loubatière, près de Salsigne, dans la Montagne noire, note, en 1777, M. de Gensanne, commissaire aux Etats du Languedoc. En conclusion, Pierre-Jean Fabre croit, de bonne foi, avoir réussi une transmutation, mais bien des choses lui échappent.
1628. Le courage de Pierre-Jean Fabre, médecin de la peste
A Castelnaudary, ce 18 décembre 1628, les consuls de Castelnaudary sont désemparés. La population meurt en masse de la peste. C'est par charretées, que les cadavres sont évacués par la porte de la Baffe, ouverte pour leur passage. L'Eglise invite à faires des prières, devant ce qu'elle considère comme un châtiment de Dieu. Les consuls font dire des messes tous les jours à la collégiale. Ils décident de faire brûler dix cierges de cire blanche, «du poids d'une livre et demie», devant l'autel de saint Roch et d'assister eux-mêmes à une messe, à l'issue de laquelle «ils feront vœu à Dieu, pour faire cesser l'épidémie, d'aller, dès que les chemins seront libres et que la maladie aura cessé, visiter la chapelle Notre-Dame de Garaison près de Monléon-Magnoac, en Bigorre et offrir à icelle, une lampe d'argent qu'on fera faire aux dépens du public, du prix de trois cents livres.» Car, à l'époque, on raconte que là-bas des guérisons miraculeuses se produisent depuis que la Vierge serait apparue à une bergère. Garaison en gascon signifie guérison. Une messe chantée est célébrée, avec procession du Saint-Sacrement a lieu à travers la ville, au risque de répandre un peu plus la contagion.
Médecin affublé du masque de corbeau et du long manteau en temps de peste. Gravure (1656).
La commune de Castelnaudary fait également confiance à la science. Elle accorde 75 livres par mois de gages, aux médecins Pierre-Jean Fabre et Guilhermy, «à condition d'aller trois fois la semaine à Saint-Roch gratis.» C'est, en effet, à Saint-Roch, à l'écart de la ville, que les «infects» sont parqués en quarantaine. Le chirurgien, qui exerce sur place, est déjà malade. Il est ordonné de faire des feux près des fossés et devant les portes avec du genièvre. Fabre et ses collègues médecins, pensent ainsi protéger la ville du «venin pestilent». Lui-même porte le masque de corbeau dans lequel il fait brûler du romarin et autres plantes aromatiques. En fait, mais il ne le sait pas, ce qui le protège ce n'est pas son masque, mais le long manteau de cuir qui le préserve des piqures de puces. A l'époque, on ignore le rôle des rats et des puces dans la propagation de la peste.
En 1629 Maître Valette, notaire de Castelnaudary après avoir reçu près de cinquante testaments de pestiférés ou de leur famille, prend peur et s'enfuit à Laurabuc. Pierre-Jean Fabre, lui, se montre particulièrement courageux. Chargé par les consuls d'enrayer le fléau, il réussit si bien que la cité lui imprime son Traité sur la peste, qui le rendra célèbre.
La renommée européenne du médecin de Castelnaudary
L'alchimiste chaurien va continuer ses expérimentations bien après 1627. Et Fabre affirme, au chapitre XXX De son Manuscriptum ad Fridericum : «J'ai beaucoup supporté et souffert, j'ai sué et enduré le froid, avant d'avoir accompli cette oeuvre secrète». Veut-il nous dire qu'il a trouvé la Pierre philosophale qui est censée permettre de fabriquer l'or ? Pas du tout et bien au contraire. Il déclare dans une lettre du 24 octobre 1642, à propos de l'or : «Si j'en avais sous la main, je vous en offrirais volontiers, mais, je ne sais par quelle loi d'un obscur destin, ces mystères de la nature m'ont été refusés jusqu'alors.» En 1636, paraît un autre ouvrage de Pierre-Jean Fabre imprimé à Paris : «L'abrégé des secrets chimiques où l'on voit la nature des animaux, végétaux & minéraux entièrement découverts : avec les vertus et propriétés des principes qui composent & conservent leur être ; & un Traité de la Médecine générale». Fabre voyage beaucoup. Il visite l'Allemagne et séjourne à Francfort. En 1650, sa réputation a passé les frontières et ses nombreux ouvrages sont traduits et publiés à l'étranger. On le fait venir à Barcelone pour organiser la lutte contre la peste qui règne dans la capitale catalane. Très aisé, Fabre acquiert la charge de conseiller du Roi et devient consul de Castelnaudary. Il possède le domaine de Fabry, en bordure de Castelnaudary, où l'on voit encore une inscription énigmatique gravée au-dessus de la porte, et se référant à l'alchimie.
Après s'être fait oublier pendant une vingtaine d'années, la «maladie contagieuse» frappe à nouveau le Lauragais de 1652. En 1654, sa santé déclinant, Fabre donne 1100 livres aux Cordeliers du couvent de Saint-François pour qu'ils célèbrent chaque jour de sa vie une messe basse du Saint-Esprit et après sa mort une messe de Requiem. Il lègue à la collégiale Saint-Michel de Castelnaudary sa riche bibliothèque, ainsi que huit pièces de tapisserie. Pierre-Jean Fabre meurt en 1658. Il est inhumé dans la chapelle des Pénitents Blancs de la ville.
Alain Calmettes