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Couleur Lauragais : les journaux

Histoire

Le Pippermint GET à Revel, une bastide "mentholée" connue mondialement…

Dans les années 1957-1958, lorsque j'allais à l'école primaire de Revel qui se situait à l'époque où se trouve aujourd'hui "la Perception", j'étais souvent attiré, ainsi que d'autres camarades, par cette importante dépression qui se trouvait derrière un petit mur longeant le tour de ville sur le boulevard Carnot. C'étaient les vestiges des anciens fossés défensifs de la ville. À cette époque, ce n'était pas le côté historique ou patrimonial de l'endroit qui m'intéressait mais de petites plaquettes blanches de plusieurs centimètres de longueur qui étaient jetées par dizaines à cet endroit par la "Fabrique Get" qui produisait le Pippermint GET, une liqueur alcoolisée à la menthe poivrée.
   Un dessin de la bouteille de Pippermint Get a été créé sur la façade du Centre Culturel pour rappeler aux passants l’emplacement de la fabrique Get
Un dessin de la bouteille de Pippermint Get a été créé
sur la façade du Centre Culturel pour rappeler aux passants
l'emplacement de la fabrique Get. Crédit photo : Couleur Média

L'intérêt que nous portions à ces plaquettes (des filtres usagés pour le Pippermint) c'était le parfum de menthe qu'elles dégageaient. Nous les mettions dans nos cartables et elles parfumaient agréablement notre environnement pour toute la semaine. Nous les disposions entre les cahiers et les livres scolaires.
Dès que le parfum s'évanouissait, il suffisait de "recharger" le cartable de ces plaquettes mentholées…
Mais il n'y avait pas que les cartables qui sentaient la menthe, la ville de Revel était aussi parfumée que les jolies femmes. Revel faisait la coquette …
Cette odeur caractéristique qui excite l'odorat d'une façon constante, ce parfum subtil, s'échappait puis s'envolait dans les rues. Notre Revel en Lauragais, notre belle bastide médiévale sentait bon !

Bien entendu, à l'école, on nous avait parlé de l'histoire de cette ancienne entreprise exceptionnelle toujours en activité à l'époque, des exportations réalisées au bout du monde. On voyait bien l'activité des camions qui emmenaient des bouteilles vides et repartaient vers la gare chargés de cartons remplis de Pippermint vers des destinations pour nous inconnues, destinations certainement exotiques qui alimentaient notre imaginaire d'enfant.

Depuis deux ans (en 2014), un groupe de travail de cinquante personnes a été mis en place au sein de la Société d'Histoire de Revel pour retracer l'extraordinaire "Histoire du Pippermint Get"qui est devenu aujourd'hui le "GET 27" et le "GET 31".

Pierre Get

Pierre GET (au-dessus) - Jean Get (au-dessous)

Jean GET

Car il s'agit bien d'une "saga" (d'une aventure qu'on pourrait caractériser de fabuleuse) commencée vers la fin du XVIIIème siècle avec l'arrivée en 1786 à Revel d'un apothicaire lodévois, Jean-François Pons.
Dans le laboratoire de son officine, il va élaborer des liqueurs perpétuant ainsi un savoir local et ancestral revélois, celui de fabriquer des liqueurs avec des plantes aromatiques.
Mais J.F. Pons est certainement par sa compétence professionnelle aussi un ardent connaisseur des plantes médicinales, notamment la menthe que l'on cultive facilement sur les versants nord de la Montagne Noire. Il va créer une liqueur de menthe (et bien d'autres) qui aura un certain succès dans la région. Déjà se profile le plaisir de boire une liqueur doublée d'une action pharmaceutique …

Par des "jeux d'alliances", de mariages, et de diverses modifications de statuts d'entreprises, entreront en lice, quelques décennies plus tard, les Frères Get (Jean "l'aîné" et Pierre "le jeune") qui avaient déjà réalisé des études de commerce.
Les deux frères se retrouveront à la fin du mois de mars 1858 à la direction d'une entreprise qui par diverses circonstances favorables va très rapidement évoluer et prendre une ampleur internationale.

Une "menthe" qui fait son effet !
L'ardeur au travail, le "savoir-faire", un entourage d'amis qui vont les conseiller, permettront au produit initialement créé par Pons (la liqueur de menthe) de porter ses titres de noblesse.
Les Frères GET, après de nombreuses expériences menées sur plusieurs années (1860 - 1868) vont élaborer un produit d'exception, un véritable nectar qui va conquérir tout le midi de la France dans un premier temps. Plusieurs représentants-voyageurs sillonneront en "carriole", tractée par deux chevaux (souvent dans des conditions météorologiques exécrables), la plupart des départements des trois régions du "Grand Sud-Ouest".
Ils vont ainsi promouvoir le produit qui est baptisé tout d'abord "La Menthaise". Les retours élogieux sont nombreux, même les concurrents conviennent et disent aux clients que la menthe Get est la meilleure. Les Frères GET ont compris. Ils détiennent un véritable trésor. Il faut le propulser plus en avant !

Le génie des Frères GET
À un si beau bijou, il faut trouver un bel écrin. Un soir, se trouvant dans une auberge de Perpignan, Jean Get est séduit par la forme des lampes à pétrole qui éclairent la salle. Avec la sûreté du génie, il voit aussitôt dans ces lampes la bouteille idéale pour sa "Menthaise". C'est ainsi que fut créée la forme originale de la bouteille.


Deux amis de la famille originaires de Castelnaudary, le docteur Marfan et le pharmacien Roussilhe vont projeter le produit dans la mercatique (néologisme qui remplace le mot "marketing").
L'écrin étant trouvé, il faut donner un nom plus percutant que "Menthaise"et fixer une image qui marque les consommateurs.
Le pharmacien Roussilhe, qui avait exercé aux États-Unis, vendait des bonbons à la menthe appelés "Pepper-Mint". Par contraction-modification de l'orthographe et pour inventer un nom non copiable, on l'appellera le "Pippermint".
La bouteille et le nom inventés, le produit était protégé des contrefaçons ; en ajoutant le nom de famille GET et les signatures, le tour était joué. Le produit devenait unique et juridiquement inimitable !
C'est le docteur Marfan qui va lui donner un immense impact publicitaire. Il mettra en avant les qualités "hygiéniques" de la menthe et notamment ses vertus "anticholériques". Plusieurs pandémies de choléra en Europe avaient décimé les populations (notamment à Revel en 1854). Le "Pippermint GET" devenait en quelque sorte le seul produit pour lutter contre le choléra. D'éminents spécialistes de l'époque avaient publié ces lignes : «En cas de choléra, on doit enrayer sur-le-champ tout indice de la maladie ; ce qui réussit le mieux à cet effet, c'est le Pippermint de Get Frères» (1889), ou le célèbre Docteur Trousseau qui écrit : «La menthe poivrée est parfaitement indiquée dans la période de concentration du Choléra Asiatique». 
Le produit est ainsi présenté comme ayant des vertus aphrodisiaques, anticholériques, digestives, toniques, reconstituantes, carminatives. Les mentions portées sur les étiquettes (rouges aux lettres blanches) placées sur la bouteille rappellent toutes ces qualités.
Les dépôts de marque seront déposés au Tribunal de Villefranche de Lauragais le 18 juillet 1868 (date de la création officielle du "Pippermint GET" - le 10 juillet au Conseil des Prud'hommes de Toulouse un premier dépôt avait aussi été réalisé).
La « fameuse » bouteille de Pippermint Get déposée le 10 juillet 1868 au Conseil des Prud’hommes de Toulouse
La « fameuse » bouteille de Pippermint Get déposée le 10 juillet 1868 au Conseil des Prud'hommes de Toulouse

Les marines anglaises et françaises font la promotion du "Pip" (le Pippermint GET)
Une des qualités du Pippermint c'est aussi de combattre le mal de mer. Cela va se savoir rapidement dans tous les ports accostés par les bateaux anglais ou français. Le "Pip" est devenu un produit "d'intérêt public" international. Même les marins chinois affirmaient qu'ils combattaient le mal de mer sur les jonques de Hong Kong avec ce produit.
D'ailleurs sa belle couleur "vert émeraude" rappelle le feu de tribord des bateaux. Les anglais l'appelleront familièrement "The Starboard light".

Quand Bouddha fait un clin d'œil au "Pip"
Lors de la guerre contre les Boxers en Chine, la silhouette de la bouteille de "Pippermint" est tellement sympathique et familière aux Marsouins français qu'elle a surgi dans leurs pensées lors de l'assaut victorieux de la colline de Peitsang (à Pékin dans le parc "Beihai") dans la journée du 16 août 1900.
En effet sur cette colline la construction de la "stupa", due à l'empereur Shunzhi, avait débuté en 1651 (il tenait à montrer son soutien à la religion bouddhiste). Ce temple est pratiquement la copie conforme de la bouteille GET…

La «stupa» à Pékin dans le parc «Beihai» à proximité de la «Cité Interdite“. Cf. carte postale chinoise début XXe siècle
La «stupa» à Pékin dans le parc «Beihai» à proximité de la «Cité Interdite".
Cf. carte postale chinoise début XXe siècle

Ligues anti-alcoolisme
Dans la revue "La Croix" du 10 août 1906 (numéro 7166) on encense le Pippermint GET malgré les "campagnes antialcooliques" de l'époque :
«Est-ce que la guerre à l'alcool ne devrait pas être faite par toute la presse sans distinction, et pourquoi ne pas dresser la liste des liqueurs telles que le Get (véritable Pippermint Get) que leurs vertus hygiéniques et leur faible degré d'alcool permettent d'admettre dans les familles, les écoles, …».
Autre époque ! On conseille d'ailleurs de donner deux à trois fois par jour un peu de Pippermint aux enfants pour les préserver de divers maux !

Le succès ne se fait pas attendre
Le Pippermint très en vogue va alors recevoir de nombreux prix à Paris - Toulouse - Bordeaux Lyon - Marseille - Nancy. Une dynamique offensive est menée aussi avec le Comité Français des Expositions à l'Étranger : Londres-Chicago-Glasgow-Hanoï-Liège-Milan-Bruxelles-Madrid-Barcelone-Turin-Saragosse-T'ien-Tsin (Chine) ... "Le Get" est sur les 5 continents et dans plus de 100 pays.

Une gestion moderne
Dès le départ, les Frères Get sont des pionniers sur le plan économique. Ils seront par leur organisation, la mise en pratique à la Fabrique, les précurseurs du "Taylorisme" et du "Fordisme".
La presse de l'époque vante les méthodes et techniques avant-gardistes des Get. Eau stérile, électricité, pompe à liquide, distributeurs automatiques de liquides, systèmes de filtrages, manutention, chaîne de production sont parfaitement maîtrisés.
Les transports ferroviaires dès la fin du XIXème siècle, une gestion administrative efficace permettront de gérer et d'acheminer les envois par bateaux dans les principaux ports français (Bordeaux - Marseille - Sète) - la destination - le monde entier !
Sur le plan social, les employés perçoivent des salaires fort convenables pour l'époque. En cas de maladie, l'entreprise les met à l'abri de problèmes matériels. Les départs à la retraite sont bien honorés par la Maison.

La publicité
L'évolution des techniques de médiatisation, la publicité vont permettre au Pippermint Get d'être plus visible. Des affiches couleur vont être placardées dans les grandes villes. Jean et Pierre feront appel aux meilleurs affichistes du moment comme Chéret par exemple. Des artistes comme Cézanne, Artemoff, Briata ... immortaliseront la fameuse bouteille. Même Salvador Dali dans un film absolument "déjanté" fera indirectement la promotion du produit "pipperminesque" !

L’affiche de Jules Chéret “La Chérette“ - 1899 Imprimerie Chaix
L'affiche de Jules Chéret "La Chérette"
1899 Imprimerie Chaix
“Nature morte et bouteille GET » - Peinture Cézanne 1893 – 1895 (National Gallery of Art images - Washington)
"Nature morte et bouteille GET » - Peinture Cézanne 1893 – 1895
(National Gallery of Art images - Washington
)

De nombreuses campagnes de publicité seront lancées avec des thématiques différentes selon les modes des moments. Des objets publicitaires seront créés, ils font aujourd'hui le bonheur des collectionneurs.

Plus de 200 objets publicitaires pour la renommée du Pippermint Get
Plus de 200 objets publicitaires pour la renommée du Pippermint Get

petit almanach de 1900 distribué aux clients
Petit almanach de 1900 distribué aux clients

Les “Pin’up“ Get – la brune et la rousse ! Les "Pin'up" Get – la brune et la rousse !

La production
Vers 1870 on sort près de 20 000 bouteilles par an, puis 100 000 vers 1920 - 200 000 en 1970 - 5 000 000 en 1988.
L'histoire politique mondiale va bien entendu influencer la dynamique économique de l'entreprise. En 1914-1918, la production va baisser sensiblement ainsi qu'en 1940-1944 ; la production repart avec l'arrivée des américains durant l'été 1944.
Le krach boursier de 1930 aura aussi des répercussions malheureuses sur la productivité du GET. La chute de Diên Biên Phu  et la perte de l'Indochine seront un énorme problème pour l'entreprise. De nombreux marchés perdus dans les colonies vont entraîner l'entreprise revéloise dans un marasme économique dont elle ne se relèvera plus. Ce n'est qu'avec le rachat en 1988 par Bénédictine puis Martini que le produit sera à nouveau mis "au-devant de la scène". Aujourd'hui c'est la puissante société Bacardi-Martini-France qui assure la production ; la pérennité du produit est ainsi assurée avec un produit identique mais avec des noms plus modernes "GET 27" et "GET 31".

    Une photo exceptionnelle (sur plaque de verre) datant de la fin du 19e siècle. Elle est prise devant la façade d’honneur de la “Fabrique GET“ et montre le départ d’une livraison de plus de 200 caisses de Pippermint GET (plus de 2400 bouteilles - les caisses sont numérotées) pour “Buenos-Ayres“.
Une photo exceptionnelle (sur plaque de verre) datant de la fin du 19e siècle.
Elle est prise devant la façade d'honneur de la "Fabrique GET" et montre le départ d'une livraison de plus de
200 caisses de Pippermint GET (plus de 2400 bouteilles - les caisses sont numérotées) pour "Buenos-Ayres".

À chaque époque Revel a eu ses heures de gloire, ses parfums …
La menthe revéloise s'est volatilisée vers les cieux, les odeurs de vernis et de cire du meuble d'art ont bien diminué, aujourd'hui ce sont les parfums de gâteaux au miel, au caramel, au germe de blé, ... qui tiennent le haut du pavé. C'est l'apogée de l'agro-alimentaire !

Jean-Paul Calvet

Crédit photos : Société d'Histoire de Revel Saint-Ferréol

Note : En quelques pages nous n'avons qu'effleuré partiellement cette superbe et extraordinaire histoire, elle vous est proposée dans un ouvrage qui vient de paraître : "Histoire du Pippermint Get" par Jean-Paul Calvet et le "Groupe de Travail" - Jeudi 23 février 2017, une conférence sera donnée au Ciné Get à Revel à 20h30 sur "l'Histoire du Pipperment Get" par Jean-Paul Calvet - entrée libre et gratuite.




Couleur Lauragais n°188 - Décembre 2016/janvier 2017