Bram, Circulade d'exception Située à la limite orientale du Lauragais, Bram s'est développée au carrefour de deux routes antiques : la voie d'Aquitaine entre Narbonne et Toulouse, et un axe nord-sud reliant la montagne noire à l'Ariège. Il fait partie de ces villages que l'on nomme des Circulades car bâtis en cercle autour d'une église ou d'un château fort. Couleur Lauragais vous amène ce mois-ci à la découverte de cette circulade d'exception, au passé chargé d'histoire et en plein développement de nos jours.
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Un peu d'histoire
L'emplacement de Bram, à la croisée des voies de circulation, favorise l'établissement d'une activité commerciale comme en témoigne la toponymie gauloise d'Ebvromagvs, qui signifie littéralement "le marché de l'If" ou "le marché d'Eburos". Une inscription du IIème siècle après J.C. y signale l'existence d'un théâtre ainsi que la célébration d'un culte à la famille impériale et au dieu Apollon.
La première mention textuelle d'Ebvromagvs apparaît probablement en 70 avant notre ère dans le "Pro Fonteio" de Cicéron.
Par ailleurs, les fouilles archéologiques ont mis à jour de nombreux vestiges de la fin de l'âge de fer qui attestent une occupation du site au IIème siècle avant notre ère. Les nombreuses céramiques exhumées permettent de déterminer l'ampleur de ce commerce et de connaître les provenances italiques, ibériques et africaines des vins et des amphores acheminées à Ebvromagvs sous l'Empire romain.
A partir de l'époque augustéenne, l'agglomération connaît une croissance considérable et devient un centre de production florissant où s'installent des ateliers de potiers et de forgerons. Bram est devenue une agglomération vaste et dynamique où sont concentrées les activités artisanales et marchandes destinées à l'approvisionnement régional.
Dépendant d'une Cité, le vicus* possède toutefois une administration autonome dirigée par trois magistrats. Au fil des ans, elle s'est dotée d'équipements publics tendant à lui conférer un certain caractère urbain. Bram fut le plus grand vicus antique à se déployer entre Carcassonne et Toulouse, et le premier commerce italique de la Gaulle du sud.
Selon toute vraisemblance, cette agglomération perdure discrètement pendant le début du haut Moyen-âge, ne laissant cependant aucun témoignage archéologique de cette période.
Au XIème siècle s'établit une localité connue plus tard sous le nom de Brom, évolution phonétique d'Ebvromagvs, dont le plan circulaire autour de son lieu de culte s'étendra par anneaux successifs jusqu'au XIXème siècle. Cette refondation, vraisemblablement autour de l'édifice religieux, en fait un "village écclésial". Il s'agit de l'exemple le plus emblématique d'agglomération développée par rues concentriques pour tout le midi de la France : les villages circulaires ou "circulades".
Au siècle suivant, les villageois sont regroupés sous l'autorité d'un seigneur qui aurait érigé son château au centre du castrum.
Au début du XIIIème siècle, Brom est un habitat fortifié appartenant au Comte de Toulouse. il est situé au coeur du territoire où se développe "l'hérésie cathare" que Simon de Montfort est venu éradiquer sous l'égide du pape Innocent III.
En 1210, au cours de la croisade contre les albigeois, Brom connut un siège de trois jours au terme duquel les villageois furent capturés par les armées du nord. Cet événement dramatique donna lieu à un épisode particulièrement barbare de guerre psychologique : le chef des croisés fit crever les yeux et couper le nez à une centaine de vaincus puis fit prendre le chemin de Cabaret (actuel Lastours) à ces malheureuses victimes, guidées par un des leurs auquel on avait épargné un oeil. Le but : impressionner les défenseurs de ce château qui résistait encore.
Dès lors, la seigneurie est partagée entre plusieurs "co-seigneurs" : Olivier de Termes, Jourdain de Saissac, et le monastère de Prouilhe récemment refondé, qui conservera la possession de l'église paroissiale. Les droits de propriété ne cesseront de changer de mains jusqu'aux événements des guerres de religion.
En 1582, le village et le château sont pris par les huguenots qui tenteront vainement de contenir le siège entrepris par les catholiques de la Ligue. C'est dans ce contexte difficile que Paul-Jacques de Lordat, seigneur de Prunet, entame l'acquisition du fief de Bram en 1598. Les barons de Lordat élèvent le château actuel au début du XVIIIème siècle et conserveront les droits seigneuriaux jusqu'à la Révolution française.
Après 1789, la libre circulation des marchandises redonne à la localité un essor commercial que favorise sa proximité avec le canal du Midi, véritable voie d'approvisionnement du Bas-Languedoc en céréales provenant du Lauragais.
Dernier événement marquant de l'histoire de Bram, l'élévation en 1939 d'un camp d'internement des réfugiés espagnols fuyant les derniers soubresauts de la guerre civile dans l'épisode tragique de la "Retirada". A partir de février 1939, plus de 450.000 réfugiés dont de nombreuses femmes et enfants passent la frontière en raison de la chute de la seconde république espagnole vaincue par le Général Franco appuyé par des troupes allemandes et italiennes.
Le gouvernement français n'a pas anticipé cette migration massive et érige plusieurs camps d'internement administratif, essentiellement dans les Pyrénées orientales. Le camp du Pigné (situé sur la commune de Montréal mais de fait en lisière du village de Bram) verra passer derrière ses barbelés plus de 30.000 réfugiés. Les conditions de vie sont particulièrement rudes dans ce que l'on nomme alors les camps de concentration. Aujourd'hui, un mémorial se dresse sur les lieux du camp (démonté dès 1941) et une sculpture d'Andrès Blume célèbre les victimes de cet épisode tragique du peuple espagnol.
Le village circulaire et son développement
Le pouvoir religieux au Moyen-âge encadre les modes de vie et de pensée. Les églises deviennent alors des édifices structurants du paysage autour desquels se regroupent les populations. C'est ainsi que se forment les villages ecclésiaux sur plan circulaire dont on repère plusieurs phases de développement. Bram en est le plus emblématique et aujourd'hui le mieux conservé.
Au Moyen-âge, l'agglomération s'organise en plusieurs cercles concentriques successifs autour de l'église, lui conférant l'apparence discale caractéristique qu'elle conserve aujourd'hui.
Un premier disque, d'un diamètre d'environ 75 m se constitue au XIème siècle. Il est considéré comme un en-clos villageois sous autorité ecclésiastique et déjà défendu par un fossé.
Au XIIème siècle ce diamètre double et passe à près de 150 m. Bram est désormais un "castrum" (lieu fortifié) sous domination seigneuriale. La localité possède un château, sans doute matérialisé par une tour en son épicentre. Elle est aujourd'hui disparue, mais on sait qu'elle servait encore de prison au XVIIIème siècle. Un doute persiste quant à l'autorité (religieuse ou laïque) fondatrice du noyau circulaire.
Au bas Moyen-âge, le diamètre de l'agglomération atteint environ 195 m, soit une superficie de trois hectares. C'est à cette époque que le château primitif est probablement transféré au nord de l'église. Brom se dote alors d'une nouvelle enceinte tandis qu'à l'extérieur se développent les habitations du faubourg, attesté dès le début du XIVème siècle. Le fossé annulaire qui entoure les fortifications villageoises est alimenté en eau grâce à la dérivation du ruisseau de la Preuilhe.
Les remparts seront détruits dans la seconde moitié du XVIIème siècle et le fossé extérieur (qui figure encore sur le cadastre napoléonien du XIXème siècle) sera comblé pour permettre la dernière ceinture d'habitations qui borde aujourd'hui l'avenue du Général de Gaulle et les rues de la ferronnerie, du Chanoine Andrieu et de Notre-Dame.
Clocher et intérieur de l'église de Bram - crédit photos : ©Ville de Bram
Chapelle de l'Assomption à Bram - crédit photo : ©Ville de Bram
La localité conserve toutefois des vestiges de son développement médiéval. De cette période subsistent deux pans de murs attribués à la fin du XIIIème siècle ou au début du XIVème, inclus dans un édifice privé malheureusement très mal restauré. Percé d'un grand portail en arc brisé, constitué de larges claveaux soignés, la partie historique de l'édifice présente pourtant un appareillage caractéristique de l'époque gothique. Il est également ajouré par une petite fenêtre rectangulaire à lintheau chanfreiné. D'après la légende locale, il s'agirait du poste de garde de la garnison au Moyen-âge. Situé rue du portail, le bâtiment se trouvait à proximité de l'ancienne porte fortifiée dite "du midi" comme le laisse supposer la toponymie de la voie.
Une autre porte médiévale dite "d'Aquilon" devait s'élever à l'opposé, aux débouchés de l'actuelle rue Louis XIII, où demeure une plaque commémorative évoquant le passage de ce roi dans la première moitié du XVIIème siècle. Le monarque se serait déplacé dans la région pour contrer la révolte de Gaston d'Orléans et du Duc de Montmorency à Castelnaudary. L'inscription, gravée sur l'emplacement présumé du château au bas Moyen-âge, est inscrite à l'inventaire supplémentaire des Monuments historiques depuis 1930.
Quelques mètres plus loin, dans la rue du donjon, une autre inscription se veut (elle aussi) rappeler la venue de Louis XIII. Elaborée après 1930 et avant 1980, elle est encastrée dans la façade supposée de l'ancien four banal. Cette habitation particulière (très remaniée) conserve des traces au premier étage de hautes fenêtres rectangulaires en grès. Sa façade, construite en grand appareil, est dotée de deux consoles en quart de rond à son angle.
De l'autre côté du noyau villageois, à l'intersection de la rue Bayard et de la rue de Provence, une énigmatique tête sculptée orne le linteau de porte d'une maison d'habitation. Ce haut-relief en grès représente un visage encadré d'une épaisse chevelure incrustée de fruits, figurant une divinité romaine d'abondance : Pomone ou Bacchus ? Utilisé en réemploi, cet élément pourrait être issu d'une statue d'extérieur dont la datation ne semble pas antérieure au XVIIème siècle. On pourrait se hasarder à évoquer la provenance du mausolée de la famille de Lordat, érigé vers 1789 et démantelé en 1793.
Le XVIIIème siècle a laissé son empreinte sur deux linteaux de portes d'habitations situées rue Viroligier. Les clefs gravées en creux portent les dates respectives 1778 et 1792.
Enfin, rue Alazaïs Raseïre et rue des jardiniers, on peut apercevoir deux anciennes bornes-fontaines de la fin du XIXème siècle ou du début du XXème, où demeurent encore le bras balancier et le robinet en fonte.
Hors de la circulade mais tout proche, on remarquera l'architecture métallique des halles Claude Nougaro. De plan octogonal, ces halles sont un exemple du style "Art nouveau" en vogue en 1907. Rénovées en 1947 puis en 1996, elles n'assurent plus la fonction de marché mais abritent désormais des événements culturels ou associatifs.
Depuis 2012, un "chemin du Patrimoine" aménagé au coeur du centre historique permet de découvrir les principaux points d'intérêt cités dans cet article (et bien d'autres) au départ de la mairie.
Plongée dans le passé enfoui de l'ouest audois à Eburomagus
Eburomagus, Musée Archéologique, est né de la volonté de la ville de Bram de présenter à la population les témoignages de son passé et de son histoire, mais aussi de répondre au souhait de la communauté archéologique de diffuser ses travaux dans la région ainsi que ses résultats auprès du grand public.
En effet, les quarante années de recherche réalisées à Bram et dans ses environs ont livré un mobilier très divers et abondant, une riche documentation. L'engagement fort de la ville pour conserver et mettre en valeur ce patrimoine a été le catalyseur du projet, constitué en un ensemble cohérent de quatre structures :
- un dépôt fonctionnel de fouilles archéologiques géré par le Ministère de la Culture, comprenant une salle de conservation et un laboratoire où sont ef-fectués des travaux scientifiques par des chercheurs du CNRS,
- l'accueil de l'association LabArchéo "Laboratoire d'Archéologie du Lauragais" regroupant des amateurs d'archéologie et menant des actions d'animations et de vulgarisation bien au-delà du Lauragais,
- un espace d'exposition permanente et d'animation sur le thème "Bram à l'époque antique et au Moyen-Âge", placé sous la responsabilité de la Conservation Départementale de Musées de l'Aude, couvre 150 m2, avec plus de 800 objets uniques présentés selon un parcours guidant le visiteur à travers différentes thémati-ques : la préhistoire et Proto-histoire de l'ouest audois, le Vicus de Bram, les ateliers de potiers de Bram et du Lauragais, les pratiques funéraires de la période gallo-romaine au début du Moyen Age, l'espace rural et l'agriculture à la période gallo-romaine, le village circulaire de Bram et l'habitat médiéval de l'ouest audois, la voie d'Aquitaine, la restauration des collections.
- une annexe de l'Office intercommunal du tourisme qui œuvre à la promotion et au développement du territoire.
Eburomagus, Musée Archéologique, est ainsi le point de convergence d'un partenariat innovant, pour une action culturelle et scientifique qui rayonne bien au-delà de notre région par la qualité du travail accompli chaque jour et l'attractivité des collections présentées.
Centré sur le thème de la recherche archéologique, de la conservation du patrimoine régional, de sa mise en valeur et de sa restitution au public, ce partenariat offre ainsi aux scientifiques des outils de travail adaptés, préserve le riche patrimoine local, assure la diffusion des connaissances dans le grand public par des expositions ou des animations.
Le grand projet de rénovation du village circulaire de Bram
Le village circulaire est le cœur historique de Bram. Depuis l'enclos ecclésial en l'an mil jusqu'à la dernière couronne datée des XIVème et XVème siècles, la "circulade" marque le développement de la ville en cercles successifs, témoignage d'un riche passé et d'un dynamisme toujours présent.
Mais ce centre historique de forme concentrique, le plus vaste et le mieux conservé d'Europe, méritait qu'on lui rende tout son lustre : pour améliorer la qualité de vie de ses habitants, pour offrir aux visiteurs et à tous les Bramais un lieu agréable à voir et à visiter. C'est pourquoi la ville a lancé, au printemps 2008, une étude pour son aménagement. Elle a été confiée au cabinet "Urbane" qui a rendu ses conclusions, après une période de concertation avec les riverains. Le 27 octobre 2009 le Conseil municipal a entériné le projet donnant le coup d'envoi officiel de "la nouvelle circulade", un vaste projet qui redonnera petit à petit, durant 10 ans, une nouvelle jeunesse à ce site remarquable.
Rues de Bram rénovées - crédit photo : ©Ville de Bram
Préserver le site, son histoire, son authenticité, mettre en valeur les lieux d'intérêt, voilà quelques uns des objectifs les plus visibles, mais ce n'est pas tout. Grâce à ce projet de longue haleine, le centre historique sera totalement restauré et aménagé en profondeur. Loin d'une simple opération de surface, cet énorme chantier programmé sur les dix prochaines années rénove tous les réseaux existants : eau, assainissement, électricité, téléphone, éclairage public sont concernés en même temps que les surfaces de rues, le fleurissement, le mobilier urbain. Les branchements en plomb seront supprimés comme les conduites en amiante-ciment. La création d'un véritable réseau pluvial assainira le bâti ancien qui souffre des fortes précipitations.
Au total, ce sont plus de 4 millions d'€uros TTC qui seront mobilisés sur 10 ans pour redonner à notre circulade une seconde jeunesse. Le coût explique les délais nécessaires pour traiter l'ensemble des espaces concernés, soit près de 10.000 m2. Mais les prescriptions archéologiques viennent compléter les difficultés techniques multiples que représente un projet d'une telle ampleur.
A ce jour, après 5 premières années de travaux, l'ensemble de la deuxième couronne, une partie de la première couronne et les abords de l'église ont été traités. 5 années supplémentaires seront né-cessaires pour redonner tout son lustre à la circulade de Bram.
Renseignements complémentaires sur :
www.villedebram.fr - www.eburomagus.com
* Le terme de "vicus" désigne une agglomération située dans le territoire d'une cité dont elle dépend. Par exemple durant le Haut Empire, Eburomagus était placée dans le territoire de Carcassonne. Aussi, les "vici" sont souvent considérés par les archéologues comme des agglomérations « secondaires » dans la hiérarchie des agglomérations issues de l'organisation romaine.