Lasbordes, village circulaire en Lauragais Cette petite cité du Lauragais audois a conservé son plan urbanistique de forme circulaire datant au moins du XIème siècle dont le centre était occupé par un château. L'histoire de cette localité s'inscrit dans celle du Lauragais. L'église St Christophe et le château de Lasbordes sont les témoins de ce riche passé. D'origine médiévale, l'église possède un magnifique patrimoine artistique couvrant sept siècles d'art religieux. Quant à l'ancien château seigneurial, remanié au XVIIème siècle, il a été sauvé de la ruine par un passionné.
|
|
Le village vu d'avion, le plan circulaire est bien visible avec au centre l'église St Christophe. Crédit photo : Collection P. Marquié |
Lasbordes, village circulaire héritage du XIème siècle
Situé dans la plaine lauragaise à quelques kilomètres de Castelnaudary, le village fut édifié sur un très ancien chemin de crête appelé «Camin Françès». La première mention écrite de Lasbordes (Villa Bordas) remonte à 1045, il s'agissait d'une donation faite à l'abbaye de Saint Hilaire. Dès cette époque, un habitat groupé circulaire s'organise autour d'un édifice défensif établi sur le point culminant de la colline. Le tracé de cette première enceinte correspond à la rue circulaire et borde le Camin Francès.
Dans la deuxième partie du XIIème siècle, un imposant donjon roman est édifié au centre de l'agglomération avec son enclos. L'habitat se restructure autour de ce château, une deuxième enceinte est établie toujours sur un plan circulaire englobant ainsi une partie du chemin de crête (Grand'Rue). L'ensemble est entouré de larges fossés et d'une enceinte. On pénétrait dans le village que par deux portes : la porte de l'Autan et la porte Del Pech. Plus tard, une porte fut percée au Nord de l'enceinte : la Porte Neuve. Durant tout le Moyen Age, le village de Lasbordes est qualifié de Castrum. Cette restructuration de l'habitat a permis la fondation de la paroisse St Christophe grâce au démembrement d'anciennes églises environnantes notamment la paroisse de Bassens (Saint Martin Lalande). Bernard de Saint Christol, seigneur de Fonters et de Lasbordes fut sans doute à l'origine de la dédicace de l'église du lieu.
Ce plan circulaire a subsisté jusqu'à nos jours, héritage de l'urbanisme médiéval. L'église occupe le centre avec l'emplacement du château et sa cave voûtée. Les portes ont disparues, les fossés ont été comblés durant le XIXème siècle et ce jusqu'en 1931 avec le comblement de la mare Sud.
Ce plan circulaire doit être conservé car des modifications de tracés de rues ou des démolitions de bâtiments viendraient perturber cette forme d'urbanisme caractéristique du village depuis presque mille ans.
La Grand'Rue, au 1er plan l'ancien presbytère datant du XVIIIème siècle (menacé de démolition), plus loin,
la maison Embry avec sa façade en encorbellement, l'une des plus anciennes maisons du village. Crédit photo : JP. Estrabaud
Une histoire mouvementée
Au début du XIIIème siècle, Lasbordes fut un foyer cathare important, Arnaud Baudriga, seigneur du lieu, reconnut avoir été parfait. La femme et la fille d'Arnaud étaient également parfaites. Le chevalier Raymond de Villeneuve, le père d'Arnaud, tenait une maison de parfaits depuis au moins 1203. A Lasbordes, les communautés de parfaites furent nombreuses vers 1205.
Après le passage de Simon de Montfort en 1209 à Las-bordes, le village va connaître pratiquement sous ses murs au lieu-dit Pech Redon en 1211 la fameuse bataille dite de St Martin-Lasbordes opposant les troupes des Croisés aux Occitans (voir CL n°135 Sept 2011).
Le Prince Noir chevaucha le Lauragais en 1355 et n'épargna pas le village. Au XVIème siècle, Lasbordes connut deux sièges lors des Guerres de Religion. Le premier, en 1570, mené par les troupes protestantes de Coligny qui assiègent, pillent et brûlent le village. L'autre en 1589 où les troupes royalistes commandées par Montmorency libèrent le bourg contrôlé par la Ligue.
Voici en quelques lignes les grands faits connus de l'histoire de Lasbordes. Nous aurions pu évoquer également le campement des troupes d'Henri de Mont-morency et de Gaston d'Orléans dans notre localité lors de la bataille de Castelnaudary en 1632 ou, plus près de nous, le bombardement d'un convoi allemand en août 1944 sur la route nationale qui reste dans les mémoires des plus anciens.
L'église de St Christophe : un monument riche d'art et d'histoire
L'église actuelle, au centre de l'agglomération, fut édifiée à la fin du XIIIème ou au début du XIVème siècle lors de la Reconquête Catholique après les croisades contre les Albigeois sur l'emplacement d'une église plus ancienne. Il s'agit d'un édifice de style gothique languedocien terminé au niveau du chœur par une abside qui sera remplacée au milieu du XIVème par un chevet plat. La nef unique soutenue par des contreforts vient s'adosser au donjon seigneurial du XIIème. Ce dernier deviendra plus tard clocher et il sera partiellement démoli en 1905. Seuls les murs extérieurs subsistent ceux qui forment l'angle Nord-ouest de l'édifice. La charpente de l'église repose sur des arcs diaphragmes. A partir du XVème siècle, les chapelles et sacristie sont ajoutées entre les contreforts à l'exception de la chapelle St Joseph (1905). Un clocher à flèche de 33 m de haut de style néo-gothique sera élevé au-dessus du portail d'entrée de 1905 à 1907.
L'intérieur renferme des œuvres d'arts classées remarquables. Parmi elles, le grand retable du chœur est, par ses dimensions impressionnantes et la richesse de son décor, le plus beau chef-d'œuvre baroque de la région. Entièrement en bois sculpté et doré, il est décoré de grandes colonnes torses. De chaque côté, placées dans des niches, les statues de St Pierre et St Paul surmontées de médaillons soutenus par des enfants. Au centre un tableau représentant St Christophe, patron de la paroisse. Dans la partie haute, bas-relief encadré de cariatides.
Le retable baroque du choeur de l'église Saint Christophe, œuvre du XVIIème siècle - Crédit photo : JP. Estrabaud
Cet ensemble monumental fut commandé en 1679 à Jean-Jacques Mélair, maître sculpteur carcassonnais. Il fut exécuté dans l'année mais ne fut terminé de payer qu'en 1690. Les travaux de dorure durèrent jusqu'en 1699. Ce retable a failli disparaitre en 1872 car des pièces de bois se détachaient de l'ensemble et le conseil de fabrique voulait le détruire. Une intervention d'un homme de l'art a sauvé ce chef-d'œuvre.
En 1910, le retable est classé au titre des monuments historiques et il sera entièrement restauré en 1988. Lors de cette intervention, l'église va s'enrichir d'un décor peint exceptionnel.
En effet, le démontage du retable a laissé apparaître un ensemble de fresques couvrant la quasi-totalité du mur du chevet. Il s'agit de scènes historiées de la seconde moitié du XIVème siècle. Deux registres relatent la Pas-sion du Christ et, dans la partie supérieure, les Apôtres encadrant un Christ en Majesté. Le mur de la sacristie est également peint à des époques différentes (XIV-XVème siècle). Ces décors sont classés et restaurés. L'église de Lasbor-des est inscrite et classée à l'occasion de ces découvertes.
Autre œuvre majeure, la statue reliquaire St Christophe exemplaire de l'art toulousain du XVème siècle. Cette pièce classée a une histoire rocambolesque. Ce reliquai-re, propriété de l'église de Lasbordes depuis la fin du Moyen Age a traversé les heures sombres de notre histoire jusqu'en 1954, où l'objet est présenté à Carcas-sonne à une exposition d'art sacré. L'œuvre est expertisée et se révèle être une copie de la fin du XIXème ou début du XXème siècle. Après enquête du Ministère des Beaux-Arts, l'original se trouve Outre-Atlantique, à New-York, au Museum Metropolitan of Art. Il fut donné au musée en 1917 par Pierpont Morgan, milliardaire américain grand collectionneur d'œuvres d'arts. Quant à la substitution de la statue reliquaire, on sait que la copie a été exécutée à Londres et que de fortes sommes d'argent en dons anonymes sont venues alimenter les caisses de la Fabrique de l'église de Lasbordes afin de financer la construction de l'actuel clocher. Quoiqu'il en soit, la paroisse a perdu à tout jamais son St Christophe symbolisant cinq siècles de vie religieuse locale.
D'autres œuvres complètent le décor : un lustre en bois doré de 1766, une table de communion en marbre de Caunes-Minervois datée de 1718 et des tableaux du XIXème siècle de peintres locaux.
Dernièrement, la commune a restauré l'ensemble des vitraux du XIXème siècle dont certains sont signés de Louis-Victor Gesta, célèbre maître-verrier toulousain.
Le château de Lasbordes, ancienne demeure seigneuriale, est sauvé de la ruine
Le château de Lasbordes (dit de Lagoual) est situé en bordure de la route de Villespy, sa tour massive domine le reste de l'édifice. Ancien fief et décimaire dédié à St Martin au XIIème siècle, le lieu est cité en 1142.
Le château a conservé les traces du Moyen Age, il s'agit d'une construction de plan carré, avec une cour intérieure au centre, flanqué de quatre tourelles aux angles. Des douves protégeaient l'édifice.
Le château passa successivement dans les mains des familles de Sully, de Lévis, de Castelpers et de Raymond qui l'acquiert en 1551. Ce château fut assiégé et brûlé par les Protestants en 1570 après trois jours de siège.
La famille de Raymond-Lasbordes, exclusivement militaire, va le conserver jusqu'en 1776. C'est Jacques de Raymond, puissant seigneur et gentilhomme ordinaire de la chambre du roi qui remanie l'édifice en faisant construire la grande tour, percer la façade Sud de fenêtres à meneaux et édifier le magnifique grand escalier à arcades daté de 1667. Le pigeonnier de style toulousain date de ce remaniement.
La famille de Raymond le vendit à Julien de Rigaud en 1776 et il en fit la revente en 1778 à Jean Henry d'Hautpoul-Félines. Son fils Amand d'Hautpoul y vit le jour en 1780. Ce dernier fit une brillante carrière militaire, il devint général d'artillerie, son nom figure sur l'Arc de Triomphe à Paris et fut aussi précepteur du jeune duc de Bordeaux.
Puis le domaine fut vendu à Jean-François-Bertrand de Cavailhès qui y demeura jusqu'en 1840. Ensuite, le château passa tour à tour à diverses familles.
Transformé en ferme, la chapelle domestique devient la bergerie, les salons et chambres sont transformés en poulailler. On dépouille la demeure de tout ce qui a de la valeur. En 1953, un incendie de la grande tour détruit la toiture à quatre pentes et emporte les étages en épargnant in extremis les occupants : une famille de métayers d'origine italienne.
Le château de Lasbordes, la grande tour et les pavillons d'entrée sous la neige - crédit photo : H. Raymond
Le château subit les outrages du temps et des hommes, A l'aube du XXIème siècle, l'édifice est à la limite de la ruine. Un passionné des vieilles pierres va l'acquérir, alors débute une grande campagne de restauration, les toitures sont refaites, la grande tour retrouve son toit à quatre pentes, le château est mis hors d'eau, les planchers et les plafonds sont refaits à l'identique. L'esca-lier à arcades retrouve sa balustrade et toute sa splendeur. Le décor peint du plafond à la française d'une des pièces est restauré.
Plus qu'une restauration, il s'agit d'une véritable résurrection car qui aurait cru qu'un jour on puisse voir le château retrouver toute sa grandeur. (Le château ne se visite pas. Propriété privé)
Jean-Philippe Estrabaud