Le destion d'Emmanuel de Las Cases honore notre région L'extraordinaire épopée d'un enfant du Lauragais, devenu le compagnon et peut-être l'ami de Napoléon. Rien ne prédisposait notre compatriote tarnais Emmanuel de Las Cases au grand destin qui aujourd'hui à son nom d'être connu et cité en référence chaque fois qu'il est question de Napoléon. Et pourtant, c'est ce qui s'est produit et qui donne à sa vie son caractère d'exceptionnelle aventure humaine qui mérite d'être connue et examinée de près pour en mieux juger.
Portrait d'Emmanuel de Las Cases : |
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Un enfant du pays
Il était né en effet à Blan, le 22 juin 1766, dans un "château" situé en bordure de la route qui conduit de Revel à Castres, premier enfant d'un marquis de Las Cases, lui-même dernier maillon d'une longue chaîne qui avait conquis gloire et noblesse en Espagne autour de l'an 1000.
A cette date, les Arabes étaient en passe de conquérir la péninsule ibérique, et les Chrétiens de France avaient décidé d'aider à leur barrer la route. Ainsi, un de ses ancêtres avait-il suivi un comte de Bourgogne. Une grande bataille eut lieu à Ourique (présent Portugal) en 1139, et l'ancêtre chevalier eut un comportement si glorieux que le soir de la bataille, le prince qui devait devenir le premier roi du Portugal lui donna "todas las casas" (toutes les bâtisses…) qui s'étendaient à sa vue et les prérogatives de titre et de nom allant avec. Ainsi, rapporte la Légende, naquit la famille Las Cases, dont une branche revint en France en 1200, dans l'accompagnement de la future reine Blanche de Castille, épouse de Louis VIII, et mère du futur Saint-Louis. Emmanuel en procède directement.
La maison natale d'Emmanuel de Las Cases, à Blan. On l'appelait "Le Château"; il y avait originellement une tour. |
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Baptistère de Belle-serre où Emmanuel de Las Cases a été baptisé |
Enfance en Lauragais
Cette branche eut des greffons parfois glorieux sur le plan militaire et civil en particulier (dont des prélats dans le Bordelais) mais peu à peu, du fait de partages d'héritages, la famille s'étiola et tomba dans une discrétion provinciale. Les aînés servaient le roi comme officiers et, les combats interrompus par l'hiver, regagnaient la vieille maison familiale qu'ils appelaient "le Château", avant de repartir au printemps suivant.
Les Las Cases portaient avec honneur la couronne de marquis mais leur implantation dans le Lauragais, à Blan en 1601, (certains d'entre eux furent consuls à Revel) les cantonnait pour le présent à un rôle effacé, d'autant qu'ils ne fréquentaient pas la cour, bien éloignée du Tarn. François-Hyacinthe, le père d'Emmanuel, avait 12 ans quand il suivit son père à la guerre, participant aux combats de l'époque en Italie où il perdra un œil et obtiendra le grade de capitaine. Il avait été en garnison un temps à Albi avant de se marier, à la trentaine, avec Jeanne Navès de Ranchin, d'une famille noble de Puylaurens, et qui n'avait pas encore 16 ans. "Ma mère fut plutôt pour moi une sœur…" dira Emmanuel.
Son père, était alors représentant du pouvoir royal, "gouverneur pour Revel, Sorèze et pays dépendants". Une fonction qui lui donnait des pouvoirs de police et de justice. Ainsi le vit-on diriger le travail de prisonniers à qui il fit construire une tour surélevant d'autant sa maison qu'elle pouvait justifier qu'on l'appelât «Le Château».
Une formation de marin…
Le jeune Emmanuel, physiquement de petite taille, sensible et intelligent, avait retenu du passé de sa famille, les grandes heures complaisamment racontées par les siens. Il était le dernier greffon de dix-sept générations guerrières, état militaire vers lequel il serait dirigé à son tour.
Il avait été mis en pension chez une dame de Sorèze qui accueillait les enfants des nobles à qui elle enseignait essentiellement de baiser la main des dames et de leur adresser un compliment. Mais sa tante, la comtesse de Berny qui avait contracté un beau mariage et fréquentait la Cour, considérait qu'il perdait son temps. Elle convainquit son père de le lui confier afin qu'il puisse être élevé comme son fils et postuler de ce fait à un meilleur avenir qui puisse redonner à la famille un lustre égal à sa naissance.
Le jeune Emmanuel partit donc en coche à Paris et fréquenta ensuite le collège de Vendôme puis l'Ecole militaire de Paris. Il fit de brillantes études et, en raison de relations familiales avec le duc de Penthièvre, petit-fils naturel de Louis XIV et Grand Amiral de France, choisit de s'orienter vers la Marine, devenant à Brest aspirant de marine.
A 15 ans, il participa à des combats contre les Anglais au siège de Gibraltar et navigua pendant une dizaine d'années dans l'Atlantique, rencontrant la future impératrice Joséphine à la Martinique, passant par Boston, Terre-Neuve, les Antilles et figurant dans la dernière promotion d'officier de marine signée par Louis XVI en 1789. Son seul regret alors fut d'avoir raté l'expédition de La Pérouse pour laquelle il avait été désigné, en arrivant trop tard à Brest, retardé par des vents contraires qui en fait lui sauvèrent la vie quand on sait ce qu'il advint de l'expédition.
Qui va devenir historien
La Révolution mit un terme à la carrière espérée. Parti en exil comme tous les jeunes royalistes de son temps, il souffrit dans les combats de l'armée des Princes et se réfugia en Angleterre où il vécut une dizaine d'années de travaux historiques, composant un "Atlas géographique et historique" qui lui donna une certaine aisance et lui valut, sous le pseudonyme de Lesage, une réputation méritée.
En 1802, la Paix d'Amiens signée avec l'Angleterre lui permit de rentrer en France qu'il retrouva tenue fermement par la main du Premier Consul qu'il finit par rallier. Il devint, avec l'appui de Louise de Vaudreuil qu'il avait connue à Vaudreuille durant les mois de 1789-1790 et qui était devenue dame d'honneur de l'impératrice Joséphine, l'un des chambellans et chargés de missions de l'Empereur.
Ainsi, eut-il l'occasion à la fin de l'Empire de repasser à Sorèze et Revel, unanimement reconnu et salué comme un personnage devenu important auquel on pouvait s'adresser pour des interventions auprès des ministres.
Il aurait pu espérer jouer un plus grand rôle et était même proche d'en obtenir un quand la première abdication de Napoléon, en avril 1814, mit un terme qu'il croyait alors définitif à ses espérances.
Son compagnon à Sainte-Hélène…
Mais l'on sait que l'Empereur revint de l'île d'Elbe. Aussitôt Las Cases se précipita à son devant et se mit à son service corps et âme. Napoléon le nomma alors conseiller d'Etat (dont il n'était jusque là que maître des requêtes) et, lorsque cent jours plus tard, la défaite de Waterloo, le 18 juin 1815, l'eut forcé de se rendre aux Anglais, Las Cases fut choisi par lui parmi les très rares familiers qui auraient le droit de rester à ses côtés dans l'île perdue de Sainte-Hélène.
L'heure de Las Cases avait sonné. Il parlait et comprenait l'anglais, il avait à trois ans près, l'âge de Napoléon, avait reçu la même formation militaire que lui, connu les mêmes professeurs, affronté les mêmes concours. Aux Tuileries, il avait approché le personnel politique et était capable par sa formation de marin, sa culture d'historien et son art consommé de la conversation d'intéresser davantage le prisonnier de Sainte-Hélène que les autres compagnons, les généraux Bertrand, de Montholon et Gourgaud, plus jeunes et moins formés à ce rôle. De ce fait, il ne tarda pas à devenir le partenaire privilégié de l'Empereur, au risque d'exciter des jalousies autour de lui.
Il était venu à Sainte-Hélène avec son jeune fils Emmanuel junior, 15 ans, qui devint celui que Napoléon avait baptisé "son petit page" et qui l'aida, entre autres, à recopier les "dictées" impériales. En effet, devenu l'intime de l'Empereur déchu, son père s'était donné pour mission de recueillir, au jour le jour, ses faits et gestes ainsi que ses déclarations, formelles ou non, dont il devait composer "Le Mémorial de Sainte-Hélène", ouvrage pu-blié en 1823, qui n'a cessé d'être un best-seller mondial et a beaucoup servi à populariser un Napoléon familier et quotidien dans tous les aspects de sa pensée politique et souvent prophétique.
Et porte-parole pour l'Histoire
Destin prodigieux donc de ce Languedocien qui n'aurait pu en rêver un pareil, mais qu'il sût bâtir par une adaptation souple aux réalités, une intelligence pragmatique et une grande capacité de travail. Côtoyer Napoléon n'était pas une sinécure. Il dictait ses Mémoires sans tenir compte de celui qui prenait au vol ses paroles et devrait les reconstituer. Il les reprenait le lendemain et y revenait jusqu'à s'en déclarer satisfait, contraignant à des tâches épuisantes ceux qui le servaient. Les mêmes qui sous le charme de son intelligence, voire du charme tout court dont il pouvait se montrer capable à l'occasion, se déclaraient subjugués et, plus souvent qu'on le croit, en arrivaient, comme le sensible Las Cases, à l'aimer.
Lequel avait tout de suite perçu l'intérêt de la tâche dont il s'était déclaré lui-même l'initiateur. Dans un milieu souvent hostile, qu'il s'agisse du gouverneur tatillon Hudson Lowe ou des petitesses et querelles humaines ménagées dans ce huis-clos du bâtiment de Longwood où la « colonie » accompagnait le proscrit dans une proximité immédiate de tous les instants, il réussit à sauvegarder l'essentiel et à bâtir une œuvre forte qui, ainsi que l'avait prévu Napoléon, serait consultée par les siècles à venir et vaudrait la gloire à son auteur.
Las Cases n'était peut-être pas parti de Rochefort pour cela mais simplement par un appel mystérieux où la raison n'a pas vraiment de part. Aussi extraordinaire que cela paraisse, il éprouvait le sentiment d'être attiré par l'Empereur. Son devoir se fixa à lui à bord du Bellérophon, puis du Northumberland. La mer, une fois encore, se révélait source de vérité.
Dès lors, il joua pleinement des cartes et des opportunités qui se proposèrent.
En ce sens, il représente une leçon de vie autant qu'un sujet de réflexion, et le Lauragais dont il est l'enfant ne doit pas l'oublier car il porte en lui la part peut-être la plus profonde de son identité. La suite de cette épopée sera développée lors d'une conférence le dimanche 8 mars 2015 à 17 h à l'auditorium de l'Abbaye-Ecole de Sorèze.
Stèle et panneau, en mémoire d'Emmanuel de Las Cases, compagnon de Napoléon à Sainte-Hélène
Jean-Pierre Gaubert
Auteur de «Las Cases, l'abeille de Napoléon». Loubatières. 2003
Crédit photos : Bernard et Christiane Vialelle, Ludovic Lacombe (maison de Las Cases).