Dans les replis secrets et profonds de la Montagne Noire Le mot "spéléologie" vient du grec ancien σπηλαιοv (pelaion) qui désigne une "grotte" et λòγος (logos) pour "la raison, la science". Cette activité consiste à repérer, explorer, étudier, cartographier et visiter les cavités souterraines et les massifs qui les renferment, puis à partager ses connaissances. Celui qui pratique est appelé un spéléologue. |
|
Alors le spéléologue est-il un sportif, un scientifique, un contemplatif, un touriste ? Certainement un peu de tout cela… Il est vrai que ce qu'on appelle dans le jargon spéléo "la France ignorée" ou le "7ème continent" a de quoi surprendre y compris dans les replis secrets et profonds de notre Montagne. Nous vous convions avec cet article à une brève escapade souterraine. |
L'homme et la caverne : une véritable symbiose
Depuis longtemps l'homme a fréquenté les cavernes pour trouver abri et protection, puis pour se rapprocher de ses dieux et croyances. La grotte a souvent été assimilée au domaine des morts, elle a souvent servi de sépulcre.
La spéléologie moderne est l'héritière des légendes et des mythes du monde souterrain mais aussi et surtout de la curiosité mêlée de science du siècle des Lumières, la beauté et curiosité que représentent alors les grottes conduira les romantiques à en faire une mode ; plus tard encore, les aventuriers désireux de découvertes du XIXème siècle y trouveront un terrain de prédilection souvent pas très loin de chez eux et à moindre frais.
Une Montagne Noire formée de roches très anciennes
Surplombant la plaine de Revel de quelques centaines de mètres, la Montagne Noire constitue une véritable barrière naturelle matérialisant la limite d'un terroir à tendance océanique à l'ouest et de celui d'une zone méditerranéenne à l'est.
Ce que beaucoup ne savent pas c'est que ce relief renferme les roches les plus anciennes de notre globe terrestre qui se sont formées au fond d'une ancienne mer (plus de 600 millions d'années) alors que nos continents n'étaient pas encore individualisés (le Gondwana). Des sédiments se sont accumulés sur de grandes épaisseurs, ont subi l'action de la chaleur et de la pression et se sont transformés en roche dures. Parmi ces roches, le calcaire qui est une roche perméable est propice à la formation de cavités grâce à des phénomènes d'érosion et de corrosion qui peuvent par dissolution des matières réaliser parfois de grands vides souterrains accessibles à l'homme.
La Montagne Noire - Un très vieux relief
La mer a disparu depuis très longtemps, les collisions entre la plaque ibéro-africaine et la plaque euro-asiatique ont transformé le paysage…
Les Pyrénées, les Alpes… ont surgi du fond des océans, relevant aussi notre vieille plaque de la Montagne Noire, et créant ainsi un relief important séparant la plaine par une faille qui est encore active, la faille de Mazamet.
Les eaux météoriques mais aussi les ruisseaux de surface ont creusé ces nouvelles montagnes créant ainsi dans les divers plateaux, des réseaux souterrains, des gouffres, de vastes salles souterraines, des ruisseaux souterrains.
Les grottes et gouffres de notre région
Depuis de nombreuses décennies (1922) des associations et groupes spéléologiques explorent et étudient ces phénomènes souterrains. Grottes, gouffres, avens, porches, résurgences, pertes, abîmes n'ont plus de secrets pour les spéléologues qui sont en quelque sorte les Christophe Colomb du XXIème siècle.
N'est-il pas exceptionnel, à quelques kilomètres de chez soi de pouvoir découvrir des zones encore inexplorées par l'homme ?
Il est une phrase que les spéléologues emploient souvent dans leur jargon : "Nous avons eu le bonheur d'aller là où la main de l'homme n'a jamais mis le pied !". En effet, le bonheur de fouler pour la première fois une galerie vierge de tout passage humain est indicible.
A ce jour, ce sont plus de 300 grottes et gouffres et phénomènes karstiques divers qui ont été inventoriés dans plusieurs bandes calcaires parallèles qui se développent entre le Lac de Saint-Ferréol et le village des Escoussens (ces bandes suivent la direction du piémont de la Montagne - SW - NE…) Leur genèse est un véritable casse-tête pour les géologues. Plusieurs hypothèses sur leur formation sont publiées).
Les cavités en chiffre
Le réseau le plus important est le réseau Jean-Antoine Clos qui est constitué de plusieurs cavités importantes dont la grotte du Calel, le gouffre de Polyphème, la résurgence de La Fendeille.
Il développe plus de 9 km de longueur. Les galeries accessibles ont des mensurations plus que respectables. Certaines ont des largeurs dépassant les 8 à 10 m pour des hauteurs dépassant la dizaine ou vingtaine de mètres.
Des spéléologues dans le gouffre Viala (-110m)
Des salles portent le nom des personnalités qui ont été les premiers explorateurs ou de personnages célèbres comme "la salle Lacordaire". C'est un grand privilège pour le topographe qui dresse le plan d'une nouvelle grotte de pouvoir baptiser pour la postérité certains lieux particuliers de la cavité.
La cavité la plus profonde se situe dans la commune de Saint-Amancet, il s'agit d'une liaison entre le plateau et la vallée (le gouffre Viala - Roquemaure) qui atteint les 130 m de profondeur.
Parfois les galeries aériennes sont coupées par des galeries remplies d'eau (les siphons). Les spéléologues doivent alors faire preuve d'initiative pour franchir l'obstacle ; il faut plonger ou alors vider l'eau avec de grosse pompes pour franchir le siphon et découvrir puis parcourir la suite du réseau.
A la grotte du Calel quatre siphons ont ainsi été vaincus, le cinquième est encore inviolé.
Parfois il est nécessaire au marteau piqueur de casser la roche et de s'aménager un conduit artificiel pour pénétrer plus avant dans le massif. Certains spéléologues éprouvent beaucoup de plaisir à descendre à l'aide de matériel sophistiqué les puits qui existent dans ces cavités. Dans notre région des puits de plus de 30 m suffisent à assouvir leur passion.
Lors du tournage de l'émission "Cap Sud-ouest découverte" en mai 2013, les spéléologues ont éclairé la grotte
avec des torches pour simuler le passage des mineurs du moyen-âge sur des marches "d'époque"dans cette cavité
(grotte du Calel - Tarn). Crédit photo : Olivier Coquelet
La salle Lacordaire à 100 m sous terre dans la grotte du Calel. Le spéléologue en bas à droite de la photo donne l'échelle.
C'est dans cette salle que le père Lacordaire fit dans les années 1855 -1859 une messe accompagné
d'une centaine d'élèves de l'Ecole de Sorèze. Crédit photo : Olivier Coquelet
Les trésors cachés dans les cavités
Pas de caverne d'Ali-Baba ; pas d'or, pas de pierreries. Les trésors convoités sont archéologiques, paléontologiques, géologiques, zoologiques, patrimoniaux…
Les grottes sont de véritables conservatoires du passé. A l'abri de l'urbanisme galopant, des aléas climatiques, elles gardent intact les vestiges et ainsi le témoignage de notre histoire.
Les cavités ont servi d'habitat, de refuge, de sépulcre…
Une grotte située dans la vallée de Saint-Amancet a livré plus de onze sépultures datant de 5000 ans. Des zones près de l'entrée avaient servi à des repas "funéraires" (?).
Une sépulture d'enfant était associée à tout un viatique pour l'au-delà (poteries, armes, outil, collier).
Des animaux aujourd'hui disparus (ours, élan, renne, bouquetin, lion des cavernes, auroch, mammouth) ont parfois été piégés dans ces accidents de terrain, et les squelettes découverts démontrent qu'il y a 30 000 ans il faisait très froid dans notre région !
Des campements de chasseurs préhistoriques ont aussi été localisés. Les fouilles archéologiques ont ainsi permis de mieux préciser notre passé.
Récemment, les spéléologues découvraient d'extraordinaires traces laissées par les hommes à l'époque médiévale ; parfois à plus de 100 m de profondeur et à plusieurs kilomètres de l'entrée de la cavité.
Des traces dans un état de fraîcheur exceptionnel. Ces traces sont consécutives à l'exploitation de minerai de fer souterrain. Ce site est unique et classé Monument Historique. Il fait actuellement l'objet d'une étude exhaustive qui sera menée sur plusieurs années.
Crâne d'enfant calcifié - site vérazien (-2500 ans) (grotte de Roquemaure - Saint-Amancet)
Le vaste porche d'une grotte préhistorique à Saint-Amancet
La dynamique spéléologique
On a bien compris, l'homme s'aventure depuis longtemps sous terre. Depuis plus de 40 000 ans pour notre région. A ces époques reculées, les raisons étaient essentiellement utilitaires…
A partir du XVIIème siècle, les objectifs sont tout autres.
Il y a d'abord la curiosité bien sûr, mais aussi et surtout le besoin de comprendre, d'étudier, de comparer.
C'est à partir du milieu d'érudition que constitue l'Abbaye-école de Sorèze que de nombreux auteurs nous laisseront des écrits de toute sorte, sortes de récits anecdotiques, d'aventures, mêlés de constats scientifiques…
Certains, pour ne pas dire la plupart, reflètent les idées de l'époque sur la formation de ces vides. Beaucoup y voient des phénomènes de volcanisme (la surface de certains plateaux ressemble il est vrai aux cratères d'Auvergne).
C'est à partir du début du XIXème siècle que les rapports "s'éclaircissent" et gagnent en crédibilité. A Sorèze on relève avec minutie et un certain perfectionnisme le plan de la grotte du Calel. D'éminents biologistes viennent de Paris pour étudier la faune souterraine. Des spéléo-géologues essaient de percer les mystères du réseau et tentent le passage des siphons qui bloquent toute exploration aux extrémités des galeries.
Des publications sont écrites dans des revues de haute tenue scientifique par d'éminents personnages de l'époque.
A partir de 1922, un grand courant associatif à Sorèze va gérer ce patrimoine et systématiquement l'étudier, courant qui ne s'arrêtera plus.
De nos jours la Société de Recherches Spéléo-Archéologiques du Sorézois et du Revélois perpétue ces traditions (la SRSASR a été fondée en 1949, elle est l'héritière du Groupe Spéléologique de Dourgne fondé en 1947 et du Groupe Pouget créé en 1922).
Cette association reste particulièrement active dans le domaine de la spéléologie mais aussi de l'archéologie.
Il y a quelques semaines un ouvrage de 200 pages a été publié faisant la synthèse des activités souterraines dans notre région depuis l'origine de la présence humaine.
Une "sorte d'Atlas" permet de restituer les plans et topographies des différents phénomènes souterrains avec leur développement descriptif .
Des passages bas remplis d'eau rendent parfois la déambulation plus difficile - Crédit photo : collection Jean-Paul Calvet
L'apport des explorations et des études spéléologiques à la science
C'est essentiellement dans le domaine de la géologie - de la tectonique, que les spéléologues ont apporté les éléments les plus importants.
La possibilité de pouvoir voir l'intérieur de la montagne est une chance pour le géologue. Les divers tracés des grottes permettant aussi de comprendre les phénomènes de fracturation qui ont eu lieu dans la montagne lors du soulèvement des plaques montagneuses.
L'étude des vitesses de creusement des grottes permet aussi d'entreprendre un schéma de la genèse des vallées qui semble-t-il ont été creusées dans les derniers millions d'années (ce qui à l'échelle géologique est insignifiant).
Les inventaires zoologiques réalisés dans nos grottes permettent de connaître la faune cavernicole qui a su trouver dans les grottes un biotope adéquat pour leur subsistance.
Plusieurs sites ont livré de la faune datant d'avant la dernière glaciation (-15 000 ans). Les paléontologues ont ainsi pu étudier notamment des espèces d'ours qui vivaient dans la montagne il y a plus de 30 000 ans. Cette race d'ours a aujourd'hui disparu (ursus spelaeus). D'autres animaux ont aussi fait l'office de descriptions et études scientifiques.
L'archéologie est aussi largement représentée par des traces datant du paléolithique moyen et allant jusqu'à la fin du moyen-âge. Les découvertes sont entreposées dans un dépôt de fouilles spécifique à Sorèze, géré par l'association des spéléologues en concertation avec la Direction Régionale des Affaires Culturelles et la Mairie de Sorèze. Une partie de ce mobilier est présenté dans la salle d'exposition du beffroi de Revel.
Les légendes et superstitions
Les cavités souterraines ont de tout temps suscité l'intérêt des hommes ; curiosité, peur, convoitise…
De nombreuses légendes et mythes sont associés à ces phénomènes souterrains.
Nombreux sont les canards lancés dans une grotte de Sorèze que l'on retrouve déplumés dans une grotte à Dourgne. Les trésors sont colossaux, des peaux de bêtes remplies de pièces en or, des statues en or.
La grotte est aussi l'endroit où se trouvent des sortes de diables qui peuvent nuire aux passants ou explorateurs. Certains visiteurs ont été transformés en pierre ! Des ombres blanches circulent parfois près des grottes. Quant aux sources elles sont évidemment miraculeuses… On peut pratiquement tout soigner et rétablir la fécondité !
Un avenir plein de promesses
On pourrait penser que de nos jours tout est exploré, tout est connu… Loin s'en faut. Chaque année (les bonnes années) amène son lot de découvertes.
Le réseau inextricable de galeries qui se croisent, se superposent dans la grotte du Calel n'a pas encore livré tous ses secrets. Nous estimons qu'un potentiel de plusieurs kilomètres de galeries est encore à découvrir. L'association en plein regain de vitalité nous laisse espérer encore de belles découvertes.
Parfois d'énormes coulées stalagmitiques bloquent et obstruent les galeries (grotte du Calel – Soréze- Tarn). Crédit photo : Olivier Coquelet |
Dans la rivière souterraine de la grotte du Calel à 120 m sous terre. Crédit Photo : Olivier Coquelet |
Jean-Paul Calvet
Attention : la loi interdit les fouilles archéologiques non autorisées. Il est donc interdit de creuser dans les cavités sans autorisation légale. Des amen-des et de fortes peines d'emprisonnement sont prévues par la loi. Toute exploration de grotte est déconseillée sans compétences et sans matériel adéquat.