Ces noms de lieux qui évoquent les animaux |
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Sauvages ou domestiqués, les animaux ont toujours fait partie du monde rural et urbain, ils sont présents dans l'imagerie populaire et appartiennent à la mémoire collective, sous forme de fables, de contes et d'ouvrages divers ; les noms de lieux gardent la marque et le souvenir de la présence des animaux dans la vie des hommes. Jean de La Fontaine utilisait les animaux comme miroir des agissements de l'être humain, pour souligner le trait, croquer ses travers et autres artifices. La complicité entre l'homme et l'animal rejaillit de façon affective sur notre manière de désigner environnement et cadre de vie. |
Chemin de Cantaranne : Mais où sont passées les grenouilles (rainettes) ? |
?Des animaux qui vivent à l'état sauvage
Depuis que l'homme abandonnant ses activités de nomade a commencé à s'approprier des troupeaux pour transformer les proies en bétail, le loup cristallise toutes les peurs de la société : il est devenu celui des animaux sauvages qui a la plus mauvaise réputation. Les noms de lieux portent la marque de cette espèce aujourd'hui disparue de nos campagnes.
Le mot loup du latin lupus, lop en occitan (loba louve), est présent dans la Louve (Mourvilles-Hautes et Saint-Papoul), la Louvière-Lauragais qui s'est appelé successivement Lubiera (1085), Lobeta (1263), Loberia (1272), Lupparia (1385) et Lalouviere au 18ème siècle ; il est probablement présent dans Loubers (Montlaur), Loubiès (Gibel) et peut-être dans Loubens-Lauragais.
Le renard rusé est toujours à nos portes - Depuis toujours le renard nourrit la littérature, alimente l'imaginaire et la mythologie, il est présent dans les noms de lieux sous différentes formes occitanes.
Le plus ancien nom du renard en Lauragais volp issu du latin vulpes, peu répandu, apparaît dans l'ancien lieu-dit les Volpilières de la commune de Cailhau, dans Souillabou (Montlaur), qui s'écrivait Souleilavolp au 18ème siècle, avec le mot occitan solelha terrain exposé au soleil ; il est présent aussi dans Vosvolvy (Aguts) anciennement Bosc bolvi au 18ème siècle, avec le mot occitan bòsc qui signifie bois.
Mandra qui désigne le renard femelle mais aussi une femme de mauvaise vie, un mendiant (sobriquet), a donné la Mandre (Castelnaudary, Payra-sur-l'Hers), les Mandrats (Marquein, Saverdun) et en Mandril (Trébons-sur-la-Grasse) ; une confusion est possible avec l'ancien français mandre maisonnette, masure, étable, bergerie, cellule d'ermite.
Le mot occitan rainard (rainal) a été introduit par l'intermédiaire du français et correspond à des formations tardives ; il a supplanté les anciennes dénominations et se retrouve dans le Renard (Toulouse), la Renardière (Prunet) tanière du renard, Reynerie (Toulouse) et Reynery (Odars) avec un suffixe collectif. Ce mot ayant donné de nombreux noms de personne (sobriquets), il est difficile de faire la distinction entre nom du propriétaire et présence de renards dans Raynaud (Folcarde, Mayreville), Raynaud (Saint-Papoul), en Raynaud (Cuq-Toulza, Puylaurens), Petit Raynaud (Saint-Papoul), la Raynaude (Baziège), Rayne (Calmont), Rayné (Lagardelle-sur-Lèze), Raynès (Plaigne), Reynès (Puydaniel), en Reynès (Cuq-Toulza, Saint-Félix-Lauragais, les Cassés ), Reynes (Vaux, Villasavary) et Enraynes (Belpech).
Canteloup : Des loups qui chantent au cœur du Lauragais ?
Des animaux domestiqués
Les patres conduisent moutons et chèvres le long des drailles de transhumance des garrigues et des causses du pourtour méditerranéen depuis des temps très reculés : laine, lait (fromages) et viande ont joué un rôle majeur dans l'économie lauragaise jusqu'au début de 20ème siècle ; plusieurs noms de lieux témoignent de la présence d'ovins.
L'occitan Feda brebis a donné Fédou (Cuq-Toulza) et son synonyme oelha ou aoelha brebis se retrouve dans les Aouilles (Baziège), la Oueillerie (Mazères), la Ouillerie (Saint-Sernin). L'oc-citan moton mouton, du gaulois multo, se retrouve dans le Moutou (Villeneuve-la-Comp-tal), Moutounié (Noueilles), Moutous (Aurin). Les ovins sont aussi présents avec le nom de lieu la Bergerie à Auzielle, Ayguesvives, Pru-net, Venerque et Payra-sur-l'Hers.
L'occitan cabra chèvre a donné Cabre (Belpech), Cabrens (Villasavary) et la Cabrerie (Pomarède). L'oc-citan vaca vache se retrouve dans Vaquier (Belpech) et dans la Vaquerie (Calmont, Salles-sur-l'Hers) lieu où l'on élève des vaches, du bétail.
Les animaux qui chantent
Comment ne pas être interpellé par la longue série de toponymes apparemment formés du verbe chanter cantar en occitan et d'un nom bien particulier d'animal : l'alouette (lauseta en occitan) dans Cante-Lauzette et ses variantes (Roques, Pamiers, Belbe-raud), la caille dans Chan-tecaille (Péchabou), le coucou dans Cante-Coucou, Cante-Coucut (Saverdun, Ayguesvives, Baziège, Flou-rens, Vigoulet-Auzil Verfeil), le grillon dans Cantegril (Auriac-sur-Vendinelle, Cenne-Monestiés, Mézerville, Montesquieu-Lauragais, Saint-Amans, Saint-Félix-Lauragais, Salles-sur-l'Hers, Val-lesvilles), le loup dans Can-taloup (Avignonet, Verfeil, Escalquens, Labège, Cuq-Toulza, Saint-Félix-Lauragais, Castres), le lapin dans Canto-Counil (ruisseau aff. Ruisseau de la Balière) la perdrix dans Canteperdrix (Venerque) la grenouille dans Cantegrenouille (Loubens-Laura-gais), la poule dans Cantepoule (Cuq-Toulza), la poule qui couve dans Cante-clouque (Puginier), la rainette (petite grenouille verte) dans Cantaranne (Avignonet Lauragais), le merle dans Cantemerle (Grépiac, les Brunels, Montesquieu-Lauragais), la mouche dans Cantemou-che (ruisseau aff. la Lèze).
Leur interprétation à partir du verbe chanter, "loup qui chante", "grenouille qui chante" "merle qui chante"..., est souvent peu convaincante à la vue du très petit nombre d'animaux concernés (moins d'une dizaine) et des supposées espèces évoquées qui n'ont pas la réputation de chanteurs exceptionnels : le loup hurle, grogne, gémit, jappe, mais n'a jamais chanté, le merle siffle et la grenouille coasse. Par contre les véritables chanteurs, rossignols, mésanges, chardonnerets... sont curieusement absents de cette liste. Pour conforter l'idée que ces toponymes sont en relation avec l'abondance de certains animaux, il faut faire l'hypothèse que « chante » (cante en occitan) a ici un autre sens que chanter et qu'il signifie par exemple "s'ébattre à l'aise", avec l'idée de "lieu de prédilection" ; Canteloup serait ainsi le lieu de prédilection des loups.
La réalité est tout autre pour les noms de lieux qui proviennent de l'occitan : cantagrilh et cantaperditz désignent en occitan un "terrain aride et pierreux", tandis que cantacigala désigne un lieu aride ; ces toponymes témoignent ainsi du caractère pierreux ou aride du lieu. Le sens métaphorique véhiculé par ces noms de lieux provient d'une confusion induite par l'attraction du verbe latin cantare chanter (cantar en occitan) et du désir d'avoir un nom de lieux romantique.
a Le Gril : Grillade, bûcher, grillon célèbre…on s'y perd !
Cette confusion est alimentée par l'existence, bien attestée, de la racine can-t- remontant à une époque antérieure à l'arrivée des celtes (préceltique) et qui a le sens de "pierre, hauteur pierreuse, montagne" ; cette racine se retrouve dans des noms de montagnes, comme "Cantal" (Massif Central). Ainsi, certains noms de lieux commençant par Cante- ou Canto- (francisé en Chante-) proviennent de cette racine archaïque avec des suffixes anciens, Cant-ar-anne par exemple, ou une épithète comme Canta-loup avec lop- d'origine très ancienne qui a le sens de pierre, caillou, en bon accord avec la topographie. Il revient à chacun de s'approprier ces différentes hypothèses pour expliquer au mieux ces toponymes qui font couler beaucoup d'encre.
Lucien Ariès
*Noms de lieux entre Aude et Garonne, Lucien Ariès ,éd. A.r.b.r.e. 2013
Couleur Lauragais n°151 - Avril 2013