Des travaux et des jours : le monde rural dans le Lauragais des années 1950 - 1960
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Le titre de cet article est emprunté au poète grec Hésiode qui, il y a plus de deux mille ans, nous racontait la vie des paysans de sa terre natale. Des siècles plus tard, on peut encore reprendre la belle formule "des travaux et des jours" pour se replonger dans la vie quotidienne des agriculteurs du Lauragais dans les années 1950 - 1960. Avec la généralisation des outils mécanisés et l'arrivée de l'électroménager, cette époque est en effet une période charnière pour l'agriculture française. Dans les campagnes lauragaises, comme partout en France, ce sont de nombreuses traditions et des modes d'exploitations qui vont peu à peu disparaître, tandis qu'immuables, les saisons continuent à rythmer les jours et le travail des hommes.
C'est grâce à de nombreux souvenirs familiaux et aux témoignages des plus anciens que j'ai pu constituer le calendrier imaginaire d'une époque où vont se côtoyer pendant plusieurs années tradition et modernité. Témoins privilégiés de ce qu'il faut désormais appeler "un autre temps", que tous soient remerciés pour leur parole tellement précieuse. |
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Journée de dépiquage : la machine à battre le grain s'installe
crédit photo : Denis Estève |
Les semailles font le printemps
Le Lauragais est une terre de semailles. Le blé et le maïs conviennent à ces terres argilo-calcaires dont on dit qu'elles sont le grenier de Toulouse.
Dans les années 1950, ce sont encore des attelages d'animaux qui arpentent les champs. Le brabant (charrue réversible) a été tiré par les bœufs pour labourer et ce sont les mêmes bêtes qui vont tracter les semoirs. De très nombreuses fermes possèdent une paire de bœufs souvent secondés par une paire de vaches lorsque le sol est dur à labourer. Les bovins sont destinés aux travaux de labours et de semailles. Le cheval, lui, tracte les outils de fenaison (faucheuse, faneuse, râteau). Le foin sera ensuite stocké en vrac dans la grange (fenial) pour nourrir les animaux.
Cependant, la traction animale vit ses dernières années. Sur les collines et la plaine lauragaises se profile désormais la silhouette d'autres attelages. Depuis la fin de la guerre, le Plan de Modernisation de l'Etat français incite à l'achat d'un tracteur pour développer la mécanisation agricole. Dans le cadre du Plan Marshall, plan d'aide à la reconstruction économique de l'Europe de l'ouest, les USA ont livré des tracteurs à la France : John Deere, Farmall, Ford et bien sûr les Massey-Harris qui à partir de 1958 deviendront les fameux Massey-Ferguson dont la couleur rouge s'imposera comme signe de reconnaissance de la marque.
Mais deux autres couleurs sont également associées à la motorisation des campagnes : le gris de la carrosserie des "petits gris", sortis des ateliers Harry Ferguson entre 1946 et 1956 et le vert des célèbres "poum poum" de la Société Française de Vierzon qui devaient leur surnom au bruit caractéristique de leur moteur monocylindre.
Ce nouveau matériel agricole va bouleverser la relation des hommes au travail de la terre : gain de temps et diminution de la pénibilité vont très vite convaincre les plus jeunes. En revanche, pour beaucoup d'anciens cette "révolution" sera plus difficile à vivre et dans de nombreuses fermes, de véhémentes discussions vont opposer le fils et le père sur l'opportunité de l'achat d'un tracteur.
Mais la mécanisation n'a pas encore gagné tous les espaces cultivés. Si dans certains jardins apparaissent les premiers motoculteurs, semences et plantations se font encore le plus souvent dans une terre travaillée à la main. Les outils restent traditionnels (bêche, binette, râteau, houe) et les engrais naturels (fiente de volaille ou fumier de cheval) n'ont pas encore laissé la place aux engrais chimiques. Ces potagers sont l'objet de beaucoup de soins de la part des femmes dont c'est un des domaines réservés. Avec beaucoup d'attention elles sèment, plantent et arrosent ces semis qui fourniront des légumes à la famille pour toute l'année. Dans quelques recoins de ce jardin, elles entretiennent aussi des plantes naturelles qui soulageront les maux des hommes (thym, camomille) et ceux des bêtes. Ainsi, on trouve dans de nombreux potagers "la tanarida", la tanaisie qui soulagera les vaches qui ont fait une indigestion de luzerne.
Le beau mois de Mai
Le mois de mai est celui de Marie. A cette occasion, les femmes se retrouvent à l'église du village pour dire le rosaire. Au pied de la statue de la Vierge, elles déposent de beaux bouquets de roses et de fleurs des champs. Il y a dans la lumineuse simplicité de ces bouquets, tout un art d'accommoder ce qu'offre la nature. Il y a aussi l'expression d'une foi profonde qu'on retrouve à l'occasion des Rogations, ces processions qui durant les trois jours qui précèdent l'Ascension, vont de croix en croix afin d'appeler la protection divine sur les récoltes. Une ancienne de Cadenac, dans la plaine de Saint Félix Lauragais, se souvient encore de cette cérémonie où dans les années 50 participent hommes, femmes et enfants.
Mais indubitablement, ce sont les femmes qui en sont les officiantes principales. Elles prient, elles chantent (le tout en latin) et, au pied de chaque croix, elles fleurissent de fleurs naturelles le reposoir sur lequel elles ont posé les vases, les chandeliers et le crucifix qui vont servir de décorum liturgique. Les hommes eux, sont présents, mais comme durant la messe, on les entend peu.
Depuis la guerre de 14-18, une rupture s'est amorcée dans les comportements religieux entre hommes et femmes. Ces dernières continuent à avoir une foi chevillée au corps et transmettent le spirituel aux enfants. Les hommes ont reçu de leurs pères le souvenir d'une guerre dont l'effroyable cruauté les a souvent écartés de la foi, même s'ils continuent à en suivre les rites par respect de la tradition. En effet, beaucoup d'anciens combattants ont abandonné leur croyance en la bonté divine sous les obus de Verdun ou dans les tranchées de la Somme.
Leurs fils et petits-fils vont peu à peu être moins assidus aux prêches dominicaux tout en restant fidèles à ce qu'on appelle "les fêtes des quatre saisons" : Noël, Pâques, l'Assomption et la Toussaint. De la même façon, leur présence ne fait jamais défaut lorsque la famille et la communauté se réunissent à l'occasion d'un mariage, d'un baptême ou d'un enterrement.
Années 60, une presse Mc Cormick et un tracteur Massey Ferguson 35.
La mécanisation s'est généralisée dans la campagne lauragaise - Crédit photo : Collection Abruzzo
Des moissons et des bals
Sur ces terres céréalières, l'été est le temps de la récolte. Les moissons ont été faites avec la lieuse et les gerbes entreposées près des fermes en de majestueux gerbiers (ronds ou rectangulaires) témoignent de la technique et du savoir-faire du maître des lieux. Pendant des semaines, la récolte sera ainsi protégée, notamment des violents orages très fréquents en cette saison. Puis arrive le jour du dépiquage. Tractée par une Société Française ou un Lanz (tracteurs équipés d'une poulie latérale qui permet d'entraîner les courroies de la batteuse), la machine à battre le grain s'installe pour une journée de travail harassant. Ce sont une vingtaine de personnes, essentiellement des hommes qui chacun à un poste bien précis, vont travailler dans le bruit et la poussière. A un rythme soutenu, il faut faire passer les gerbes, en couper les ficelles (c'est un poste fréquemment occupé par les femmes), enfourner les gerbes dans le batteur, récupérer la paille rendue par les "demoiselles" (c'est ainsi qu'on appelle les secoueurs de la machine) et enfin manier les lourds sacs de grain (un sac de blé pèse jusqu'à 80 Kg).
Ce seront les plus jeunes et les plus costauds qui seront d'office désignés pour monter jusqu'au grenier ces lourds fardeaux.
La journée de battage, ce sont des heures de travail physique, effectuées dans la bonne humeur (les plaisanteries fusent) mais c'est aussi une longue journée de fatigue y compris pour les femmes qui doivent notamment assurer la préparation des repas pour une vingtaine de travailleurs. Bouillon, poule farcie, veau en sauce, poulet rôti, le menu est très copieux, chaque maîtresse de maison y met un point d'honneur.
Quand arriveront les moissonneuses-batteuses, il restera pour beaucoup d'agriculteurs la nostalgie d'une grande convivialité et de la solidarité paysanne, mais tous apprécieront ce progrès technique qui épargnera beaucoup de temps et de sueur.
Autres moments forts de la période estivale : les fêtes villageoises. Dans la campagne lauragaise, on aime danser. Il y a des bals les jours de foires, parfois à la veillée et bien sûr dans les fêtes de villages. Là, vêtues de leur plus "beau linge" (la farda fina) ou habits du dimanche, toutes générations confondues se retrouvent sur la place du village. La jeunesse attend avec impatience ces moments qui ne sont pas seulement l'occasion de s'amuser mais qui représentent aussi l'opportunité de rencontrer l'âme sœur. Combien de mariages de nos aînés ont-ils eu pour point de départ une rencontre au bal ?
Ce rôle social du bal villageois perdurera au moins jusqu'aux années 70, pério-de à partir de laquelle les jeunes élargiront systématiquement leur périmètre de séduction grâce à la généralisation de la voiture, moyen de transport qui remplacera peu à peu bicyclettes et mobylettes.
Sur les routes de la Saint Martin
Pour de nombreuses métairies, l'automne n'est pas une saison assoupie, mais au contraire celle du renouveau. Pour des métayers et leurs familles, c'est le temps de "mudar", de déménager, à la recherche de meilleures terres, de fermes plus grandes ou d'un meilleur patron…
Le nouveau bail a souvent été signé à la Saint Michel, avec pour clause principale qu'il faudra à son départ "laisser les terres, le cheptel et le fourrage comme on les a trouvés". L'inventaire du bétail et du foin, au début et à la fin de bail, sera fait par un "estimaïre", un estimateur.
Dans certains cas, le nouveau métayer est autorisé à travailler les terres avant même d'avoir emménagé, opération qui se fera entre Toussaint et Saint Martin. A cette occasion, solidement arrimés sur les charrettes, ustensiles de cuisine, buffets, barriques de vin, vont transiter de ferme à ferme. Le même mode de transport sera utilisé pour les volailles et le "précieux cochon".
Cette image qui semble sortie d'un livre d'Epinal a disparu dans les années 60 avec la motorisation alors que s'amorçait la disparition du métayage au profit du fermage.
L'arrivée de l'alambic
Autre attelage habituel qui sillonne les routes de l'automne lauragais : le bouilleur ambulant et son alambic tracté par un cheval. Installé sur un emplacement fixe, à Revel c'est au Padouvenc, le bouilleur est un personnage à part entière de la communauté rurale. Parfois venu des départements limitrophes, notamment de l'Ariège, il tisse au fil des ans des liens étroits avec ses clients. Ainsi, monsieur Piquemal est encore dans le souvenir de bien des habitants du Lauragais audois.
L'arrivée de l'alambic est donc très attendue. On a préparé à l'avance le bois de chauffe que l'on va fournir et après avoir pris rendez-vous et déclaré la distillation aux douanes et impôts indirects, on apportera dans des comportes le marc de raisin qui distillé donnera l'eau de vie dont on oublie aujourd'hui l'utilité qu'elle avait dans chaque maison.
L'alambic : des vapeurs de gnôle et de tressièis - Crédit photo : Denis Estève
Gnôle ou "tressièis" (le 3/6 était un alcool qui pouvait titrer jusqu'à 90°), ces forts breuvages n'étaient pas seulement appréciés par les hommes pour en agrémenter leur café de quelques gouttes. L'eau de vie était surtout utilisée pour la fabrication familiale d'apéritifs et de digestifs (vin de noix, de pêche, d'orange, liqueurs de verveine, de cassis, de framboises…) et pour la conservation des fruits (prunes, cerises, raisins). Ajoutée à du concentré d'anis, elle devenait du pastis. L'usage médical était aussi très répandu : lors d'une visite, le médecin s'en rinçait les mains et à l'occasion désinfectait l'aiguille de son unique seringue. Les animaux bénéficiaient aussi des bienfaits du 3/6 : on pouvait en frictionner le veau et la vache qui semblaient malades ou bien leur en faire ingurgiter quelques lampées.
Aujourd'hui encore, dans bien des familles lauragaises, on sort à l'occasion une vieille bouteille sur laquelle on peut lire une étiquette où sont mentionnés la date de fabrication et le degré d'alcool. C'est le vestige d'une époque où tout exploitant d'une vigne pouvait faire distiller l'équivalent de 1000° d'alcool par an pour la consommation familiale. Ce droit de "brûler", fut transmissible par héritage jusqu'en 1959, date à laquelle l'Etat supprima ce privilège de succession sous couvert de lutter contre l'alcoolisme et sous la pression des grands propriétaires viticoles. C'est une des raisons pour lesquelles les petites vignes disparurent progressivement du paysage lauragais.
Les dernières veillées
Pendant des générations, et ce jusque dans les années 50, la veillée a été l'un des principaux liens sociaux des campagnes. Durant ces soirées, on s'entraidait, on s'amusait et on racontait.
Dans le Lauragais, les veillées d'automne étaient souvent consacrées au dépouillement du maïs (une descoulefado). Coupés ras, les pieds de maïs étaient entreposés dans les hangars, il fallait ensuite dépouiller l'épi de son enveloppe. Pour cela, on conviait les voisins auxquels on rendrait le travail à une prochaine veillée. A ceux qui n'étaient pas paysans, mais qui possédaient quelques poules ou un cochon, on payait l'aide fournie en sacs de grains.
Au cœur de la maison, la cuisine et ses étagères de victuailles, bocaux et graissiers. Crédit photo : Denis Estève
Mais le travail n'occupait pas toutes les soirées. A la veillée se retrouvent jeunes et moins jeunes pour partager des moments de convivialité. On joue aux cartes, aux dames, parfois on danse au son de l'accordéon d'un voisin. Plus étonnant, le jeu du "papier plié". Les jeunes filles et les jeunes garçons écrivent chacun à leur tour un mot qu'ils cachent en repliant le papier avant de le faire passer à leur voisin. Eclats de rire assurés quand on découvre la phrase constituée qui apparaît sur le bandeau déplié. Amusant et surréaliste. Normal, ce jeu a été inventé à Paris dans les années 20 par les très intellectuels membres du mouvement surréaliste !
Enfin, la veillée c'est aussi et peut-être surtout le lieu de la parole. Là, circulent les nouvelles (parfois les commérages) et se transmettent contes et histoires venus de temps très anciens. Quand le vin nouveau aidant les histoires prennent un tour un peu trop leste, les femmes rappellent à l'ordre leurs hommes d'un "Chut, il y a de la farda fina !", le "linge fin" ne désignant pas seulement les habits du dimanche mais aussi les petits enfants.
Et puis vint le téléviseur en noir et blanc dont l'arrivée dans les campagnes fut souvent plus rapide que dans les villes. A un univers riche mais souvent clos sur lui-même, il va offrir de nouvelles distractions et une ouverture sur le monde moderne. Les plus jeunes vont suivre avec avidité les aventures de "Zorro" ou de "Thierry la Fronde" et rire aux éclats en regardant les pitreries des Bario de "la Piste aux Etoiles". Fidèles aux rendez-vous des "Cinq Colonnes à la Une", les adultes vont peu à peu préférer l'information visualisée à celle écrite. "Le jour du Seigneur" permet aux grands parents qui ne peuvent plus se déplacer d'assister à la messe dominicale.
Alors, le poste de télévision, fossoyeur des traditions ancestrales telles les veillées ou véritable "lanterne magique" ? La réponse me semble devoir être toute en nuances.
Des réserves pour l'an qui vient
Le dernier mois de l'année est celui où l'on va remplir les "graissiers", les pots à graisse qui s'aligneront sur les étagères accrochées le long des murs de la cuisine. Engraissés, choyés, objets de toutes les attentions, oies, canards et cochons vont être tués pour fournir les réserves carnées de l'année.
Pour les palmipèdes, le gavage a commencé depuis plusieurs semaines : un mois pour les oies, trois semaines pour les canards, à raison de deux fois par jour pour les uns et une seule fois pour les autres. "Embucar", gaver, est le travail des femmes. Levées très tôt, elles vont mettre tout leur savoir-faire dans l'opération qui peut s'avérer délicate. Il s'agit de ne pas blesser l'animal et d'apprécier le juste moment où il est rassasié. Les confits ou l'argent qu'elle gagnera à la vente sur les foires au gras (Castelnaudary, Villefranche de Lauragais, Puylaurens), dépendent du doigté et de l'expérience de la fermière. Le choix du canard a aussi été très important : il a fallu choisir entre le mulard et le musqué. Le mulard a souvent la faveur des gaveuses, car il est plus gros, plus facile à gaver et "donne" un plus gros foie. Le musqué lui, a l'avantage d'être plus facile à plumer, qualité indéniable pour le plumage manuel. Mais quelque soit l'espèce, tous deux sont gavés de préférence avec de la millette du Lauragais, variété de maïs blanc qui donnera à la graisse, voire au foie, une blancheur alors appréciée par les consommateurs. Sera aussi appréciée le jour de l'abattage la "sanqueta" sang de la volaille qui récupéré dans un récipient plat sera frit accompagné d'ail, d'oignon et de ventrêche. C'est le lendemain que carcasses et filets seront débités et mis en pots tandis que les abattis seront gardés pour concocter "l'alicot", l'alicuit.
Autre "victime" de cette économie domestique fondée sur la quasi autosuffisance alimentaire : le cochon. Point d'orgue du calendrier culinaire des familles paysannes, l'abattage du porc a souvent été décrit, parfois même étudié. Ici, mon parti-pris est d'évoquer le travail des femmes, chevilles ouvrières de ce qu'on appelle parfois la "fête du cochon".
"Cochons et volailles : les réserves carnées de la ferme" - Crédit photo : Denis Estève
C'est un homme "le sagnaire" qui tue la bête, mais c'est toujours une femme qui manches retroussées, va plonger ses bras dans la bassine qui recueille le sang pour en retirer la fibrine. Ce sont les hommes qui vont ensuite raser le corps de l'animal et l'ouvrir, libérant les boyaux récupérés par les femmes sur de grands torchons dans des paniers tapissés de paille afin de maintenir la chaleur le temps de démêler les intestins. Cette première phase a lieu dans un endroit chauffé. Il faudra ensuite à nouveau affronter le froid jusqu'au puits ou au ruisseau pour laver ces boyaux qui selon leur grosseur seront utilisés pour les boudins, saucisses et autre saucissons.
Passer du froid au chaud. Pendant ces jours de travail, il faut gérer les écarts thermiques et toujours entretenir le feu pour ne jamais manquer d'eau chaude, luxe qui n'arrivera dans les métairies que dans les années 60. En attendant, pour ce premier jour, le feu a toujours été entretenu sous les lessiveuses ou les grands "païrols", chaudrons de cuivre, où a chauffé l'eau qui a servi à nettoyer le cochon et où le soir, on fera cuire boudins et melsats que l'on a parfois "baptisés" d'un prénom et surtout pas comptés pour éviter qu'ils n'éclatent pendant la cuisson.
Le second jour, beaucoup d'hommes désertent la ferme pour quelque occupation hivernale (faire du bois par exemple) et ne réapparaîtront qu'au repas pour déguster le fraisinat ou les coustelous. Car la charcuterie est une affaire de femmes. Elles coupent, tranchent, malaxent, assaisonnent, cette dernière opération se faisant presque toujours à "bisto de nas" avec pour seul repère, le "tastou ou tastet" échantillon de hachis qui permet d'ajuster la salaison.
Et enfin, lorsque la saucisse est pendue aux perches, les pâtés en bocaux et le jambon soigneusement emmailloté dans son sac, se profile une nouvelle journée de travail pour les femmes.
Ce troisième jour, elles vont devoir faire bouillir et nettoyer à la main les nombreux torchons, tabliers et autres linges tâchés de sang et de graisse. De la même façon, tous les récipients vont être dégraissés, les cuivres récurés au sel, sable et citron.
En une dizaine d'années, la pénibilité de ces travaux sera réduite avec l'arrivée des lave-linges et des machines à laver la vaisselle. Quant aux congélateurs dont la plupart des fermes est équipée dès les années 70, ils vont complètement révolutionner un mode de stockage alimentaire ancestral.
De plus, avec une règlementation européenne de plus en plus tatillonne, les abattages à la maison vont disparaître au profit de l'abattoir voisin tandis que l'arrière cuisine où l'on "faisait" les canards ou les oies devient désormais un véritable laboratoire aseptisé.
Années 50, dans la cour de la ferme, on pose avec fierté sur le premier tracteur (ici, un Société Française de Vierzon)
Crédit photo : collection Abruzzo
Quand sonne Nadalet
Dans la nuit froide de décembre, les cloches de Nadalet l'annoncent : Noël arrive. Sonné durant 8 jours à partir du 17 décembre, cet angélus a bercé l'Avent de nombreuses générations, jusqu'au remplacement des "campanaires" par les mécanismes électriques.
De mon enfance passée entre Montagne Noire et plaine lauragaise, me reste le souvenir du son cristallin de la cloche de Belleserre, petit village aux marges sud du Tarn, où pendant des années Colbert le carillonneur a perpétué la tradition. Sur le seuil de la porte de la ferme familiale, ma mère m'invitait à la rejoindre "Ecoute, c'est Nadalet…"
Puis viendra Noël et le repas qui autour de la table va rassembler toute la famille devant la daube traditionnelle. Quelques jours encore et c'est une nouvelle année qui commencera avec ses joies, ses peines et le cycle perpétuel "des travaux et des jours".
Nelly Abruzzo-Engi
Remerciements à Monsieur Denis Estève pour sa collaboration dans l'illustration photographique de ce texte |