René Azaïs et la mécanique : le moteur d'une vie
A 93 ans, la passion de René Azaïs est demeurée intacte. N'en déplaise aux plus fleurs bleues de nos lecteurs, c'est bien pour la mécanique que le coeur de ce retraité bat la chamade. Depuis plus de 30 ans, été comme hiver, il s'adonne à sa passion de toujours dans le petit atelier de sa maison de Castelnaudary. D'ouvrage en ouvrage, le temps a passé mais rien n'a pu le détourner de ce passe-temps dévorant. Retour sur un parcours bien huilé.
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René Azais, chez lui à Castelnaudary,
vient de fêter ses 93 ans. |
Une enfance méridionale
Originaire de Perpignan, René Azaïs est conduit à changer régulièrement de ville de résidence au gré des mutations de son père. Ce dernier est douanier et a notamment été appelé à Marseille où René usera quelques fonds de culottes. Il choisit finalement de devenir mécanicien, décroche un CAP et s'installe rapidement à son compte dans sa ville natale. La vie en décidera cependant autrement et, après quelques temps, il renonce à son commerce pour intégrer l'aviation civile. Pour l'intégrer, il faut alors passer un concours à Castelnaudary. Reçu haut la main, il quitte le sud pour Paris afin d'intégrer son nouveau poste de mécanicien, et dans le même temps, la fonction publique. |
35 ans de mécanique dans l'aviation civil
Comme un coq en pâte, René Azaïs ne voit pas défiler ces années qui le conduiront à entretenir et à réparer la flotte officielle. Les gouvernements se succèdent et avec elles leur lot de missions ministérielles qui conduisent personnalités et ministres à fréquenter avec assiduité l'aérodrome de Guyancourt. Créé dans les années 30, il sera occupé par les allemands pendant la Seconde Guerre Mondiale avant d'être libéré puis finalement consacré à l'aviation civile. Il fermera définitivement ses portes en 1989 pour des raisons de sécurité. Le site est également fréquenté par d'autres passionnés d'aviation comme Jacques Brel que le mécanicien aura le plaisir de croiser régulièrement. Il faut dire que René, logé sur le site même de l'aérodrome, est le gardien des clés du hangar. Avec ses collègues, il a la grande responsabilité d'effectuer les vols d'essai et les réparations de la flotte ministérielle. En conséquence, il est souvent en vol mais ne pilote jamais, son rôle consiste plutôt à écouter le moteur pour détecter d'éventuelles anomalies. Après 10 années passées sur l'aérodrome de Guyancourt, René se languit de la douceur méridionale et demande sa mutation à Montpellier où il restera 5 ans, puis à Castelnaudary où il entend bien terminer sa carrière. Jusqu'à son départ en retraite en 1980, il sera affecté au Centre de Formation des Apprentis de l'Ecole Supérieure des Métiers de l'Aéronautique. Son expertise y sera très précieuse et c'est sous son impulsion que sera créé un atelier de construction et de réparation de moteurs provenant de centres d'aviation civile implantés partout en France. Il y créera également un banc d'essai pour moteurs mobilisant six mécaniciens. Auparavant, le centre de Castelnaudary était simplement dédié à la réparation des planeurs. René va également souffler quelques conseils aux professionnels qui l'entourent. Ainsi, pour regraisser un train d'atterrissage, il suggère de créer six trous à cet effet en lieu et place du dévissage de plus de 200 vis ! Bête comme chou, cette solution ne manquera pas d'être retenue par l'équipementier sans pour autant bénéficier à l'astucieux mécanicien. Au diable les brevets, il faut bien plus à cet homme pour s'épanouir dans la vie, si possible les mains dans le cambouis !
René Azaïs à l'ouvrage dans son atelier. Le retraité travaille dix mois sur douze jusqu'à 8 heures par jour.
Seul le froid le contraint à abandonner son ouvrage !
Impasse sur la retraite
En réalité, comme nombre de travailleurs de son âge, René a du mal à décrocher. Une fois retraité, il continue donc de se rendre chaque jour dans son atelier pour confectionner de petits moteurs. Quand on l'interroge sur ses motivations, il répond : "Juste pour le plaisir de les faire tourner !". En réalité, son esprit n'a jamais pu se départir de son goût pour la mécanique ; il lui plaît d'imaginer, de concevoir et d'assembler tous types de mécanismes des plus simples aux plus complexes. Sa passion continuera donc de s'exprimer et, à en croire la longévité de son « art », d'être la colonne vertébrale de sa vie.
Des maquettes par dizaine
Prenant pour prétexte de légitimes envies d'évasion, le jeune retraité a d'abord choisi de monter le châssis d'une caravane, puis un moteur à deux temps. Le principe de ce dernier est grossièrement le suivant : il s'agit d'un piston relié à un vilebrequin par l'intermédiaire d'une bielle qui se déplace à l'intérieur d'un cylindre. Pour déplacer le piston, on utilise un mélange d'air et d'essence, qui, au contact d'une étincelle provoquée par une bougie, déclenchera l'implosion et la puissance. Ce type de moteur ne contient pas de soupape, c'est celui que l'on installe, par exemple, sur une mobylette. Par la suite, René Azaïs, se lance dans la fabrication de moulins à eau et vent et dans des réalisations toujours plus ambitieuses directement inspirées de la Révolution industrielle : une locomotive à vapeur ainsi qu'une petite voiture à vapeur. Cette dernière sera réalisée sur la base d'un plan de châssis fourni par son ami, René Robein, et d'après des photos fournies par le Car Club de la Montagne Noire. Quarante visuels ainsi que les dimensions de la voiture de collection suffiront à René Azaïs pour reproduire à l'identique ce modèle unique. Il expérimente également des moteurs à air chaud. Cette technologie inventée en 1806 a été améliorée pour servir de moteur de propulsion aux sous-marins. Très prolifique, René Azaïs est bel et bien un maquettiste d'exception notamment en raison de ses méthodes de travail pour le moins singulières pour tous ceux qui, comme lui, affectionnent la reproduction de mécanismes, machines, moteurs ou autres voitures.
Voici le croquis du carter à 9 cylindres, pièce du moteur à explosion
en étoile en cours de fabrication. Ce simple dessin suffit à
René Azaïs pour élaborer un système pourtant complexe. |
Nul besoin de paire de lunettes, pour travailler René Azaïs
n'a qu'à suivre ce que lui dictent ses mains qui
renferment tous les savoir-faire du mécanicien. |
Tout dans la tête et dans les mains
Pour comprendre la spécificité des réalisations de René Azaïs, il faut savoir que ce dernier travaille sans croquis et sans plan à partir de la simple représentation schématique qu'il se fait de l'ouvrage. Il achète les matières premières, constituées d'aluminium, d'acier, de fonte, d'inox, d'alliages légers, de laiton ou encore de bronze, chez un ferrailleur, puis fabrique toutes les pièces nécessaires au bon fonctionnement du mécanisme (carter, vilebrequin, poussoirs, pistons, cylindres, soupapes, ressorts …) à l'aide d'un tour, d'une fraiseuse et d'une perceuse. Il n'a aucune formation de tourneur ou de fraiseur mais est capable de fabriquer ces pièces avec une précision au centième de millimètre. A l'exception des bougies, le mécanicien fabrique donc ses ouvrages de A à Z en ayant simplement recours à leur représentation mentale et aux nombreux savoir-faire que renferment ses mains. Sa passion est si dévorante qu'il s'est longtemps levé dès 5 heures du matin pour ne pas perdre une minute de sa journée de "travail". Attelé à l'ouvrage pendant au minimum 8 heures, dix mois sur douze, le forcené avoue une passion dévorante… Inutile de préciser que pendant quelques années, René a été régulièrement sollicité par ses proches et ses voisins pour réparer des moteurs de voiture, un motoculteur ou tant d'autres équipements requérant des connaissances en mécanique.
Un tour, une fraiseuse et une perceuse suffisent à René Azaïs pour usiner toutes les pièces de ses mécanismes avec une précision atteignant le centième de millimètre. |
Ce moteur à explosion à deux temps est l'une des
premières réalisations de René Azaïs. C'est le type
de moteur utilisé dans la fabrication des mobylettes. |
Chiffres-clés
Les ouvrages réalisés par René Azaïs nécessitent plus ou moins de temps. Très perfectionnés, seuls les férus de mécanique pourront se rendre compte de la technicité qu'ils requièrent. Un petit moteur à vapeur nécessite par exemple 150 à 200 heures de travail. Pour ce qui est du moteur à explosion en étoile à neuf cylindres, en cours de réalisation, le mécanicien à la retraite y travaille déjà depuis plus d'un an. En plus de 30 ans, René a fabriqué plus de 50 moteurs, à deux temps, à quatre temps, à vapeur ou encore à air chaud. Il se définit volontiers comme un obstiné et considère que les qualités requises pour être un bon mécanicien sont le goût de la discipline et la précision.
Entretien avec René Robein, ancien Professeur de Bureau des Méthodes, Lycée technique Jean Moulin à Béziers - Pour mieux connaître René Azaïs, peu enclin à se raconter, rien de tel que de s'entretenir avec l'un des ses complices également féru de mécanique.
Couleur Lauragais : "A quand remonte votre amitié avec René Azaïs ?"
R.Robein : "Nous nous sommes rencontrés lors d'une exposition par l'intermédiaire de son beau-frère. C'était il y a 15 ans et depuis, j'ai suivi toutes ses réalisations ! Je me suis pour ma part lancé dans la réalisation d'équipements motorisés deux ans avant de partir à la retraite, nous partageons donc la même passion".
Couleur Lauragais : "En tant qu'expert, quelles sont ses principales qualités ?"
R.Robein : "C'est sans aucun doute sa volonté. J'ai remarqué que trois phases se succédaient invariablement. Au début, il y a beaucoup d'enthousiasme, vient ensuite un certain découragement, on bute immanquablement sur des difficultés avant de s'encourager réciproquement pour achever l'ouvrage. Il faut donc une détermination à toute épreuve et René Azaïs n'en manque pas ! Il ne s'encombre pas non plus de documents très élaborés : une épure, de simples photos par exemple, rarement de plans ou d'articles de revues spécialisées. Pour un ancien professeur de technologies, c'est plutôt épatant, d'autant plus que son "parc machines" est composé d'équipements basiques et de faibles capacités. Il n'y a aucune commande numérique".
Couleur Lauragais : "Vous arrive-t-il d'être en désaccord ?"
R.Robein : "Pas vraiment mais lui va trouver des solutions dans la pratique alors que moi j'ai tendance à les chercher dans la théorie. En bon catalan, René ne m'écoute pas toujours et il a parfois raison !"
Couleur Lauragais : "Quelles sont les réalisations dont vous êtes le plus fier ?"
R.Robein : "Ensemble, nous avons construit un avion radiocommandé et des moulins à vent, c'était passionnant. Sa réalisation la plus spectaculaire reste pour moi le moteur à explosion en étoile à cinq cylindres, je suis très impressionné par sa capacité à se passer de tout support théorique."
Cette voiture à vapeur "Révolutionnaire" est la réplique d'un modèle de 1881.
La maquette a été réalisée à l'échelle 1/2 d'une longueur de 1,25 mètre.
La maquette de la locomotive à vapeur réalisée par René Azaïs est plus vraie que nature.
Elle compte parmi les 50 ouvrages réalisés par ce féru de mécanique et de modélisme.
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Pépé Sirocco
Il n'y a pas de hasard et en fin de conversation, René Azaïs confesse finalement son goût pour les voitures puissantes et rapides. Une faiblesse qui lui vaudra le surnom très exotique de Pépé Sirocco, donné de bonne grâce par ses arrière-petits-enfants ! Aucun d'entre eux n'a à ce jour développé la même passion mais nul doute que tous ont dû porter dans l'enfance un regard particulier sur ce grand-père pas comme les autres.
L'heure tourne, et déjà René Azaïs a rejoint en pensée l'ouvrage qui l'attend dans son atelier. Ce moteur à explosion à neuf cylindres lui donne bien du fil à retordre mais, il le promet, il en viendra à bout. Il n'y a donc plus une minute à perdre pour quitter les lieux et redonner à ses mains de travailleur la liberté de reprendre leur labeur, comme il en a toujours été et comme il en sera toujours.
Interview : Isabelle Barèges
Crédit photo : Isabelle Barèges |