Renouveau du Canal du Midi : Alain Châtillon tient la barre
Le Canal du Midi, cet incroyable bien commun classé au patrimoine mondial de l'humanité par l'UNESCO, est bel et bien menacé. Le chancre coloré, maladie des platanes débarquée sur nos berges en même temps que les caisses d'armes des soldats US pendant la seconde guerre mondiale, pose à tous les amoureux du Canal, utilisateurs, simples riverains ou habitants de nos territoires un véritable défi. Saisi de la question par l'ancien gouvernement, le sénateur-maire de Revel, Alain Châtillon, a rendu publiques en juin dernier les conclusions de son rapport "Le renouveau du Canal du Midi". Au-delà de l'impact budgétaire du projet, estimé à 200 millions d'euros sur 10 ans, l'élu insiste sur la nécessité de construire autour du Canal une identité forte, capable de fédérer les hommes et d'asseoir la notoriété de l'ouvrage bien au-delà des frontières régionales et nationales. Simple passeur, Alain Châtillon insiste sur la nécessité de mobiliser tous les acteurs en présence (populations, collectivités, acteurs économiques) et d'adhérer à une vision positive, celle d'un bien commun porteur d'avenir. Couleur Lauragais revient sur les principales pistes de réflexion dégagées par le rapport sénatorial. |
C'est sur une péniche amarrée sur le port de l'Embouchure
à Toulouse que le sénateur-maire de Revel a rendu publiques
les conclusions de son rapport consacré au "Renouveau du
Canal du Midi". Crédit photo : Isabelle Barèges
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Le chancre coloré : un champignon encore méconnu
On le sait de source sûre, c'est avec des caisses de munitions en bois de platane porteuses du champignon que les soldats de l'armée américaine ont importé sans le savoir le chancre coloré sur les berges du Canal du Midi. Très prolifique, le champignon qui répond au nom scientifique de Ceratocystis fimbriata se propa-ge d'arbre en arbre et les décime en 2 à 5 ans seulement. A ce jour, en dépit des travaux de recherche déjà réalisés, on ignore toujours le mode de contamination de la maladie : serait-ce par voie d'air, par voie d'eau, à partir des racines immergées ou par la main de l'homme ? L'INRA poursuit ses recherches pour le déterminer. En conséquence, il n'existe pas non plus, à ce jour, de traitement chimique ou biologique pour combattre le champignon. Le seul recours demeure l'arrachage des arbres malades avec l'objectif d'arracher non plus 300 arbres par an, un nombre insuffisant face à l'augmentation exponentielle des foyers atteints, mais 4000 arbres. Le seul budget d'abattage est estimé entre 5,5 et 7 M € par an.
La prolifération du chancre coloré nécessite une vaste campagne d'arrachage, soit 4000 arbres par an à compter de 2013
pour un budget estimé entre 5,5 et 7 M € par an. Crédit photo : Couleur Média
Un plan de restauration paysagère à l'étude
Le programme de restauration suscite également des interrogations qui devraient trouver réponse dans le temps. Il a été envisagé de recourir au Platanor ("Vallis Clausa"), une variété de platane résistante au chancre coloré mise au point par l'INRA en 2008 par croisement de platanes américains et de platanes d'orient. Il convient cependant de rester prudent quant au succès de l'opération et la pertinence d'une replantation mono-variétale demeure en question. Arbre d'ombrage, le platane avait été choisi au 19ème siècle pour ses innombrables autres qualités, notamment pour ses robustes racines capables de tenir les berges. La replantation nécessitera peut-être de recourir à d'autres essences à condition que l'opération soit très rigoureusement encadrée. Des études dédiées à la restauration des plantations1 ont précisé qu'une seule essence devait être présente par bief et que le changement d'essence devait être opéré au niveau des écluses. Les experts se sont également prononcés pour des "arbres de haute tige, d'une ombre agréable et se développant en hauteur pour restituer à terme l'effet de colonnade."
?Les limites géographiques de la propagation
Le premier foyer de chancre a été repéré en 2006 à l'est de Carcassonne et, depuis, les foyers atteints augmentent de façon exponentielle : 15 en 2008, 30 en 2009, 122 en 2011, 200 en 2012. Aujourd'hui, on ne compte cependant pas de foyers malades en amont de Castelnaudary, ce qui constitue un espoir pour stopper la propagation.
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La création d'une identité de marque "Canal du Midi"
Pour assurer la survie de l'ouvrage, le rapport soutient la création d'une marque dédiée. Destinée à développer un sentiment d'appartenance, elle s'adresse autant aux acteurs publics qu'à la population sans oublier les professionnels. Vecteur d'image pour l'ensemble du territoire, elle doit améliorer la notoriété du Canal au-delà des frontières régionales et nationales, renforcer l'attractivité touristique du territoire et avoir des retombées positives pour tous les acteurs impliqués. Pour y parvenir, la réflexion devra s'organiser autour de la notion de Bassin d'Intérêt Economique et Fluvial (BIEF), soit une vision globale de la vallée constituée par le Canal du Midi et ses Territoires.
Vers un nouveau mode de gouvernance ?
Pour rappel, le Canal du Midi est une propriété de l'Etat gérée par les Voies Navigables de France (VNF). Compte tenu de l'ampleur et de la nature des travaux à réaliser, notamment d'arrachage, et des nouvelles ambitions du Canal, le rapport Chatillon a pointé du doigt la nécessité d'adopter un nouveau mode de gouvernance. Il pose clairement la question de la création d'une structure dédiée, de type Groupement d'Intérêt Public (GIP) ou Société d'Economie Mixte (SEM). Issue d'une vision régionaliste du projet, la nouvelle structure mettra en œuvre une gestion dynamique permettant de mutualiser les fonds nécessaires à la rénovation paysagère et au développement du Canal du Midi.
Le GIP, éventuellement piloté par VNF, aurait en effet pour ambition de capter de nouvelles sources de financement, notamment à l'échelon européen à travers le Fonds Européen de Développement Régional (FEDER) ou de coopération inter-régionale (INTERREG). Il a également pour objectif de définir un programme d'activités pluriannuel concerté, de le mettre en œuvre et de l'évaluer. Ce nouveau mode de gouvernance pourrait faciliter la sous-traitance par VNF de certains chantiers à des acteurs qualifiés comme les Agences de l'eau, ces établissements publics spécialisés dans la gestion de la ressource en eau. Dans son rapport, Alain Chatillon propose ainsi de fédérer tous les acteurs publics ou parapublics concernés par l'avenir de l'ouvrage : l'Etat, VNF, les Régions Midi-Pyrénées, Aquitaine et Languedoc-Roussillon, les collectivités locales, l'association des communes du Canal des Deux Mers et les Agences de l'Eau Adour Garonne et Rhône-Méditerranée et Corse.
Les grandes dates du Canal du Midi
1604 : naissance à Béziers de Pierre-Paul Riquet, créateur de l'ouvrage
1630 : Riquet devient contrôleur à la ferme des gabelles (puis en 1661, fermier général des gabelles du Languedoc-Roussillon)
1665 : Riquet creuse à ses frais une rigole d'essai pour attester de la crédibilité de son projet, les eaux sont amenées jusqu'au seuil de Naurouze
1666 : Louis XIV ordonne la construction du Canal des Deux-Mers par édit royal
1680 : décès de Pierre-Paul Riquet
1681 : inauguration du Canal du Midi
1996 : inscription de l'ouvrage sur la liste du Patrimoine Mondial de l'Unesco
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Le coût de la reconquête évalué à 200 millions d'euros sur 10 ans
Compte tenu de la difficulté d'évaluer précisément le coût de la restauration paysagère du Canal, le rapport mise dans un premier temps sur un budget annuel de 20 millions d'euros sur 10 ans. Le chiffre est issu d'estimations réalisées sur les postes suivants :
• les abattages incluant l'abattage des alignements, la mise à blanc des bandes boisées et l'abattage des bandes boisées = 78 875 000 €
• les replantations des alignements (avec 7 mètres d'interdistance et comprenant 2 ans d'entretien) = 44 100 000 €
• la défense des berges = 71 750 000 €
• la prévention (recherche et développement et protection racinaire en zone non contaminée) = 4 200 000 €
Pour le sénateur-maire de Revel, le Canal du Midi doit, pour assurer sa sauvegarde, trouver son autonomie. Le modèle de financement du plan de restauration s'appuie sur une contribution, à parts égales, de l'Etat, des Collectivités et du mécénat. Pour la part de l'Etat, le rapport évoque de nouvelles ressources telles la mise en place de surpéages pour la navigation sur le Canal qui pourraient s'élever à 200 000 € de recettes supplémentaires par an, une taxe de séjour appliquée aux navigants, ou encore la valorisation du foncier et du patrimoine bâti, soit la possible valorisation de terrains inutilisés par VNF. Les Collectivités seraient quant à elles soutenues par les fonds européens précités (FEDER et INTERREG). Enfin, pour favoriser le mécénat, il est envisagé à court terme de créer des clubs de mécènes, et de conclure un partenariat avec la Fondation du patrimoine pour "recourir à la souscription publique et lever des fonds auprès du grand public". A moyen terme, il pourrait s'agir de créer une fondation dédiée et spécialisée dans le mécénat environnemental.
Une période opportune
Le rapport sénatorial est bouclé depuis quelques mois mais son auteur a choisi de le présenter à l'issue des diverses échéances électorales qui ont jalonné le premier semestre 2012. Il s'agissait de déconnecter l'enjeu que représente la sauvegarde du Canal du Midi des débats politiques. Alain Chatillon devrait être prochainement reçu au Ministère de l'Environnement, affaire à suivre.
Zoom sur les conditions de navigation sur le Canal du Midi
La navigation de plaisance sur le Canal du Midi est conditionnée au paiement d'une vignette dont le tarif est fixé chaque année par Les Voies Navigables de France (Loi du 29 octobre 1990). Seules les embarcations utilisées par certains services publics et celles d'une longueur inférieure ou égale à 5 mètres et dotées d'un moteur de moins de 9,9 CV sont exonérées. Le paiement de la vignette plaisance n'exonère cependant pas les plaisanciers de certains frais annexes (droit de stationnement dans les ports, passage des écluses en dehors des heures de navigation, utilisation d'ascenseurs …). La vignette doit être apposée à l'avant du bateau, à tribord, pour être visible de l'extérieur en toutes circonstances. Dans son rapport, Alain Châtillon envisage la création de surpéages qui pourraient correspondre à environ 200 000 € de recettes supplémentaires par an mais également l'instauration d'une taxe de séjour acquittée par les navigants.
Le rapport sénatorial envisage un nouveau mode de gouvernance et la création d'une identité de marque portant
les nouvelles ambitions du "Canal du Midi". Il insiste sur la vision régionaliste du projet et appelle à la mobilisation de tous : population, acteurs publics et privés. Crédit photo : Couleur Média
Chiffres-clés
241 km de parcours fluvial de Sète jusqu'à Toulouse
12 000 ouvriers
14 ans de travaux
45 000 arbres plantés
2 régions (Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées) et 3 départements traversés (Hérault, Aude et Haute-Garonne)
100 000 passagers - 110 millions de tonnes/kilomètre. La navigation sur le Canal du Midi évolue pour atteindre des niveaux de fréquentation record au milieu du 19ème siècle. Concurrencé par le développement des transports ferroviaire et routier, le Canal du Midi verra sa fréquentation décliner petit à petit. Le fret commercial s'achèvera définitivement en 1980 et, dans le même temps, le tourisme fluvial prendra son envol.
67 hectares : superficie du lac de Saint-Ferréol bassin d'alimentation du Canal du Midi lui-même alimenté par la Rigole de la Montagne Noire (eaux du Sor et du Laudot)
350 ouvrages d'art (ponts, écluses, aqueducs)
700 vannes d'irrigation installées le long du Canal
40 000 hectares, c'est la superficie de terres agricoles potentiellement irriguées grâce au Canal
8 mois, c'est la durée d'ouverture du Canal à la navigation, soit de fin mars à début novembre
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On comprend que la sauvegarde du Canal du Midi dépasse les clivages politiques. Au-delà de l'enjeu historique et patrimonial, il en va de la disponibilité des ressources en eau toujours plus sollicitées, par la population, l'industrie ou l'agriculture. A travers son rapport, Alain Chatillon entend alerter et mobiliser en soulignant que la défense de ce bien précieux passera obligatoirement par la construction et la défense d'une ambition collective.
Interview Isabelle Barèges
1/Etude de la Commission Supérieure des Sites et Paysages 2010, Etude pour la restauration patrimoniale des plantations du Canal du midi 2011 (Voies Navigables de France, Directions Régionales de l'Environnement, de l'Aménagement et du Logement (DREAL) de Midi-Pyrénées et de Languedoc-Roussillon
Couleur Lauragais n°145 - Septembre 2012