Jules Védrines en Lauragais, Si Jules Védrines fut le premier aviateur à se poser en terre audoise, c'est en Lauragais, qu'il foule pour la première fois son sol en atterrissant à Castelnaudary le 11 mars 1911, avant d'arriver à Carcassonne. |
|
Après les travaux de Clément Ader à Castelnaudary et ses essais de sustentation sur les coteaux de Villeneuve-la-Comptal avec l'oiseau en plumes au lendemain de la guerre de 1870, il fallut attendre une quarantaine d'années avant de voir le premier aviateur dans le ciel du Lauragais, en 1911.
Cet aviateur n'était autre que Jules Védrines. Il venait de Toulouse où, pendant une quinzaine de jours, avaient eu lieu des événements aéronautiques importants, des raids soutenus par le journal "La Dépêche" entre Toulouse et diverses villes du Midi. Le terrain était situé au Polygone militaire de Toulouse entre la route de Bayonne et l'Avenue de Lombez, espace occupé par la suite par la Cartoucherie et proche actuellement du Zénith.
Le 27 février Roger Morin accomplit l'exploit d'effectuer le trajet Pau - Toulouse sans escale, 216 km en 2h 01min, sur monoplan Blériot à la vitesse moyenne de 99 km/h. Il remporte le prix de la Dépêche de 1000 francs et les toulousains l'acclament avec un enthousiasme indescriptible ; le lendemain, il sera le premier à survoler Toulouse.
Le 5 mars, Jules Védrines survole à son tour la ville rose à bord d'un monoplan Morane-Borel et le 8 mars, Védrines et Morin disputent avec succès l'épreuve Toulouse - Montauban.
Védrines s'envole de Toulouse - Le samedi 11 mars 1911, avec son avion Morane-Borel, Védrines se lance sur le trajet Toulouse-Carcassonne, une grande première qui fera de lui le premier aviateur du pays audois et du Lauragais.
Jules Védrines né à la Plaine Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) le 21 décembre 1881, d'origine modeste, était un ancien ouvrier des Usines Gnome de Gennevilliers (spécialisées dans la construction de moteurs d'avion), devenu metteur au point de moteur puis mécanicien du pilote-acteur anglais Robert Loraine. Il avait passé son brevet de pilote le 7 décembre 1910 à Pau. Quand il traverse le Lauragais, il a vingt neuf ans et n'a obtenu son brevet de pilote que depuis 3 mois.
Le samedi 11 mars, en début d'après-midi, les préparatifs étant terminés, Védrines s'envole de Toulouse pour Carcassonne avec escale à Castelnaudary : « le vent était au Cers ». Le passage de l'avion ayant été annoncé par les journaux et largement diffusé bien à l'avance, des centaines et des centaines de personnes, parfois venues à pied de plusieurs kilomètres, se sont rassemblées tout le long du trajet, scrutant le ciel et tendant l'oreille pour percevoir le bruit du moteur et ne pas le rater.
A Baziège, c'est jour de marché - Le passage de l'avion est prévu vers 13 heures. Pour mieux voir l'appareil, tout le monde a déserté les halles du marché pour gagner le coteau qui surplombe le village au nord, par la Côte Vieille. Les maîtres d'école y conduisent aussi leurs élèves. L'avion aura une heure et demie de retard, l'attente est interminable et tout ce petit monde a dû patienter jusque vers 14 heures ou 14 heures 30 pour entendre enfin le vrombissement du moteur. Les aînés racontaient dans le village, il y a quelques années encore, qu'il s'agissait d'un petit avion qui passa à deux ou trois cents mètres d'altitude au-dessus de la plaine de l'Hers.
L'appareil affronte le seuil de Naurouze - Après Baziège l'appareil continue sa route à 90 km/h environ pour gagner Naurouze, lieu redouté par le pionnier de l'aviation pour cette première, car réputé pour ses coups de vent violents ; un bruit disait que les vents de terre et de mer, Cers et Autan, s'y livraient bataille en altitude et pouvaient causer des turbulences catastrophiques pour l'appareil. Certains raconteront que Védrines eut la peur de sa vie en passant le seuil, car son appareil aurait décroché de plusieurs dizaines de mètres et qu'il faillit perdre le contrôle de sa machine.
L'appareil de Védrines franchit le col de Naurouze sans encombre et apparaît dans le ciel chaurien un peu avant 15 heures. L'aviateur pose son appareil, fait de bois et de toile, devant une foule nombreuse sur le terrain de manœuvres de Castelnau-dary, terrain situé au sud de la ville, actuellement zone industrielle.
Védrines se pose en Lauragais à Castelnaudary - Les commerçants ont pratiquement tous baissé leur rideau et les élèves des écoles ont eu congé pour assister à l'événement et voir de près avion et aviateur.
Il est facile d'imaginer Védrines, le visage maculé d'huile de moteur, sortant de l'appareil, salué par les autorités et le mécanicien qui suit Védrines par la route en voiture automobile effectuant les diverses opérations de contrôle et d'entretien. Pour certains chauriens, ce fut l'occasion de faire la photo du siècle ! Hélas, la foule étant tenue à bonne distance par un service d'ordre à cheval, nombre de photos furent prises de trop loin, pour être exploitables.
Avec Védrines, les chauriens ont vu pour la première fois un avion de près, sur leur sol. Le Morane Borel était un des premiers avions français, avec un seul moteur et hélice en bois, un moteur rotatif Gnome Omega de 50 ch., de 9 m d'envergure, 7 m de long et 2,7 m de hauteur, pour une surface alaire de 14,5 m2, pesant à vide 250 kg, volant à 90 km/h en vitesse de croisière et pouvant atteindre 115 km/h. Attendu à Carcassonne, Védrines ne tarde pas à reprendre les commandes de son avion et décolle vers 16 heures de façon assez chaotique selon certains témoins locaux. |
Védrines arrive à Carcassonne aux alentours de 16 heures 20 - Pour satisfaire les organisateurs et remporter le prix de la Dépêche de 500 francs, l'aviateur effectue le tour extérieur de Carcassonne, passe derrière la Cité et au-dessus du plateau de Grazailles. L'aviateur et son engin, feront des cercles pendant plus de 20 minutes au dessus des tours, diront les carcassonnais. L'aviateur se pose dans un champ appartenant au régiment de Dragons, dit « champ de mars », l'actuel Romieu. Des milliers de personnes se sont déplacées, à pied et parfois de fort loin, de plusieurs dizaines de kilomètres, pour accueillir le héros à l'arrivée.
Védrines descend à l'hôtel Bonnet à Carcassonne ; son mécanicien l'a rejoint en voiture, avec des vêtements de rechange. Le lendemain de l'atterrissage la fille du préfet, Jeanne Cornu lui remet un bouquet. Douze jours après, Le 23 mars 1911, Védrines survole Paris et, à basse altitude, le cortège de la mi-Carême, sur lequel il lance une pluie de fleurs.
Védrines en chanson - Candidat à la députation (1912-1914) dans la circonscription de Limoux (Aude,) Védrines a mené une campagne électorale en avion, de village en village. Cette campagne lui vaudra le refrain « ço que brounzino, es le moutur de Bedrino (ce qui vrombit, c'est le moteur de Védrines) et la chanson sur l'air de « la valse brune »
Aco que brounzino Es le moutur de Bedrino Qu'à chabal sus sa machino Filo coumo rat… Parèlh à l'esclaire Aqui es à soun affaire Semblo que nade dins l'aire Coumo'n passerat |
Ce qui vrombit |
Passé aéronautique riche en Lauragais - Le 13 juin 1911, c'est l'officier Henri Lafargue qui apparaît dans le ciel du Lauragais et qui atterrit à Castelnaudary avec son fragile monoplan Hanriot muni d'un moteur de 50 CV Clerget.
La commémoration du centenaire de l'atterrissage de Védrines remet en lumière la richesse de l'histoire aéronautique du Lauragais, notamment avec ses phares aéronautiques, construits vers 1925, utilisés par la ligne aéropostale qui acheminait le courrier de Toulouse-Montaudran vers l'Amérique du Sud. Des jalons qui ont guidé des pionniers comme Guillaumet, Mermoz et Saint-Exupéry à travers la plaine lauragaise pour gagner Gibraltar, puis Dakar avant la traversée de l'Atlantique Sud vers le Brésil.
Ainsi, Védrines s'est posé à Castelnaudary le samedi 11 mars 1911, à proximité de l'ancienne usine de céramique Casimir Douarche, située à la sortie de la ville route de Mazères, lieu mythique de l'aéronautique, là où 40 ans auparavant Clément Ader mettait au point l'oiseau en plumes pour effectuer les tous premiers essais aéronautiques de l'histoire de l'aviation. Ces essais, Ader les avait réalisés sur les coteaux de Villeneuve-la-Comptal, ceux-là même que Védrines longea lentement sur sa droite en atterrissant, en guise de clin d'œil au père de l'avion.
Lucien Ariés
Clément Ader en Lauragais, terre d'essais aéronautiques, Lucien Ariès, 2011,
384 pages, en vente dans les librairies.
Crédit photo : collection Lucien Ariès