Le 11 septembre 2001 A l'occasion du dixième anniversaire de l'attentat, nous publions ce récit de Pierre Mercié jusqu'à aujourd'hui enfoui dans ses archives depuis 10 ans, qui avec son épouse Janine se trouvait à New York le mardi 11 septembre 2001. Il raconte comment ils ont vécu cette tragédie toujours vivace en eux, à laquelle ils n'ont peut-être pu réchapper que parce que leur guide a modifié au dernier moment leur programme de visite. Pierre Mercié n'est pas un inconnu pour nous puisque, ancien meunier, il est l'auteur d'un livre sur les moulins du Lauragais et a publié plusieurs articles dans notre magazine Couleur Lauragais. |
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Départ du Canada pour les Etats-Unis
Voilà maintenant dix ans nous arrivions à New York à bord d'un autocar, le lundi 10 septembre au soir, après une longue journée de voyage, terme d'un périple entamé à Montréal une dizaine de jours plus tôt.
Le matin, nous avions quitté un hôtel proche des chutes du Niagara, au Canada, et pour la première fois la pluie était au rendez-vous. Au bout de quelques kilomètres la frontière se trouvait en vue et nous franchissions le lac Erié, qui, à cet endroit, sépare le Canada des Etats-Unis. Il pleuvait toujours, le ciel était très bas et les eaux du lac d'un gris sombre profondément triste.
Le poste de douane de Buffalo passé sans grande difficulté, le voyage devait ensuite nous conduire, sous de fortes bourrasques de pluies, à travers la région montagneuse et boisée de l'Etat de New York, admirant au passage les couleurs des feuilles de milliers d'érables, très changeantes en cette saison de pré automne.
New York. Dernier jour de quiétude
Quand New York est enfin en vue, la soirée s'achève. Nous apercevons les immenses gratte-ciel en bordure du fleuve Hudson et pénétrons dans l'île de Manhattan par le tunnel Lincoln. Après le repas pris avenue de Broadway au Saloon Texas, nous flânons dans ce quartier avant que le guide et le chauffeur décident de nous conduire de l'autre côté de la rivière d'où nous pouvons admirer la ligne des buildings de Manhattan, dominée par les deux tours jumelles du World Trade Center, sans savoir à cet instant, qu'elles n'ont guère plus d'une douzaine d'heures à vivre. La vue est superbe avec les multiples lumières qui se reflètent dans les eaux tranquillement dansantes. Le calme qui règne est impressionnant, d'autant que nous observons d'un endroit désert et assez sombre. A les voir là si imposantes, dans tout leur gigantisme, nous ne pouvons nous douter que leurs mille feux éclairent pour la dernière fois, la nuit de cette immense ville, et qu'elles seront littéralement balayées en l'espace de quelques mi-nutes au cours des prochaines heures.
New York, avenue de Broadway,
le 10 septembre 2001 vers 21 heures. Dernière nuit de quiétude.
crédit photo : Pierre Mercié
La douceur de la nuit et la quiétude qui se dégageaient du site, ne laissaient en rien imaginer qu'un plan machiavélique échafaudé par des extrémistes particulièrement sanguinaires était déjà en marche.
Début de matinée, visite de Manhattan et des tours jumelles
La nuit passée à l'hôtel nous a permis de récupérer des fatigues du voyage de la veille. Une fois levés et le petit déjeuner pris nous partons à nouveau en direction de Manhattan, accompagnés par un beau soleil qui a succédé à la pluie.
Il est 7 heures 50 minutes lorsque nous apercevons les deux tours du World Trade Center. Je saisis l'espace d'un instant mon appareil photos afin de les fixer sur le film négatif. Mais, j'y renonce aussitôt car le bus bouge et roule assez vite, l'image sera probablement floue. Je dis à ma femme que je trouverai à les prendre plus tard, depuis la "terre ferme". Elle m'approuve : "tu auras bien le temps, elles ne seront pas parties d'ici ce soir… ". Cette phrase est encore aujourd'hui profondément ancrée en moi et me laisse une impression quelque peu surréaliste. Qui, en effet, aurait pu imaginer à ce moment là, qu'elles avaient à peine une seule heure à vivre ? Personne ! Pas même le plus fantaisiste d'entre nous n'aurait osé envisager, ne serait-ce qu'un instant, un tel scénario catastrophe.
New York. Début de l'incendie des tours. A cet instant, les passants s'interrogent encore sur la nature du sinistre. crédit photo : Janine Mercié |
La population New Yorkaise fuit le périmètre des tours. Sur la chaussée, on remarquera le policier qui régule la circulation. crédit photo : Janine Mercié |
Changement d'itinéraire
Le tunnel Lincoln franchi, le guide nous informe que nous allons d'abord passer à La Poste pour nous permettre d'acheter des timbres. Nous sortons du bureau à 8 heures 25 et le bus nous conduit vers l'avenue de Broadway où une accompagnatrice new-yorkaise nous attend. Il est 8 heures 35 lorsque le bus s'ébranle à nouveau dans le plus grand calme. Initialement le programme de la visite de New York devait débuter par le sud et par la visite (aux environs de 8 heures 45 ou au plus tard 9 heures), des deux tours du World Trade Center (1). Mais notre guide nous fait savoir au micro, qu'il est plus judicieux de commencer la visite par le nord et Central Park, plutôt que par le sud comme prévu au départ, car le repas de midi est réservé à Chinatown, situé non loin des tours jumelles. Nous aurons ainsi ensuite plus de temps pour effectuer la visite de ces deux géantes. Et dans ces conditions, cette visite est prévue entre 10 et 11 heures. A cet instant, sans le savoir, notre guide venait (peut-être), de sauver notre vie… ainsi que la sienne !
Depuis, une question revient sans cesse : si le programme initial avait été respecté, où aurions-nous été au moment de ce terrible attentat ? Près des tours, à l'intérieur de l'une d'entre elles, ou bien assez éloignés pour ne pas être victimes de cette aveugle folie destructrice ? Comme dans de telles circonstances, on ne sait que penser, sauf si l'on évoque la destinée, ces questions resteront à tout jamais sans réponse, nous laissant, au fond de nous même, une impression sinistre et glaçante. Toutefois, une chose est quasi certaine, nous aurions sans doute été pris dans le nuage de poussière provoqué par l'effondrement des tours.
Les tours sont attaquées
Nous cheminons depuis un petit moment lorsque nous abordons la 5ème avenue. Notre accompagnatrice interrompt tout à coup son commentaire pour s'exclamer et nous faire remarquer l'imposant pa-nache de fumée, qui barre l'horizon entre les immenses immeubles. Elle poursuit en précisant, "il doit y avoir un très gros incendie".Sur ces entrefaites, nous croisons toutes sirènes hurlantes, des camions de Pompiers (2) qui ''foncent'' vers ce que nous croyons, à cet instant, n'être qu'un important incendie.
De retour de Central Park nous prenons à nouveau la 5ème avenue en direction des tours, et à notre étonnement une énorme fumée barre cette fois tout le fond de l'artère. Les trottoirs débordent d'une foule agglutinée et tous les regards sont tendus dans une même direction. La circulation devenue plus intense, permet difficilement de se frayer un chemin. Non sans interrogations nous continuons notre parcours jusqu'au building du centre Rockefeller où une pause visite est prévue. Et c'est précisément là, par morceaux successifs, que nous allons apprendre la véritable cause de cette troublante effervescence. A peine le bus immobilisé, un New Yorkais frap-pe nerveusement à l'une des vitres pour interpeller notre guide qui l'écoute calmement. Tout d'un coup une exclamation mêlée d'effroi, s'échappe de sa gorge. "Oh mon dieu, quelle horreur, un avion vient de percuter une des tours jumelles ; 40 000 personnes y travaillent !" Personne ne dit mot, mais à ce moment-là, chacun pense à un tragique accident tout en s'interrogeant sur le sort des occupants. Mais voilà que peu après, une autre nouvelle nous parvient : la deuxième tour vient aussi d'être touchée dans les mêmes conditions. Dès lors tout le monde songe confusément, mais sans réellement y croi-re, à un at-tentat ; mais cela nous est confirmé quelques instants plus tard par les deux guides, incrédules, à la lecture des bandeaux à cristaux liquides, qui défilent sous leurs yeux stupéfaits.
Par la suite, au gré des discussions, les accompagnateurs devaient nous avouer ne pas comprendre cette série d'attaques meurtrières, car comme beaucoup de leurs compatriotes Américains, bien abrités par les immenses océans entourant leur continent, rien, pensaient-ils, ne pouvait leur arriver. Ils ne comprenaient donc pas pourquoi ils venaient d'être touchés (pouvaient être touchés), au cœur même de leur propre pays.
Cet abominable attentat, où de nombreuses personnes innocentes ont perdu la vie dans des conditions bien souvent horribles, a donc brutalement fait prendre conscience au peuple Américain de la vulnérabilité de leur territoire.
Devant l'importance prise par l'incendie, les personnes s'éloignent comme ils le peuvent, monopolisant toute l'artère et la disputant aux voitures. crédit photo : Pierre Mercié |
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Nous assistons au chaos
Dès lors, plus ou moins abasourdis, nous déambulons sans but précis aux alentours du building Rockefeller. Un ordre d'évacuation des immeubles ayant été donné par les autorités, les New Yorkaises et New Yorkais s'agglutinent désormais en masse sur les trottoirs devenus noirs de monde. Les visages des piétons sont graves, aucun sourire, ne serait-ce qu'un instant, n'est perceptible. De nombreuses personnes, les vêtements et le visage couverts de poussière, l'air un peu hagard ou hébété, passent devant nous. L'une d'entre elles, porte au dos de sa veste la marque empoussiérée d'une main ouverte. Au détour d'une avenue un homme en costume à la cravate largement dé-faite, téléphone d'un air anxieux. Tout à coup il se met à pleurer doucement en même temps que son corps glisse lentement le long du poteau contre lequel il était adossé ; et il reste là, assis, avachi, les jambes partiellement écartées, le regard totalement perdu. Nous traversons l'artère en nous faufilant à travers les automobiles pratiquement immobilisées. Dans l'une d'entre elles une personne téléphone en pleurant. Comme la circulation semble reprendre un peu, la voiture s'ébranle emportant son chauffeur quelques mètres plus loin avec son chagrin. Devant tant de détresse, nous restons muets et mesurons toute notre impuissance.
Comme il est midi, nous prenons le bus afin d'aller déjeuner dans le restaurant qui nous a été réservé, non loin des deux tours. Mais tout le quartier est désormais bouclé et malgré les louables efforts de notre chauffeur essayant plusieurs itinéraires, il ne parviendra pas à nous amener au point fixé, buttant sur le périmètre de sécurité imposé par les autorités.
Sortir de Manhattan
Après avoir dû nous résoudre à prendre le repas dans un restaurant de fortune situé vers le secteur de Greenwich village, nous reprenons l'autocar et tentons de sortir de l'île de Manhattan. Mais outre la circulation devenue inextricable, tous les tunnels ainsi que tous les ponts sont fermés. Sur la plupart des grandes artères, la moitié de la chaussée est réservée au passage des secours : pompiers, police et ambulances que nous voyons défiler toutes sirènes hurlantes, parfois par plus d'une dizaine, vers les hôpitaux les plus proches. A proximité de ceux-ci à même le sol, des dizaines de civières attendent les blessés. Des infirmières ou infirmiers poussent en courant au milieu des rues, des chariots remplis de bouteilles pour perfusions, et de toutes sortes de pansements ou médicaments.
Sur l'autre moitié des grandes avenues, laissée à la circulation courante, se croisent comme le peuvent, voitures, bus, et quelques camions, progressant mètre par mètre, à la suite de longues attentes.
C'est ainsi que partis pratiquement du sud de Manhattan, nous avons traversé au pas tout ce secteur de New York, en passant notamment par Harlem, le Bronx pour enfin trouver vers 19 heures, tout au nord de l'île, un pont qui nous permit de sortir de cette souricière.
Repartir ?
Dès les attentats commis, tous les transports aériens furent brutalement stoppés et tous les avions cloués au sol jusqu'à nouvel ordre sur l'ensemble du territoire des Etats-Unis. Nous sommes alors restés bloqués une semaine supplémentaire, sans aucune possibilité de sortir du continent Américain. Cherchant alors une issue depuis le Canada, nous y avons rencontré autant de difficultés et avons dû rebrousser chemin vers Boston. Avec l'océan Atlantique nous séparant de l'Europe, nous avions vraiment l'impression d'être pris dans une nasse, un véritable piège.
A ce moment là, j'ai partiellement compris pourquoi les Américains se sentaient faussement à l'abri dans ce lointain continent.
Pierre Mercié
(1) La première tour a été percutée par les terroristes à 8 heures 46.
(2) Que sont devenus ces Pompiers ? Avec ma femme, aujourd'hui encore, nous nous posons souvent la question.
Avaient-ils rendez-vous avec la mort en tentant de sauver autrui ?
C'est fort probable car ils étaient parmi les premiers à se rendre sur les lieux de l'attentat.