Lauragais 1211 : Si l'on dit 1515, tout le monde connaît la réponse, mais 1211 ? Et pourtant, cette année-là, les populations du Lauragais se sont trouvées en première ligne face à la croisade. Et le "pays cathare" a vécu un tournant majeur dans le cours de son histoire. |
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La curée
Depuis 1209, francimans, bourguignons, champenois, bretons, normands, anglo-normands, frisons et allemands, occupent les pays d'Oc, le glaive à la main. Ils sont là pour "éradiquer le venin de l'hérésie qui infeste les populations et les détourne de la connaissance du Christ". Car la population bien qu'étant en majorité catholique, protège ses Bons Hommes et Bonnes Femmes (noms que se donnaient eux-mêmes à l'époque les cathares). Le pape Innocent III promet à tout combattant venant ici faire sa quarantaine (service militaire de quarante jours), les mêmes indulgences qu'aux croisés combattant en Terre Sainte.
On voit déferler barons, chevaliers et sergents d'armes, arborant une croix cousue sur la poitrine. Des aventuriers de tout poil se sont joints à l'ost du Christ pour participer à la curée. Il ne fait pas bon tomber aux mains des ribauds, ces féroces va-nu-pieds, armés de couteaux. Ils ont massacré les habitants de Béziers, catholiques et catha-res confondus, avant même que les troupes croisées n'entrent dans la ville. Il y a également les routiers aragonais, au service de Simon de Montfort. Ce sont des mercenaires, attirés par le butin. Ils ont mis le feu à la ville de Fanjeaux après avoir pillé les maisons, en 1209. Les pires exactions sont légitimes car Rome a "exposé en proie" le pays d'Oc (autrement dit, le pays appartient à tout conquérant catholique qui voudrait s'en emparer).
Bram pour l'exemple
Nous voici à quelques jours de Noël de l'an 1210. Cela fait un an et demi que les croisés sont arrivés. Or les occitans résistent encore, notamment au château de Cabaret. Les croisés se sont jurés depuis Béziers, "que dans chaque ville fortifiée qui refuserait de se rendre, tous les habitants, dès qu'elle serait prise d'assaut, seraient passés au fil de l'épée. Il ne s'en trouverait plus aucune qui osât leur résister, tant la terreur serait grande après de tels exemples" (extrait de La Canso de la crosada). Montfort se dit que pour impressionner les défenseurs de Cabaret, il faut faire un exemple. Il choisit une proie facile : Bram.
Bram résiste pendant trois jours avant de tomber aux mains des croisés. Montfort rassemble alors tous les défenseurs sur la place : ils sont une centaine. Il donne ordre qu'on leur coupe le nez et qu'on leur crève les yeux. Le castrum et la seigneurie de Bram sont attribués par Simon de Montfort au croisé français Alain de Roucy. L'église de Bram est donnée au monastère de Prouille que vient de fonder le prêcheur castillan Domingo de Guzman, futur saint Dominique.
Le sire de Laurac sonne la révolte
Vers la fin mars 1211, Montfort a achevé de conquérir toute la vicomté de Carcassonne, en prenant Cabaret. Son prochain objectif est Lavaur, en pays toulousain : Lavaur que les clercs lui décrivent comme la synagogue de Satan. Lavaur accueille de nombreux croyants cathares venus notamment du Lauragais. Ces pauvres gens fuient devant la guerre. Ils viennent se mettre sous la protection de la châtelaine Guiraude de Laurac. Dame Guiraude, sœur d'Aymeric et fille de Blanche, la ma-triarche cathare de Laurac. Elle a perdu son châtelain de mari qui n'est jamais revenu d'une chevauchée contre un seigneur du voisinage. Guiraude appelle au secours son frère Aymeric. Ce dernier n'a plus rien à perdre. "Les croisés lui avaient enlevé Montréal et Laurac et tout le reste de sa terre" (Canso de la crosada). Aymeric quitte le camp de Simon de Montfort dans lequel il était assigné à résidence et fonce à bride abattue vers Lavaur en compagnie de ses fidèles chevaliers du Lauragais. Il sait que désormais, aux yeux de Simon de Montfort, il est un de félon, un parjure. Guiraude demande également du secours à son suzerain, le comte Raymond VI de Toulouse. Ce dernier lui envoie Raymond de Ricaud, son vieux sénéchal, plus cinq chevaliers et quelques hom-mes d'armes. Une misère.
Trente sept jours héroïques
- Quand l'armée de Simon de Montfort se présente devant Lavaur, Guiraude de Laurac refuse de livrer les hérétiques de la ville. Un siège en règle commence. Aymeric et sa sœur tiennent bon sous le pilonnage des pierrières.
Finalement, après trente sept jours de résistance acharnée, le 3 mai 1211, fête de la Sainte Croix, un pan du rempart nord, miné, s'écroule. Les croisés s'engouffrent aussitôt par la brèche et se répandent dans la ville. Submergés par le nombre, Aymeric de Laurac, et ses chevaliers sont capturés, ligotés.
Le chef de la croisade fait pendre Aymeric, ainsi que ses quatre-vingt compagnons chevaliers du Lauragais qui ont défendu Lavaur. Quant à Guiraude De Laurac, elle est précipitée dans un puits et recouverte de pierres.
Le jour où tout a basculé pour le Lauragais
Le destin du Lauragais a basculé en ce 3 mai 1211, à Lavaur, au bord de la rivière Agout. Du fait de la disparition d'Aymeric de Laurac, Laurac perd son rang de capitale du Lauragais. Certes, son neveu Bernard-Othon de Niort essaiera dix ans plus tard, de recouvrer la seigneurie de Laurac. Il donnera du fil à retordre à l'Inquisition, mais il sera emprisonné. Laurac-le Grand, sombre dans l'oubli, tandis que Castelnaudary, bonne ville marchande, va s'épanouir dans la plaine du Lauragais, émergeant comme nouveau centre administratif, judiciaire et marchand du Lauragais royal.
La fine fleur de la chevalerie lauragaise ayant été éliminée d'un coup, Montfort fait la distribution des seigneuries vacantes à ses principaux lieutenants.
Le sacrifice de Guiraude de Laurac
Guiraude est qualifiée par les clercs haineux qui accompagnent la croisade de «heretica pessima» (la pire des hérétiques). Elle incarne la résistance occitane face à l'envahisseur. Guillaume de Tudèle, bien que favorable à la croisade, s'indigne du martyre que les soldats croisés lui ont fait :
Estiers dama Girauda qu'an en un potz gitat,
De peiras la cubriron ; don fo dols e pecatz,
Que ja nulhs hom del segle, so sapchatz de vertatz,
No partira de leis entro agues manjat.
[En outre dame Guiraude qu'ils ont dans un puits jetée,
De pierres ils la couvrirent ; ce qui fut crime et péché,
Car nul homme au monde, sachez-le en vérité
Ne se sépara d'elle, sans qu'il eût mangé.]
Aujourd'hui, huit cents ans après, à Lavaur (Tarn), le puits a disparu. Sur l'esplanade du Plô, à l'emplacement du castel, une stèle a été élevée à la mémoire de Dame Guiraude. Sur la stèle, figure la colombe, allégorie de la paix cathare dont parle Anne Brenon.
En 2008, la ville a baptisé sa médiathèque du nom de Médiathèque Guiraude de Laurac, pour les motifs suivants : "Le sens de l'accueil, l'esprit de tolérance et la liberté de pensée, qui caractérisaient la châtelaine de Lavaur, ont imprégné notre cité et fondé l'identité vauréenne. En hommage à Dame Guiraude, le nom de la médiathèque s'est imposé".
Napoléon Peyrat, a forgé le mythe de Guiraude, fière madone de tous les proscrits, en 1870, dans son "Histoire des Albigeois". Prosper Estieu, le félibre de Fendeille lui a dédié un poème vibrant en 1908 : "Voici la procession des évêques mitrés ! Prenez des vêtements de deuil, gens de Lavaur, et pleurez ! Au fond d'un puits, sous les cailloux, Guiraude est morte !... ".
Livrée aux soldats de Simon de Montfort, diabolisée par les clercs, lapidée, martyr du catharisme, Guiraude, femme de caractère, incarne, mieux encore qu'Esclarmonde de Foix, ou le jeune Trencavel, le combat occitan.
Une pierrière manœuvrée par les croisés (miniature médiévale) |
Guiraude jetée au puits, gravure XXe siècle |
Les Bons Hommes et Bonnes Femmes capturés à Lavaur, préfèrent mourir plutôt que d'abjurer leur foi cathare. Les croisés les jettent dans le brasier "avec une joie extrême", dit Pierre des Vaux-de-Cernay. Selon ce chroniqueur, les brûlés sont une infinité. Trois cents pour Guillaume de Puylau-rens, quatre cents d'après Guillaume de Tudèle. C'est, quoi qu'il en soit, le plus grand bûcher collectif de la croisade ! De nombreux croyants du Lauragais ont péri ce jour là.
La stratégie de la terreur appliquée par Simon de Montfort, provoque un vent de panique. Les villages du Lauragais qui étaient en-core habités, se vident. Les familles entières, affluent vers le castrum de Roque-fort, perdu dans la Mon-tagne Noire, au dessus du gouffre de Malamort. D'au-tres prennent le chemin de Montségur, la citadelle ré-putée inexpugnable, ou tout simplement se terrent dans des cabanes au fond des bois ou dans les spoulgas, les grottes pyrénéennes.
Le bûcher des Cassés
C'est, ensuite, au tour des Cassés de tomber devant les croisés après quelques jours de résistance. A l'époque, le castrum des Cassés dresse ses tours sur un éperon rocheux, battu par le Cers et l'Autan. Cet endroit que l'on appelle aujourd'hui le Fort, se trouve à quelques cinq cents mètres du village actuel. Comme à La-vaur, des familles de croyants cathares du Lauragais, s'entassent dans une tour du castrum des Cassés sous la protection des seigneurs des lieux les Roqueville.
Les clercs qui accompagnent la croisade, tentent de convertir les Bons Hommes et Bonnes Femmes des Cassés. Sur quatre-vingt quatorze, ils sont une soixantaine à préférer mourir que d'abjurer leur foi. Alors, Montfort ordonne qu'on allume un bûcher et que les "parfaits hérétiques" périssent dans les flammes, sans autre forme de procès.
Les Cassés : le site du Fort sur lequel s'élevait le castrum disparu
crédit photo : Michel Mirgon
La trahison de Montferrand
Après le bucher des Cassés, les croisés font mouvement vers Montferrand. Car ce village fortifié est le verrou stratégique du Lauragais, contrôlant l'antique voie romaine et le col de Naurouze.
Montferrand est tenu par le comte Baudouin. Le castrum lui a été confié par le comte Raimond VI de Toulouse. Il dispose de quatorze chevaliers et une poignée de sergents et arbalétriers.
Lorsque Simon de Montfort se présente devant Montferrand, Baudouin refuse d'ouvrir. A moins d'un miracle tous seront tués ou pris avant le coucher du soleil. Côté croisés, ils sont plus de dix mille, serrés en masse. Ils dressent les pierrières, en un défilé. L'ordre est donné : "Que tous apportent de quoi combler les fossés !". Du haut des créneaux, le comte Baudouin et ses chevaliers brûlent les arbres, les branches et tout ce que jettent dans le fossé les assaillants. Les jours passent. La résistance est acharnée. Simon de Montfort s'impatiente. Il envoie un héraut croisé qui sonne de la trompe et lit le message suivant : "Sire comte Baudouin, venez à nous en toute sécurité ! Messire le comte de Montfort vous attend hors les murs. Tous nos barons désirent faire un accord avec vous !". Baudouin sort de la place pour parlementer. Simon de Montfort l'accueille sous sa tente et lui promet un gros fief dans une autre région, s'il livre sur le champ Montferrand. L'offre est alléchante, Baudouin accepte.
Après avoir pillé les maisons et chargé sur des chariots tout ce qu'ils pouvaient emporter, les croisés lèvent le camp.
Le siège de Castelnaudary
En septembre 1211, Simon de Montfort dispose de cinq cents sergents et hommes d'armes. C'est insuffisant pour tenir une contrée vaste et hostile. Les lieutenants de Simon de Montfort ne cachent pas leur lassitude de voir que les occitans reprennent une à une les places si chèrement conquises. Certains veulent rentrer en France munis d'un parchemin attestant du nombre d'indulgences qu'ils ont gagnées en faisant leur quarantaine. D'autres proposent d'attendre des jours meilleurs à la cité de Carcassonne ou à Fanjeaux, l'une des plus fortes places du pays lauragais, avec ses épaisses murailles et ses quatorze tours. Or, Hugues de Lacy, un anglo-normand qui fut vice-roi d'Irlande et possède un sens aigu de la stratégie, propose au contraire de s'enfermer dans Castelnaudary, "el plus frevol castel" (le château le plus faible), afin d'attirer l'ennemi. Simon de Montfort se laisse convaincre. Il se retran-che dans Castelnaudary, en attendant les renforts qu'il a envoyés chercher du côté de Narbonne.
Le comte Raymond de Tou-louse, accourt aussitôt à Castelnaudary pour assiéger Montfort. Les troupes occitanes sont une coalition forte sans doute de plusieurs milliers d'hommes. La croix raymondine flotte sur le campement, établi sur un pech à l'est de Castelnaudary. Les habitants des faubourgs de Castel-naudary voient se dresser tentes et pavillons "surmontés d'une boule d'or et d'un aigle de fer". Ils vont immédiatement rendre hommage au comte de Toulouse.
Les Toulousains dressent les pierrières, mais la pierre du Lauragais est gélive, friable.
Les Toulousains ceinturent leur camp de palissades et de fossés. Le comte de Foix, moins attentiste que le comte de Toulouse, tente un assaut contre la porte Mauléon. Mais il est repoussé. La nuit, ce sont les Toulousains qui doivent repousser plusieurs sorties de Simon de Montfort, "si bien qu'on aurait dit des assiégés et non pas des assiégeants", ironise Pierre des Vaux de Cernay.
La bataille de St-Martin Lalande - Lasbordes
Pendant que le comte de Toulouse recherche des pierres pour bombarder Castelnaudary, le comte de Foix passe une nouvelle fois à l'action. Il a appris que des renforts ve-nant de Carcassonne, font route vers Castelnaudary. Ils amènent vin, froment, pain cuit et avoine, à Simon de Montfort.
Le comte de Foix, a son plan pour intercepter le convoi. Il commence par déloger de Saint-Martin Lalande la petite garnison croisée qui tient le castrum. Du haut de Saint-Martin, il voit monter vers Lasbordes une nuée de poussière annonçant la colonne de chariots qui avance lentement, au pas, sur le chemin, et l'escorte commandée par le français Bouchard de Marly et composée de cent-soixante chevaliers, ainsi que plusieurs centaines d'hommes d'armes à pied.
Le comte de Foix a tout loisir de ranger ses troupes : au centre les quatre cents chevaliers occitans montant leurs puissants destriers, sur un flanc la cavalerie légère et sur l'autre flanc, la piétaille armée de lances, et plusieurs centaines d'arbalétriers ainsi qu'un millier de routiers d'Espagne.
Le champ de bataille
A quel endroit le choc se produit-il ? D'après la Canso "a sant marti a las bordas", dans la plaine du Lauragais. D'après la tradition orale, c'est à hauteur de Pech-Redon, une butte bordant le chemin qui relie Lasbordes à Saint-Martin Lalande, à la limite des deux communes actuelles, à huit kilomètres à l'est de Castelnaudary. Le comte de Foix, en guerrier expérimenté, a pu dissimuler ses troupes derrière la bosse de Pech-Redon, afin de jouer de l'effet de surprise.
La butte de Peh-Redon, entre Lasbordes et St Martin Lalande crédit photo : Alain Calmette |
Les armoiries de Lasbordes sculptées sur le clocher de l'église du village donnent une idée des fortifications disparues : une tour et des remparts crénelés, une porte d'entrée voûtée de style roman. crédit photo : Alain Calmette |
Certains auteurs parlent de la "bataille de Castelnaudary" ou de "bataille de Saint-Martin Lalande", ou encore, de "bataille du Fresquel". Nous voulons bien, mais la vérité historique nous impose de nommer cette bataille, la bataille de Saint-Martin Lalande - Lasbordes. Le convoi des croisés après avoir traversé Lasbordes et passant à Pech Redon, est accueilli par une grêle nourrie de flèches et carreaux d'arbalètes. Bouchard de Marly et les croisés, battent en retraite. Ils se replient vers Lasbordes, abandonnant au milieu du chemin les chariots chargés de vivres. Voyant cela, les routiers, cessent bientôt de combattre aux côtés des occitans. Ils pillent les chariots.
Simon de Montfort, averti de la situation, n'a pas d'autre choix que de sortir de Castelnaudary. D'autant que son épouse la comtesse Alix de Montmorency se trouve dans le convoi. Mais cela, les assaillants l'ignorent sans doute. Le "comte fort" sort de Castelnaudary, avec ses soixante chevaliers bardés de fer. Et, galopant à travers la plaine, bannières au vent, il vient à Saint-Martin et Lasbordes, pourfendre les chevaliers occitans.
La mêlée qui s'ensuit, fait de nombreuses victimes. On les ramassera, la nuit venue, à coups de charrettes. La Canso dit que, des deux côtés, des gros et des maigres sont morts, "d'ambas partz n'i morion de magre e de gras".
Qui est le vainqueur ? Le lendemain, on a crié victoire dans les deux camps. Et en quelques semaines, les occitans vont reprendre une cinquantaine de places fortes
Jusqu'alors, la croisade a consisté en une "guerre des châteaux". La bataille de Saint-Martin-Lasbordes est la première bataille rangée en rase campagne entre les Occitans et les Français.
Les occitans ont raté l'occasion de remporter la victoire décisive contre la croisade. Lors de la bataille, Simon de Montfort est sorti de Castel-naudary, n'y laissant qu'une poignée d'hommes d'armes. Le comte de Toulouse aurait pu profiter de l'aubaine pour investir la place. Il aurait pu venir à la rescousse des occitans. Il les a laissés se faire occire. De son côté, au soir de la bataille, Simon de Montfort, se garde de lancer un assaut contre le camp des toulousains, car ses effectifs sont insuffisants. Il chevauche jus-qu'à Carcassonne afin de lever de nouvelles troupes. Il apprend alors que le comte de Toulouse a décampé de Cas-telnaudary.
La bataille de St-Martin-Las-bordes préfigure la bataille de Muret qui aura lieu deux ans plus tard. Le manque de stratégie et de cohésion de commandement dont a fait preuve la coalition occitane en 1211 aboutira à la défaite militaire des occitans en 1213.
Une bataille épique
On trouve le récit de cet affrontement dans les chroniques de Guillaume de Puy-laurens, Pierre des Vaux-de-Cernay et Guillaume de Tudè-le. Ce dernier s'écrie : "- On n'a pas vu pareille bataille depuis Roland et Charlema-gne !". L'auteur de la Canso de la Crosada y consacre plus de trois cents alexandrins. Voici le début :
Li Frances de Paris e cels de vas Campanha
Vengon a Castelnou rengat per mei la plana
Mas lo coms de Foiss, ab tota sa companha
Lor es e mei la via e li roter d'Espanha […]
Lo coms de Foiss cavalga ab sos companhos
A Sant Marti a las Bordas, c'aital era sos noms.
Las astas dressas els primairas arsos
Van escridan : Tolosa pel plan qu'es bels e longs
Li arcbalesters trazon sagetas et bosos
Tals fo cridaditz que feron e.l resos
Disseratz qu'er caira e lo cels e lo tros […]
Us cavalers de lai, Girauds de Pepios
Qu'es ab lo comte de Foiss, del melh de sos barreaus
Vai brochan lo destrier dels tranchant esperos
Un companh d'en Bochart, que era Bretos
Trobet e mei la via a l'issent d'us boissos
Per l'escut le feri,trauquet li los brazos
E.l perpunch e l'ausberc, que dareir pels arsos
Li metz un trotz de lansa; sancnens fo lo peno
Cel cazec mortz a terra senes cofessios
Can li Frances o viron, fortement en sos felos
A la rescossa corron, ira coma leos
Les Français de Paris et ceux de Champagne viennent vers Castelnaudary, en rang au milieu de la plaine.
Mais le comte de Foix, est sur leur chemin, avec ses gens et les routiers d'Espagne […].
Le comte de Foix chevauche avec ses compagnons à Saint Martin, à Lasbordes, car tel était le nom des lieux. Leurs lances dressées sur les arçons de devant, ils vont, s'écriant "Toulouse !", à travers la plaine qui est belle et longue. Les arbalétriers tirent flèches et carreaux. La clameur qu'ils firent et l'écho furent tels qu'on eût dit que le ciel et le tonnerre s'écroulaient […]
Un chevalier du pays, Guiraud de Pépieux, qui était l'un des meilleurs barons du comte de Foix, chargea, piquant son destrier de ses éperons acérés. Il trouva sur son chemin, en sortant d'un bois, un compagnon de sire Bouchard [de Marly], un Breton : il le frappa à travers l'écu, lui perça garde-bras, pourpoint et haubert, si bien qu'il lui planta un bout de sa lance dans les arçons de derrière. Son fanion en fut ensanglanté. Celui-ci tomba mort, par terre, sans confession. Quand les Français virent cela, ils en devinrent furieux. Ils coururent à la rescousse, comme des lions en colère…
Bataille de Saint Martin Lalande- Lasbordes, dessin de la Canso de la Crosada (XIIIe s.)
Huit cents ans d'effacement
Oui, au cours de ces années noires, le pays des troubadours, le pays cathare, fut écrasé, martyrisé dans sa chair et dans sa culture.
Hélas, pendant de longs siècles, on n'avait pas le droit de dire que Bram, Lavaur, les Cassés, ont été victimes d'un bourreau froid, calculateur et implacable appelé Simon de Montfort. On n'avait pas le droit de dire que la croisade fut tout à la fois l'instrument d'un totalitarisme religieux et le prétexte d'une guerre de conquête. On n'avait pas le droit de dire que c'était une croisade : le nom officiel de cette expédition sanglante était le "negotium pacis et fidei", l'affaire de la Paix et de la Foi !
Le travail d'effacement a été initié il y huit-cents ans par les chroniqueurs de l'époque, hostiles, pour la plupart, à la cause occitane.
Ainsi, Pierre des Vaux-de-Cernay affirme sans sourciller que "jamais le noble comte (Simon de Montfort) ne se complaisait à un acte de cruauté ni aux souffrances d'autrui. Il était le plus doux des hommes…" Le travail d'effacement s'est poursuivi par la destruction systématique du patrimoine architectural des castra. Comme on le sait, nos châteaux dits cathares, n'ont de cathare que le nom. L'effacement serait total s'il n'y avait eu les travaux de Jean Duvernoy, Michel Roquebert ou Anne Brenon, pour révéler la vraie histoire.
Alain
CALMETTES
Président de l'Association
Lauragais au Cœur
Dimanche 25 septembre 2011, Saint-Martin Lalande et Lasbordes commémorent la grande bataille de 1211 |