En Lauragais les premières églises, construites avec les techniques de l'époque et les matériaux locaux (terre crue, bois, mauvaises briques, pierres non équarries et terre) n'ont pas résisté aux injures du temps et aux diverses invasions dévastatrices. La couverture, sujette aux incendies et au pourrissement quand elle était constituée en bois et chaume, était aussi un élément de fragilité ; sans couverture l'édifice est rapidement ruiné. Au début de la christianisation, aux IVème et Vème siècle, le Lauragais possède encore de vastes espaces inexploités, avec des landes et des marécages ; de grandes forêts couvrent les collines, ainsi que le sillon du Lauragais entre Avignonet et Baziège. Le Lauragais a conservé un témoin indiscutable du début de la christianisation, à Montferrand (lieu-dit Peyre Clouque, ancien Elusio) au seuil de Naurouze, avec les vestiges de la basilique paléochrétienne du IVème siècle à nef centrale terminée par une abside ronde, légèrement outrepassée, et plus d'une cinquantaine de sarcophages. C'est au pape Etienne III en 768, que l'on doit la décision d'ériger le premier clocher de la chrétienté, à Rome, pour abriter les trois cloches symbole de la trinité. Des édifices romans ancestraux - Vers l'an mille, l'art roman avec la voûte en berceau (arc en plein cintre) améliore la technique de construction des églises et conduit à des édifices plus durables. Le Lauragais se pare de clochers particuliers, appelés clochers-murs, véritables murs ajourés porteurs de cloches. Dans ces clochers ajourés, la cloche est à l'air libre et comme suspendue au ciel ; elle laisse entendre un son rude et clair, le choc du métal, la frappe, un peu de son âme qui se disperse au loin dans la campagne. Dans la partie est du Lauragais et notamment côté audois les constructions se font en utilisant la pierre locale ou celle des carrières de la Montagne Noire ou des coteaux (Villeuve-la-Comptal, Mas-Saintes-Puelles et autres). Ces églises en pierre sont les mieux conservées, certaines remontent au XIème siècle, comme Saint-Pierre-d'Alzone à Montferrand, Notre-Dame à Cazalrenoux (véritable vaisseau de pierre), Notre-dame de Payra-sur-l'Hers (clocher du XVIIIème siècle), d'autres au XIIème siècle comme Notre-Dame de l'Assomption à Baraigne, Notre-dame-de-Noumérens (au sud d'Auriac-sur-Vendinelle) ou au XIIIème siècle comme Notre-Dame à Montferrand, située sur le sommet (vers 1300).
Côté toulousain le matériau de choix est la brique de terre cuite dont la cuisson à température élevée conduit à une résistance mécanique remarquable (brique foraine). Parmi les églises en briques, celle dédiée à saint Baudile à Aignes, Canton de Cintegabelle (l'église primitive est du XIIème ou XIIIème siècle) et l'église Saint-Antoine de Saint-Orens-de-Gameville du XIIème siècle, sont des plus anciennes. Ces églises romanes se caractérisent par une nef unique (type basilical), berceau de plein cintre, avec une entrée située sur le côté sud pour ne pas affaiblir la rigidité du pignon ouest, porteur des cloches. Ce pignon est très sobre sans ouverture ou presque, tel celui des fermes lauragaises toujours orientées dans le sens du vent (sauf exception, Malbirade mal orienté). Côté est, les églises romanes présentent une abside très étroite, voûtée en plein cintre, parfois en cul-de-four comme à l'église de Baraigne, avec son superbe portail. Le clocher-mur est relativement simple à construire, ne demande pas un grand savoir-faire et ne nécessite pas l'implication d'un architecte spécialisé pour maîtriser les problèmes de structure. Le mur pignon ouest est simplement surélevé et percé de baies ou ouilles (ouvertures avec arc en plein cintre) pour y suspendre les cloches. Les baies sont souvent au nombre de trois, symbole de la trinité, parfois cinq, mais les plus modestes chapelles n'en comportent qu'une seule. De nombreux clochers-murs présentent un pignon pointu triangulaire, mais d'autres se terminent par une ligne horizontale. Clocher-mur pignon (triangulaire) : ce clocher très typé est généralement de petite dimension (une quinzaine de mètres), massif et trapu ; la simplicité de ses lignes et sa silhouette élégante lui confèrent une exceptionnelle pureté. Ce type de clocher avec trois baies campanaires se retrouve dans les églises en pierre de Saint-Pierre-d'Alzone et de Notre-Dame à Montferrand, Notre-Dame à Cazalrenoux, Notre-dame-de-l'Assomption à Baraigne, Notre-dame-de-Noumérens au sud d'Auriac-sur-Vendinelle. Ce type de clocher-mur avec trois baies est aussi présent dans l'église Saint-Antoine de Saint-Orens-de-Gameville du XIIème siècle, en briques.
Les clochers-murs pignons (triangulaire) des plus modestes églises et chapelles (cimetière) romanes ne possèdent qu'une seule baie campanaire, comme celui de l'église Saint-Martin à Vaudreuille, préromane (église du XIIème siècle), nef en pierre et clocher en briques. D'autres au contraire possèdent 5 baies campanaires, tel le clocher de l'église dédiée à saint Baudile à Aignes, rare clocher-mur construit sur la façade sud.
Le clocher peigne ou à arcades : il s'agit d'une variante plus imposante de clocher-mur ; sans pignon pointu, il se termine par une ligne horizontale et dépasse la vingtaine de mètres. Les clochers-peignes présentent généralement 4 baies campanaires, comme celui de l'ancienne église romane Saint-Michel de Belpech (actuellement église gothique Saint-Pierre), dont il ne reste que le portail percé dans le clocher en briques apparenté aux clochers-peignes (XIIème siècle) de 25 mètres de hauteur. Celui de l'église Saint-Pierre de Mayreville, canton de Belpech (église du XIIème siècle) est accosté de deux gros contreforts en larmiers. Certains clochers-peignes sont surmontés de merlons qui donnent un aspect crénelé à caractère défensif, comme le clocher du XIIème siècle de l'église de Plaigne, dédié à saint Pierre et saint Paul (canton de Belpech) modifiée au XVIème siècle (voûtement gothique) qui présente 6 merlons.
Parmi les plus curieux et complexes clochers-murs, il faut citer celui de l'église Saint-Julien de Saint-Julia-de-Gras-Capou, du XIIème siècle, en pierre, qui a remarquablement résisté aux dévastations successives. Ce clocher à deux étages, avec des retraits sur lesquels reposent 4 pinacles ronds en pierre, comporte quatre baies campanaires (deux par étage) et se termine façon clocher peigne couronné de quatre merlons. Des édifices gothiques prennent la relève - Après la croisade contre les Albigeois (1209-1229), le style gothique, venu de l'Ile de France, caractérisé par ses voûtes sur croisées d'ogives, s'impose : églises lauragaises et clochers prennent de la hauteur. Le clocher tour répandu au nord de la France fait alors son apparition en Lauragais et se développe. Clocher tour octogonale : c'est le type de clocher des grosses bourgades et des villes tel le clocher porche de Castelnaudary avec ses 48 mètres de hauteur, bâti sur la base d'une tour carrée du XIIIème siècle de 25 m, une tour octogonale de 11 m surmontée d'une flèche de 12 m portant une boule a été édifiée en 1723, avec des baies à arcature romane. Citons aussi l'église de l'Assomption de Fanjeaux du XIIIème siècle (1278-1281) avec des baies en arcature brisée (gothique), l'église collégiale de Saint-Félix-Lauragais avec des baies en arcature brisée (gothique) et l'église Notre-Dame-des-Miracles d'Avignonet avec sa flèche pyramidale à crochets. Clocher-mur pignon (triangulaire) des églises gothiques : curieusement le clocher-mur du Lauragais a survécu à la Croisade en s'adaptant au style gothique ; les baies campanaires des clochers-murs ont troqué leurs arcs en plein cintre à caractère typiquement roman, contre des arcs en mitre, créant ainsi un type particulier de clocher de style gothique méridional ou toulousain. Ce nouveau type de clocher-mur est celui de l'église Saint-Étienne de Baziège (XIVème siècle), avec un clocher à trois étages de cloches et des façades différentes à l'ouest (cinq baies campanaires, arcs en mitre) et à l'est (sept baies campanaires), et encadré par deux tourelles carrées descendant jusqu'au sol ; ce clocher-mur a été percé de deux portails à la fin du XIXème siècle. L'église Saint-Saturnin d'Ayguesvives (XVIème siècle) comporte un clocher mur massif avec 5 baies campanaires de style roman, le premier étage du clocher est encadré par deux édicules polygonaux couverts en mitre qui peuvent s'apparenter à des sommets de tours latérales. Les clochers des églises de Montgeard et Nailloux sont aussi apparentés à ce type.
Clocher-mur entre deux tourelles, sans pignon : c'est celui de l'église Notre-dame de Villefranche de Lauragais du XIIIème siècle (clocher-mur reposant sur un mur massif percé d'un porche, clocher-mur encadré par deux tourelles polygonales, six baies campanaires avec des arcs en mitre) ; ce clocher a inspiré celui de l'église Saint-Pierre (Noueilles) rebâti en 1852 après écroulement, avec une façade percée de trois baies campanaires (arc en plein cintre) encadré de deux tours garnies de meurtrières. Le clocher de l'église Saint-André de Montgiscard (XIV, XVI, XIXème siècle) avec deux tours polygonales encadrent les deux étages du clocher-mur possédant 6 baies campanaires avec des arcs en mitre. L'église Saint-Saturnin de Villenouvelle (XVIème siècle) possède deux tours rondes et cinq baies sommées d'arcs en mitre.
Cloches et carillons - Le rôle essentiel d'un clocher est évidemment de porter très haut les cloches. Fabriquées en bronze, métal coûteux (anciennement airain, alliage cuivre 78%/étain 22%), très précieux pour fabriquer les canons et autres armes, de nombreuses cloches ont disparu pendant les périodes de guerre et à la Révolution. De nos jours, avec l'engouement de la population pour ce formidable instrument aérien, petit à petit les baies campanaires retrouvent leurs locataires et le Lauragais résonne des sons de nombreux carillons : ceux de Baziège, Castelnaudary, Lagarde, Molandier, Saint-Michel-de-Lanès et Villefranche-de-Lauragais (ordre alphabétique) sont parmi les plus beaux. Les clochers du Lauragais sont plus que jamais bien vivants.
Ainsi, le clocher-mur ne correspond pas uniquement à une économie de moyen, pour une population peu nombreuse, à faible ressource. Le clocher-mur n'est pas que celui de l'église des pauvres, car à l'âge d'or du pastel le Lauragais, au cœur du triangle bleu avait les moyens de se doter de clochers tours, à l'image des grandes villes. En innovant dans la forme de ses clochers-murs ancestraux, l'Occitanie a développé son propre style rivalisant avec les clochers tours. Le Lauragais est ainsi resté fidèle à sa tradition, sorte de résistance aux idées venues d'ailleurs ou simple désir de continuer à entendre dans sa belle campagne ses propres clochers et leurs cloches tinter à la volée, en toute liberté. Lucien Ariès
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