Raymond Garcia, de la pierre au charbon : parcours d'un passionné
Le béret épinglé d'une croix occitane vissé sur la tête, sa salopette rouge en étendard, Raymond Garcia ne se la raconte pas. Les tours que la vie lui a joués sont demeurés au fond d'une escarcelle ; exempt de rancœur, il les conserve simplement pour ne pas oublier d'où il vient. Cette inestimable faculté fait de cet homme, un homme en mouvement, résolument tourné vers l'avenir. A chaque seconde, ses yeux rieurs semblent nous dire la surprise que lui inspire son parcours. Qu'il s'agisse de tailler la pierre aux côtés de son père ou de mettre au point les dernières avancées de l'outil de cuisson qui l'a rendu célèbre, il demeure animé de la même passion. Bien loin des honneurs et du besoin de reconnaissance, ce qui le motive avant tout, c'est la création, avec une appétence particulière pour les choses simples, en un mot, les choses de la vie.
Raymond Garcia et son fameux béret rouge, en arrière plan ses réalisations
Crédit photo : Isabelle Barèges
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L'enfant des retrouvailles
En 1939, le père de Raymond fuit le régime franquiste et s'installe à Bram. En Espagne, il était tailleur de pierre, en France, il acceptera comme bon nombre de réfugiés tous les menus travaux qu'on voudra bien lui confier. Le tâcheron va fabriquer des espadrilles en rafia, réaliser des ouvrages de maçonnerie, et même prêter main forte à la famille de boucher qui va l'accueillir pour un temps. Il lui faudra attendre huit ans pour être rejoint par son épouse avec leurs deux jeunes enfants de 11 ans et 8 ans et demi. Raymond naîtra un an plus tard. Son enfance ressemble à celle de tous les enfants de Bram. L'été, avec une joyeuse équipe composée de son frère, sa sœur et quelques copains, il partage de mémorables baignades dans quelques sablières en cours d'exploitation. Au sein de sa famille, il fait déjà office de bricoleur en fabriquant lui-même nombre de ses jouets ! Lorsque sa sœur lui offre un mécano, il commence à s'adonner à ce qui deviendra sa plus grande passion : bricoler pour améliorer le quotidien.
De la mécanique à l'atelier familial
Adolescent, il se passionne pour la mécanique et intègre logiquement la filière "Constructions mécaniques" du Lycée Technique de Carcassonne au sein duquel il prépare un brevet de technicien. Raymond se souvient d'enseignants exigeants, parfois très durs. "C'était avant mai 68… Dans ces conditions, je n'étais pas très motivé pour poursuivre mes études", se souvient-il.
Le tailleur et un ami déchargent des blocs de pierre en vrac qu'ils sont allés chercher dans la carrière toute proche de Carlipa.
Crédit photo : collection raymond Garcia
Il se lance donc dans la recherche d'un emploi de dessinateur industriel qui lui sera systématiquement refusé car il n'est pas encore dégagé de ses obligations militaires. Dans le même temps, pendant les vacances, Ray-mond accompagne son père sur les chantiers et commence à tailler la pierre. Ce qui ne devait être au départ qu'un petit boulot saisonnier va rapidement se transformer en emploi à temps plein. Le travail ne manque pas et cette nouvelle activité plaît à Raymond. Sa formation en dessin technique va faciliter son apprentissage, son adresse et les précieux conseils de son père feront le reste. Ce dernier laisse de côté les premiers outils mécanisés et lui enseigne comment tailler les pierres dans les règles de l'art, à la main, à l'aide d'un simple marteau et d'un burin. A cette époque, les pierres sont directement livrées sur le chantier et taillées sur place au milieu des artisans afférés à leurs tâches respectives. Au bout de quelques mois, Monsieur Garcia père propose à son fils de reprendre l'affaire familiale. Ce sera chose faite dès 1970. La collaboration père-fils, qui devait se poursuivre le temps que sonne l'heure de la retraite, va pourtant tourner court. Un an après la reprise de l'affaire par Raymond, son père est victime d'une hémiplégie qui le laissera partiellement paralysé.
Désormais, le jeune patron assumera, pleinement et seul, les responsabilités de l'atelier familial.
Cet écusson a été réalisé par l'atelier de Raymond pour le compte de la ville d'Arzens (Aude).
Crédit photo : collection raymond Garcia
La pierre : un élément décoratif majeur
A ses débuts, le jeune artisan réalise en majorité des piliers ou colonnes avec chapiteau destinés à embellir l'entrée des maisons, des soubassements, des éléments de façade... Ces éléments décoratifs traditionnels ornaient les maisons cossues en leur conférant un caractère certain. La construction de cheminées est alors rare, il s'agit majoritairement de constructions d'agrément. En effet, de nombreux propriétaires ont recours au fioul et équipent plutôt leur maison de poêles. Cependant, le premier choc pétrolier va tout à coup changer la donne. L'année 1973 marque la fin d'une époque et l'ouverture d'un nouveau marché pour tous les tailleurs de pierre. La demande de cheminées afflue et Raymond se spécialise rapidement. Compte tenu des changements intervenus dans les méthodes de production, notamment via le recours à la mécanisation, l'artisan propose des équipements pré-assemblés en atelier. En 1978, au moment du second choc pétrolier, la demande augmente de plus belle et des constructions plus perfectionnées font leur apparition : les cheminées équipées de récupérateurs de chaleur par exemple. Au début des années 80, les premiers inserts débarquent sur le marché et sont à leur tour proposés par d'anciens tailleurs de pierre reconvertis en cheministes. Pour des raisons budgétaires, on assiste alors au recours massif à la pierre reconstituée. Cette évolution témoigne de la disparition progressive des tailleurs de pierre traditionnels. La profession a été conduite à évoluer en s'adaptant aux besoins d'un marché qui s'est petit à petit détourné de la dimension ornementale de la pierre. Si cette catégorie d'artisans subsiste encore, c'est principalement à travers le compagnonnage, orienté vers la rénovation de monuments historiques, et l'artisanat d'art. En revanche, le métier, lui, ne se perd pas. Encore aujourd'hui, Raymond se munit de son burin et de son marteau pour reproduire avec un plaisir non feint les gestes ancestraux transmis par son père.
La boucharde sert à frapper la matière pour l'aplanir et crée
du même coup un dessin sur la pierre qui revêt alors un aspect
un peu gaufré. On parle alors d'une pierre bouchardée.
Crédit photo : Isabelle Barèges |
La chasse est utile pour éclater la pierre et permet de faire une coupe franche. On tape dessus à l'aide d'une massette.
Crédit photo : Isabelle Barèges |
Cet outil rectangulaire appelé chemin de fer était destiné à aplanir la pierre ou à réaliser des moulures.
Il s'utilisait principalement sur des pierres tendres.Crédit photo : Isabelle Barèges |
La pierre sur le bout de doigts
L'ancien tailleur de pierre retient de sa vie d'artisan l'amour du travail bien fait. "La taille requiert beaucoup d'adresse, de doigté, il faut sentir la pierre, vivre avec. C'est un matériau vivant au même titre que le bois. Elle a la même noblesse et nécessite des connaissances pointues en géologie. Ses spécificités font de chaque ouvrage un ouvrage unique, je crois que c'est ce qui m'a le plus passionné dans ce métier : je n'ai jamais eu l'impression de réaliser deux fois la même pièce", précise-t-il. Pour se fournir en pierres en vrac, Raymond prenait le chemin des carrières des environs. Pour ce qui était des pierres de taille, destinées à la réalisation des ouvrages les plus ambitieux, l'artisan se les procurait en dehors du périmètre du Lauragais : au Pont du Gard, à Ménerbes en Provence ou encore en Dordogne. Il se souvient que chaque catégorie de pierre était destinée, en fonction de sa dureté, à un usage bien spécifique. Le calcaire, pierre tendre, servait à la fabrication de cheminées d'intérieur. Le grès et le schiste, plus durs, étaient plutôt conseillés dans la construction d'éléments extérieurs. Le granit, la pierre la plus dure et la plus résistante, pouvait être préconisé en intérieur comme en extérieur, tout comme la pierre marbrière. Raymond affectionnait particulièrement la pierre tendre, agréable à sculpter à la main, à l'aide d'un simple burin et d'un marteau.
Dans cet exercice, Raymond sculpte une grappe de raisin à même la roche. Il a choisi, à dessein, une pierre de taille rectangulaire,
et s'est servi d'une veine pour d'abord sculpter le sarment, puis les grains. Ses seuls outils sont un burin et un marteau.
Crédit photo : Isabelle Barèges
Cette croix occitane a été fièrement accrochée sur la façade
d'une vieille bâtisse. Elles étaient fabriquées par Raymond
en petite série à partir d'un moule.
Crédit photo : Isabelle Barèges |
Pour cette belle fontaine de pierre blanche, Raymond a dessiné
puis réalisé un décor végétal composé de ceps de vigne.
Comme nombre de ses réalisations, il s'agit d'une pièce unique. Crédit photo : collection raymond Garcia |
C'est Raymond qui a réalisé ce fier cheval taillé dans la pierre pour le compte d'un ami à la recherche d'ornements
pour le fronton de son écurie. Pour le réaliser, le tailleur de pierre en a d'abord esquissé le croquis avant de creuser
les parties les plus profondes en prenant garde de conserver les proportions.Crédit photo : Isabelle Barèges |
Et si le destin ne tenait qu'à un magret mal cuit ?
A la fin des années 90, Raymond est contraint d'arrêter son activité mais poursuit ses collaborations avec ses nombreux amis artisans. Rompu au perfectionnement de ses outils de production, il laisse son esprit fertile vagabonder vers de nouvelles inventions. Son dévolu se jettera alors sur les tréteaux dont il parvient à améliorer le mécanisme afin qu'ils ne soient jamais bancals. Il en dépose le brevet en 2000 et fournit à la demande les professionnels de son entourage qui s'arrachent ce petit bijou leur facilitant grandement la vie. Son ingénieuse création lui vaut d'être invité à ses premiers concours d'inventeurs. C'est à Lyon qu'il se voit décerner une première médaille d'or qui va le propulser dans la course du concours Lépine. Premier Prix du Concours régional organisé à Cherbourg, il gagne un stand à la Foire de Paris et du même coup son ticket d'entrée au concours national de 2002. En 2003, Raymond est à nouveau sollicité mais doit présenter une création inédite. Il y a bien ce barbecue vertical créé de toutes pièces dix ans plus tôt au lendemain de la soirée organisée à l'occasion du baccalauréat de sa fille... Ce soir-là, Raymond sert à ses invités des magrets à la fois crus et cramoisis. La fête n'en sera pas gâchée pour autant mais il n'en faut pas plus à l'ancien tailleur de pierre pour commencer à échafauder quelques plans inédits d'appareils de cuisson. C'est décidé, c'est cette création qu'il présentera pour la nouvelle édition du concours. Le choix est opportun : il remporte cette fois-ci, dans sa catégorie, la Médaille d'or.
Raymond devant le modèle de barbecue qu'il a imaginé pour les professionnels et qui permet la cuisson de près de 50 magrets…
Crédit photo : Isabelle Barèges
En quelques années, Raymond est passé des chantiers aux couloirs des foires, concours d'inventeurs et autres plateaux de télévision. "Fallait y penser", "C'est mon choix", "Les grandes énigmes de la science", "Faut pas rêver"…, le bramais répond à toutes les sollicitations. Même si le trac est présent, il se laisse volontiers porter par le mouvement : et si le destin avait finalement décidé de lui offrir une seconde vie ?
"L'inventeur de l'année" : la cerise sur le gâteau
Dans le même temps, M6 recherche, pour un nouveau concept d'émission, des inventions capables de changer le quotidien des français, faciles à fabriquer et à commercialiser. Les sélections, dont nous connaissons l'issue, vont se dérouler de juillet à fin novembre et opposeront quelques 3 500 projets ! Porté par des téléspectateurs séduits par l'invention autant que par ce curieux personnage coiffé d'un béret rouge et vêtu d'un pull rouge et d'une salopette, Raymond est le grand vainqueur du programme.
Deux vies sinon rien
Si Raymond a vécu cette aventure comme un véritable conte de fées, lui que personne n'attendait à cette place, pas même lui, il dit ne pas renier pour autant sa vie d'artisan : "J'ai mis dans le métier de tailleur de pierre et dans ma seconde vie d'inventeur la même sincérité et la même passion, toujours animé du désir de bien faire et de l'envie de créer chaque jour quelque chose de nouveau". Pour expliquer son succès, notre "Géo trouve tout" part d'un constat simple : les objets ne sont généralement pas conçus par les utilisateurs. Cela aussi, il fallait y penser ! Le petit grain de génie fait le reste….et en la matière, Raymond a toujours une idée d'avance ! Son épouse, qui est de toutes ses aventures, nous confie que certains soirs, son époux a hâte d'aller se coucher pour être vite à demain, un jour nouveau qui lui permettra d'aller mettre en pratique les dernières idées germées dans sa tête de génial inventeur.
"L'inventeur ne connaît pas la prudence ni sa soeur cadette, la lenteur. Il bondit, il va d'un saut sur le domaine vierge et, de ce seul fait, il le conquiert". Ces mots de Charles Nicolle, Prix Nobel de Médecine en 1928, nous racontent ces cerveaux bouillonnants au service de la nouveauté et du progrès. Pourtant la plus grande richesse de Raymond Garcia n'est pas brevetable, c'est tout simplement sa capacité à attraper au vol ce que la vie peut lui offrir de meilleur. Tailleur de pierre ou inventeur, et s'il suffisait seulement de croire en sa chance ?
Isabelle Barèges |