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Couleur Lauragais : les journaux

Au fil du ciel

Il y a quarante-neuf ans, le prototype du “Bréguet Atlantic” explosait en vol près de Revel

En cette fin de journée du 19 avril 1962, jeudi saint de la semaine de Pâques, les habitants de toute notre région de Revel, habitués à ne voir voler au dessus de leurs têtes que les “coucous” de l’aérodrome de Revel-Montgey, furent stupéfaits d’assister à l’explosion en vol de ce gros avion, prototype du « Bréguet Atlantic », suivie de sa chute en plusieurs morceaux, éparpillés dans une zone de cinq kilomètres carrés à environ cinq kilomètres de Revel.
Le Breguet Br 1150 Atlantic est un avion  de patrouille maritime, conçu par Breguet Aviation et produit par la SECBAT, société européenne de construction du Breguet Atlantic. Il est commercialisé depuis 1971 par la société Avions Marcel Dassault-Breguet Aviation (AMD-BA) devenue en 1990 Dassault Aviation. Il a été construit en 115 exemplaires dans deux versions et mis en service par 5 pays.
Le Breguet Br 1150 Atlantic est un avion de patrouille maritime, conçu par Breguet Aviation et produit
par la SECBAT, société européenne de construction du Breguet Atlantic. Il est commercialisé depuis 1971 par
la société Avions Marcel Dassault-Breguet Aviation (AMD-BA) devenue en 1990 Dassault Aviation.
Il a été construit en 115 exemplaires dans deux versions et mis en service par 5 pays.
Gilbert Puginier
Gilbert Puginier
L’appareil
Pour bien comprendre l’importance de cet avion, je me permets d’en donner les détails, relevés dans un des cahiers de “la Dépêche du Midi”, du dimanche 27 septembre 1999, intitulé : “100 ans d’avions”.
Cet avion était le second prototype de la série “Bréguet Atlantic” de la société Bréguet. Il s’agissait d’un avion patrouilleur maritime, destiné à équiper les forces de l’OTAN, pour la reconnaissance en haute mer et la lutte anti-sous-marine. Cinq nations, avec la France, avaient participé à sa construction, aux équipements intérieurs et à l’électronique. C’était un magnifique avion, bimoteur, équipé de deux turbopropulseurs Rolls-Royce à la ligne élégante et digne de tous ceux qui l’ont conçu et construit. En opérations, son pilotage et son équipement électroniques nécessitaient la présence de douze hommes à bord.

Le “crash"
Ce jeudi 19 avril 1962, lors du retour d’un exercice d’entraînement, alors que le Bréguet survolait la plaine de Revel, en direction de Toulouse, entre 17 h et 18 h, une explosion se produisit à bord. L’avion éclata et se disloqua en plusieurs morceaux qui s’écrasèrent en divers endroits, à l’ouest de Revel, dans cette partie de la campagne située près des fermes “Le Barthas”, “La Crémade Neuve”, et “ La Goffio”. Le plus gros morceau comprenant la carlingue, une aile tordue sans moteur et une partie de l’autre aile, sectionnée aux deux tiers, tombèrent à environ 180 mètres à l’est de la ferme “Le Barthas”. Le moteur droit, qui s’était détaché de l’avion avec une partie de l’aile lors de l’explosion, s’écrasa dans un champ, en direction du village de Garrevaques (Tarn), à environ trois cent mètres au nord du « Barthas ». Au sud de la ferme “La Crémade Neuve”, à deux cent mètres environ de celle-ci, ce fut la queue de l’avion qui s’étant sectionnée et détachée de la carlingue, s’abattit sur un saule émondé, le coiffant comme un éteignoir sur une bougie. Insolite et curieux à voir (à inscrire dans les annales, car depuis que l’aviation existe c’est la seule et unique fois que cela s’est produit : une queue d’avion servant de capuchon à un arbre !).
Quant au moteur gauche, arraché de son aile, il chutait, en feu, à environ deux cent quarante mètres, au sud-ouest de cette même ferme, tandis qu’à trois cent mètres à l’est de la ferme “La Goffio” s’écrasait le train d’atterrissage. Les vérins chauffés à blanc explosèrent, l’huile s’étant enflammée.

    Mr Puginier se trouve devant le lieu exact du crash du Breguet Atlantic, la carlingue ayant été retrouvé dans le fossé juste devant
Mr Puginier se trouve devant le lieu exact du crash du Breguet Atlantic, la carlingue ayant été retrouvé dans le fossé juste devant
Crédit photo : Mr Bourguignon

L’équipage
Dans la carlingue, qu’on retrouva plantée dans le ruisseau, trois hommes étaient restés coincés : le pilote, le copilote et un mécanicien. Tous les trois y laissèrent leur vie. Une chapelle ardente fut dressée à la mairie de Revel et une stèle de granit a été érigée depuis à quelques dizaines de mètres du point de chute de la carlingue, en bordure de la route de “Belloc”, allant du village de “Vauré” à la ferme de “La Goffio”. Elle rappelle leurs noms : Yves Brunaud pilote d’essais, Alain Richard, ingénieur navigant d’essais et Rémy Raymond, mécanicien navigant d’essais.

Les premiers témoins
A cette époque j’avais trente et un ans, et, dans nos campagnes, on n’entendait pas souvent parler de “crash” d’avions. Nous n’avions que les journaux et la radio pour toute information. Pendant 20 ans, j’avais habité la ferme du “Barthas”, et lorsque l’avion tomba, mes parents y habitaient encore. En fait, le Barthas comportait deux fermes, qui se faisaient vis-à-vis, étant toutes les deux bâties en parallèle. L’une d’elles abritait notre famille, les Puginier et leurs trois enfants (tous des garçons) dont j’étais l’aîné. L’autre ferme était habitée par la famille Salvignol et leurs quatre enfants, deux garçons et deux filles (je vous laisse imaginer ce qu’étaient les jeudis !).
A l’heure du crash, mon père et notre voisin, Auguste Salvignol, étaient encore occupés aux travaux des champs. Inutile de dire la frayeur et l’affolement qu’ils ressentirent à la vue des morceaux de ce “mastodonte”, qui donnaient l’impression, depuis le sol, qu’ils leur venaient droit dessus ; sans compter des débris moins importants, tels que sacs de grenaille qui avaient servi à charger l’avion en vue de le stabiliser pendant le vol, et qui “pleuvaient “ tout autour d’eux et un peu partout dans la campagne. Ca tombait devant, derrière, sur le côté de chacun, ils ne savaient où se mettre à l’abri !
Une fois que leur frayeur fut dissipée, ils furent les premiers à s’approcher de la carlingue afin de porter secours aux occupants. Ils virent, au travers du cockpit, les trois hommes de l’équipage qui gisaient sans vie.
Quant à ma mère, Isabelle Puginier (décédée en 1975) elle courait comme une folle dans un champ la-bouré, avec des sa-bots en bois aux pieds, elle trébuchait souvent sur une motte de terre, se relevait et courait de nouveau. Parfois des pièces de ferraille lui sifflaient aux oreilles et se fichaient en terre à côté d’elle. Il lui semblait qu’elle allait recevoir sur la tête un des morceaux qu’elle avait vu se détacher lors de l’explosion. Interrogée par un journaliste de “la Dépêche” qui la cita dans son article, elle déclara avoir vu exploser l’avion, faisant un gros nuage de fumée “comme une bombe atomique”.

L’une des 2 fermes “Le Barthas” dont les murs du rez-de-chaussée sont en terre (0,80 d’épaisseur). L’étage est en colombages (poutres de bois verticales garnies entre elles de paille mélangée à de la boue - terre glaise surtout). Appelée “Paille Bart” en patois lauragais, cette ferme serait de l’époque gothique (XVe siècle). Aujourd’hui existe à sa place une belle habitation
L’une des 2 fermes “Le Barthas” dont les murs du rez-de-chaussée sont en terre (0,80 d’épaisseur). L’étage est en colombages (poutres de bois verticales garnies entre elles de paille mélangée à de la boue - terre glaise surtout). Appelée “Paille Bart” en patois lauragais, cette ferme serait de l’époque gothique (XVe siècle). Aujourd’hui existe à sa place une belle habitation
Crédit photo : Mr Bourguignon

Et puis la foule
Pour ma part, j’étais en visite chez un ami et nous n’entendîmes qu’une très puissante explosion, faisant trembler les vitres de sa maison. Nous nous demandions ce que cela pouvait être, une explosion de cette sorte ? Nous sortîmes rapidement. Nous ne vîmes rien, car nous étions entourés d’arbres. Je m’empressais de rejoindre mon épouse, à notre foyer, situé dans Revel même. M’approchant de la ville, je voyais des gens dans les rues, affolés, discutant et gesticulant, montrant le ciel en direction de l’ouest, vers le village de Montgey, et disant : “un avion a explosé en l’air…, il a éclaté en plusieurs morceaux qui sont tombés pas loin d’ici dans la campagne avoisinante, c’est terrible !”.
Il y avait dans la ville une telle effervescence, une telle émotion ! Effectivement, en vélo, en mobylette ou en voiture, même à pied, des Revèlois partaient en direction des villages de Montégut, Vauré, où Garrevaques (Tarn), la chute se situant bien dans ce triangle. Avec mon épouse, nous fîmes comme eux, curieux de voir et de savoir ce qu’était cet avion.
Plus nous approchions, très nombreux, de la ferme de mes parents, plus nous nous sentions angoissés et plus nos gorges se serraient. Nous nous demandions, s’il n’y avait pas de victimes et nous pensions surtout, aux membres de ma famille. Mon Père ? Ma Mère ? Ou mes deux jeunes frères ? Dieu merci !, il n’en fut rien ! Personne ne fut touché, ni de nos familles, ni de tous nos voisins. Effectivement, cet appareil, ou plutôt ses morceaux, étaient disperses près de nos fermes.
De la carlingue dont le cockpit était piqué dans la berge d’un petit ruisseau, du kérosène se déversait en quantité importante dans l’eau du ruisseau.
Quand nous arrivâmes sur les lieux, la police, les pompiers, puis par la suite, un corps d’armée de la base aérienne de Toulouse-Francazal, empêchaient les curieux que nous étions de nous approcher des carcasses de l’avion.
Moi-même, je ne pouvais passer, pour me rendre auprès de mes parents. Il me fallut l’aide des gendarmes, qui me connaissaient, pour me faire franchir le cordon de sécurité. ll y avait en effet danger d’explosion avec tout ce kérosène qui flottait sur l’eau. Une allumette, une cigarette et cela aurait créé un beau brasier. Durant tout le temps que dura l’enquête, jusqu’à l’enlèvement définitif de ces carcasses, personne ne put s’approcher : la police et la garde armée surveillèrent le site. Pensez donc, un avion de l’OTAN ? C’était top secret. La boîte noire fut retrouvée, dans la semaine qui suivit, au bord du ruisseau le Laudot, à l’ouest de la ferme “Le Barthas”, après des travaux de labours.

points de chute des morceaux d'avion

Mon interprétation
Concernant l’explosion en vol de cet avion, j’ai une idée personnelle (qui n’engage que moi-même).
Le pilote et ses deux coéquipiers, avaient dû constater qu’un des moteurs ne tournait pas rond ; ce devait être le droit, si l’on en croit la déclaration faite aux journalistes de “ la Dépêche” par un témoin qui avait remarqué que l’appareil s’est écrasé à l’équerre de sa ligne de vol. Le pilote était sans doute en train de faire faire demi-tour à son appareil, dans l’intention d’aller se poser sur l’aérodrome de Revel-Montgey, qu’il venait de dépasser, quittant ainsi la trajectoire de Revel-Toulouse, qui était leur ligne de vol du retour, après avoir tourné, en vol d’essai, sur Revel-St-Ferréol et la Montagne-Noire, dans l’après-midi de cette journée. S’ils avaient réussi cette manœuvre, ils pouvaient, tournant le dos à Toulouse, se poser, en prenant le bout ouest de l’aérodrome, en direction de Revel. Manœuvre qu’ils ne purent, ou plutôt qu’ils n’eurent pas le temps d’accomplir. Malheureusement pour nos trois pilotes. Car je crois personnellement que c’est au cours de cette manœuvre, au cours du demi-tour, que l’explosion du moteur droit se produisit, disloquant l’avion en plusieurs morceaux, qui tombèrent à proximité de trois fermes : les deux fermes du “Barthas”, avec le fuselage. La “Crémade Neuve” avec l’empennage, fiché sur un arbre comme un éteignoir de bougie, et à “La Goffio”, avec le train d’atterrissage. Le moteur droit et son aile s’abattaient en plein champ, à la limite de la commune de Garrevaques-Gandels, et enfin, le moteur gauche seul, entre les fermes de “La Goffio” et de la “Crémade Neuve”.
J’ajoute que c’est un vrai miracle qu’aucun des gros morceaux de cet avion ne soit tombé sur aucune des fermes, ni que les morceaux de ferraille, les sacs de grenaille, etc., ne soient tombés sur aucun des habitants qui couraient dans tous les sens. Malgré leur peur, aucun ne fut touché, ni même égratigné. Dieu merci, qu’il en ait été ainsi ! Il y en avait bien assez avec la mort des trois aviateurs, qui étaient encore jeunes et pères de famille.

Point de chute du Breguet Atlantic Sur la droite devant le sapin, on distingue la stèle commémorative dédiée aux aviateurs décédés.
Point de chute du Breguet Atlantic Sur la droite devant le sapin, on distingue la stèle commémorative dédiée aux aviateurs décédés. crédit photo : Mr Bourguignon

Telle est l’histoire de ce crash
La stèle qui le commémore a été bien entretenue et fleurie pendant plusieurs années. Mais j’ai l’impression qu’actuellement, elle est abandonnée. Les ronces ont tendance à pousser là où il y avait des fleurs. Je ne sais pas qui en a la charge mais il serait bon qu’elle soit à nouveau entretenue et fleurie surtout après ce 49ème anniversaire du 19 avril 1962. J’espère que cette requête sera entendue. Merci. Cette histoire mérite d’être écrite et classée dans les annales revèloises. Il y avait eu l’histoire de ce petit train qui s’était fait renverser par le vent d’autan en haut de la colline de la “vacherie” (un mort !), mais le crash de ce “Bréguet Atlantic” est un de mes plus grands souvenirs de ce siècle, toujours ancré dans ma mémoire comme certainement dans celle de beaucoup de revèlois. Cela ne s’était jamais produit jusqu’à cette date, tout comme la queue de cet avion coiffant un saule, comme un éteignoir de bougie ! Insolite, incroyable, mais vrai !

Stèle en mémoire des 3 aviateurs du Breguet Atlantic morts ce jour là
Stèle en mémoire des 3 aviateurs du Breguet Atlantic morts ce jour là - Crédit photo : Gilbert Puginier

De très nombreux modèles de l’Atlantic 2, équipés d’un système de détection plus évolué, continuent, je pense à accomplir la tâche qui lui était destinée. Que bon vent les accompagne.

Gilbert PUGINIER 
L’auteur souhaite remercier tout particulièrement son ami Jean-Louis Taupin
pour son aide à la rédaction de ce récit, ainsi que Michel Bourguignon qui a pris les photos
.

 

Couleur Lauragais n°132 - Mai 2011