En Galinou : un jardin pour toujours
“Pour faire un bout de jardin, il faut un morceau de terre et l’éternité”. Ces mots de l’écrivain jardinier Gilles Clément ont indubitablement pesé sur le parcours de Martine Pantel. Débarquée de Paris en 1986 avec mari et enfants, la jeune femme s’attelle à l’un des projets les plus ambitieux de sa vie : la création d’un jardin d’agrément. Il convient d’insister sur le sens littéral des mots “jardin d’agrément “ car dès le départ, il n’est pas question de devenir esclave du projet. L’aménagement doit s’intégrer à l’environnement, se satisfaire de la pluviométrie locale, composer avec les desideratas de la météo, apprivoiser le vent d’autan, en un mot s’adapter au climat du Lauragais. Depuis les questionnements de départ, 25 ans de soins, d’espoirs déçus et de joies profondes se sont écoulés pour laisser place un jardin de 8000 m2, profondément enraciné dans la nature lauragaise.
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Martine Pantel |
Un terrain avec une maison dessus
Lorsqu’ils décident de quitter Paris, Martine Pantel et Hubert Lelong cherchent avant tout un terrain. C’est sa superficie et son potentiel qui l’emporteront sur l’état de la maison qui se trouve dessus et le choix de leur destination, à condition que cela soit dans le sud. Déjà Martine a la main verte et place le jardin au coeur de leur nouveau projet de vie. Lorsqu’ils posent finalement leurs valises dans la campagne de Caraman, leur entourage s’interroge sur ce qui voudra bien pousser dans ce paysage de désolation. Martine se laisse pourtant porter au gré d’une inspiration qui ne s’éteindra finalement jamais : avec quelques 8 000 m2 de terrain, En Galinou sera bien la terre d’élection d’un projet un peu fou au coeur d’un environnement pelé par le vent d’autan.
Les déconvenues d’un climat “décevant”
Les nouveaux propriétaires découvrent que le climat du Lauragais ne manque pas de tempérament. Humide l’hiver, sec l’été, balayé par de fréquents épisodes de vent d’autan, il a de quoi décontenancer nos apprentis jardiniers habitués aux changements de saison moins brutaux. Ces derniers ne manqueront pas de reprendre à leur compte la formule de l’agrégé de géographie Jean Odol qui n‘a pas hésité à qualifier ce climat de « décevant »1. Il leur faudra également tenir compte de la qualité de la terre du Lauragais : le terrefort, une terre argileuse très riche, sans cailloux ni calcaire, qui s’avère sèche et mal aérée en été, pour se transformer en une masse collante et peu malléable sous l’effet de l’humidité hivernale. Après quelques tentatives infructueuses, Martine décide bon gré mal gré de mettre ses plants de rosiers buisson au placard. Elle se laissera désormais guider par un bon sens tout paysan et de savantes lectures pour faire le choix de végétaux compatibles avec le climat local, en prenant soin d’opter pour l’emplacement où le végétal trouvera sa place plutôt que celui où “il fera joli”.
Au gré des promenades, il n'est pas rare de passer sous ce type d'arceau
très coloré composé de rosiers et de phlomis. Les couleurs apportent
douceur et gaieté au joli mois de mai.
Le choix d’un jardinage sans arrosage
Pour assurer une longévité à son jardin, Martine opte pour un mode de jardinage respectueux de l’environnement local. Elle choisit de limiter l’arrosage des plantations au strict minimum, à savoir aux réserves d’eau de pluie. Pour ce faire, elle va optimiser l’irrigation du jardin en construisant trois bassins alimentés par une source située sur les hauteurs du terrain. Ce parti pris va permettre de limiter les besoins en eau, les heures d’entretien dédiées à la corvée de l’arrosage, et d’enraciner plus profondément les plantations. En effet, en pé-riode de sécheresse, les végétaux iront chercher l’eau là où elle se trouve, à savoir dans les sous-sols. Ainsi conçu, le jardin s’inscrit dans une démarche misant sur le long terme. La main de l’homme se fait la moins présente possible, les plantations évoluent de façon quasi-autonome dans leur milieu naturel, seules celles qui s’adaptent à leur environnement survivent. Par conséquent, lors de circonstances exceptionnelles, comme l’épisode caniculaire de 2003, Martine a pu conserver nombre de ses végétaux en leur évitant un choc hydrique. Les conifères n’ont en revanche pas survécu, c’en est donc aujourd’hui fini de la plantation de cette espèce. Atten-tion, le choix d’un jardin sans arrosage ne signifie pas pour autant qu’il s’agit d’un jardin sec de type jardin méditerranéen. Le sol d’En Galinou a été travaillé de manière à ce qu’il retienne l’eau qu’il reçoit, cependant cet apport est limité aux ressources naturelles, soit en Lauragais, 800 mm par an en moyenne2, plutôt 700 mm ces cinq dernières années. Cette approche singulière a pour conséquence directe d’inscrire la création du jardin dans le temps. Alors qu’il faut 5 à 6 ans pour aménager un jardin classique, il a fallu plus de 15 ans pour que le jardin d’En Galinou prenne forme. Pour comprendre ce choix, il faut rappeler que l’objectif premier de Martine fut de créer un paysage qui se fonde dans la nature alentour, un espace vivant, en perpétuel changement. Il n’est donc pas surprenant que les dernières plantations réalisées l’aient été par les oiseaux qui ont semé ça et là quelques chênes qui trouveront naturellement leur place dans cet espace préservé.
Un vent japonisant souffle sur le jardin du Galinou et ses jeunes pousses.
La taille de ce chêne est un clin d'oeil à celle des bonzaïs.
Elle apporte beaucoup de douceur et de facétie à ce chêne aux allures de champignon...
Et le potager dans tout ça ?
Les jardiniers chevronnés seront curieux de savoir à quoi ressemble le potager d’En Galinou ? Eh bien pour l’instant à rien puisqu’il a été remplacé par un carré de haies et de rosiers. A leur arrivée, Martine et Hubert décident pourtant de recréer un potager traditionnel qu’ils cultivent en respectant les principes de la culture biologique. Cependant, au bout de deux ou trois ans, l’absence d’arbres, les contraintes d’entretien et d’arrosage, la présence du vent d’autan auront raison de leurs objectifs de départ. De cette aventure potagère, il ne subsiste aujourd’hui que quelques blettes sauvages mais Martine n’a pas dit son dernier mot : il se peut qu’elle tente à nouveau l’aventure…. Affaire à suivre !
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Un entretien à minima
Logiquement, l’entretien du jardin nécessite aujourd’hui moins de temps qu’à sa création et Martine et Hubert, prévoyants, l‘ont conçu afin qu’il en demande de moins en moins…
- La taille, la tonte et le désherbage. De janvier à avril, Martine et Hubert effectuent quelques menus travaux de taille et de nettoyage, il s’agit de débarrasser les plants des fleurs fanées, de tailler les haies ou encore de nettoyer les rosiers et les massifs. Pour ce qui est de la tonte, elle se concentre sur les mois d’avril, mai et juin. C’est à cette période que le jardin est le plus agréable pour les admirateurs de nature préservée comme pour les promeneurs. Pour en profiter, ils assurent des tontes régulières qui nécessitent environ 3 heures. Enfin et c’est bien connu, la nature a horreur du vide ! Pour limiter le désherbage, les jardiniers ont donc opté pour des massifs aux plantations serrées et, entre les plants, pour des variétés couvre-sol.
- Les arrosages de survie. En été ou lorsque la pluie se fait attendre trop longtemps, ils organisent des arrosages qu’elle désigne sous le nom d’”arrosages de survie”. Afin de limiter la corvée, ils opèrent des rotations par massif. Il s’agit de la seule corvée effectuée en juillet, août et septembre.
- Les plantations. Elles sont en général réalisées à l’automne, une fois les pluies passées. |
Voici un exemple de massif : trois catégories de berbéris dont l'ottawensis superba au fond
qui met en valeur les deux autres, et un chèvre-feuille et ses fleurs rouges à droite.
L'ensemble joue sur une harmonie de tons et de volumes. On compte environ 20 variétés de berbéris En Galinou.
Une biodiversité chaque jour réinventée
Pour mettre toutes les chances de son côté, Martine a fait le choix d’aménagements intelligents et d’espèces adaptées.
A l’origine était une rocaille - La rocaille de dé-part va s’organiser autour d’un vieil amandier, à l’aide de pierres récupérées sur le chantier de la maison en démolition. Elle fait aujourd’hui plus de 300 m2 et est traversée par trois ou quatre chemins. Petit à petit, En Galinou est organisé en massifs aux noms évocateurs : le massif romantique qui se joue de tonalités pastel, le massif pétard faisant la part belle au rouge, à l’orange, au pourpre, le massif demi-cœur remarquable par sa forme ou encore le massif blanc. Ces ensembles d’une surface moyenne de 15 m2 se composent de buissons, d’arbres et de plantes couvre-sol comme l’ibéris, le millepertuis, les sédums… Chaque massif est conçu comme un véritable écosystème régénéré par l’azote apporté à l’ensemble par un arbre de la famille des légumineuses. Au plan esthétique, Martine s’est d’abord orientée vers la création de buissons à l’anglaise, agrémentés de ravissantes plantes vivaces, d’une durée de vie supérieure aux annuelles. Cependant, l’hiver venu, les mauvaises herbes ont fait leur apparition en représentant une charge de travail supplémentaire et certaines vivaces n’ont pas résisté aux variations de température. En conséquence, la jardinière a pris la décision d’abandonner son approche de départ : En Galinou n’a pas vocation à devenir un jardin très fleuri. Inspirée par l’ikebana, l’art floral japonais auquel elle s’adonne depuis des années, Martine prend le parti de se jouer des formes, des contrastes, des nuances et des reflets de ses massifs. Elle fait le choix d’arbustes aux reflets rafraîchissants de gris et de vert en été, et aux teintes chaudes de pourpre et de doré en hiver… Les tailles et tontes l’invitent à mille autres fantaisies : la prairie est ornée d’une bande tondue en spirale, la taille des arbustes contraste par leurs formes tantôt souples et arrondies, tantôt rectilignes ou géométriques… Le tout est aux antipodes du jardin à la française, plus sophistiqué, qui témoigne du labeur de ses créateurs et offre l’image d’une nature maîtrisée.
?Au détour d'un sentier, on peut croiser ce troupeau de moutons,
un clin d'oeil de la jardinière à ses racines cévenoles et à son grand-père berger dans les Causses.
5 000 espèces différentes pour un ensemble remarquable - Dans le jardin d’En Galinou, il n’y a pas d’espèces dominantes, la jardinière procède par petite touche ça et là, teste certaines variétés et, selon le résultat et ses envies, se dirige vers tels ou tels végétaux. C’est ainsi que les buissons font la part belle aux spirées, viornes, berbéris, phlomis …Le jardin compte à ce jour plus de 75 variétés de rosiers, 12 sortes de bambous, 10 catégories d’érables …. Au final, ce sont plus de 5000 espèces qui cohabitent pour former une ensemble remarquable en terme de biodiversité.
Un verger pour les oiseaux - Pommier, cerisier, prunier, abricotier et poirier se côtoient gaiement sans subir aucune contrainte d’aucune sorte. Martine et Hubert se régalent de leurs mirabelles, bonnes et toutes petites compte-tenu de l’apport limité en eau. Les autres fruits font généralement le régal des oiseaux qui ont naturellement trouvé leur place sur cette terre accueillante.
Ce jardin nous entraîne dans des rêveries pleines de promesses, aux premiers beaux jours, une fleur nonchalamment posée aux coins des lèvres… Il nous invite à prendre le temps de vivre et d’observer, pour comprendre que si la nature a horreur du vide, elle n’accepte durablement que les choses qui ont légitimement trouvé leur place en son sein. Oui, En Galinou est bien un jardin extraordinaire mais l’histoire ne dit pas si, comme dans la chanson, une fois la nuit venue, les statues s’en vont danser sur le gazon…
Isabelle Barèges
Crédit photos : Isabelle Barèges
1. Couleur Lauragais n°41, 76 et 86
2. Jean Odol, "La météorologie dans le Lauragais", Couleur Lauragais n°42
Visiter En Galinou
Martine et Hubert participent chaque année aux journées “Rendez –vous aux jardins” organisées par le Ministère de la Culture et de la Communication. Elles auront lieu cette année les 3, 4 et 5 juin et seront l’occasion pour tous les curieux de découvrir des jardins remarquables en Lauragais et au-delà. En avril, mai et juin, ils organiseront des visites guidées d’individuels ou de groupes (frais de participation de 5€ par personne sur réservation au 05 61 83 26 00 - email : hubert@galinou.fr - site web : www.galinou.fr)
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