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Couleur Lauragais : les journaux

Histoire

Clément Ader en Lauragais :
Terre d'essais aéronautiques

Si dans l’histoire de l’aviation, Clément Ader a été le premier à faire décoller, le 9 octobre 1890, une machine motorisée, c’est bien en Lauragais qu’il a effectué ses premières expériences aéronautiques pour mettre au point l’appareil : à Castelnaudary pour la construction de la machine et à Villeneuve-la-Comptal pour les essais aéronautiques.
Des travaux de Clément Ader en Lauragais, la mémoire collective en garde le souvenir de la construction d’un “oiseau en plumes”, qu’il a su faire évoluer, au gré du vent en 1873, attaché par des cordes, lui étant à bord. Qu’en est-il vraiment des essais d’Ader au pays des mille collines ?
Clément Ader, fils unique de François Ader, maître menuisier, naît à Muret le 2 avril 1841. Garçon curieux de tout, en classe il se montre doué dans toutes les matières. Il s’amuse comme tous les petits garçons de son âge, mais il cherche le pourquoi des choses.

Clément Ader
Il est fasciné par le vol des oiseaux, il passe des heures à les regarder. Quand il joue avec des hannetons, il observe la forme et la structure complexe de leurs ailes ; il comprend l’intérêt de la forme creuse des élytres (ailes antérieures) et en tirera la notion d’aile à profil creux.

Clément Ader Ingénieur à la Compagnie des Chemins de fer
Après son baccalauréat mention ès-sciences, obtenu à l’âge de 16 ans, il sort de l’institut Assiot de Toulouse en 1860, avec un diplôme d’ingénieur, type Arts et Métiers. Il entre à la Compagnie des Chemins de Fer pour la construction de la ligne Toulouse-Bayonne et y fera la connaissance de Casimir Douarche avec qui il entretiendra des relations amicales pendant de nombreuses années. En 1866, les travaux de construction de la ligne touchant à leur fin, il quitte la Compagnie des Chemins de Fer.
Douarche achète en 1867 à Castelnaudary une tuilerie route de Mazères (côté ouest), coincée entre la toute nouvelle Avenue de la Gare et la voie de chemin de fer flambant neuf. Il se met en tête de construire une usine de produits céramiques moderne des plus compétitives. En 1870, au prix de travaux pharaoniques, son rêve est devenu réalité, la nouvelle usine est sortie de terre de l’autre côté de la voie ferrée. Elle fonctionne à l’aide d’une superbe machine à vapeur, le high-tech de l’époque (Fig.2) (Fig.3) (fig.4).

Usine Douarche
Fig. 2 : Fabrique de produits céramiques de Casimir Douarche,
selon la gravure de la couverture du catalogue des prix.

Ader invente le "véloce Caoutchouc"
Pendant que Douarche est tout à la mise en service de sa nouvelle usine, Clément Ader dont l’esprit inventif est en pleine ébullition, invente et enchaîne brevet sur brevet : d’abord une machine pour relever les rails, puis et surtout le “véloce caoutchouc”, un vélocipède de son invention avec roues en caoutchouc (pneu plein) et cadre creux. Son engin, gagne toutes les courses ! Il vient lui-même disputer des courses en Lauragais, telle celle Toulouse-Villefranche et retour, début 1870, où il fait quatrième, derrière le crac du moment, lui aussi sur bandes caoutchouc Ader. C’est la gloire !

Jarres estampillées Casimir Douarche
Fig. 3 : Jarres estampillées Casimir Douarche

estampille Douarche
Fig. 4 : Estampille de la fabrique Douarche

Crédit photos : Christine Cloute-Cazala

Ader et le cerf-volant d'observation
Hélas la guerre franco-prussienne en 1870, ne laisse pas Ader développer la production industrielle de son vélocipède, et ruine son projet. Clément Ader, échappant au service militaire (tirage au sort), écrit au ministre de la Guerre pour lui offrir ses services. Ader pense réaliser un cerf-volant capable d’élever un observateur dans les airs au dessus du champ de bataille, obtenir des renseignements sur le dispositif ennemi et guider les combats.
Ce cerf-volant d’observation, à caractère innovant, avec voilure à profil creux, intégre son concept de courbure idéale qu’il appelle courbe universelle, car issue de l’aile des oiseaux. Il demande et obtient un local à l’abri des regards indiscrets au Polygone militaire de Toulouse (Zénith actuel).
La situation militaire du pays étant catastrophique, les militaires se désintéressent du cerf-volant d’observation et abandonnent le projet d’Ader. Il a travaillé deux mois au polygone militaire de Toulouse et est convaincu qu’il détient le moyen de faire sauter le verrou technologique qui bloque les avancées dans le domaine du vol du plus lourd que l’air et la fabrication d’un aéroplane motorisé.

Ader hébergé par le potier Douarche à Castelnaudary
Clément Ader, convaincu de l’efficacité du profil d’aile creux qu’il a imaginé, veut maintenant construire un appareil ailé motorisé qu’il appellera plus tard « avion ». Cet appareil devra soulever dans les airs non seulement un pilote mais aussi un moteur ; les moteurs à vapeur, seuls disponibles à l’époque, pèsent plus d’une soixantaine de kilos. Pour optimiser les ailes de sa machine capable d’emporter un tel poids, Ader cherche à déterminer les caractéristiques techniques de l’appareil et notamment la charge qu’il peut emporter selon sa vitesse et la géométrie de ses ailes.

Av. de la garde à Castelnaudary
Fig. 5 : Avenue de la Gare à Castelnaudary,
à gauche le Chalet construit à l’époque de Douarche, à droite l’usine de poterie.

La route de Clément Ader, qui recherche un vaste local pour démonter ses installations du Polygone et poursuivre ses travaux, croise à nouveau celle de son vieil ami Casimir Douarche disposant de locaux vides : ceux de l’ancienne usine devenue obsolète à l’angle de l’Avenue de la Gare (Fig.5). Douarche a aussi besoin d’un homme de l’art pour lui donner un coup de main et lancer ces nouvelles lignes de production. Quant à Ader, il cherche un local vide, mais aussi des subsides pour vivre et mener à bien son projet d’appareil aérien. Les deux hommes, amis de longue date, avaient tout pour s’entendre. Douarche propose à son ami Ader de l’héberger dans un local vacant de l’ancienne tuilerie.
Pour mettre au point la structure de son futur appareil volant, le programme de recherche que s’est fixé Clément Ader est très complet. Il comporte premièrement la construction d’une véritable machine d’essais “aéronautiques”, deuxièmement une série d’expériences pour effectuer toutes les mesures nécessaires à l’amélioration de l’appareil et troisièmement l’optimisation de la structure en profitant du retour d’expériences.

Le chaurien Bacquier
Parmi les employés de l’équipe technique chargée de la mise en place de l’usine à vapeur, un ouvrier exceptionnellement adroit, a été particulièrement remarqué par le patron Douarche. Cet ouvrier d’exception s’appelle Antoine Bacquier, né le 11 février 1822. Charron de métier, il est issu d’une véritable lignée de charrons dont l’implantation à Castelnaudary, rue du Planoulet des Cordeliers, remonte au moins au début de XVIIIe siècle, avec son grand-père François Bacquier, décédé à Castelnaudary le 11 avril 1814 et son père Jean Antoine Bacquier né le 5 mai 1787. Antoine Baquier est le second enfant, il a sept frères et sœurs. Il secondera Ader tout au long de ses travaux dans le domaine aéronautique. Ader dira de lui qu’il est intelligent, adroit et capable de tout faire ; il lui confiera les travaux les plus délicats (jusqu’au milieu du XXe siècle, la famille Bacquier a poursuivi l’activité dans le domaine de la mécanique générale rue des Jardins).

L’oiseau en plumes
Pour faire ses mesures aéronautiques expérimentales, Clément Ader construit avec l’aide de Bacquier, un appareil gigantesque de 9 mètres d’envergure, qu’il appelle l’oiseau en plumes (Fig.6) (Fig.7).

Jarres estampillées Casimir Douarche
Fig. 6 : Croquis de la main de Clément Ader
de l’oiseau en plumes, vue globale.

estampille Douarche
Fig. 7 : Croquis de la main de Clément Ader de l’oiseau en plumes,
vue partielle avec le harnais.

Ader va faire preuve d’un esprit inventif exceptionnel : il crée, invente et expérimente de façon novatrice (maquette exposée au Musée l’Aviation Légère de la Montagne Noire, Vol à Voile, partenariat avec l’APPARAT, lire Couleur Lauragais Juillet/Août 2002).
Dans le domaine des matériaux pour réaliser une structure très légère et très résistante mécaniquement, il fait le choix d’une structure creuse, invente les matériaux composites, mais n’hésite pas à utiliser très pragmatiquement des plumes qu’il agence méthodiquement selon un plan bien précis pour réaliser une nappe répondant aux exigences de l’écoulement des fluides. Les plumes, plusieurs milliers de rémiges (grosses plumes, bouts d’ailes), il les trouvera dans la région et ce sont des femmes de Villeneuve-la-Comptal qui aideront à les piquer dans la structure de l’appareil ; ces plumes seront collées et entoilées à leur base pour assurer leur cohésion.
Dans le domaine aéronautique, il a compris l’importance de la forme courbe de l’aile pour la réalisation d’une surface portante aérodynamique : il invente et expérimente en Lauragais les ailes à profil creux. Pour obtenir le galbe parfait, il a recours à une forme préalablement fabriquée peut-être en bois (couples et liteaux) selon certains, ou peut-être aussi dans la glaise qui abonde dans l’usine qui l’héberge. Ainsi, Ader pourrait avoir galbé les ailes à profil creux et courbe universelle de son rêve d’enfant dans la glaise lauragaise.
Pour créer de la portance Ader possède déjà la notion d'angle d’attaque de l’aile. Il voit l’intérêt de pouvoir modifier sa forme en vol, principe mis en œuvre actuellement par les avions en utilisant des volets. Ader invente des systèmes pour contrôler tangage et lacet, totalement inconnus à l’époque ; ces systèmes se sont retrouvés sur tous les avions d’Ader.
Ader expérimente sur les coteaux de Villeneuve-la-Comptal. Mais c’est dans la méthode d’essai imaginée par Clément Ader en Lauragais que son génie d’expérimentateur explose. Il sait que pour faire voler le plus lourd que l’air, il faut étudier son comportement sous écoulement gazeux, et que les progrès de l’aéronautique sont indissociables de ceux de l’aérodynamique. Pour optimiser le profil des ailes, faute d’avoir à sa disposition une soufflerie, Clément Ader a l’idée géniale d’effectuer des essais de sustentation maîtrisée en mettant à profit le vent du Lauragais : il invente les premiers essais aéronautiques en soufflerie et il les effectue en soufflerie naturelle.

Clément Ader fait ses essais de sustentation, sur les coteaux de Villeneuve-la-Comptal, à un endroit bien connu par les ouvriers de l’industriel Casimir Douarche, pour les besoins de l’usine. Il s’agit du coteau d’où l’on extrayait la pierre pour alimenter les fours à chaux, comme ceux dont disposait Douarche dans son usine : le Pech de la Citadelle (Fig.8).

Coteau de Villeneuve-la-Comptal
Fig. 8 : Coteau de Villeneuve-la-Comptal, la Citadelle


Le terrain d’essai se présente comme un petit plateau d’un hectare environ, bien dégagé, à l’herbe rase et rare. Ader dira à un journaliste “l’oiseau était attaché par son centre de gravité, ou à peu près, à quatre points d’équerre - en croix de Saint-André (croix en forme d’X) - éloignés du centre d’environ quinze mètres”.

Les divers croquis, écrits et propos d’Ader, analysés par des spécialistes de l’aéronautique, indiquent que le dispositif de mesure des forces (force ascensionnelle) imaginé par Ader était constitué de dynamomètres placés sur les cordes d’amarrage. Ainsi l’appareil était maintenu par quatre cordes, chacune fixée au centre de gravité de l’appareil et reliée à son poteau d’amarrage par l’intermédiaire d’un peson à ressort. Les cordes tendues immobilisaient l’appareil horizontalement, mais le laissaient libre verticalement.
Ader a effectué sur les coteaux de Villeneuve-la-Comptal les toutes premières mesures des grandeurs aérodynamiques fondamentales qui permettent d’apprécier les performances d’une aile d’avion. Même si ces mesures initiées par Ader sont très incomplètes, elles lui fournissent des informations suffisantes pour optimiser sa machine et il sera le seul à disposer de ces informations pendant une trentaine d’années. Fort de ces mesures, Ader optimise le profil de ses ailes, peaufine son galbe et teste sa résistance mécanique. Il connaît maintenant le poids qu’il pourra soulever dans les airs, c’est à dire le poids de son moteur : Ader devra mettre au point un moteur à vapeur, trois à cinq fois plus léger que ceux construits à son époque.

Ader et l’Eole
Ader recherche des sponsors, pour mettre au point l’indispensable moteur, et c’est à Paris qu’il se rend. L’oiseau en plumes sera sous les feux de la rampe, exposé chez Nadar le plus grand photographe du moment. Aucun sponsor ne “mordant à l’hameçon”, Ader remballe l’oiseau en plumes, probablement via Castelnaudary et se lance dans la téléphonie. Dans ce domaine Ader brille une nouvelle fois et dépose plusieurs dizaine de brevets ou d’additions de brevet.
Fortune faite, après 1882, il reprend ses études aéronautiques avec à nouveau à ses côtés Bacquier qui l’a enfin rejoint à Paris (Douarche décède en 1885, successeur Bouat). Car Antoine Bacquier connaît mieux que quiconque, outre Ader lui même, la structure fine de l’appareil, pour l’avoir construit de ses propres mains. Ader lui confiera les travaux les plus délicats et notamment ceux de sa chaudière. Le moteur d’Ader est un bijou de technologie qui ne pèse que 23 kg pour une puissance de 10 à 12 CV. Le couple Ader Bacquier fonctionne à merveille et le 19 avril 1890 Ader dépose son fameux brevet pour un appareil ailé pour la navigation aérienne dit “avion”. Avec l’Eole, le premier de ses appareils, le 9 octobre 1890, dans le parc du château de Gretz-Armainvilliers (Paris), Ader effectuera un vol de 50 mètres à plusieurs centimètres de hauteurs. Il sera le premier homme au monde à voler et le seul à avoir volé au XIXe siècle.
La présence d’Antoine Bacquier semble déclencher et catalyser les travaux novateurs d’Ader dans le domaine aéronautique. Clément Ader cessera ses activités dans ce domaine peu de temps après le décès d’Antoine Bacquier (31 Août 1899), dont il n’a jamais cessé de vanter les mérites. Simple coïncidence ou fin d’une belle aventure, celle de deux passionnés, mordus d’aviation aux talents complémentaires et absolument indispensables : l’un à l’esprit inventif et l’autre aux doigts de fée.

Lucien Ariès

Clément Ader en Lauragais, terre d’essais aéronautiques - Lucien Ariès - Livre (380 pages) disponible en librairie à la fin du mois de mars 2011.

Clément Ader en Lauragais par Lucien ARIES

Lucien Ariès entraîne le lecteur sur les pas de Clément Ader, père de l’avion, à Castelnaudary dans l’atelier où il a construit “l’oiseau en plumes”, et sur les coteaux de Villeneuve-la-Comptal lieu de ses essais aéronautiques : lieux, méthodes de fabrication, but et résultats sont analysés documents
à l’appui.

Présentation et signature du livre le samedi 19 novembre à 17 heures
Espace culturel “la Coopé” à Baziège.

 


Couleur Lauragais n°130 - Mars 2011