Jacques Batigne : un homme à la vie chevillée au corps
|
|
Si Kiki Batigne devait tirer sa révérence dans ces pages, nul doute qu’il troquerait, de son air le plus badin, la solennité de rigueur pour un «Salut mes petits chéris !». Pour la population lauragaise, et notamment les Revélois, la formule fait écho à l’allant de cet homme qui avait décidé de faire de l’Homme la plus grande de ses valeurs. Partout, de sa terre natale aux confins du monde, Kiki Batigne a mis son insatiable curiosité et sa furieuse envie de vivre au service des autres. Si le 29 novembre dernier, il est parti explorer des territoires d’où l’on ne revient pas, il demeure indiscutablement vivant. En tendant l’oreille, vous parviendrez même à entendre l’écho d’un de ses si nombreux éclats de rire. …Pour prolonger l’amitié qui les liait à cet homme aux multiples facettes, ses proches témoignent. |
|
L’enfant du pays
Le père de Jacques était employé de la commune de Revel où il réalisait des tâches diverses et variées. Pendant la guerre, il fut par exemple le porteur de télégrammes de la ville. Jacques a grandi aux côtés de sa soeur Jeanine, de six ans son aîné. Elle se souvient de lui comme d’un enfant très actif que sa mère forçait tant bien que mal à manger ! «Déjà, il appréciait la compagnie de nombreux camarades et ne tenait pas en place», insiste-t-elle. Bon élève, il a obtenu son Certificat d’études à 12 ans puis est parti faire son apprentissage de mécanicien dans un garage de la commune. Cependant, Kiki en veut rapidement plus, c’est ce qui l’emmènera plus tard à s’engager en Algérie (cf.ci-après). Jeanine accompagnera Jacques dans ses premiers voyages en Egypte puis à Saint-Pétersbourg. Le projet étant chaque fois plus ambitieux, elle finira par le laisser partir seul sans douter un instant de sa capacité à se rapprocher des autochtones, la principale motivation de ses nombreuses escapades aux quatre coins de la planète.
Jacques Batigne, dit “Kiki” était devenu un vrai globe trotter.
Ici dans les locaux de Couleur Média, il montrait sa prochaine destination - Crédit photo : Couleur Média
Le jeune soldat de Boufarik
C’est d’abord chez leurs grands-parents, à la ferme de l'Engranou à Cadenac, que René Batigne et Kiki partagent leurs vacances scolaires ainsi que de nombreuses fêtes familiales. Aucun des deux cousins ne peut alors deviner que le destin les réunira près de 20 ans plus tard en Algérie, si loin de leur terre natale. Passionné d’aviation, Kiki a choisi de faire ses classes à l’Ecole de Rochefort pour servir plus tard dans l’Armée de l’Air. La Guerre d’Algérie éclate et, suite à un devancement d’appel, il est affecté à Boufarik, au pied de l’Atlas Blidéen. Il y effectuera son service militaire, 28 mois que l’on devine remplis de crainte, parfois de tristesse mais également d’espoir pour le jeune homme. Même si René Batigne, affecté à quelques kilomètres de là ne croisera pas souvent son cousin, ils partageront ensemble le souvenir au sein du Comité FNACA de Revel. René se rappelle du voyage qui les a réunis, eux et d’autres anciens combattants, en 1977 sur les routes de la région de Blida jusqu'aux gorges de la Chiffa, le siège de nombreuses batailles. Kiki en a été comme tous profondément marqué même s’il lui était plus facile de dissimuler ses émotions derrière quelques facéties…
René Batigne se souvient :
«En arrivant à l’aéroport de Toulouse, Kiki nous a proposé d’enfiler un costume de bédouin. Quelques minutes plus tard, il est arrivé gaiement au bras de l’épouse d’un de ses compagnons grimée en algérienne. Nous nous sommes retrouvés devant des policiers perplexes, comme d’habitude Kiki a fait sensation !»
3 mots pour le définir
“Simplicité, fidélité et gaieté”
Du 25 au 27 février 1977, les anciens combattants de la guerre d'Algérie entreprennent un voyage souvenir.
Au premier plan, on découvre le guide algérien qui va accompagner le groupe pendant son séjour et Kiki à l'oeuvre lors
d'une de ses nombreuses facéties - crédit photo : Collection Batigne.
Le militant associatif revélois
Roger Vilamur rencontre Jacques Batigne au début des années 80 lors d’une réunion de la Société d’Histoire de Revel. Il est alors Président du Syndicat d’Initiative et Kiki membre représentant la municipalité. Quand il décide de quitter sa présidence, Jacques est un candidat tout désigné qui a déjà démontré son implication. Elu confortablement, il investit tout de suite sa nouvelle mission et va marquer ses années de présidence par un mode de gestion original et bien à lui. «J’ai été impressionné par sa capacité à gérer le Syndicat d’Initiative comme un chef d’entreprise. Son dévouement était total, et sa conscience professionnelle réelle. Il aimait gérer tout, tout seul, la délégation ne faisait pas partie de sa culture», souligne Roger Vilamur. Son implication dans la vie associative était sans limite, rappelons qu’il était également membre de l’Amicale Philatélique mais c’est en tant que Président de ce qui deviendra l’Office de Tourisme de Revel, qu’il sera à la tête de nombreux temps forts au nombre desquels de passionnantes expositions dont “Riquet, chez nous” en 1980, “Centenaire de Vincent Auriol” en 1984, “Cent vingt ans de chemins de fer Revélois” en 1985, “L’or bleu du Lauragais au XVIème siècle”, “Le barrage-réservoir de Saint-Ferréol”, “Bicentenaire de la Révolution Française dans le Canton de Revel” en 1989, “Un siècle de mise à sec du magasin d’eau de Saint-Ferréol” en 1995, “40 ans de cyclisme revélois” en 2000... “Sa curiosité lui a permis de connaître Revel sur le bout des doigts, il a dédié à sa ville une grande partie de vie, son dévouement en faisait l’un des meilleurs ambassadeurs de notre territoire”, conclut Roger Vilamur.
Roger Vilamur se souvient :
“Plutôt qu’une anecdote, j’ai envie de vous livrer les mots suivants : un ami, c’est Dieu qui vous donne le frère que vous n’avez pas eu …”
3 mots pour le définir
“Investissement, générosité et dévouement”
Mercredi 26 avril 2006, Jacques Batigne interviewe le Prince Philippe de Caraman-Chimay (22°de liste, il est un descendant
de Pierre Paul Riquet) dans le parc de Saint-Ferréol. Le prince est assis sur le siège appelé le “siège de Riquet” sculpté dans
la roche près de la gerbe. L'interview a été réalisée dans le cadre de tournage du film TV belge “Philippe de Chimay
sur les traces de son ancêtre” - crédit photo : SHRSF.
Le féru d’histoire à la passion dévorante
Jean-Paul Calvet rencontre Kiki Batigne à l’âge de 15 ans. Tout de suite, l’adolescent et ses amis sont séduits par cet homme de 15 ans leur aîné qui sait aussi bien partager leurs passions communes, l’histoire et l’archéologie, que leurs fous rires. La Société de Re-cherches Spéléo-Archéolo-giques du Sorèzois et du Revélois (SRASR) sera le maillon qui réunira tous ces passionnés et le Lauragais, un terrain d’investigation d’une incroyable richesse, à la dimension de la curiosité de Jacques Batigne. En effet, tout sera prétexte à faire naître une nouvelle passion chez cet autodidacte qui a préféré user ses pantalons sur les chantiers de fouille que sur les bancs de la faculté. Sa capacité d’immersion suscite l’admiration, c’est bien simple, il suffit qu’il porte son regard sur quelque chose pour que cela devienne un sujet d’intérêt et de recherche potentiel. Sa première passion sera la spéléologie. Adolescent, il choisit comme premier terrain de jeu la grotte de Calel où il effectuera ses premières reconnaissances. Bien connu des Revélois, il sera souvent sollicité pour se pencher, à la demande, sur des questions dignes d’intérêt. “Kiki ne disait jamais non, souligne Jean-Paul Calvet, c’est ainsi que naturellement, lorsque la ville de Revel et certaines associations souhaitaient commémorer un thème spécifique à l’histoire locale, il était la personne toute désignée pour organiser l’événement”. C’est principalement sa passion pour le créateur du Canal du Midi qui va marquer les esprits, elle sera telle qu’il deviendra l’un des principaux contributeurs sur le thème. “Tonton Riquet” comme il se plaisait à le nommer lui permettra d’accéder au rang non officiel d’ “historien local”. Ses thèmes de recherche n’étant pas ex-haustifs et ses passions nombreuses, Kiki se tournera également vers l’histoire de l’aviation, les Moulins à vent du Lauragais, la gare de Revel, Vincent Auriol, l’histoire du Pippermint Get…… La boisson créée à Revel sera prétexte à une nouvelle collaboration à la rédaction du livret “Pippermint GET, 200 ans d’histoire”, un bref historique de la famille Get et de l’industrie du Pippermint Get. Son ami nous confie que “Même si ses thèmes de curiosité étaient d’une grande variété, il aimait avant tout s’attaquer à des sujets restés vierges jusqu’alors, son champ d’investigation n’en était que plus grand… Outre sa curiosité, ses principaux atouts étaient sa grande disponibilité, sa fiabilité, son culot et son don pour les relations humaines. Dès qu’il s’emparait d’un sujet, il n’hésitait pas à contacter les meilleurs spécialistes qui semblaient de ne rien pouvoir refuser à cet homme plein d’entrain”. En dépit de l’absence de formation universitaire de Kiki, Jean-Paul Calvet souligne l’important travail de vulgarisation qu’il a réalisé : “C’était un amateur, dans le bon sens du terme. Il s’emparait des sujets avec une telle énergie, qu’il avait la capacité d’accéder à un travail de qualité ; sa liberté, son ouverture d’esprit et sa connaissance du terrain en ont fait un référent pour ceux qui s’intéressent à ses thèmes de recherche dans un cadre plus académique. La Société d’Histoire de Revel Saint-Ferréol a eu la chance d’être légataire de ses dossiers et de sa bibliothèque, pas moins de 200 à 300 ouvrages traitant de tous les sujets qui ont un jour ou l’autre suscité son intérêt et de sa photothèque comprenant des milliers de diapositives et de photos que l’on n’a pas fini d’explorer.” Le dernier projet partagé par les deux amis sera, en 2002, un relevé topographique de l’Oppidum de Berniquaut, un site pour lequel ils se sont passionnés dès 1967. Lors de cette ultime investigation, la joie se lisait sur son visage, nul doute Kiki avait bel et bien trouvé sa place.
Jean-Paul Calvet se souvient :
“En 1967, lors des fouilles archéologiques de Berniquaut menées par Jean Lautier, j'étais dans l’équipe de fouille avec Jacques Batigne sur le "fanum" près du sommet. Nous avions atteint une certaine profondeur lorsqu’apparaît une capsule de bière, évidemment contemporaine, et mise à cet endroit certainement par un farceur de l'équipe. Restant très sérieux il se tourne vers moi et me dit : “Tu vois Jean-Paul, nous sommes sur une stratification du "capsulien" démontrant l'influence culturelle des Celtes (gaulois) venant d'Allemagne... Continuons à fouiller, nous devrions trouver dessous un bouchon de vin démontrant les influences méditerranéennes de la culture du "bouchonnien" “.
3 mots pour le définir
“Amitié, humanisme et dynamisme”
En 2008, Kiki le spéléologue en compagnie de son ami Jean-Paul Calvet. Ce jour-là dans la grotte de Calel, ils examinent l'escalier
sur lequel Jacques se tient fièrement. Ses marches taillées datent du XI° siècle - Crédit photo : Collection Jean-Paul Calvet.
Zoom sur un projet de jumelage pas comme les autres Ce projet était l’une des dernières marottes de Kiki et consistait à jumeler la ville québécoise de Vaudreuil-Dorion à la commune de Vaudreuille. A la base de ce dessein un peu fou : l’histoire encore et toujours ! La famille Rigaud de Vaudreuil appartenait à la noblesse du Languedoc et possédait le fief de Vaudreuille depuis le 12ème siècle. La famille étant ruinée, Philippe de Rigaud de Vaudreuil choisit l’exil et est nommé commandant des troupes au Canada. Sa bravoure lui vaudra de devenir par la suite gouverneur de Montréal, puis de la Nouvelle-France. Il est le créateur de la ville québécoise de Vaudreuil-Dorion. Pour Kiki, le rapprochement de la cité et du petit village du Lauragais va de soi. Il traduit son ouverture sur le monde mais également son besoin insatiable de transmission. Peut-être un jour le projet verra-t-il le jour ? Kiki Batigne sera alors sans aucun doute le citoyen de cœur de cette nouvelle entente transatlantique. |
Le rédacteur historique de Couleur Lauragais
Entretien avec Christine le Morvan, Responsable de la Rédaction
Comment a débuté votre collaboration avec Kiki Batigne ?
C. Le Morvan : “A la création du journal en 1998, Jean-Marc Faget a souhaité solliciter des historiens locaux afin de proposer un contenu dense et diversifié. Nous avons pris contact avec Kiki, bien connu dans la région qui nous a proposé la création de la rubrique “Au fil de l’eau” retraçant l’histoire du Canal du Midi. Au fur et à mesure de ses contributions, il s’est ouvert à d’autres thèmes identitaires de notre territoire. Il est intervenu très régulièrement à nos côtés pendant 8 ans avec la même rigueur avant de décider de s’adonner plus encore à sa passion des voyages.”
Quel contributeur était-il ?
C. Le Morvan : “Sur la forme, nous savions pouvoir compter sur lui pour remettre ses articles dans les délais. Quant au fond, Kiki était, comme chacun sait, un autodidacte. Il pouvait se montrer très exigeant dans le traitement de ses articles, avec le souci d’être toujours au plus près de la vérité historique. Au final, nous parvenions toujours à trouver un consensus ! Il était très attaché à la transmission de notre héritage culturel et historique, dans ce sens, son investissement au sein de Couleur Lauragais lui a permis de laisser une trace et de partager ses connaissances avec la population locale. Mais Kiki n’était pas qu’un contributeur, c’était avant tout un ami qui s’invitait régulièrement dans nos locaux. Même si nous ne pouvions pas toujours lui consacrer beaucoup de temps, nous avions un grand plaisir à le voir et à l’entendre. Son passage à la rédaction est indiscutablement inscrit dans les “gènes” du magazine.”
Christine Le Morvan se souvient :
“Chaque début d’année, Kiki nous rendait visite pour nous présenter ses vœux et nous offrir une boîte de chocolats. Bien plus que des chocolats, cette attention nous disait sa fidélité et son affection, des sentiments sans nul doute réciproques...”
3 mots pour le définir
“Volubilité, opiniâtreté et …. Canal du Midi !”
A chacun de ses voyages, Kiki adressait une carte postale à l’équipe de Couleur Lauragais. Ici , la Norvège :
“Coucou… quel beau pays… la NORVÈGE ! Il fait très …très beau… jour et nuit ? Le soleil de minuit ici …n’a pas le temps de se
coucher ! (voir sur cette vue) pour en profiter un max ! bises de papi” - Kiki. Une fois revenu, Kiki contactait tous ceux à qui
il avait adressé une carte pour s’assurer de son arrivée. Bien sûr, il s’en envoyait aussi une à son domicile.
La vie de Kiki Batigne ressemble à un véritable kaléidoscope où ses emportements, ses passions, ses facéties et ses multiples centres d’intérêt se reflètent à l’infini. C’est une source intarissable qui dit la profondeur de son âme d’enfant à la curiosité intacte. Le hasard a voulu que ce voyageur invétéré signe sa révérence au pied du beffroi de Revel. Il ne pouvait en être autrement tant son amour était grand pour cette ville sur laquelle il veille désormais pour l’éternité.
Interview réalisé par Isabelle BARÈGES
Kiki, Niels et les autres Le 21 juillet 1969, si le cœur de nombre de terriens a fait un bond en voyant Neil Amstrong et Edwin Aldrin poser, les premiers, un pied sur la lune, l’enthousiasme de Kiki est allé, on s’en doute, bien au-delà. Dès le lendemain, il prend sa plume pour féliciter l’équipe d’astronautes. En quelques mots, il exprime non pas les kilomètres et les cultures qui les séparent mais bien ce qui les rapproche, à savoir une passion commune pour l’exploration : Jacques, de la planète terre et les astronautes, de la lune. |