Jean-Paul Salvat et les orgues d'église : une lignée familiale à l'unisson
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Malgré son ton posé et sa stature un tantinet rigide, il se dégage de Jean-Paul Salvat une forme de fébrilité. Le temps presse, chaque parole révèle en filigrane le caractère sacré de la passion qui l’anime, une passion atavique qui coule dans les veines de sa famille depuis quatre générations : l’orgue d’église. Entre anecdotes et données historiques, Jean-Paul Salvat nous dit son parcours aux côtés de ces géants qui sont le privilège des édifices religieux les plus cossus. En nous contant sa double vie de Conseiller technique aux orgues, il nous mène jusqu’à l’église Notre-Dame-des-Grâces de Revel et nous enseigne les étapes fondamentales du projet de restauration de son orgue. En avant la musique ! |
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L’orgue : un instrument œcuménique
Le majestueux instrument a fait son apparition, dans sa forme actuelle, dans les grandes cathédrales gothiques du XIIIème siècle. Au fil des siècles, il s’est cependant imposé dans d’autres lieux de cultes tels que les Temples et les Synagogues. Cette caractéristique en fait indéniablement l’instrument du spirituel et, dans le même temps, un instrument œcuménique. Chez les catholiques, seules les paroisses les plus riches ont pu se doter de leur orgue. Dans le Lauragais, ce fut notamment le cas de Revel, Saint-Papoul, Saint-Félix-Lau-ragais, Auriac-sur-Vendinelle, Auterive, Villefranche de Lauragais, Fanjeaux, Sorèze… Selon Jean-Paul Salvat, on dénombrerait 28 orgues sur notre territoire.
Les Maurel : souffleurs d’orgue de père en fils
C’est François Maurel, l’arrière-arrière-grand-père de Jean-Paul Salvat, qui en 1861 devait le premier assumer la charge de souffleur d’orgue. Après lui, au siècle suivant, son fils et son petit-fils répèteront les gestes de leur aïeul chaque semaine à l’office et à l’occasion de nombreuses autres célébrations. Les souffleurs avaient alors la charge d’actionner de rustiques pompes à pied pour envoyer de l’air dans les soufflets de l’instrument. La famille Maurel, cordonnier de père en fils, a forcé le destin grâce à sa dévotion. De génération en génération, chaque homme de la famille a hérité de la noble tâche de souffleur d’orgue. Pour Jean-Paul Salvat, c’est l’occasion dès son plus jeune âge de rejoindre la tribune de l’Eglise de Revel et d’observer le géant qui ne quittera plus ses pensées. Ces premiers pas dans l’univers musical le conduiront rapidement à découvrir sa vocation de chanteur, il deviendra d’abord chantre de la paroisse lauragaise, c’est notamment à lui que reviendra la tâche de chanter le requiem lors des enterrements comme son grand-père Louis Maurel.
Orgue et piano : quelles différences ? En dépit des apparences, les deux instruments n’appartiennent pas à la même famille, l’orgue est un instrument à vent et le piano un instrument à cordes frappées. A l’inverse du piano, l’orgue est également poly-symphonique, c’est-à-dire qu’il permet de jouer une multitude de sonorités, notamment en simultané. L’orgue est aussi le seul instrument à clavier qui se joue à la fois avec les mains et les pieds. Sur un piano, il existe bien les deux ou trois pédales du pédalier mais elles ne servent qu’à prolonger la note ou à l’assourdir. Autre différence notable : tant que la touche de l’orgue reste enfoncée, la note est jouée alors qu’au piano, la longévité de la note dépend de l’intensité de la frappe. L’orgue comprend également moins d’octaves que son cousin, exactement cinq contre sept un quart pour le piano qui totalise 52 touches blanches. Enfin, contrairement au piano, il n’y a pas deux orgues identiques. Le nombre de claviers et de jeux (cf.lexique) diffèrent très souvent pour faire de chaque orgue un instrument unique |
Olivier Brugidou de Couffinal est l’un des organistes de l’Eglise
de Revel. Autodidacte, il n’a jamais pris de cours de musique mais bénéficie à coup sûr d’une oreille musicale hors norme. Il anime les offices avec les cantiques sélectionnés par l’équipe d’animation de chants. |
L’orgue de Revel comprend 3 claviers. On note que les touches sont légèrement plus étroites que celles d’un piano.
Les sensations de l’organiste et du pianiste sont sans aucun doute totalement différentes. |
De la Savoie au Lauragais : le parcours du Conseiller technique aux orgues
C’est afin de poursuivre sa carrière professionnelle que le baryton quitte le Lauragais pour rejoindre Chambéry. A l’issue de sa formation d’ébéniste au Lycée technique de Revel, Jean-Paul Salvat se voit offrir l’opportunité d’être embauché à la SNCF. Il est affecté à Chambéry aux fonctions de sous-chef de gare, c’est là qu’il fera toute sa carrière. Loin de ses racines, sa passion pour le chant et l’orgue demeure. Il devient ce que l’on appelait alors le “maître de chapelle” et dirige les chants de la chorale de la Sainte Chapelle des Ducs de Savoie de Chambéry. C’est donc en Savoie que Jean-Paul Salvat va petit à petit se former pour se diriger vers l’activité bénévole de Conseiller technique aux orgues. Lorsqu’on interroge Jean-Paul Salvat sur l’origine de sa passion, il évoque tout de suite l’esthétique de l’orgue, paré de bois et de longs tuyaux majestueux. Formation d’ébéniste oblige, il aime particulièrement l’odeur du bois et est touché par son acoustique. Au final, Jean-Paul Salvat s’attache autant à la dimension spirituelle de l’orgue qu’à ses prouesses symphoniques. Pour parfaire sa connaissance de l’instrument, il étudie des ouvrages de référence datant du 18ème siècle, dont le traité écrit par François-Henri Clicquot, facteur d’orgue du “Roy” et parent présumé de la pétillante veuve. On imagine le degré de passion requis pour se plonger dans la lecture d’ouvrages si ardus. Pour permettre à d’autres de marcher dans ses pas, Jean-Paul Salvat en a récemment fait la donation à la Médiathèque de Revel. Ces sages lectures permettront à notre autodidacte d’acquérir un haut degré de connaissance et de technicité et de proposer ses services en tant que Conseiller technique aux orgues. Son rôle consiste à renseigner les partenaires impliqués dans la préservation de l’instrument de son état et des travaux de restauration ou d’entretien à réaliser. Jean-Paul Salvat mènera ses premières missions à la Sainte Chapelle des Ducs de Savoie et à la Cathédrale Saint-François-de-Sales de Chambéry. Ce n’est qu’une fois retraité, à son retour définitif en terre lauragaise, que l’enfant du pays décide de mettre ses compétences au service des paroisses locales, à ce jour l’Eglise de Revel.
Zoom sur le projet de rénovation de l’orgue de Revel
L’origine - En 1856, la paroisse acquiert son premier orgue fabriqué par le toulousain Théodore Puget. Il va s’ensuivre une série d’aménagements pour parvenir à la configuration actuelle. Il est d’abord installé dans le chœur de l’ancienne église qui se trouvait à l’emplacement de l’édifice actuel. En 1861, Théodore Puget Fils remplace l’orgue initial par un instrument à 3 claviers et 24 jeux contre 10 jeux au départ. Enfin, en 1881, Baptiste Puget Fils aîné déplace l’orgue du chœur de l’église jusqu’à la tribune.
Le buffet de l’orgue de l’Eglise de Revel est relativement sobre, on appréciera son volume général et sa belle stature. Son principal atout réside dans sa puissance. |
C’est là que circule l’air avant d’être envoyé dans les tuyaux. Certains éléments du soufflet, en blanc ci-dessus, sont en peau de mouton. Les Soufflets de l’orgue de Revel datent de sa création 1881. |
Les partenaires - Ils sont nombreux à se mobiliser autour de l’instrument tant aux plans technique que financier : la Direc-tion Régionale des Affaires Culturelles (DRAC) de Midi-Pyrénées, la mairie de Revel, l’Association des Amis de l’Orgue, le Conseiller Technique aux Orgues…. Tous défendent un enjeu de taille : la préservation du patrimoine historique et religieux du Lauragais.
Les réparations majeures - Depuis la fin du 19ème siècle, l’instrument n’a d’abord bénéficié que de menues réparations à l’exception de l’installation en 1929 d’un moteur électrique qui va mettre fin à la fonction de souffleur. Aujourd’hui, l’air qui circule dans l’orgue y parvient grâce à un petit moteur. Au début des années 80, de nouveaux besoins apparaissent. Depuis, l’orgue de Revel a quasiment été révisé dans son ensemble. Au nombre des modifications importantes, on compte par exemple l’ajout de deux notes supplémentaires, le sol et le fa dièse, qui va permettre d’ouvrir l’instrument à un répertoire plus large. Pour la première fois de son histoire, l’orgue de Revel devient romanti-que symphonique, c’est-à-dire qu’il peut interpréter l’ensemble du répertoire de la période romantique. Pour mesurer, l’étendue des travaux qui ont été réalisés il faut revenir sur les différentes étapes de la rénovation, mais auparavant un petit lexique s’impose (cf.encadré ci-après).
Les longues touches de bois constituent un clavier supplémentaire et font de l’orgue un instrument unique. Tous les pianistes qui ont fait l’apprentissage de l’indépendance des mains apprécieront l’agilité requise pour jouer simultanément sur les claviers et le pédalier ! |
On trouve des tuyaux de toute circonférence et de toute taille lorsqu’on pénètre à l’intérieur du buffet. Les tuyaux les plus imposants sont bien entendu ceux qui sont visibles de l’extérieur, du chœur de l’église par exemple. |
Lexique à usage des néophytes Buffet : il s’agit du coffre en bois qui habille et protège les tuyaux métalliques. Cet ouvrage d’ébénisterie remplit une fonction décorative et acoustique. Il est plus ou moins travaillé mais souvent sobre pour mettre en valeur le caractère majestueux des tuyaux et de l’ensemble. |
Pour maîtriser les différentes sonorités, il faut obligatoirement être mélomane. Le premier jeu désigne par exemple la flûte harmonique qui se caractérise par l’absence de trous pour les doigts, le son étant créé par l’obturation d’un seul trou à son extrémité ; le second, la flûte octaviante qui, de par sa forme, son diamètre et sa taille, émet un son différent. |
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Ce visuel nous montre les 16 jeux de l’orgue de Revel qui se trouvent à la droite du clavier, il en existe 34 au total (les autres sont à gauche). Egalement appelés tirasses, les jeux sont actionnés par l’organiste qui choisit les différents registres souhaités. |
Restauration d’orgue : mode d’emploi
Tout projet de restauration d’orgue est un chantier au long cours qui s’étend sur plusieurs an-nées voire plusieurs décennies. Jean-Paul Salvat suit les avancées de la réparation de l’orgue de Revel depuis près de 30 ans.
Etape n°1 : la mairie, propriétaire de l’ouvrage, doit adresser un dossier de demande de restauration à la Direction Ré-gionale des Affaires Culturelles (DRAC). Si la demande reçoit une suite favorable, il s’ensuit, après un examen très minutieux, le classement de l’instrument par le technicien conseil à l’Inventaire supplémentaire des Monu-ments Historiques. Une fois, l’inscription de l’orgue à l’Inventaire des Monuments Historiques, certains soutiens financiers peuvent être sollicités : l’Etat, le Conseil Régional, le Conseil Général et la mairie.
Etape n°2 : la mairie lance un appel d’offre précisant l’étendue des travaux à réaliser et sélectionne un facteur d’orgue qui suivra le chantier jusqu’à achèvement.
Etape n°3 : les travaux débutent. Il s’agit d’abord d’enlever tous les tuyaux à l’exception de ceux qui seront restaurés sur place. Chaque tuyau est enveloppé dans du papier bulle pour être protégé. Seul le buffet reste sur place, l’ensemble des autres éléments sont directement restaurés chez le facteur d’orgue.
Etape n°4 : le facteur d’orgue passe chaque tuyau métallique au mannequin afin de contrôler leur sonorité. Cette opération doit aboutir à la “mise au ton” de chaque élément. Il contrôle é-galement tous les aspects mé-caniques de l’instrument. A Re-vel, cette étape a duré 4 ans.
Etape n°5 : Les éléments de l’orgue réintègrent l’église avant que l’instrument ne soit harmonisé sur place. L’opé-ration est très délicate, il s’agit en effet d’harmoniser chaque tuyau de chaque jeu, soit à Revel, 2 196 tuyaux pour 34 jeux. Grâce à sa formation à la fois technique et musicale, le facteur d’orgue prend en charge les aspects mécaniques autant qu’harmoniques.
Etape n°6 : opération finale du chantier, le spécialiste procède à l’accord général de l’instrument, entre tous les tuyaux de chaque jeu, puis entre tous les jeux. En dehors de toute opération de restauration, seuls les jeux désignant des instruments à anches (clarinette, hautbois, trompette… etc) sont accordés deux fois par an, avant Noël et avant Pâques.
C’est leur passion Le facteur d’orgues
Ces artisans spécialisés ne sont pas plus de 100 sur tout le territoire national. Leur savoir-faire relève d’une formation complète à la fois technique et musicale très exigeante. Pour entretenir ou restaurer l’orgue et ses composants, le facteur d’orgue doit maîtriser une multitude de disciplines : la mécanique, la me-nuiserie, l’électricité, le travail des métaux et des peaux…En plus de toutes ces compétences, il reçoit une formation musicale et acoustique très poussée.
Le Conseiller Technique aux Orgues - Son rôle a déjà été évoqué ci-dessus, il ne s’agit pas d’un titre officiel puisque la majorité d’entre eux sont autodidactes et bénévoles. Ce sont plutôt l’expérience et la passion qui rendent le Conseiller indispensable aux projets de restauration.
L’organiste - Il en existe deux types : les concertistes et les liturgiques, tous connaissent sur le bout des doigts et des pieds leur instrument. Comme son nom l’indique, l’organiste concertiste peut se produire en concert grâce à son solide bagage musical. Il y interprètera des œuvres du répertoire de l’orgue en tant que soliste ou se produira dans le cadre d’une formation musicale plus large. Pour le second, la dimension religieuse domine, c’est lui qui anime les offices et qui est conduit à adapter ses accompagnements à tous les types de célébration. A Noël, les jeux de hanches, à sonorité brillante, dominent alors que les jeux de fond, à sonorité plus douce accompagneront par exemple la veillée pascale. A l’occasion de mariages ou d’enterrements, l’organiste liturgique jouera immanquablement des marches nuptiales ou funèbres. Pour conclure, il n’est cependant pas rare que l’organiste soit à la fois concertiste et liturgique.
Les grands compositeurs de musique pour orgue Comme tous les instruments, l’orgue a inspiré des compositeurs de référence. Nombre d’entre eux sont illustres et ont donné à l’orgue ses lettres de noblesse. Leurs compositions résonnent encore dans nos églises à l’occasion des concerts qui y sont régulièrement donnés. Les pièces de référence de la musique pour orgue ont été pour majorité créées par les compositeurs des époques baroque (XVIIème siècle) et romantique (XIXème siècle). Au nombre des plus célèbres, on compte Jean-Sébastien Bach, Camille Saint-Saëns, Gabriel Fauré, Charles-Marie Widor, Maurice Ravel …sans oublier Marie-Joseph-Alexandre Déodat de Séverac, originaire de Saint-Felix Lauragais. Ce dernier a composé une dizaine de pièces pour orgue, il faut dire que c’est auprès d’un organiste qu’il reçut ses premières leçons de musique, il fut lui-même organiste toute sa vie. Le compositeur qui a les faveurs de Jean-Paul Salvat n’est autre que Louis Vierne, organiste de Notre-Dame de Paris de 1900 à 1937. “J’aime ses compositions belles et émouvantes, notamment l’Hymne au Soleil qui vous prend littéralement au cœur et à l’esprit. Ce compositeur de près de 20 pièces majeures pour orgue mourut d’une crise cardiaque à la tribune alors qu’il donnait son 1750ième concert”, précise-t-il. |
Voici un exemple de partition pour orgue. On notera la présence d’un système composé de trois portées correspondant, de haut en bas, à la main droite, à la main gauche et aux pieds. |
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Les facteurs d’orgue marquent leur passage. En dehors des quelques aménagements réalisés ces 30 dernières années, Baptiste Puget Fils Aîné est celui qui a donné à l’orgue de Revel sa facture actuelle. La maison était établie à Toulouse. |
Jean-Paul Salvat poursuivra sa mission aussi longtemps que cela sera possible, il a d’ailleurs déjà en tête la restauration de l’orgue de Saint-Papoul datant de 1735. Plus tard, sa passion le mènera sur d’autres territoires, et si ce n’est pas lui, ce sont ses deux petits-fils, aujourd’hui âgés de 4 et 10 ans, qui poursuivront la tradition familiale. Dans le regard de Jean-Paul Salvat, on lit l’espoir brûlant qu’à leur tour, ils se passionnent pour le majestueux géant qui a illuminé sa vie.
Interview réalisé par Isabelle BARÈGES
Crédit photos : Isabelle Barèges
Contact : Si vous souhaitez rejoindre ou soutenir l’Association des Amis des Orgues de Revel Eglise et Temple, merci d’adresser un courrier à son Président M.Pujol, Hôtel de Ville de Revel, 31250 REVEL. |