Contes
L'âme du Lauragais
Avec mes nouveaux voisins, il nous arrive souvent de refaire le monde autour d'un verre de rouge. Ce couple d'écossais connaît déjà bien le Lauragais, mais curieux du moindre détail, ils continuent à poser beaucoup de questions. Ce qui les intéresse le plus, ce sont les anecdotes, légendes et autres petites histoires, qui participent à la culture d'un territoire.
Le Lauragais, pays de blé doit se méfier du vent dont la force peut tordre les platanes au bord des routes. crédit photo : collection Pierre Espenon |
Aîeule tenant son chapeau face au vent d’autan Santon créé par Paul Bioulez (voir CL118) crédit photo : Isabelle Barèges |
Le Lauragais pays de blé - crédit photo : Couleur Média
Ce soir là, la nuit est déjà tombée, une nuit d'hiver avec un épais brouillard givrant qui rend la campagne particulièrement inhospitalière. Chez eux, nous sommes dans un cocon de chaleur. Le vin aidant, la parole s'envole, conviviale, libérée du carcan des convenances et des usages.
Les questions fusent. Sur les Cathares, les bûchers, les guerres de religion... Ils insistent et me laissent à court d'arguments.
- Je ne vais quand même pas vous dire que "Nessie" a fait des petits et qu'on peut les apercevoir, les matins de brume, surfant sur les eaux du lac de la Thésauque ou de la Ganguise. Ca ferait trop piège à touristes !
Greg éclate de rire. Il a beaucoup d'humour et il est bon public.
L'idée me vient alors de parler de l'âme du Lauragais, comme un vieillard l'avait fait une cinquantaine d'années auparavant, alors que j'étais enfant.
Pierrou-Pitchou, comme on l'appelait ici, avait cette même douceur que l'occitan confère à son prénom. Il habitait, avec sa femme Philomène, à Montgeard, dans un "palho-bart" (maison en torchis) aujourd'hui disparu.
Je venais d'avaler un bol de café au lait et de dévorer deux tartines de beurre et de miel que Philomène m'avait préparées. Elle souriait de voir avec quel appétit, un peu sauvage, je m'étais régalé de ce goûter. Ils me considéraient un peu comme un arrière-petit-fils, avec cette tendresse et cette douceur que les personnes âgées ont pour les "pitchous".
Pierrou était assis sur une chaise basse dans le "cantou". Moi, directement sur la terre battue devant la cheminée. Dehors, le vent soufflait fort, la magie était là et le conte de Pierrou m'emporta dans le rêve.
- Petit, tu sais, le vent du Lauragais, c'est un guerrier. Je connais une vieille légende qui en parle mieux que moi. Quelqu'un, voilà sans doute très longtemps, en a fait un poème : Histoire de moulin. Quand j'étais enfant, je l'ai entendue à Villefranche, récitée par ceux qui, en ce temps là, disaient la "complainte" sur les marchés, contre quelques pièces de monnaie. Depuis, elle ne m'a pas quitté. Je vais te l'apprendre il ne faudra pas que tu l'oublies !
Ecoute bien ami, l'histoire
Des ailes de la meule et de l'arbre
C'est un conte de mon village
Du temps où tournaient les moulins.
Sur un coteau du Lauragais, dans le vent, chantait un moulin
Les ailes ambitieuses criaient : "- c'est grâce à nous qu'on a le pain !"
La meule s'indignait alors : "- et le froment qui donc l'écrase !"
L'arbre et les gros engrenages, de leur voix rauque d'automate
Disaient le singulier toupet, qu'ils trouvaient à ces effrontées.
Le meunier, déjà d'un grand âge, en était beaucoup attristé
Il leur répétait sans arrêt, qu'ensemble, ils étaient le moulin.
Il les choyait comme un bon père, piquait la meule avec grand soin
Passait du suif aux engrenages, réglait les ailes à tout moment.
Il savait bien que son moulin, était à la merci du vent
Et que ces trois écervelés pourraient un jour le déchaîner.
Le vent, lui, n'était pas content, tout ce beau monde pavoisait
Alors que c'était lui Eole qui était le seul souverain.
Mais le capitaine était là, qui tout le temps veillait au grain.
Un jour pourtant, la maison basse n'ouvrit ses volets qu'à demi
Ce jour là, le ciel était gris, le vieux meunier était parti.
Le vent comprit alors qu'il fallait faire vite
Que l'heure était venue d'engager la réplique.
Il se mit en tempête et brisa net les ailes
Qui gisant sur le pré, se sentirent bien faibles.
La pluie et le soleil, en complice du vent
Eurent raison de l'arbre qui pourrit lentement.
La meule, quant à elle, fut coupée en morceaux
Elle pave aujourd'hui le chemin du hameau
Pleurant avec le gel quelques larmes de pierre
Se rappelant sans doute, ce qu'elle fut naguère.
Comme un tronc d'arbre creux, vestige du moulin
Le fût de briques rouges reste comme témoin.
Le vent souffle toujours mais jamais il n'a dit
Si cette victoire l'a beaucoup réjoui.
Ami écoute le te raconter l'histoire
Des ailes de la meule et de l'arbre
Qui n'ont pas voulu croire leur ami le meunier
Et qui sont perdus par trop de vanité.
Pierrou marque un temps d'arrêt, ses yeux brillent un peu. Avant que j'intervienne, il me dit :
- Tu vois, petit, toi aussi il faut que tu apprennes à écouter le vent. Il te dira que pour être plus fort, il faut rester groupés et solidaires. Le vent c'est l'âme du Lauragais, il a forgé le caractère des gens d'ici. Un pays sans âme n'aurait aucune force, aucun dynamisme. Pierrou et Philomène sont partis depuis longtemps. Je me dis que Greg va peut-être trouver cette histoire passéiste et un peu "franchouilarde". Pour moi, elle reste une image forte du Lauragais. D'un pays en pleine mutation qui apprend à conjuguer modernité et tradition. Greg sourit, séduit qu'il est par notre culture. Il me renvoie la boutade :
- C'est presque aussi mystérieux que le Loch Ness ! Si j'ai bien compris le message, le Lauragais, en deux mots, c'est un pays solidaire et qui ne manque pas de souffle !
- Exactly sir !
Le moulin de Ribouisse crédit photo : Pierre Mercié |
Le moulin de Villasavary crédit photo : Pierre Mercié |
Le moulin de Nailloux crédit photo : Couleur Média |
André Roou
Montgeard (31)
Le Lauragais, pays des vents (J. Odol) L'agitation de l'air est incessante et rares sont les journées calmes. La rose ci-jointe nous montre une bonne douzaine de vents ; les principaux : venant du Nord la bisa, du Nord Est : l'autan de Sibérie (ou manja fanga = qui mange la boue) ; de l'Est : la soledra, le levant ; Est : le vent blanc, le marin l'auta ; du Sud Est : l'autan, marin, vent de naut ; du Sud : miégjorn, vent de bas, trasmontana, vent d'Espagne, vent d'avant, de Saint Gaudens ; Ouest Sud Ouest : vent de Baiona, ponental ; de l'Ouest : ponent, le plojal ; de l'Ouest Nord Ouest : rosal, bordalès (vent de Bordeaux) ; du Nord Ouest : le vent de darré, vent terral, le cers ; Nord Nord Ouest : bisa negra. Dans certaines régions du Lauragais, le cers désigne tout vent venant de l'Ouest. |