Les châteaux du Lauragais
Le Lauragais est une région agricole particulièrement riche reposant sur la production des céréales, blé, orge, depuis la Préhistoire, et le maïs depuis le 16ème siècle ; une plante mythique comme le pastel fait la fortune du Pays de Cocagne aux 14ème, 15ème et 16ème siècles. Lorsque les conditions commerciales sont favorables, les grands propriétaires construisent des châteaux, des demeures souvent somptueuses dont le semis est toujours visible dans les collines. Chaque commune possède deux ou trois châteaux, parfois plus, avec au total plusieurs centaines de belles constructions ; aussi comment s’y reconnaître ?
|
|
Le château de Bonrepos-Riquet est situé sur la commune de même nom dans le département de la Haute-Garonne,
il fut la demeure de Pierre Paul Riquet, inventeur du Canal royal du Languedoc -crédit photo : Couleur Média |
Les matériaux
Les matériaux utilisés sont d’origine locale d’où la diversité apparente des châteaux que l’on peut cependant diviser en deux grandes familles : châteaux de pierre, dominant dans le Lauragais oriental, comme Ferrals, Marquein ou le Présidial de Castelnaudary et Montgey ; châteaux de brique du Lauragais occidental comme ceux de Fourquevaux, Mauremont, les Varennes ou Baziège. Les types de pierres sont au nombre de deux grandes familles : les grès et les calcaires ; le grès de la molasse est une roche faite de petits grains de sable cimentés par un liant ; sa dureté et sa résistance aux intempéries sont très variables. Le calcaire est beaucoup plus dur et résistant à l’injure des siècles. La brique (terre cuite) est connue depuis l’époque gallo romaine mais elle est très coûteuse : la cuisson de l’argile exige huit jours et est très dispendieuse en bois (pour construire l’église de Montgeard, on a déboisé une forêt de 50 hectares !). La brique règne pratiquement sans partage en Lauragais occidental, c’est à dire dans la région de Lanta, Caraman, Montgiscard, Villefranche. La terre non cuite, ou pisé, est très employée au Moyen Age avec le bois, matériaux fragiles ; parfois lorsque des rivières sont pro-ches, on utilise pour les fondations ou la base des murs, des galets ainsi vers Venerque et Belpech. Les toits plats gallo romains avec des tuiles à rebord (tegulae et imbrice) sont concomitants avec des couvertures en chaume, puis font place aux tuiles canal plus légères ; les lauzes et les ardoises sont à la mode du 17ème au 19ème : elles proviennent des carrières de la Montagne Noire.
Moyens financiers et principales périodes de construction
La construction des châteaux et des églises exige de très gros moyens, souvent d’énormes fortunes dont les origines sont doubles : la plupart sont issus de l’économie du Lauragais, les autres sont le fruit d’activités variées hors du pays de Laurac.
1) Pour les fortunes hors du Lauragais, nous donnerons deux exemples ; le château de Bonrepos-Riquet (près de Verfeil) est construit, modifié, par le constructeur du canal du Midi qui était receveur des gabelles (sorte d’impôt sur le sel) pour les provinces du Languedoc et du Roussillon ; cette activité rapportait beaucoup et Riquet disposait ainsi de puissants moyens.
Le château de Ferrals, près de Saint Papoul a été la propriété de Diane de Poitiers qui le vend à François de Rougier ; ce dernier était secrétaire général des guerres et trésorier de France à Montpellier ensuite maître d’hôtel ordinaire du roi, trésorier général des finances à Lyon, sénéchal du Lauragais, enfin ambassadeur de France près du duc d’Albe, gouverneur des Pays Bas, puis en Turquie et à Rome ; c’est François de Rougier qui fait construire l’énorme château actuel.
Autres sources de revenus importants : les indemnités afférentes aux magistratures du Parlement de Toulouse. Ainsi le Président Claude de Saint Félix élève les châteaux des Varennes et Maurémont (16ème), le président d’Ayguesvives bâtit le bel édifice au centre du village, place du Fort (18ème).
2) Les fortunes d’origine économique et commerciale sont en liaison avec deux plantes dont les produits sont exportés hors du Lauragais : le pastel et le blé-froment.
Le pastel est source d’énormes richesses. Si sa culture a été longtemps considérée comme plus intensive dans les régions de Montgiscard, Lanta, Caraman, Nailloux où se dessine la plus grande densité de moulins pasteliers, une thèse récente (Maguer) montre que la culture pastelière a été pratiquée massivement dans la région de Castelnaudary. Les grands propriétaires commercialisent d’abord les coques auprès de négociants locaux lesquels les revendent aux “grands princes du pastel” de Toulouse et d’Albi. Ces derniers pratiquent un commerce international en exportant l’agranat vers l’Espagne, la Catalogne, l’Angleterre, les Pays Bas. Ils concentrent entre leurs mains des fortunes exceptionnelles comme Jean de Bernuy qui se porte garant de la rançon de 25 000 écus d’or que le roi de France François 1er doit verser aux espagnols après sa capture à la bataille de Pavie en 1525. Les princes édifient les célèbres hôtels de Toulouse (d’Assezat) et sur leurs terres lauragaises ils laissent un semis de châteaux très dense ; nous en avons recensé 70.
Les capitaux amassés avec la production et le commerce du blé se constituent à partir de 1681 et jusqu’en 1860. Avant 1680, le blé était transporté à Toulouse pour les besoins de la ville, une autre partie était dirigée vers Narbonne, Béziers, le Bas Languedoc, régions déficitaires, avec des moyens de transport très coûteux, aussi en Lauragais, certaines années des stocks de blé étaient non commercialisés. C’est Riquet qui désenclave le Lauragais avec son canal et à partir de 1681 un âge d’or du froment commence et perdure jusqu’en 1860 (arrivée du chemin de fer en 1857). Le prix du blé croît très régulièrement du 17ème jusqu’en 1790, d’ou la construction de nombreux châteaux du froment pendant deux siècles.
Les grandes périodes de construction
Les grandes périodes de construction correspondent à des phases de prospérité économique, d’une paix civile intérieure relative et des années de rémission pour les famines et les épidémies de peste.
On distingue, grossièrement, pour la clarté de la synthèse, trois grandes périodes de construction de châteaux lauragais :
1. Au Moyen Age, du 12ème au 13ème siècle inclus - Après l’An 1000, le pays se couvre d’un "blanc manteau" d’églises et de châteaux ; la population augmente régulièrement jusqu’en 1320, l’agriculture et les transports font des progrès, le climat se réchauffe, donc les conditions sont relativement bonnes pour construire. Le système féodal se met en place et les seigneurs s’abritent derrière d’innombrables forteresses.
2. Du 14ème au 16ème siècle : le pastel - On construit peu au 14ème siècle avec la Peste Noire (1348-1350) qui enlève le tiers de la population. La guerre de Cent Ans et son cortège de désordres, de pillages, perdure de 1337 à 1453 et elle n’est pas très favorable aux chantiers de construction ; mais après 1453 une paix relative est très favorable, jusqu’en 1562, début des atroces guerres de religion entre catholiques et protestants (jusqu’en 1630). Le bel âge d’or du pastel est donc : 1453-1562.
3. De 1681 à 1860 : le froment - L’ouverture du canal - En 1681 ouvre un autre âge d’or : celui du froment qui perdure jusqu’en 1860. Il prend fin avec l’arrivée des chemins de fer qui introduisent les blés du Bassin Parisien à Toulouse et à Narbonne à un prix inférieur à celui du blé lauragais. Durant ces deux siècles, c’est le 18ème siècle qui est la période la plus favorable.
Les grands types de châteaux lauragais
Les forteresses du Moyen Age - L’insécurité est partout et les châteaux ont uniquement une fonction militaire. Tout est conçu pour résister à une attaque, à un siège, par une armée ennemie ou une bande de pillards. Des murs d’une très grande hauteur et épaisseur, pas d’ouverture sinon des archères. Ces châteaux très anciens, en terre et bois, ont pour la plupart disparu. Il en reste quelques murailles, quelques bases ; ainsi le mystérieux donjon de Salles sur l’Hers (12ème) sans ouverture, celui d’Auriac sur Vendinelle qui sert de clocher à l’église. La base de Montgey est médiévale ainsi que les parties basses du Présidial de Castelnaudary ; certaines parties de la Pomarède ou les ruines du vieux castel de Ferrals. Le château de Roquefort, dans la Montagne Noire entre les Cammazes et Durfort est à rattacher à ce type.
Le donjon d'Auriac sur Vendinelle sert de clocher à l'église Ste Marie Madeleine. De style roman massif,
sans ouverture et de grande hauteur, il témoigne de l'époque médiévale - crédit photo : Couleur Média
Les châteaux du pastel : mi forteresses - mi résidences - Les châteaux du pastel datent des 15ème et surtout 16ème siècle. On reconnaît un de ces châteaux lorsqu’on vous dit qu’il est de type Renaissance, c’est à dire qu’il n’est plus une forteresse du Moyen Age, mais cependant des soucis de sécurité et de défense sont évidents dans une période troublée par des pillards. La sécurité absolue n’existe pas et il vaut mieux prévoir des moyens de défense comme par exemple des tours circulaires aux angles de la construction, ce qui permet de battre1 toutes les murailles. Dans certains, on observe des orifices à la base des murs : ce sont des "bouches à feu" permettant le tir des premières armes à feu, mousquets, pistolets de rempart, couleuvrines (sorte de petit canon), ainsi à Montmaur et Espanès. Les ouvertures sont divisées en quatre parties par des colonnes de pierre : il s’agit de fenêtres à meneaux, trait très spécifique du style Renaissance. Parfois des terrasses peuvent, en cas de besoin, accueillir des canons, ainsi à Ferrals (près de St Papoul), château inachevé.
Nous avons recensé plus de 70 châteaux du pastel en Lauragais, ainsi dans la partie Nord : Auzielle, Loubens, le Faget, Auriac, Cambiac, Juzes, le Vaux, Saint Félix ; au Centre : Fourquevaux2, Montlaur, Tarabel, les Varennes, Montmaur, Labécède, Ferrals ; dans le Sud Lauragais : Aureville, Espanès, Roqueville, Monestrol, Caignac, Marquein, Belflou, Baraigne, Payra.
Les bouches à feu du château de Loubens, construction typique de l'époque du pastel,
nous rappellent le temps où l'on devait se protéger des attaques - crédit photo : Jean Odol
Les châteaux du froment : belles résidences - Ils sont les plus nombreux, deux cents environ, et correspondent à l’âge d’or du blé 1700-1850, période de très grande prospérité pour le Lauragais. Ils sont élevés par les grands propriétaires producteurs et les marchands de grains qui organisent les transports vers les marchés (Baziège, Ville-franche, Castelnaudary) et les ports sur le canal (Baziège, Gardouch, Castelnaudary, Bram). Dans leur aspect extérieur, toute partie ayant une fonction militaire de défense a disparu, sauf des fossés dont certains sont toujours en eau (Mauremont). Plus de tours d’angle très souvent remplacées par des pigeonniers. Les toits sont peu apparents, avec une gênoise ; les façades en belles briques foraines rouges ont une ordonnance classique, avec fréquemment au centre, un fronton triangulaire. La façade principale domine une très grande cour d’honneur ; belles grilles en fer forgé. Souvent une orangerie, de la seconde moitié du 18ème siècle, ainsi à Mauremont, Ayguesvives et Fourquevaux. Citons quelques châteaux parmi les plus typiques : Vieillevigne, Ayguesvives, Villenouvelle (de Lavalière), Corronsac (de Beauregard), Escalquens (de Cazals, de Lamothe), Fourquevaux2 (Castellan, Tiffaut), Seyre.
Situé aux portes de Toulouse, au cœur du Lauragais, dans le pays du pastel et des moulins,
se dresse un château typique du froment : La Valière
Les châteaux composites - Ils sont également très nombreux. Sur ces constructions se sont accumulées parfois durant plusieurs siècles, des démolitions, des reconstructions, des modifications qui les chassent d’un des trois types esquissés ci-dessus et les rejettent dans un quatrième groupe disparate et très complexe. On observe ainsi des châteaux commencés au 16ème siècle (type pastel), modifiés au 18ème siècle et des ajouts au 19ème siècle (type froment). Ils sont très délicats à étudier en l’absence de documents écrits ; une partie des bâtiments est avec des tours de défense, une autre partie avec des pigeonniers, une aile est de type Renaissance avec fenêtres à meneaux, ailleurs une façade du 18ème. Quelques châteaux composites : Loubens, Tarabel, Lastours (Baziège), Belflou (très récemment restauré).
Les châteaux du Lauragais sont intéressants à étudier d’abord par leur densité, ensuite par la juxtaposition des types dans une même commune. C’est à travers leur description et leur analyse que nous reconstituons l’histoire économique du Pays de Laurac.
Jean ODOL
1 - "battre toutes les murailles" : battre le bas du mur (défendre).
2 - Le château de Fourquevaux est à la fois un château du pastel et du froment parce qu'une partie a été construite aux 15 et 16èmes siècles (belle époque du pastel) puis complétée au 18ème siècle (belle époque du froment). |