Le Lauragais, "Pays de Cocagne"
Après les désastres occasionnés par la guerre de Cent Ans, le Lauragais, le Toulousain et l'Albigeois connaissent un "siècle d'or". Toulouse est le centre collecteur d'un produit tinctorial. Ce bien être est dû à une plante miracle le Pastel, donnant le "bleu renaissance" sous le règne de François 1er, dès 1515. La "Flou del Laouraguès" ou Bleu de la Fortune fit de ce terroir le Pays de Cocagne avec pour devise : “Plus on y dort et plus on gagne”.
Le nom de "pastel" vient du latin pasta, "pâte",
car autrefois les feuilles étaient broyées dans les moulins à pastel et formaient une pâte ensuite fermentée et séchée.
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Origine du "Bleu lauragais"
Depuis cette époque, le "bleu" fit merveille dans notre terroir. On peignait charrettes et volets en bleu. Ce bleu éloignait les mouches. Pendant les trêves de la Guerre des Anglais, de retour de Venise, port importateur des épices d'Orient, les négociants ambulants toulousains, merciers et drapiers, groupés en convois, ramenèrent d'Italie une plante crucifère qu'on appela Pastel (de l'italien pastello : pâte).
Le raifort des marais (Isatis ou Guesde) était à l'origine une plante médicinale connue des grecs. Ce végétal dont on n'utilisait que les feuilles lancéolées, devint sous François 1er un bleu très prisé des drapiers et teinturiers.
Culture du Pastel ou "bleu de la Fortune"
Elle nécessitait des "bras", beaucoup de main d'oeuvre ("des brassiès"), une paire de labour (lé Parel : mulet et Mascaret), un terroir fertile (le "Terrofort", sol argilo calcaire) et un moulin communal (lé moli pastélhé) équipé de deux meules : la dormante posée sur le sol de "l'aïral" et la tournante activée par un mulet.
La préparation du produit fini, l’agranat tinctorial, demandait deux années.
Cycle des manipulations ou "cycle du Pastel"
En premier lieu, dans la campagne lauragaise, le "gazailhat" (métayer) devait travailler le sol. Avec sa paire de bœufs, il procédait à un labour puis à un sarclage manuel afin d'ameublir le terrefort. La semence s'effectuait "à la volée", en pleine lune de février (le "mès gatiè", mois des chats).
Le paysan semait à la main, par pocket quelques graines ou "siliques", tous les 60 cm environ. La germination demandait une quinzaine de jours. La première récolte avait lieu vers la St Jean Baptiste (24 juin). On cueillait alors en famille (femmes et enfants) les premières feuilles de l'Isatis tinctorial sur le pied ou "rosette". Il y avait plusieurs cueillettes : en juillet, fin août et fin septembre. Les feuilles amenées par charrois sur "l'aïral" (sol du magasin) étaient broyées par la meule tournante du "moli pastélhé". On obtenait une bouillie verte.
Le pastel des teinturiers est une plante bisannuelle de la famille
des Brassicacées, très cultivée autrefois dans la région d'Albi (81), Carcassonne (11) et Toulouse (31) pour la production
d'une teinture bleue, le pastel.
Son nom scientifique est : Isatis tinctoria L. |
La teinture bleue est extraite des feuilles de la plante.
Ces feuilles, allongées, se détachent facilement par simple
torsion lorsqu'elles ont atteint leur maturation au solstice d'été.
Mais la récolte se poursuit de juillet à la mi-septembre
jusqu'à ce la plante ne possède plus de feuilles |
On procédait ensuite à son malaxage à "pellerées" avec de l'eau croupie. Cette opération qui consistait à "banhar" et à "birar" durait trois mois. Le but était de provoquer l'oxydation du glucose afin d'obtenir la Vaute (bouillie fermentée).
Le modelage des "coques" à forme ronde était réservé aux femmes et aux enfants des ruraux (cocagne vient de l'occitan "coco" signifiant gâteau). Elles avaient la grosseur d'un petit melon. Elles étaient placées sur des claies (sur "la falso" : grenier ou galetas). Des "souleilhas" ou ouvertures en demi lune aéraient ces greniers de métairies. Après un séchage de deux semaines, il fallait procéder au cassage des "coques" au maillet. Cette opération manuelle donnait "l'agranat" ou granules de Pastel utilisées comme colorant bleu (1 coque de 600 gr donnait 250 gr de teinture, 400 coques donnaient 100 kg d'agranat).
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Commercialisation du produit fini ou "Agranat"
Les granules étaient enfermés dans des balles ou ballots de chanvre de 80 kg. Devant l'abondance de cette production pastellière, les propriétaires terriens locaux (laïques ou nobles et clercs ou représentants de l'Eglise romaine) décidèrent de commercialiser cette marchandise vers l'Europe du Nord (Flandres, Anvers, Hambourg). Le pastel fit la fortune du Pays toulousain qui l'exporta. Villefranche était un centre collecteur. Pour le transport de l'agranat, il fallait affrêter les gabarres de la Garonne amarrées au Quai du Bazacle de Toulouse. Elles transportaient les ballots jusqu'au port de Bordeaux où des courtiers les faisaient embarquer sur des navires en partance pour les Flandres et le Nord de l'Europe, pays de drapiers et de tapissiers. Citons des pastelliers célèbres qui s'anoblirent : Bernuy, Cheverry, d'Assezat, Boisson, Lancefoc, Ferrières. La devise de ces propriétaires terriens et châtelains de la Renaissance : "Un brabé castel, dé bi, dé blat et dé Pastel”(Un grand château, du vin, du blé et du Pastel).
Des recherches très poussées sur la graine de pastel ont permis de constater qu'elle renferme 30% d'huile.
Celle-ci est composée d'acides gras essentiels polyinsaturés, aux propriétés revitalisantes, diurétiques et même antibiotiques.
Crédit photo : Jacques Batigne
La fin du Pastel
Vers 1561, des marchands italiens ramenèrent l'Indigo des Indes, qui supplanta le Pastel du fait de son haut pouvoir colorant pour un faible coût. De nouvelles teintures apparurent alors, le bois brésil et la Garance des Corbières. le Pastel finira par disparaître.
La culture du Pastel fut à l'origine d'un progrès économique et social remarquable à la fin du XVIème siècle. Dans une région dévastée par les épidémies et la guerre, on vit affluer une population nouvelle : cultivateurs, brassiers, rouliers, collecteurs ou teinturiers, voituriers, peseurs, emballeurs. Des auberges s'ouvrirent dans les centres collecteurs comme Villefranche et Nailloux. Les consuls des villages rétablirent les foires. On avait besoin d'animaux de trait (bœufs et roussins). La population des "locs" (lieux) augmenta. Ces centres de vie éclatèrent et s'étalèrent à l'extérieur des murs.
Le brassier acheta son lopin de terre. le propriétaire terrien, anobli, fit construire son "château du Pastel". Les riches pastelliers toulousains détenaient un "fief" (domaine) en Lauragais. Ils accédèrent au Capitoulat et Toulouse se dota d'un Parlement régissant justice et finance.
L'usage du pastel comme pigment colorant était un sous-produit
de la teinture : on recueillait l'écume à la surface des bains de teinture, et cette fleurée séchée donnait une poudre bleue utilisée comme pigment pour des peintures.Crédit photo : fotolia@Clivia |
Crédit photo : fotolia@monamakela.com |
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Gazette locale
En 1529, Jean Bernuy acheta 18 000 m de toile de chanvre pour fabriquer les ballots de granules. Il fit venir de Lyon, siège de la finance, deux mulets chargés de 3 quintaux d'argent pour payer en espèces les paysans du Lauragais.
En une année, Pierre d'Assezat expédia par Bordeaux 16 000 ballots de pastel (1280 tonnes).
Quelques collecteurs de Pastel : Jean Saffont, Pierse Agard, Jacques Sudre.
Un collecteur recevait une livre pour un millier de coques ou 5 sarcinées. |
Recherches d'Odette BEDOS
PS. Les mots et expressions occitanes figurent dans le "Dictiounari moundi" (dictionnaire toulousain) de Jean Doujat, Doyen de la Faculté de Droit et Membre de l'Académie française (1606 - 1688).
La continuité…
Les années 1995/96 vont marquer un tournant dans la mythique culture du pastel. Alors qu'une cinquantaine d'hectares sont remis en culture dans le Lauragais pour la graine, un couple de chercheurs bruxellois, Denise et Henri Lambert, viennent d'installer dans une ancienne tannerie du XVIème siècle, à Lectoure dans le Gers. Et là, Henri est intrigué par la couleur bleue des volets. Il s'interroge. En quelques années de recherche, il relance à titre expérimental deux hectares de culture de pastel et découvre de nouveaux procédés de fabrication de teintures, mais aussi et surtout de peintures. Ceci, en collaboration avec l'École Nationale de Chimie de Toulouse.
En extrayant le pigment pur des feuilles de la rosette (plante) de pastel par un procédé moins complexe et surtout beaucoup plus rapide (24 heures) que par le passé, Henri Lambert produit une gamme de bleus, dont lui seul a le secret. Il crée une société "Bleu de Lectoure" et se lance dans un premier temps dans la fabrication à titre artisanal de plusieurs produits chers aux artistes peintres : teintures, encres, peintures, crayons à dessin. Il commercialise ses teintures vers la haute couture parisienne. Les robes bleu pastel défileront au travers de tissus innovants chez les grands créateurs de mode.
Récemment disparu, Henri Lambert aura contribué au renouveau de la culture du pastel. Aujourd'hui, des entreprises lauragaises font renaître à leur tour cette "magie bleue"" typique de notre région.
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