Mais qui sont-ils ces cours d’eau qui ont porté la vie en Lauragais ? - Ici, point de fleuve, que des rivières, mais surtout un réseau étonnant, dense et ténu de centaines de petits ruisseaux qui courent aux creux des vallées de ce pays aux mille collines. La carte des rivières et des ruisseaux permet de bien distinguer d’une part le versant méditerranéen avec le Fresquel et d’autre part le versant océanique avec notamment l’Hers, principale rivière du Lauragais occidental avec ses très nombreux affluents (voir la carte). La ligne de partage des eaux passe par le seuil de Naurouze, lieu d’alimentation du Canal de Midi par les eaux de la Montagne Noire amenées par la rigole. Si les noms des plus petits ruisseaux proviennent d’un nom commun occitan ou français qui évoque la topographie, la flore, la faune ou l’activité humaine du terroir traversé, ceux des autres grands cours d’eau clament leur identité de rivière avec leurs propres caractéristiques (caillouteuse, tranquille, venant des sommets rocheux….) ou simplement de transporteur d’eau dans une langue « archaïque » qui remonte à plus de deux millénaires, aujourd’hui oubliée (cf. livre* Les noms de rivières et de ruisseaux du Lauragais, 2010, L.Ariès). Des ruisseaux qui marmonnent le nom de nos arbres Plusieurs variétés d’arbres ont donné des noms de petits cours d’eau. Le saule, alba en occitan, albareda (saulaie), a donné ruisseau de l’ Albarède (aff. r. g. de la Marcaissonne et aff. du ruisseau de Tédèlou). Le châtaignier, castanh en occitan, se retrouve dans ruisseau de Castanet (aff. r. g. de l’Hers), ruisseau de Casta-gniès (aff. r. g. ruisseau de la Selve, cne de Pecharic et le Py). Le chêne casse en occitan (cassanha forêt de chênes) a donné ruisseau du Cassignol (aff. r. d. de l’Ariège). Le hêtre fau ou fag et fage (hêtraie, dans le Midi) se retrouve dans plusieurs ruisseau de la Fage (aff. r. d. ruisseau de Borde, communes de Caraman et Cambiac, aff. r. d. ruisseau
Des ruisseaux qui se réclament de nos bordes - Le mot borde (métairie) est des plus répandus dans les noms de lieux du Lauragais et se retrouve dans plusieurs noms de petits ruis- Des ruisseaux qui jaillissent - Plusieurs ruisseaux doivent leur nom à leur source, font en occitan (source, fontaine) : ruisseau de Fonfredo (aff. r. g. ruisseau de Jean de Dieu, cnes de Maureville et Aurin) avec freda froide, ruisseau de Fontfroide (aff. r. d. de l’Hers, cne de Salles-sur-l’Hers), ruisseau de Font Grassalet avec grassa graveleux (aff. ruisseau de la Roque), ruisseau de la Font Grande (aff. r. d. ruisseau de Merdéric, cne de Mauremont), ruisseau de la Font Saint-Martin (aff. r. d. ruisseau de la Preuille, cnes de Fanjeaux et de la Force), ruisseau de Font Salade (aff. ruisseau de Jean de Dieu, cne de Maureville) peut-être source salée, ruisseau du clot de Fontbonneau (aff. r. g. de la Vixiège cne d’Orsans) probablement bonne source. Des Monts, des vallées et des prairies - Le mot val, vallée a donné ruisseau de Laval Basse (aff. r. d. du Tréboul). Pech, colline, petite hauteur se retrouve dans plusieurs hydronymes : ruisseau de Pech (aff. r. d. ruisseau de Roucairol, cne de la Louvière-Lauragais, limite Molandier), ruisseau de Pech d’Acou (aff. r. d. Ruisseau de la Gélade, cne de Saint-Julien-de-Briola), avec le latin aqua eau; ruisseau de la Péguille (aff. du ruisseau de Brézil, cne de Payra-sur-l’Hers) de pég forme évoluée de pech, avec un suffixe diminutif. Des ruisseaux qui se disent rieu ou rec - Le mot occitan riu ruisseau, rivière, explique Rieumajou (aff. ruisseau de Lavela, cne de Cintegabelle), avec l’épithète majou (du latin major) grand, principal, le Rieutord (aff. r. g. de l’Ariège et aff. r. d. de la Hyse), ruisseau de Rieutort (aff. r. g. ruisseau de la Bouissonnade et aff. r. d. de la Vixiège) avec l’épithète tort sinueux.
Des noms imagés - Le verbe pisser ou pissar en occitan, couler par jet, ruisseler, a donné Ruisseau de la Pisse (aff. r. d. ruisseau de la Motte, cne de Sainte-Camelle) et ruisseau de Pissanel (aff. r. g. de l’Esquers), avec le suffixe diminutif -anèl. Le Tréboul, affluent rive droite du Fresquel, ad Tribulum en 1194, al Trebol en 1371, Ripparia de Tribulo en 1421, Rivus vulgariter dictus Treboilh en 1506, selon sa première graphie vient du latin tribulis (is) pauvre, misérable (eau peu abondante), plutôt que de l’occitan trebol trouble qui viendrait du latin turbidus. Des noms qui viennent de la nuit des temps - Mais, ne cherchez pas le sens des noms des plus grands cours d’eau du Lauragais à partir de l’occitan, du français et autres langues d’envahisseurs bien connus, car ces « stars» résisterons à votre analyse et vous conduiront irrémédiablement sur la voie de l’impasse et du burlesque des savoureuses légendes, celles-là même qui ont conduit à la déformation de leur graphie et orthographe au cours des siècles. Les plus grands cours d’eau du Lauragais, éléments majeurs du territoire comme le sont montagnes et sommets, ont des noms plus fortement attachés au sol que les petits ruisseaux et donc plus rebelles aux substitutions ; ces noms sont si solidement enracinés, qu’ils ont pu parvenir jusqu’à nous après de nombreux siècles, hélas fortement déformés : ils viennent des premières strates linguistiques correspondant au peuplement antérieur à la venue des populations celtes (indo-européens), il y a plus de 2000 ans. Les noms de fleuves et de rivières proviennent généralement de racines pré-in-do-européennes, telles que Ir- (Hir), Is- (His-), Gir-, mar-, Sor-, et Vis- pour ne citer que celles rencontrées le plus souvent en Lauragais; si le sens général de ces racines est «eau, rivière», le sens particulier de chacune d’elle est encore mal connu. Nous donnerons ici quelques ex-emples, à partir de l’orthographe la plus ancienne du nom et avec beaucoup de prudence lorsque celle-ci nous est inconnue. L’Hers, principale rivière du Lauragais occidental, affluent rive droite de la Garonne, est appelé Rivus Yrcii en 1278 et le Grand-Hers (Hers Vif) affluent rive droite de l’Ariège et sous affluent de la Garonne, Flumen Yrcii en 1173. Ce nom vient de la racine hydronymique pré-indo-européenne Ir-, qui a le sens d’eau ou de rivière ; cette racine a donné en France de nombreux noms de rivières (Iron, Yron, Héronne, Hirome, Irance). La Hyse, affluent rive droite de l’Ariège vient de la racine hydronymique bien attestée his- eau, rivière ; cette racine a donné aussi ruisseau d’His aff. du ruisseau de Brance (cnes de Payra-sur-l’Hers et Saint-Amans). Le Girou, affluent rive droite de l’Hers, Giron au 18ème siècle (carte de Cassini) abusivement relié à l’occitan girar tourner (ruisseau sinueux), est rattaché par les spécialistes à la racine gir- qui a le sens de pierre, rocher, hauteur (variante de la racine gar- qui a donné la Garonne), peut-être en relation avec sa source dans le Tarn sur la commune de Puylaurens ; la finale vient du suffixe antique -one (comme dans Garonne) qui a le sens de « eau » ou de « rivière ». Le nom de cette rivière donne ainsi deux informations : il s’agit d’un cours d’eau (finale -ou soit -one) venant des hauteurs ou des rochers (racine gir-) éventuellement pierreux. Le Sor, affluent rive gauche de l’Agout, vient de la racine hydronymique pré-indo-européenne sor– eau, rivière, qui a donné de nombreux autres noms de rivières en france. Cette racine se retrouve aussi dans ruisseau de Sourrète, affluent rive droite du Jammas (cne de Payra-sur-l’Hers), avec un suffixe (peut-être diminutif) et dans Sorèze (Tarn), appelé Soricinii en 816 et Soreda en 1147. La Vixiège, affluent rive droite du Grand Hers, Versegia 1271, Visegia 1304, vient de la racine vis- « eau, rivière » et suffixe prélatin (celtique) -edia. Cette racine se retrouve aussi dans le Visenc affluent rive droite de l’Hers, avec le suffixe locatif prélatin -inco.
Lucien ARIES *Les noms de lieux du Lauragais, dictionnaire étymologique – Lucien Ariès, éd. A.r.b.r.e. 2OO8. |