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Couleur Lauragais : les journaux

Histoire

Les Hommes du Comté de Caraman sous l'Ancien Régime

Avant la Révolution, L’Ancien Régime n’est pas basé sur une société égalitaire entre les hommes mais sur des ordres différents : le clergé et la noblesse bénéficient d’obligations et de privilèges et le tiers état qui constitue l’immense majorité de la population du comté, supporte pratiquement seul le poids des impôts ou des rentes.

 
comté de caraman
 

Le clergé catholique
Chaque paroisse est desservie par un prêtre souvent assisté d’un vicaire, à la charge du prêtre.
Le curé de la paroisse est chargé de percevoir les dîmes ecclésiastiques. Cet impôt dû à l’Eglise s’élève à 1/14ème des récoltes, soit une part pour l’Eglise et 13 pour le paysan. Il a été très impopulaire car il est affermé et levé en même temps que la taille et, à ce titre, considéré comme un impôt féodal. Cet impôt n’a rien à voir avec la féodalité car les nobles le supportent et prennent même la défense des paysans quand le taux devient excessif.
Le bénéfice de ces dîmes est partagé entre plusieurs décimateurs. Les paroisses de Loubens et du Cabanial reversent la moitié des dîmes au chapitre de Moissac et à son abbé.
“Le vicaire de la paroisse est payé en entier par le curé avec qui il loge et chez lequel il est entretenu, c’est-à-dire éclairé, nourri, chauffé, blanchi. Sa rétribution est de 150 livres avec obligation d’appliquer les messes les jours de fêtes et dimanches selon l’usage constant des paroisses voisines, il a le casuel en entier...”
A ces dîmes s’ajoutent des “obits” qui sont des revenus de terres données à l’Eglise contre un service pour l’âme du défunt.
Les documents trouvés au Cabanial montrent que le clergé de notre comté dispose de revenus modestes à l’image de ses paroissiens. Le haut clergé et certains chanoines vivent avec des traitements très supérieurs, 200 000 livres pour l’Archevêque de Toulouse, et les paroissiens parlent à leur égard des princes de l’Eglise. L’inégalité des revenus est donc la règle dans le clergé sous l’ancien régime.
Outres les fonctions liées à son sacerdoce, le clergé prend en charge les nécessiteux, les vieillards des hôpitaux et l’éducation.
Jacques Frances, curé d’Auriac fonde, en 1781, une communauté de cinq religieuses “les soeurs de la Miséricorde” pour s’occuper d’un pensionnat de jeunes filles et de soins à donner aux malades. Il organise aussi une filature et envisage un travail à mi-temps à domicile pour les femmes dignes de confiance qui sont occupées par leur ménage et auxquelles on fournira un tour et de quoi filer. Pour les hommes, il prévoit d’organiser chez lui un bureau d’adresses pour leur indiquer du travail.
A ces préoccupations sociales et d’éducation, il faut ajouter la charge précieuse de l’état civil, tenu depuis le 16ème siècle par les prêtres même dans les paroisses les plus reculées.

Le Village de Caraman
Le Village de Caraman
crédit photo : Robert Pelissier

Les protestants
A l’époque de la Révolution, Caraman, Revel et Puylaurens comprennent des communautés protestantes dont il reste peu de traces à Caraman, sauf le Temple et la rue qui porte son nom et un cimetière utilisé jusqu’au début du XXème siècle. Il faut rappeler que le culte protestant est proscrit depuis plus de 80 ans avant la Révolution.
Il n’y a pas d’état civil pour les protestants parce que les registres sont tenus par les prêtres catholiques. Il s’ensuit que les enfants et les épouses des protestants sont illégitimes, ce qui entraîne des difficultés dans la vie de tous les jours et notamment au moment des successions.

Les Juifs
La seule trace de cette communauté à Caraman est une rue dénommée rue des Juifs.
Le clergé dans le Comté de Caraman est donc très largement catholique et dispose de revenus modestes à l’image de ceux des paroissiens. Le curé de Cambiac dit : “Com-ment voulez-vous que les paroissiens puissent payer des messes alors qu’ils ne peuvent même pas acheter du sel pour leur consommation ?”

La noblesse du comté de Caraman : les derniers seigneurs
Cette catégorie sociale est présente dans toutes les communautés du comté avec terres et châteaux, dont quelques-uns subsistent de nos jours et occupés par les descendants.

La noblesse est solidement implantée sur les communautés du comté de Caraman et sur les terres dont elle est propriétaire. En plus des droits réels exercés par tout propriétaire sur ses terres données à bail, elle exerce des droits “utiles” et des droits “honorifiques” qui sont des privilèges issus du droit seigneurial.
Les droits “utiles” sont :
- les amendes et confiscations en cas de condamnation à mort, aux galères ou au banissement,
- le droit d’épave : le seigneur, haut justicier, devient propriétaire des épaves, bêtes et choses égarées,
- le droit de chasse : il appartient seul au seigneur et à la noblesse. Il est cependant interdit à tous de chasser à pied ou à cheval dans les blés qui ont fait tige et dans les vignes depuis le 1er mai jusqu’à la vendange,
- le droit de pêche : il appartient seul au seigneur qui peut le donner en afferme.

Parmi les droits “honorifiques”, il faut citer :
- le droit d’établir des fourches patibulaires (potences) et des piloris (pilier placé au principal carrefour de la seigneurie qui porte peintes les armes du seigneur).
- les honneurs à l’église : le seigneur seul peut avoir un banc dans le choeur de l’église. A Caraman, un citoyen porte plainte contre la présence dans le choeur de l’église des bans de Monsieur le Comte.
Le seigneur précède tous les habitants dans les processions et à l’offrande ainsi que sa famille.
Il reçoit le pain béni et les cierges le premier, il reçoit le premier l’eau bénite. Le curé doit recommander le seigneur dans ses prières au prône.
Le Seigneur de Mourvilles, Guillaume De Reynier, a fait un procès au curé de cette paroisse pour l’obliger à lui rendre les honneurs qui lui sont dûs, ce qui montre que certains ecclésiastiques trouvent ces vanités insupportables.
- l’autorisation des danses publiques : seul le seigneur du village peut autoriser les manifestations d’allégresse.
- la publication du ban des vendanges : la communauté mise en place par le seigneur fixe la date des vendanges. Personne ne peut vendanger plus tôt, seul le seigneur a deux jours pour effectuer les vendanges avant les autres.
- le droit de château : c’est la partie la plus visible des droits honorifiques ; seul le seigneur a le droit d’ériger des châteaux avec tours, créneaux, girouettes, pont levis et pigeonnier à 4 piliers.
Le château de Cambiac, au début du 18ème siècle, possède la plupart de ces droits honorifiques, tels qu’ils apparaissent sur les plans dressés à l’époque.
Le droit de château est donc le signe extérieur de noblesse et dans le “dénombrement” (déclaration) du 1er juillet 1776, François De Ver, seigneur de Toutens, déclare, pour le faire valoir à la postérité, qu’il possède “les masures d’un ancien château, où il y avait des tours, créneaux, pont levis et autres marques seigneuriales”

 

Le Comté de Caraman :


Le 5 août 1670, le comté de Caraman est acheté par Pierre Paul Riquet, 8ème comte de Caraman, fondateur du Canal du Midi. Son fils détache ensuite le comté de Caraman de la baronnie de Saint Félix.
Le 9ème comte de Caraman en 1730 est Victor Pierre François de Riquet, son neveu.
Le 10ème et dernier, en 1781, sera le comte Victor Maurice de Riquet, Seigneur de Caraman, Roissy, Albiac et autres places jusqu’à la Révolution. Il est Lieutenant Général et Inspecteur de la Cavalerie du Roi. C’est un des membres de la famille princière des Caraman-Chimay.
En 1789, les De Villèle sont coseigneurs de Caraman.
En mai 1779, le comté de Caraman, bien qu’intégré dans le Lauragais, est rattaché au Languedoc ; il dépendait auparavant de la Guyenne. Il fait alors partie de la sénéchaussée de Castelnaudary pour les droits de justice, et du diocèse de Toulouse pour les impôts.

 

Rapport des seigneurs avec les communautés
Le seigneur nomme tous les ans les consuls (maire et conseillers). Les consuls sont nommés au Cabanial tantôt par le Seigneur de Vaudreuille, tantôt par le Seigneur de Montgey.
La haute noblesse ne vient que rarement en province et vit à la cour. Ainsi le marquis de Chambonas, Seigneur de Saint Felix De Caraman, mène une vie fastueuse à Versailles. Lorsqu’il daigne visiter sa seigneurie, son intendant organise une grande réception dont les frais sont payés par les paysans.
La noblesse de province est membre du Parlement de Toulouse ou de la cour des Aides de Montauban. Elle possède les nombreux châteaux du Lauragais et des hôtels particuliers à Toulouse.
Mais peu à peu ces droits honorifiques, au gré des ventes ou des partages, ont échappé aux grandes familles et sont tombés aux mains des bourgeois enrichis et de paysans régisseurs qui ont pris la place et les titres de leurs anciens maîtres. La petite noblesse est fière de ses privilèges et pleine de vanité.
Le seigneur, en contrepartie, nourrit les corvéables et ses bêtes.
Ces droits de justice, péage, fiscalité sont peu à peu repris par l’administration royale à son profit.
En conclusion, il apparaît donc qu’à la veille de la Révolution, les droits dûs au seigneur sont faibles (12% de la taille) et que la plus grande partie des impôts va au trésor royal et au clergé.

 
Le moulin de CambiacLe moulin de Cambiac - crédit photo : Pierre Mercier

Le Tiers Etat du comté de Caraman
A côté des ordres privilégiés du Clergé et de la Noblesse, vit le Tiers Etat, taillable et corvéable, qui représente l’immense majorité de la population.

La haute bourgeoisie - Il faut distinguer la haute bourgeoisie, des négociants ou grands propriétaires terriens, qui imite le mode de vie de la noblesse, de la basse bourgeoisie des professions libérales, du petit commerce ou des paysans. C’est ainsi que Joseph François Gounon de Loubens, négociant, ancien capitoul, possède à son décès près de 500 000 livres, une maison à Toulouse, une autre à Caraman et plusieurs métairies.

Les professions libérales - Les officiers de santé (médecins) sont nombreux dans les campagnes. A Auriac, un état des frais médicaux engagés par le sieur Villeneuve, montre d’une part que tout son personnel est soigné à ses frais (jardiniers, servantes, valets), d’autre part que les actes les plus courants sont clystères ou potions purgatives, prise d’opiat (fébrifuge), saignées au bras et au pied. Toutefois, la mortalité des femmes en couche est élevée : la nécessité de former des sages-femmes se fait sentir. Les résultats de la formation sont de valeur inégale mais la population d’Auriac se félicite d’une sage-femme qui a suivi les cours du professeur Jean-François Icart de Toulouse.

Les commerçants et artisans - Il existe à Caraman des commerces traditionnels d’articles d’épicerie, de drap, de bois, de laine, de cordes, vêtements, chaussures. Pour les artisans, la catégorie la plus nombreuse est celle des charpentiers et des meuniers.

Les paysans - Il existe de nombreuses catégories du haut au bas de l’échelle. Ceux dont la fortune est faite s’appellent les “coqs de village”, expression encore employée à Albiac. Ils emploient des domestiques, commercialisent une grande partie de leur récolte. Ils ont des greniers à Caraman et approvisionnent en céréales toutes les semaines le marché. Ils appartiennent à la catégorie des propriétaires ou laboureurs et possèdent une quarantaine d’hectares.
Les petits propriétaires d’une maison avec jardin et une ou deux parcelles sont les plus nombreux et travaillent à mi-fruit (métayage) d’autres parcelles. On trouve aussi beaucoup de maîtres-valets travaillant en métayage des terres de non résidents (nobles ou bourgeois des villages ou de Toulouse).
La catégorie des manoeuvriers, journaliers ou brassiers est nombreuse et très modeste. Ils louent leur force de travail pour la culture des champs ou la récolte (moisson, vendange, bêchage, foins). Ils s’engagent aussi comme domestique agricole, soit au pair, soit avec des gages en argent. En cas de crise ou de disette, ils sont les premières victimes et se transforment en mendiants ou forment des bandes de brigands dans certaines régions.
C’est donc le tiers état qui a le plus de raison d’être mécontent à la veille de la révolution. Il paie la grande majorité des impôts et quand survient une mauvaise récolte, ce poids devient vite insupportable. Ce mécontentement est dénoncé dans les cahiers de doléances de Caraman et le Maire, au début de l’année 1789, dit qu’il pourrait bien provoquer une révolution.

Guy Salles

Extrait de : "Le canton de Caraman et le Lauragais sous la révolution (1789-1802)"
Quelques exemplaires sont en vente au siège de l’association “Les gardiens des racines” à Caraman
Rens. : je.salles@wanadoo.fr

 

 


Couleur Lauragais n°118 - Décembre 2009/janvier 2010