Les proverbes ont toujours existé. On en trouve dans les premiers livres écrits en français. Le mot “proverbe”, lui, n’est pas ancien. Il apparaît au 13ème siècle puis est adopté. Auparavant on parlait de “respit” puis “reprouvier” jusqu’à ce que le proverbium des latins ait prévalu. Le préfixe “pro” indique “pour” à la place de “ verbuh”, la parole. On peut définir le proverbe comme étant une sentence, une maxime exprimée en peu de mots et devenue populaire. Le dictionnaire universel de la langue française, rédigé d’après le dictionnaire de l’académie, de 1832, ajoute : “mot familier et plein de sens” faisant en cela une différence avec le dicton : “sorte de proverbe en mauvais langage et qui n’est usité que parmi les gens de la dernière classe du peuple”.
Les origines des proverbes
Le proverbe trouve ses sources dans nos moeurs, nos usages, notre histoire, mais aussi dans la Bible. Salomon est l’auteur du “Livre de la sagesse de l’Ecclésiaste” et du “Livre des proverbes”. Un grand nombre de sentences de l’Evangile sont devenues des proverbes :”Bienheureux les pauvres d’esprit, parce que le royaume des cieux est à eux” (discours sur la Montagne). “A chaque jour suffit son mal”, “Pourquoi voyez vous une paille dans l’oeil de votre frère lorsque vous ne vous apercevez pas d’une poutre qui est dans votre oeil”...
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Très tôt, on a voulu laisser une
trace écrite de ces paroles sensées qui
se transmettaient oralement
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Très tôt, on a voulu laisser une trace écrite de ces paroles sensées qui se transmettaient oralement. Les auteurs de l’Antiquité, grecs et latins en avaient compris la nécessité. Citons par exemple Esope... c’est au 13ème siècle que paraît, en France, le recueil des proverbes “ruraux et vulgaux” empruntés aux laboureurs de l’époque. Certains proverbes sont encore utilisés aujourd’hui comme : “mieux vaut un tiens que deux tu l’auras”, “Qui plus a, plus convoite” et “On oublie plus tôt le bien que le mal”...
Avec la naissance de l’imprimerie (deuxième moitié du 15ème siècle) les recueils de proverbes déjà assez répandus en France, et en Europe, le deviennent plus encore. On relève à cette époque bon nombre de conseils donnés aux laboureurs sous l’évocation d’un saint. Exemples : “A la Saint Antoine, les jours croissent le repas d’un moine”. “A la Saint Barnabé, la faux au pré”, “A la Sainte Catherine, tout bois prend racine”, “Passé la Saint Clément, ne sème plus de froment”.
A la Sainte Catherine tout bois prend racine - crédit photo : fotolia©NJ
En 1571, Jean le Bon, médecin du cardinal de Guise donne ses lettres de noblesse au proverbe. Il “doit être une voix de ville assouventée en divers propos ayant grâce apparente et élégance authentique par sus le parler populacier qui est en partie cause qu’on le recherche tant à raison de son admirable antiquité”. De Villon à Rabelais les auteurs du XVIème feront grand usage des proverbes, ainsi dans la “ballade des dames du temps jadis”, “La reine Blanche comme un lys qui chantait à voix de sirène, ... Et Jeanne la bonne Lorraine - Où sont ils, vierge souveraine ? Mais où sont les neiges d’antan ? “Villon, en écrivit deux autres dont chaque strophe finit par ce proverbe : “Autant en emporte le vent”.
Il en est de même pour les écrivains classiques : La Fontaine, Boileau, Molière, Racine. Ce sont toujours les gens du peuple : valets, soubrettes qui ressort du proverbe. Ainsi dès la scène 1 de l’Acte I des Plaideurs, Petit Jean dans sa célèbre tirade en donne un florilège. Citons-en d’autres : "ma foi sur l’avenir, bien fou qui se fiera, Tel qui rit vendredi, dimanche pleurera... On apprend à hurler dit l’autre avec les loups.. Mais sans argent, l’honneur n’est qu’une maladie, Qui veut voyager loin ménage sa monture...”
Qui veut voyager loin ménage sa monture - crédit photo : fotolia©Aradan
Les sens des proverbes
Pourquoi avoir recours au proverbe ? Le besoin s’en est fait sentir quand l’homme a commencé à envier, à souffrir, quand il a osé se consoler de sa misère en riant de celui qui l’opprimait.
C’est un langage pratique : la formule est toute faite. Le seul effort consiste à l’adapter à la situation en faisant appel à sa mémoire (et à éviter le contre sens). Le proverbe peut apparaître comme le langage de ceux qui ne sont pas cultivés. Il est considéré souvent comme un élément artificiel ne reflétant pas la pensée de l’individu. Mais au delà de ces critiques, que de bienfaits ! Car, bien appliqué, il dénote de la sagesse : Lao Tseu, Platon et surtout Sancho en sont les meilleurs exemples. Le compagnon de Don Quichotte sous la plume de Cervantès n’est il pas considéré comme un sage lorsqu’il donne la réplique à son maître ? “Il ne faut qu’avoir du miel, Les mouches y viennent bientôt” dit-il.
Parmi les plus célèbres
Bien utilisé le proverbe marque le sublime, le grotesque, le plaisant, le grave, il est poétique : “Mais où sont les neiges d’antan”, “Et rose elle a vécu ce que vivent les roses, l’espace d’un matin”. Et toujours empreint de sagesse populaire, parfois naïve : “La roue de la fortune tourne plus vite que celle du moulin” dit Sancho. Les gens du peuple en usent souvent pour convaincre, séduire, plaire aussi. C’est leur façon à eux de montrer un certain bagage culturel. Il est vrai que la pauvreté a inventé beaucoup de proverbes : “ventre affamé n’a point d’oreilles” ou “c’est un long jour qu’un jour sans pain”.
Des proverbes paysans
Comment se fait-il que le proverbe possède toutes ces qualités lorsqu’il est énoncé dans le langage populaire, traditionnel et qu’on a pu appeler “lenga nostra” (notre langue) ? En voici quelques exemples puisés dans les nombreux recueils existants et dans.. notre mémoire.
Pour les prévisions du temps, on peut encore entendre dans le Lauragais :
“Albo roujo, bent ou ploujo” : aube rougie, vent ou pluie
“Mountagno claro, Bourdéous escur es la plèjo al sigur” : montagne claire (les Pyrénées) Bordeaux obscur (c’est à dire, nuages à l’ouest) c’est la pluie à coup sûr.
“L’arquet de la maïtinado tiro le bouè de la laourado” : l’arc en ciel du matin fait renoncer le bouvier à labourer.
“L’arquet de la serado fa tourna le bouè a sa laourado” : l’arc en ciel du soir fait revenir le bouvier à son labour.
“Aouta sur la tourrado, plèjo dins la journado” : autan sur la gelée, pluie dans la journée.
“Quan l’iroundo raso la térro, la plèjo es al cap de la carrièro” : quand l’hirondelle rase la terre, la pluie est au bout de la rue.
“Quan la chato canto le joun, la plèjo es léou dé rétouré” : quand la chouette chante le jour, la pluie est vite de retour.
Pour les prévisions à long terme :
“L’iber es pas bastart, s’aribo pas d’ouro, arribo tart” : l’hiver n’est pas bâtard, s’il n’arrive pas de bonne heure, il arrive tardivement.
“Qui a nadal s’assoulèho, à pasques brullo la legno” : qui, à Noël prend le soleil, à Pâques brûle le bois ou “Noël au balcon, Pâques aux tisons”.
Pour les influences du temps sur les récoltes, la santé, l’humeur.
“Quan mars l’an touno, l’annado es bouno” : quand il tonne au mois de mars l’année est bonne.
“Quan touno al mes de fébriè, de la cubo né pos fa un jouquiè” : quand il tonne au mois de février, de la cuve tu peux en faire un perchoir à poules.
“L’aouratge al mes de mars, pleno tinos et tinars” : orage au mois de mars remplit les cuves et les tonneaux.
“Quan plaou à la Trinitat, de la recolto n’as la mitat” : quand il pleut à la trinité (dimanche de Pentecôte) de la récolte tu en as la moitié.
“Néou de febriè, bal jus de fumiè” : neige de février vaut du fumier.
“Pentocousto, cerièro gousto” : à Pentecôte, goûte la cerise.
“Al temps del coucut, taleou, plahut, taleou ichut” : au temps du coucou (printemps) aussitôt qu’il pleut, aussitôt ressuyé.
Les recommandations pour les travaux des champs sont nombreuses, citons :
“A la sen Luc, semeno paouruc“ : à la Saint Luc sème sans crainte (18 octobre).
“A la santo catarino, tout arbre pren racino” : à la Sainte Catherine, tout arbre prend racine (proverbe avec un “francisme” (racino) imité du français.
“Poudo la bigno, fin fébriè, de rasins plenaras le paniè” : taille la vigne fin février, tu rempliras ton panier de raisins.
“Rego torto, blat porto” : sillon tordu (c’est à dire pas droit) porte du blé.
Taille la vigne fin février, tu rempliras ton panier de raisins - crédit photo : fotolia©Philippe Leridon
Il en est de même pour des recommandations d’ordre plus général :
“Té cal jamaï prégné un aoubo per alric ni un gendarmo per amic” : il ne faut jamais prendre un saule pour abri ni un gendarme pour ami.
“Se tocos souben la fenno del besin, t’atardes pas trop a béouré soun bi” : si tu fréquentes souvent la femme du voisin, ne t’attardes pas trop à boire son vin.
“Las fennos et las “salados” soun jamaï prou boulegados” : les femmes et les salades ne sont jamais assez remuées (encore un francisme avec “salados”).
“Bal milhou tengué qu’espéra” : il vaut mieux tenir qu’espérer.
Ajoutons pour la saveur quelques dictons :
“Cadun sap soque se coï dius soun oulo” : chacun sait ce qui se mijotte dans son “ oule” ou marmite.
“Les cocuts fan pas d’agassos” : les coucous ne font pas des pies.
“Bal milhou un que sap que cent que sercon” : il vaut mieux un qui sait que cent qui cherchent.
“La bielho boulio pas jamaï mouri, toutchoun apprenio” : la vieille ne voulait jamais mourir car toujours elle apprenait.
“Bal milhou un pichoun dégourdit, qu’un gran estabousit” : il vaut mieux un petit dégourdi qu’un grand ébahi.
“Luno mercrudo, fenno barbudo, cado cent ans ni a prou d’uno” : lune le mercredi, femme à barbe, chaque cent ans on en a assez d’une, …
Qu’en est il des proverbes aujourd’hui à l’ère des texto et autre SMS ?
Il est trop tôt pour répondre, nous manquons de recul. Assisterions nous à un renversement des tendances ? Le proverbe réservé autrefois à la langue du peuple serait-il passé à la langue ou à l’écrit des lettrés ? À tous ceux qui conservent une certaine nostalgie du passé et veulent en conserver les trésors ?
Quoi qu’il en soit, chaque époque fabrique des proverbes, en utilise certains, en fait tomber d’autres dans l’oubli. On a pu dire qu’ils étaient “la sagesse des nations”, reconnaissons qu’ils reflètent la sagesse tout simplement.
Sage entre les sages, Sancho dit quelque part dans le Don Quichotte : “Il n’y a que deux familles, ceux qui en ont et ceux qui n’en ont pas. Ma grand mère aimait beaucoup la famille de ceux qui en ont et je suis de son avis”.
Régis GABRIELLI Professeur d’histoire
Bibliographie :
Jacques Carrasco : “Proverbes occitan-français audois” - éditions C. Lacour 2007
Le Roux de Lincy : “ Le livre des proverbes français” 2 tomes - Editeur Paulin (Paris) 1842