Histoire criminelle en Haute-Garonne : Vendetta
Affaire François Metgé,
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Jeanne était partie seule faire paître le troupeau de moutons crédit photo : fotolia©Hero |
Jacques Salvan est encore bien endormi. Le soleil pointe tout juste dans le ciel, et la journée de travail ne va pas tarder à commencer. On a néanmoins encore un peu de temps pour un petit instant de bonheur… Les yeux clos, l'homme tend la main pour caresser le dos de Jeanne. Mais plutôt que la peau tendre de sa femme, plutôt que la chaleur de son corps, il sent le vide. Se redressant d'un bond sur la couche, il constate, incrédule, l'absence de son épouse à ses côtés. Serait-elle repartie sitôt qu'elle est rentrée ? Difficile à croire ! Il s'habille, se lève et rejoint son père, déjà levé.
"Est-ce que tu as vu Jeanne - Jeanne ? Non… Comment ? Elle n'est pas revenue hier soir ?
- Je n'en sais rien, je pense que non, si elle était revenue, elle m'aurait réveillé en se couchant."
De plus en plus inquiet, il se rend à la bergerie. La veille, en début d'après-midi, Jeanne Bonhoure, épouse Salvan, a quitté la métairie d'Andurand, près du Faget, pour aller faire paître les moutons, comme à l'accoutumée. Il lui est déjà arrivé de rentrer tard, laissant le troupeau se gaver de luzerne jusqu'à une heure avancée de la soirée, sauf que là, de brebis et d'agneaux, pas de traces !
Jacques décide alors de prévenir des voisins, et en quelques minutes, les moutons sont retrouvés, peu dispersés, broutant paisiblement le tapis végétal après une nuit d'été à la belle étoile. Non loin de là, une forme blanche sur le sol.
En ce matin du mercredi 27 août 1851, Jacques Salvan regagne la métairie le cœur au bord des lèvres en se posant une question terrible à laquelle il n'avait jamais songé : Comment annoncer à ses enfants que leur mère est morte assassinée ? Car on l'a assassinée, c'est une évidence : Brave femme, bonne mère, heureuse en ménage et profondément croyante, on ne peut imaginer un suicide ; surtout on lui a défoncé la tête et le visage avec un objet lourd et contondant, si bien qu'elle s'est vidée de son sang par les plaies béantes de son crâne ; chaque coup, à lui seul, était suffisant pour donner la mort. Pourquoi alors s'acharner ?
Cependant, comme elle n'avait pas d'argent sur elle - juste de quoi tresser un chapeau de paille, et des pêches en guise de collation - et que l'on n'a pas attenté à sa vertu, comme le prouve l'état de ses vêtements et l'examen de ses parties génitales effectué par un médecin légiste, les gendarmes ont quelques difficultés à cerner le mobile du crime. Et qui aurait intérêt à tuer une femme aussi appréciée dans le village ? Eh bien, justement, les seuls habitants du Faget qui ne l'aimaient pas.
Les soupçons se portent rapidement sur les frères Metgé. Ils habitent une fermette au hameau de Manard, et leurs champs se trouvent à proximité de ceux des Salvan Ce sont les seuls à n'être pas venus présenter leurs condoléances à la famille Salvan, et lorsqu'un voisin, un certain Savès, est passé les avertir personnellement, François Metgé n'a pas hésité à déclarer : "On l'a tuée, tant pis pour elle."
Pourquoi une telle cruauté ? Simplement parce que les Salvan ont maille à partir avec les frères Metgé depuis longtemps. Il y aurait fort à dire sur le comportement de ces hommes et de leur famille : un troupeau de brutes épaisses réputées pour leur agressivité. Le pire, c'est François. À soixante-cinq ans, le doyen de Manard a déjà des antécédents de violence envers ses voisins : Menaces sur le sieur Pradelles - son frère affirme que le pauvre a fini par en mourir… de peur, coups de pioche et de barre de fer assenés à Mme Périer en 1850, et enfin, pour avoir osé marcher sur un chemin bordant le terrain des Metgé, Jean Brandier a vu François lui poser le canon de son fusil sur la poitrine en lui disant : "Rien ne me retient de te tuer."
La tension entre les familles rivales avait augmenté d'un cran au mois de mai précédent. L'une des domestiques des Salvan, une adolescente, avait été chargée de surveiller les moutons ; un chien lui avait été confié pour encadrer les bêtes fugueuses. Le brave animal avait eu la "témérité" de gambader sur l'un des champs des Metgé, ce que voyant, François Metgé s'est rué couteau en main vers la jeune fille, la menaçant de la parole et du geste, avant d'enfoncer la lame dans le flanc d'un mouton qui s'était approché de trop près ! Pareille affaire ne pouvant demeurer sans solution, Jean Salvan, le beau-frère de Jeanne, était allé à la rencontre de Metgé le 10 mai. La discussion fut des moins courtoises et s'acheva en bagarre. Mais le vieux François n'était pas de taille à résister à un jeune homme comme Jean Salvan, et la rixe tourna à son désavantage. Furieux, il alla porter plainte. Sa doléance remonta jusqu'au bureau du procureur, mais, jugeant qu'il ne s'agissait somme toute que d'une réponse logique à une provocation passée, le ministère public refusa d'engager des poursuites contre les Salvan. Aux familles de régler seules leurs problèmes, si vrais problèmes il y avait.
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Dès lors, l'ambiance devint électriques au Faget. Les Metgé ne cessaient de crier à l'injustice, promettant les pires représailles à leurs ennemis ainsi qu'au maire du village, M. Barrère, qui avait, selon eux, choisi son camp en faveur de leurs rivaux… Françoise Bon, la femme de François, répétait inlassablement, à chaque fois qu'elle se rendait dans les commerces du village, que son mari finirait par mettre ses menaces à exécution, et cela, en toute légitimité ! Un témoin rapporte qu'un jour, Metgé a prononcé sur un ton qui fait froid dans le dos : Il n'y a pas de mystère dans cette haine, pas de dissimulation. Les Metgé seraient-ils bêtes au point de se laisser aller au meurtre pour une simple querelle de voisinage ? On peut le croire, d'autant que François est dans l'impossibilité de fournir un alibi au moment du crime, qui a eu lieu entre 8 et 10 heures du soir. Des témoins ont vu Jeanne entrer dans le pacage de luzerne à 8 heures sonnantes, et tous s'accordent à dire que la malheureuse, de loin la plus inoffensive de ceux qui habitent Andurand, se serait bien gardée de rester trop longtemps sur place, le terrain étant fort près de la ferme Metgé |
"Moi ? J'étais sur l'aire dépicatoire(1) toute la soirée. Je suis rentré prendre la soupe à la demie de 8 heures et je me suis couché à 9.
- Pour sûr, monsieur le gendarme, confirme Françoise. Je n'ai pas quitté mon mari du moment du déjeuner, au lever, à 2 heures le lendemain."
Néanmoins, les seuls témoins qui peuvent confirmer cet alibi sont les autres membres de la famille Metgé, et dans pareille histoire, peut-on leur faire entièrement confiance ? Mieux vaut s'en abstenir. D'ailleurs, les brigadiers vont vite se rendre compte par eux-mêmes : De l'aire dépicatoire, on voit très bien l'endroit où Jeanne a vécu ses derniers instants…
Au fur et à mesure de l'enquête, d'autres témoins viennent ajouter leur pierre à l'édifice. Ainsi, les époux Thuriès affirment que Fran-çoise Met-gé les a priés de faire de fausses dé-clarations et de dire qu'ils avaient vu son mari assis devant chez lui à l'heure du crime. Madame Périer, quant à elle, se rappelle avoir vu François Metgé ce mardi soir, à cette même heure, s'éloigner de sa ferme un instrument imposant à la main, qu'elle n'a toutefois pu identifier dans le soleil rasant du crépuscule.
Une perquisition au Manard permet de retrouver, caché dans le chai, un outil de charpentier appelé "valet". Semblable en taille et en forme à un couteau d'ancienne charrue, c'est une masse de fer lourde, idéale pour assommer quelqu'un ; ce qui attire plus particulièrement l'attention des enquêteurs, c'est la légère tache de sang sur l'un des côtés rouillés… En attendant de pouvoir examiner le valet plus avant, ils le mettent sur un tonneau. On pourrait croire à une erreur de leur part, car en fin de journée, quand ils s'apprêtent à saisir l'instrument pour en faire une pièce à conviction, il a visiblement été nettoyé, et sa surface a été grattée et décapée de son dépôt oxydé par quelque chose de tranchant pour en effacer le sang ! En cherchant à se dissimuler, les Metgé ont commis l'erreur de trop et se sont trahis. En outre, ce jour-là, les inspecteurs mettent la main sur des vêtements ensanglantés, ce que François ne parvient pas à expliquer.
crédit photo : fotolia©Craig Jewell |
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Les multiples preuves et témoignages contre François Metgé deviennent vite accablants. Les policiers n'ont plus à chercher. Metgé a beau nier de toutes ses forces, il est inculpé pour l'assassinat de Jeanne Salvan.
Metgé comparaît devant les Assises de Toulouse à partir du 16 février 1852. Après trois jours d'audience, il est condamné à mort. Et pour terminer le procès en beauté, après avoir entendu l'arrêt qui le frappe, l'assassin se lève, s'approche de la rambarde qui sépare le box des accusés des sièges des avocats, et, sans dire un mot, se tape violemment la tête contre la ba-lustrade de métal ! On doit l'entraîner, sonné, hors de la salle, et deux hommes ne sont pas de trop pour le maintenir dans son fauteuil quand il reprend ses esprits en prison, où il répète inlassablement :
"Boli bésé, le pitchoun, oun es le pitchoun(2)… "
Metgé sera surveillé avec la plus grande vigilance toute la nuit pour éviter qu'il ne se suicide.
Le lendemain, l'entretien avec l'aumônier Ratier semble le ramener à de meilleurs sentiments. Tous les jours, prêtre et condamné se retrouvent pour prier ; le condamné se confesse volontiers. Enfin, le 28 avril 1852, dans l'après-midi, une nouvelle entrevue est fixée au lendemain, à 5 heures du matin.
Le moment venu, en se rendant à la chapelle, Metgé voit un groupe de six brigadiers patientant devant la porte qui conduit à l'extérieur de la prison. Devinant immédiatement que leur présence a quelque chose d'exceptionnel, il se fâche de nouveau.
"Pourquoi ces gendarmes sont-ils ici ? Je le sais, on vient me chercher ! Je suis perdu ! Je veux voir ma femme, mes enfants et mon frère !"
L'aumônier et le gardien-chef tentent bien de le raisonner pour qu'il entende la messe, mais Metgé est incontrôlable : Il leur faudra une demi-heure pour parvenir à leurs fins. Vingt minutes durant, le père Ratier parle au condamné, lequel ressort, pâle et résigné, un crucifix serré entre les doigts, à s'en faire blanchir les phalanges.
Le calme relatif disparaît quand l'assassin se retrouve confronté à son bourreau. Les aides se rendent compte, une fois de plus, que l'habit ne fait pas le moine. En effet, bien que largement sexagénaire, presque paralysé de la main droite et assez petit, Metgé leur donne du fil à retordre, se débattant comme un poisson hors de l'eau et suppliant d'obtenir une grâce jusqu'au dimanche afin de pouvoir voir une dernière fois sa femme et ses enfants. Cependant, les hommes de l'art en ont vu d'autres, et la bataille est perdue d'avance. Ligoté serré, il est hissé dans le fourgon avec l'abbé Ratier pour seul compagnon de voyage.
crédit photo : fotolia©Craig Jewell |
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Le trajet lui semble durer une éternité… Tout au long de la route, les Toulousains qui se hâtent vers le Port-Garaud auront le loisir d'apercevoir Metgé poser ses lèvres sur la croix avant de passer la tête par les portières de la voiture et crier à qui veut l'entendre :
"Je demande pardon à tout le monde, mais je n'ai rien fait. Je meurs pour un autre !"
Sur l'échafaud, le condamné embrasse une dernière fois le crucifix et résiste pour la forme aux exécuteurs quand ceux-ci l'installent sur la bascule, sous le regard d'une foule d'hommes, de femmes et d'enfants perchés sur les toits, penchés à en tomber, et même dressés sur les barques surchargées, prêts à braver la mort pour assister à celle d'un assassin…
(1) - Lieu où l'on entrepose les récoltes avant de séparer le grain de la paille, habituellement à coups de fléau.
(2) - "Attention, le petit, c'est le petit… "
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