Le maïs, plante miracle du Lauragais
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Le navigateur espagnol Cortès (1485-1563) ramena le maïs des Amériques*, cette légumineuse cultivée par les Incas. Elle se répandit en Espagne, franchit les Pyrénées pour se vulgariser dans le Sud-Ouest qui lui fournissait chaleur et humidité.
Il y eut deux sortes de maïs : la première variété donnait de petits grains ; c'était le "millet" (mil ménud) appelé "maïs d'Espagne" ou "blé de Turquie".
La deuxième variété, le maïs à gros grain, apparut en Lauragais sur le marché de Castelnaudary sous le règne de Louis XIII (1610-1643). Cette manne du monde paysan nourrissait bêtes et gens. Les grains écrasés sous les meules des moulins étaient réduits en farine qui servait ensuite à préparer une bouillie épaisse, le "milhas" appelé aussi le "pain du pauvre". |
Le maïs lauragais est le soutien d'un élevage
de plus en plus important d'oies et de canards
pour les confits et les foies : il faut voir les marchés
de Castelnaudary, de Belpech, de Bram ou
de Revel et Villefranche |
Les différentes opérations exigées par cette plante sarclée |
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Le maïs demandait chaleur et humidité. Maître et journaliers s'en occupaient tout au long de l'année. Il fallait préparer le sol par un labour effectué sur un champ ayant produit du blé et qui devenait un "milhaïral" (champ de maïs). Un amendement au fumier de ferme fournissait à cette plante l'azote indispensable à sa croissance. Moins exigeant que le blé, le maïs avait besoin d'un sarclage sélectif en mai. Cette opération mobilisait femmes et adolescents. |
"Al mes d'abril faï toun mil
(sème ton maïs au mois d'avril)
se plaou per Ramels, lé mil sera bel
(pluie des Rameaux rend le maïs beau)" |
Les travaux de printemps : en mars (selon les conditions climatiques), l'agriculteur passait le "triangle", genre de herse, afin d'ameublir un sol labourré mais tassé par les pluies hivernales. En avril, selon l'état du terrain (printemps pluvieux ou sec), l'usage du rouleau à pointes précédait la semence faite à la main. Dans un sillon peu profond tracé à la charrue, le paysan enfouissait les grains par paquets de 4 ou 5, à 30 ou 35 cm de distance. Fin mai, on procédait au sarclage en équipe, par ligne. Cette entreprise qui nécessitait des "brassiers" (gagés, ouvriers agricoles ou membres de la famille de l'exploitant), avait pour but d'éliminer les pieds frêles et gênants au profit des plus forts.
Les travaux d'été : en juillet, c'était l'écrêtage qui consistait à sélectionner les tiges supérieures portant les fleurs mâles (hampes ou crêtes). On disait "descresta lé mil". Ce châtrage favorisait le développement des épis femelles producteurs de grains. |
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La récolte
Fin octobre, il était temps de trancher les pieds porteurs d'épis (les carroulhos) et de les stocker dans le hangar.
A la morte saison, soit sous le hangar, soit à la veillée devant le feu, on procédait en famille à une opération manuelle appelée : descouléfa lé mil ou ôter "la culéfo del cabèl" (dégager l'épi de son enveloppe sèche). Pour ce faire, on utilisait un poinçon de bois ou "broco".
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Vers les années 1950, les épis étaient mis à sécher à l'extérieur dans des réserves grillagées, les cribs. Pour l'égrenage, au fur et à mesure des besoins, on utilisait la machine mécanique à manivelle. La méthode coutumière manuelle de frottement avec une rafle ou charbon blanc (coucarèl ou coucaril) fut abandonnée peu à peu. Tout était récupéré dans le maïs : crêtes, feuilles (milassos) et enveloppes d'épis (culéfos). Ces déchets secs servaient de pâture au bétail de ferme pendant l'hiver.
Le maïs s'est adapté très facilement aux conditions naturelles lauragaises ;
ici les semences sont irriguées par pivot
Engrais et combustible à bon marché
Les tiges non consommées pourrissaient sur le fumier. Pieds tronçonnés et racines enfouies au premier labour d'automne constituaient un engrais biologique appréciable. Les rafles séchées et stockées étaient utilisées pour griller saucisse et "coustélous" (plat de côte de porc) sur la plaque de l'âtre. On appelait ce combustible “coucarel” ou charbon blanc.
Pour mémoire : Chaque hectolitre de maïs égréné donnait un sac de charbon blanc qu'on entassait dans un coin du grenier.
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Le milhas, pain du paysan
Le paysan trempait les lamelles de milhas dans les sauces. Il garnissait les estomacs.
Le meunier local (lé farinel), artisan indispensable, changeait les grains en farine (la farino dé mil). Avec cette mouture à l'odeur caractéristique, les métayères préparaient dans le chaudron (lé païrol) une bouillie azotée qui réjouissaient les estomacs affamés. Les gens du Lauragais étaient appelés "manjo milhas". C’est avec cette farine mélangée à l’eau que l’on nourrissait les porcs. La bouillie était appelée “farnat”.
Malheureusement, cette nourriture pauvre en vitamines provoquait chez ses consommateurs une avitaminose grave : la "pellagre" (problèmes dermatologiques et parfois neurologiques).
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Meunier de père en fils, illustration de Paul Sibra
peintre du Languedoc |
"Manjo milhas, beu quand trobos, Manjo quand n'as (mange du milhas, bois quand tu le peux
et nourris toi si possible)." |
Le gavage
Cet engraissement de canards et d'oies au maïs d'une durée de 3 semaines se pratiquait au début de la période hivernale, après la toussaint.
La technique était la suivante : à genoux, immobilisant le volatile (oie ou canard), l'opératrice introduisait de force du maïs (préalablement gonflé dans de l'eau) dans son tube digestif par l'intermédiaire d'un entonnoir en fer blanc : l'embuc. Elle faisait glisser les grains en poussant avec un rondon de bois et en versant un peu d'eau tiède. De sa main droi-te, elle activait la déglutition. Experte en la matière, d'un coup d'œil, elle estimait que la ration était suffisante. Le gavage avait pour but de provoquer une atrophie du foie et d'obtenir ce "foie gras" fort apprécié des gourmets. Ce mode d'engraissement provenait des romains qui utilisaient des figues à la place du maïs.
Les paysannes vendaient leurs volailles engraissées sur les marchés locaux (notamment le vendredi à Villefranche de Lauragais). Le profit retiré de ces transactions améliorait le niveau de vie des gens de la campagne, rudes au labeur et habitués à économiser (faïre gintet). |
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Texte et illustrations : Odette BEDOS
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