Les moulins à vent de leur origine à l'implantation
en terre Lauragaise
Depuis des siècles le Lauragais s’est paré d’une multitude de moulins à vent érigés au sommet des collines ; véritables géants tendant leurs grands bras vers le ciel. Aujourd’hui encore, au gré d’agréables promenades, on peut admirer quelques spécimens rescapés de cette lointaine époque, ainsi que de nombreux et riches vestiges de ces curieux oiseaux ne ressemblant à aucun autre. Mais d’où nous viennent ces moulins à la technique si subtile ? Quel pays fut le premier de l’histoire qui réussit à capter et à utiliser la source d’énergie inépuisable offerte par le vent ? Les avis divergent. C’est pourquoi, avant de traiter le lieu d’implantation des moulins à vent dans le Lauragais, il est important, pour une bonne compréhension, d’évoquer brièvement où et comment cette méthode apparut dans le monde. |
Moulin Afghan. On remarquera à l’intérieur de la bâtisse, l’arbre moteur vertical supportant les ailes. |
Origine des moulins à vent
Depuis des temps très reculés, l’être humain a cherché à capter l’énergie procurée par le vent. Cependant, ce n’est qu’au VIIe siècle que cette force a été utilisée pour le broyage des diverses céréales. Les moulins à vent venaient de naître (1).
D’après une technique qui serait Tibétaine, les premiers moulins à vent furent construits en Perse dans la région du Séistan, au-jourd’hui partagée entre l’Iran et l’Afghanistan. Dans cette contrée du globe où les cours d’eau sont forts rares, et les périodes de sécheresse très longues, ses habitants n’eurent d’autres ressources que d’utiliser l’énergie fournie par le vent.
Avant de poursuivre, il est nécessaire de noter que les moulins dits “Afghans” sont de conception totalement différente et ne ressemblent en rien aux moulins à vent que l’on peut observer aux sommets de nos collines occidentales. En effet, les moulins orientaux disposent d’un arbre de transmission vertical supportant les ailes. L’ensem-ble se situe à l’intérieur des murs du moulin, grande bâtisse en partie ouverte, où le vent pénètre toujours d’un même côté. La meule supérieure est actionnée directement par l’arbre moteur, sans système de transmission de l’énergie. Et, particularité importante, les ailes ne sont pas orientables car au printemps, dans cette partie de l’Asie, le vent souffle continuellement et régulièrement toujours dans un même sens, durant environ quatre longs mois.
Les moulins occidentaux
Dans notre pays, la situation se présente différemment. La force des vents est variable et change fréquemment d’orientation. Le meunier doit donc tenir compte de ces éléments en augmentant ou bien en diminuant la surface de la voilure suivant l’intensité du souffle. Captée par les ailes (qui doivent être orientées face au vent), l’énergie développée est communiquée à un arbre moteur disposé horizontalement, et non verticalement, comme dans les moulins Afghans.
Nous le voyons, les deux techniques sont très éloignées l’une de l’autre, ce qui rend assez difficile une éventuelle filiation. La période traitant de ce sujet est loin d’être éclaircie à ce jour. Les hypothèses avancées par les historiens qui se sont penchés sur ce problème sont bien souvent contradictoires et controversées.
Toutefois, selon une tradition qui semble bien établie, il est le plus couramment admis que les croisés auraient découvert la technique des moulins à vent en orient et l’auraient ramenée chez nous vers le XIIe siècle. D’autres pensent que ce sont des pèlerins en voyage dans ces pays qui les firent connaître à leur retour. Mais curieusement aucune chronique de l’époque ne mentionne ces faits.
Au gré des siècles, plusieurs autres suppositions, dont certaines se sont avérées fausses, ont également été développées.
Dans ce contexte, rien d’étonnant que les différentes hypothèses soient remises en question.
"L'être humain a cherché à capter l'énergie procurée par le vent" |
Les premiers moulins à vent en France
Les premiers moulins à vent implantés en France datent des environs de la fin du XIIe siècle et ont simultanément comme berceau la Provence et la Normandie.
Fernand Benoît affirmait en 1940, alors qu’il décrivait l’usine antique de meunerie hydraulique de Barbegal (2), l’existence précoce de moulins à vent en Provence.
Les statuts de la République d’Arles promulgués par l’Archevêque entre 1162 et 1180, mentionnent les premiers moulins à vent connus de l’Occident (molendini de aure), leur droit de mouture de 1/20 était plus élevé que celui des moulins à eau (molendini aquae), de 1/30.
A la suite de ses recherches en 1903, et d’après un acte de donation, Léopold Delisle a eu le grand mérite de signaler le plus ancien moulin à vent occidental connu, et ce moulin est Normand. Selon A.M. Bautier, il se situait à Saint-Martin-de-Varreville non loin du village de Liesville dans le Cotentin. Malheureusement l’acte n’est pas daté. Léopold Delisle le place vers 1180, mais il semble que le moulin soit antérieur.
On voit donc combien ces deux premières apparitions sont proches l’une de l’autre, mais devant l’imprécision des dates (même si le moulin provençal paraît le plus ancien), on ne peut affirmer lequel a l’antériorité.
Le Lauragais terre venteuse
Dans le Lauragais, si la première implantation des moulins à vent n’est pas aussi précoce, les textes actuellement connus nous prouvent que cette région fut très rapidement conquise par l’énergie éolienne. Avec des vents présents en moyenne entre 300 et 330 jours par an, ce pays parsemé d’une multitude de collines est le lieu où les vents soufflent le plus fréquemment en France.
Deux vents dominent : l’Autan qui vient de la méditerranée et le Cers plus froid qui vient de l’Atlantique.
Avec une telle fréquence, il est aisé de comprendre une aussi rapide et ancienne prolifération des moulins à vent, d’autant que la faiblesse des cours d’eau du Lauragais a défavorisé l’édification des moulins hydrauliques.
Les premiers moulins à vent en Lauragais
D’après un texte de vicaire, celui-ci nous apprend qu’au cours de l’hiver 1206/1207 sur la motte de Prouilhe, à l’emplacement du château, un moulin à vent se dressait. Cette date est actuellement la plus ancienne mention connue révélant l’existence d’un moulin à vent en Lauragais.
Malheureusement, aujourd’hui, il ne nous reste plus rien de ce moulin, si ce n’est l’impressionnante butte où il était érigé. Désormais, au sommet de la vaste motte jouxtant le monastère de Prouilhe, à la place du moulin, une statue de la vierge a été élevée.
Les 3 moulins du Vaux en activité, vers la fin du 19e siècle. D’après une plaque de verre de Mr J Laconde. |
L’avenir nous apportera-t-il une date plus précoce encore ? C’est possible, car le texte reproduit ci-après mentionnant le don d’un moulin à vent sur la commune de Villasavary, invite sérieusement à la réflexion :
"L’histoire des moulins de Villasavary remonte au moins au début du XIIIe siècle et même peut-être vers la fin du XIIe : en effet les textes relatant l’histoire du monastère de Prouilhe indiquent qu’Enguer-rand de Boves, chevalier croisé, fit don au monastère de Prouilhe, d’un moulin à vent situé à Villasavary : acte du 5 décembre 1212. Le texte dit que ce moulin était reconstruit, ce qui prouve que son origine est antérieure de plusieurs années. Rien n’indique l’emplacement de ce moulin". (Enguerrand de Boves ne fit que donner un bien qu’il avait usurpé durant la croisade contre les Albigeois).
Si ce moulin a eu besoin d’être reconstruit, c’est qu’il était déjà très ancien, à moins qu’il n’ait été victime de destruction prématurée dûe à des circonstances particulières.
Des recherches plus approfondies nous apporteront-elles des précisions sur la date de la première construction de ce moulin ? Pourront-elles nous offrir la possibilité de reculer la date de 1212 ? Il serait particulièrement intéressant d’être éclairé sur ce sujet pour que toutes nos interrogations soient définitivement levées.
A la lumière de ces éléments et dans l’état actuel des recherches, il est du domaine du possible que nous ayons là le plus ancien moulin à vent du Lauragais.
Le moulin de Mourvilles-Hautes en activité dans les années 50. Sur le pas de la porte Raymond Pastre, couvert de sa casquette. |
Le moulin de Mourvilles-Haute. |
Les plus anciennes datations des moulins à vent en Lauragais
Si les deux moulins que nous venons de citer, trop anciens pour avoir résisté à l’épreuve du temps ont aujourd’hui totalement disparu, il est cependant possible de se pencher sur les plus vieux moulins à vent du Lauragais encore érigés. Ils sont au nombre de deux à se partager l’antériorité de la plus ancienne datation.
Nous commencerons par Mourvilles-Hautes, beau spécimen bâti en pierre. Restauré extérieurement, il dresse encore fièrement sa silhouette coiffée d’un toit à bardeaux. La date de construction, 1571, est gravée sur le côté gauche de la porte d’entrée. Le moulin fut arrêté vers 1960 par son dernier meunier Raymond Pastre. Cet homme fort connu dans tout le Lauragais pour son habileté, fut un des derniers piqueurs de meules de la contrée, rhabillant celles de nombreux autres moulins. Raymond Pastre repose aujourd’hui dans le petit cimetière du Vaux. Au soir de sa vie, il s’était retiré dans ce village, résidant au moulin haut jusqu’à sa mort, survenue le 2 janvier 1976.
Le deuxième moulin à vent concerné par une datation se trouve au village du Vaux, où trois spécimens sont érigés en ligne, en contrebas du château. Le plus ancien est situé au centre et, comme à Mourvilles-Hautes, porte la date de 1571. En moins bon état que ce dernier, et légèrement arasé, seul subsiste son fut couvert d’un toit de tuiles à deux pentes. La datation, de belle facture (3), est gravée dans le linteau qui se trouvait au dessus de la porte d’entrée. Si aujourd’hui celui-ci n’est plus en place, il est néanmoins soigneusement conservé par son propriétaire.
Ce moulin, est le dernier des trois du village à avoir fonctionné et s’est arrêté en 1953, à la mort de son meunier Jean Guiraud. Deux ans après, les ailes et le chapeau en poivrière furent supprimés.
Le Vaux. Le meunier Jean Guirand devant ‘’son’’ moulin. |
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Le linteau du moulin du Vaux, sur lequel figure la plus ancienne datation en Lauragais. |
Comme Raymond Pastre, Jean Guiraud repose dans le cimetière du Vaux, où les caveaux sont situés dans la même allée, et en outre sont disposés face à face. Depuis leur dernière demeure, ces meuniers qui ont tant donné à leur métier, évoquent-ils les étonnantes coïncidences qui les rapprochent, ou bien la belle et odorante farine de froment s’échappant des meules de leur moulin ?
Pierre MERCIÉ
(1) Antérieurement la mouture était confectionnée à l’aide de pierres plus ou moins élaborées suivant les époques. Et si nous poursuivons encore, et sans verser dans le détail, vinrent ensuite les moulins mus soit par la force humaine, soit par la force animale puis les moulins hydrauliques.
(2) Le moulin hydraulique de Barbegal est situé à environ une dizaine de kilomètres d’Arles.
(3) La datation est précédée de trois lettres ‘’ADC’’. Elles pourraient correspondre, d’après deux chercheurs aux avis qui divergent, à ‘’Année du Christ’’, ou bien à ‘’André de Crouzet’’. Restons donc très prudents.
L’Académie des Jeux Floraux de Toulouse, vient de couronner en 2009 Pierre Mercié d’une médaille d’argent, pour son nouvel ouvrage “Légendaires Moulins à Eau aujourd’hui disparus“.
Crédit photos : Collection Pierre Mercié