Les maîtres maçons de Montgeard
Les maîtres maçons qui furent chargés, l'un après l'autre de bâtir l'église de Montgeard, sont au nombre de deux ; Pierre Gabriac et Jean d'Escalquens dit Pothony. Le premier amorça fortement la construction de l'édifice, dont le bail à besogne, malheureusement perdu, avait été signé chez le notaire Etienne Sanxon, à Toulouse, et transcrit par un notaire de l'endroit qui appartenait à la famille des Prudhom ; cette famille existe encore. Mais Pierre Gabriac mourut avant d'avoir achevé l'œuvre qu'il avait entreprise. Ce fut Jean d'Escalquens qui le remplaça et s'engagea par contrat du 7 mai 1524, à parfaire la besogne de son prédécesseur.
L'église de Montgeard a été classée en 1890 au nombre des monuments historiques. Elle est bâtie sur une colline élevée à 295 mètres d'altitude
et semble dominer le pays tout entier.
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Pierre Gabriac
Pierre Gabriac était originaire de Lestelle en Comminges, il dut faire son apprentissage à Toulouse avec les maîtres d'œuvres accomplis qui allaient préparer et réaliser la floraison des belles œuvres de notre renaissance toulousaine, les frères Colin, André Beulayga, Pierre Augier, Jean Barthier... Le 22 juin 1502, Etienne de Michel, prieur du collège et ses collègues Raymond d'Albusson et Nicolas Montbel, accordèrent à Pierre Gabriac (le notaire a écrit par inversion Grabiac) dans un bail à besogne les fruits décimaux (dîme ecclésiastique) de Couladère (près de Saint Gaudens). A la fin du bail, il est spécifié que Gabriac est chargé de bâtir pour l’église de Montgeard ; il s'agissait de construire l'escalier en bonnes pierres de taille d'une seule pièce, de faire une maçonnerie autour de cet escalier et d'ouvrir portes et fenêtres en pierre pour l'éclairer. Le paiement de cette besogne se fera en déduction du fermage de Couladère. Le 20 juin 1504, Pierre Gabriac construisit pour le prieur de Saint-Martial, Pierre de Thorundo, une sacristie ; elle devait être voûtée et bien éclairée par deux fenêtres de briques taillées, encadrées de deux pierres, l'une servant de linteau et l'autre de base. Ces différents travaux avaient donné à notre maçon, avec la réputation d'un ouvrier connaissant toutes les ressources de son métier, une modeste aisance. Le 9 décembre 1502, il avait acheté aux époux Pierre Rosié et Jeanne du Palis une maison avec son jardin dans la rue d'Olm de Saintes-Scarbes, où elle était voisine du prêtre Hugues Cluchérü et de Pierre Delfau, l'hôtelier de l'écu de France ; il payait la somme de 210 livres et en prenait possession le même jour. Pierre Gabriac était devenu citoyen de Toulouse. Le 5 mars 1518, il faisait son testament chez le notaire Géraud de Babbaria, laissant pour son héritier, Pierre Gabriac, son fils encore mineur. Les seigneurs de la terrasse près de Carbonne, noble Pierre Potier, père et fils, étaient désignés pour être tuteurs de son fils. Le testateur avait un frère, qui était maître charpentier.
Maître maçon : L'accession à la maîtrise donne au maçon le droit de faire "acte de maître", c'est à dire d'entreprendre des travaux pour son compte et d'embaucher. Il est garant pendant 10 ans de la qualité de ses ouvrages sans pouvoir dégager sa responsabilité en accusant architecte ou propriétaire. Il peut faire condamner à de fortes amendes le compagnon qui voudrait faire acte d'entrepreneur à sa place. Pour accéder à la maîtrise, il faut réaliser un chef-d'œuvre jugé par la communauté des maîtres maçons, fournir des garanties de "bonnes vies et mœurs" et payer des droits d'enregistrement de son nouveau titre. Une charge financière non négligeable : vers 1700, elle peut représenter jusqu'à 850 journées de salaire d'un compagnon, mais elle donne accès à la réussite professionnelle. |
Jean d'Escalquens
Le maître d'œuvre Pierre Gabriac se mit au travail sans retard, mais il mourut au commencement de l'année 1524 ; l'église de Mont-geard était inachevée. Le syndic des paroissiens, Jean Amiel le vieux, fit un accord avec la veuve Gabriac qui ne pouvait pas plus que son fils trop jeune, se charger de mener à bonne fin l'entreprise de son mari. Pour la somme de 50 livres payable aux habitants de Montgeard à titre d'indemnité, elle se désista, et le bail à besogne du maître maçon défunt fut annulé. A ce moment paraît Jean d'Escalquens dit Pothony, qui accepta de continuer l'œuvre commencée par Gabriac. C'est le 7 mai 1524 que fût signé le nouveau bail du successeur de Gabriac en présence de deux notables de l'endroit, Jean Amiel le vieux, Arnaud del Faget. Les archives notariales nous fournissent, sur son compte moins de renseignements que sur son prédécesseur. Un acte du 20 décembre 1511 "Bertrand Costayrac notaire" nous fait savoir qu'il avait acheté avec le maître maçon Pierre Lachâtre 14000 briques pleines, 3000 tuiles à crochet, 1500 tuiles, que le briquetier de Portet Mathieu Sarpa devait transporter au couvent de la petite observance, appelé depuis le calvaire. Cet achat nous permet du moins de dater les voûtes de cette chapelle dont Jean d'Escalquens fut l'artisan avec son camarade Pierre La-Châtre. Mais le maçon, que le notaire de Balbaria désigne familèrement par son sobriquet charmant de Pothony, allait donner toute la mesure de son talent en élevant les voûtes un peu surbaissées, selon le style de l'époque, mais si élégamment décorées de liernes et de tiercerons qui font la beauté et l'harmonie de l'église de Montgeard.
L'église de Montgeard possède une nef unique,
avec ses huit chapelles latérales et sa voûte à belles
moulures prismatiques et ogivales.
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L'église de Montgeard se rattache au point de vue de l'architecture,
à celle de l'Isle en Dodon, et de plus loin celle
de Montesquieu Volvestre. |
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De nombreuses sculptures d'albâtre agrémentent l'intérieur de l'église de Montgeard. Elles représentent l'Assomption, le couronnement de la vierge, Sainte Catherine et une très belle Rédemption, sujet rare qui a conservé quelques traces de polychromie. |
Lierne et Tierceron : Termes d'architecture. Le terme de lierne désigne deux nervures qui viennent s'ajouter aux ogives d'une voûte quadripartite. Les liernes se croisent orthogonalement à la clef de voûte et relient celle-ci au sommet des arcs doubleaux qui séparent chaque travée de voûte et au sommet des arcs formerets placés à la retombée des voûtains, ou quartiers de voûtes, sur les murs latéraux de l'édifice. L'utilisation des liernes seules aboutit à la voûte d'ogives octopartite. Les liernes se combinent très souvent avec les tiercerons, nervures plus courtes qui joignent les liernes aux quatre angles de la voûte. Les tiercerons rencontrent des liernes à la moitié ou au tiers (d'où leur nom) de la longueur de ces dernières.
Canne : mesure de superficie, 9 canes (18 mètres). La canne royale était un instrument de mesure ancien linéaire utilisée dans la construction. Sa longueur était de 1,25 mètre. La canne pouvait aussi signifier une unité de mesure de longueur, supérieure à l'aune, mais inférieure à la perche. Exemples : la canne toulousaine : 1,60 m, la canne de Bourg-de-Visa : 1,732 m, la canne de Carcassonne : 1,785 m. |
L'église de Montgeard
L'église aura neuf cannes et demi de longueur, environ 18 mètres. C'est le clocher mur du Lauragais, tel qu'on le voit dans les alentours, à Nailloux, à Montesquieu, à Caignac. Le splendide donjon qui fortifie l'église et le village ne sera bâti que plus tard. La hauteur des voûtes sera de sept cannes au-dessus du sol (environ 12,60 m) ; le bail prévoit trois chapelles de chaque côté, actuellement il y en a quatre.
Le maître maçon fournira tous les échafaudages à ses frais mais il pourra s'aider de la vieille charpente pour les étayers. Le syndic de la paroisse et le séquestre sont chargés de livrer au maçon toute la brique, le sable et la chaux qui seront nécessaires et l'entrepreneur devra faire tout le reste à ses frais. Le prix global de l'entreprise payable à Jean d'Escalquens s'élevait à 237 livres tournoises. Grâce aux libéralités d’un riche marchand, Jacques Durand, le clocher se transforma quelques années plus tard en un donjon carré, mesurant un peu plus de dix mètres sur tous les côtés. Nous voudrions savoir quelle pensée secrète poussa Jacques Durand à laisser à l'église de Montgeard les cinquante mille briques qui servirent à élever cette tour énorme. Est-ce seulement un acte de foi religieux ? Etait-ce l'amour du clocher natal ? Ets-ce l'intuition des perturbations religieuses et sociales qui allaient ensanglanter ce plateau de Nailloux si lumineux, mais si difficile à protéger et à défendre ?
Partout des clés de voûtes, des écussons d'une finesse
remarquable et d'une grande variété de dessins
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De drôles de gargouilles surplombent au nord la vallée sinueuse
de la Thésauque, à l'est Saint Félix, les hauteurs de Revel
et de Saint Ferréol et à l'ouest Nailloux. |
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Le bénitier, belle coupe en marbre blanc d'Italie mesurant
1,45 m de haut est placée au milieu de la nef. L'inscription en langue romane gravée sur sa base nous indique que ce
chef-d'œuvre a été fait à Pise en 1516 par James de Caussidières. |
La plate-forme de la tour de Montgeard,
d'une superficie de 100 mètres carrés environ et entourée de créneaux, offre une vue imprenable sur le Lauragais.
Cette gargouille représente une femme en train d'accoucher. |
Tour à cul de lampe : En architecture, un cul-de-lampe est une console d'encorbellement constituée d’une pierre saillante servant à supporter une base de colonne, la retombée d'un arc, des nervures de voûte ou encore une statue dont la forme rappelle le dessous d'une lampe d'église. On désigne habituellement par le mot tourelles (tour) les ouvrages cylindriques, ou à pans, portés en encorbellement. Ces tourelles s'élevaient, soit sur un cul-de-lampe, soit sur un contre-fort ; elles donnaient un flanquement peu étendu et des vues sur les dehors d'une habitation, d'une porte ou d'une courtine.
Carneau : mot signifiant créneau en vieux français. Ce dernier également appelé quernal, aquarniau, carnel, créniau, désigne les vides pratiqués dans un parapet pour permettre aux défenseurs des murailles de voir les assaillants et de leur lancer des projectiles. Mais au Moyen Âge, on entendait par créneau toute ouverture pratiquée au sommet d'une tour ou d'une courtine, couverte ou découverte, et qui servait à la défense. |
Rappelons quelques dates : le testament de Jacques Durand est de l'année 1535 ; le bail à besogne du donjon transcrit par le notaire Gueyne et malheureusement perdu, est du 29 juillet 1547 ; le parlement de Toulouse sévit contre les hérétiques. En 1551, son frère Guillaume Durand, greffier aux présentations, devenu seigneur de Montgeard, fit élever tout près de ce donjon qui, pour lui était familial, son château Renaissance "bâti à quatre murs, avec sentinelles et défenses de notable valeur… et son jardin environné de murailles à carneaux" et au-delà de la rue principale un autre grand jardin, femé de murailles avec carneaux et tours à cul de lampe, et à l'entrée du village ses deux moulins à vent, château et donjon. Ils formeront alors un système de défense respectable, que les huguenots de Mazères malgré leur audace, n'oseront jamais aborder de front. Notons enfin que ce fût Jean Durand, mage marchand de Montgeard, le frère de Jacques et de Guillaume, qui s'occupa de la construction du donjon et du paiement des dépenses nécessitées par cette œuvre.
Le dévouement à l'église paroissiale semble héréditaire dans cette famillle.
Maurice REICHARD
Texte issu de ses recherches aux archives départementales de Haute-Garonne
Crédit photos : Couleur Média
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