Les plantations et le droit : un jardinier averti en vaut deux | |
Activité en essor constant depuis ces dix dernières années, le jardinage est aujourd’hui un des loisirs préférés des français. Le législateur n’a cependant pas attendu cet engouement pour intervenir et réglementer, bien au contraire. Les litiges existant de tout temps se sont chargés de démontrer à quel point il était impératif d’anticiper et de pacifier les querelles qui pouvaient se nouer entre voisins à ce sujet. |
Un entretien régulier de son jardin et un bon respect de la législation permettent de préserver une bonne entente entre voisins. Crédit photo : Couleur média |
C’est donc dès 1804, date de promulgation du code civil, que le législateur a défini les règles qui s’appliquent aux plantations dans leurs rapports aux propriétés voisines. Distance, Hauteur ou branches qui dépassent… en quelques articles, le code civil donne des réponses. |
Toutefois, nos plantations peuvent respecter ces règles et néanmoins causer des troubles ou des dommages engageant notre responsabilité. S’il est évident que les plantations ne doivent pas créer de situation de danger pour les biens et les personnes, nos chers végétaux ne doivent pas non plus engendrer de troubles intempestifs de jouissance aux propriétés voisines. Comme dit le proverbe bantou : "Il est plus facile d’arracher un brin d’herbe dans le pot de fleur de son voisin qu’un baobab dans son propre jardin". Ce sont donc les tribunaux, fréquemment saisis, qui condamnent les propriétaires ou jardiniers récalcitrants à élaguer ou arracher les plantations, sources de nuisances.
Plantations et limites de propriété
Les articles 668 à 673 du code civil réglementent de puis plus d’un siècle le sort des plantations par rapport aux propriétés privées voisines (1).
Il existe cependant des dérogations : certaines sont prévues par le code civil lui-même, d’autres sont issues des usages locaux, des règles d’urbanisme ou concernent les limites entre propriété privée et voie publique (2).
1 – Distance, hauteur, branches qui dépassent… les règles du Code Civil applicables entre propriétés privées
L’article 671 du code civil détermine les distances à respecter des plantations par rapport aux propriétés voisines :
– Les arbres, arbrisseaux et arbustes dont la hauteur est supérieure à 2 mètres doivent être plantés à une distance minimum de 2 mètres de la propriété voisine,
– Les arbres, arbrisseaux et arbustes, dont la hauteur est inférieure à 2 mètres, doivent être implantés à une distance minimum de 0,5 mètres de la propriété voisine,
– Si un mur mitoyen sépare les deux propriétés, des plantations de toutes espèces, et même prenant appui sur le mur, peuvent être plantées en espaliers de chaque côté du mur séparatif, sans qu’il ne soit obligé de respecter aucune distance, à la condition que ces plantations ne dépassent pas la crête du mur.
Les arbres fruitiers taillés en espalier comme ce poirier peuvent être plantés
contre les murs de séparation - Crédit photo : Couleur Média
Comment calcule-ton la distance ou la hauteur des plantations par rapport à la propriété voisine ?
Selon la jurisprudence, la mesure doit être effectuée à partir du centre du tronc, pris au niveau du sol, jusqu’à la limite séparative des propriétés. S’il existe un dénivelé entre les deux terrains, seule la hauteur intrinsèque de l’arbre ou des plantations, c'est-à-dire la hauteur des plantations par rapport au terrain où elles sont installées, est prise en compte.
Qu’en est-il des haies mitoyennes, des arbres plantés dans la haie mitoyenne ou des arbres plantés sur la ligne séparative de deux propriétés ?
Les articles 666, 668 et 669 du code civil répondent à cette question s’agissant des haies mitoyennes : Toute clôture qui sépare deux héritages est mitoyenne, c'est-à-dire que la propriété de ces plantations est commune aux deux propriétaires, et les produits de cette haie appartiennent pour moitié à chacun des propriétaires mitoyens.
L’article 669 alinéa 2 du code civil autorise cependant le copropriétaire d’une haie mitoyenne à la détruire jusqu’à sa limite de propriété, à charge de construire un mur sur cette limite.
L’article 670 du code civil tranche la question pour les arbres implantés dans des haies mitoyennes ou lorsque des arbres ont été plantés sur la ligne séparative de propriété.
Ces plantations sont mitoyennes, et donc :
– Les fruits, branches ou feuilles qui en tombent naturellement, dont la chute a été provoquée ou cueillis volontairement, sont communs et doivent être partagés par moitié entre les propriétaires,
– Les frais d’entretien sont communs.
Quelles sont les règles si le mur séparatif contre lequel on souhaite adosser des plantations est la propriété d’un seul des voisins ?
Si vous n’êtes pas propriétaire du mur, vous n’avez pas la possibilité de prendre appui sur le mur pour y planter des végétaux : vous êtes obligé de respecter les distances légales de plantations.
En pratique : Comment calcule-t-on les distances légales des plantations en présence d’un mur ?
Si le mur est mitoyen : à partir du milieu du mur,
Si le mur appartient au voisin, à partir de la face du mur qui donne chez vous et inversement, si le mur vous appartient, à partir de la face du mur qui donne chez le voisin.
Si vous habitez un lotissement la première chose à faire est de vous informer sur ce qui est prévu
dans le cahier des charges. En matière de distances de plantation, la loi ne s'applique que s'il n'existe
aucune disposition communale ou autre - Crédit photo : Couleur Média
2 – Les dérogations aux règles de distances et de hauteurs posées par le Code Civil
Certaines dérogations sont expressément prévues par le code civil lui-même, d’autres sont issues notamment de réglementations d’urbanisme locales.
1) Les dérogations de l’article 672 alinéa 1 in fine du code civil
Il existe 3 cas dans lesquels il est impossible de contraindre le voisin dont les plantations ne respectent pas les distances ou hauteurs imposées par le code civil.
a) Existence d’un titre
Il est possible de déroger aux dispositions du code civil en présence d’une autorisation écrite.
C’est le cas par exemple lorsque le propriétaire voisin aura donné par écrit son autorisation pour planter ou maintenir des végétaux dont les hauteurs ou distances par rapport à sa propriété ne sont pas conformes aux exigences du code civil.
b) La destination du père de famille
Il y a destination du père de famille lorsque la propriété sur laquelle sont établies les plantations irrégulières et le fonds voisin sont issus de la division d’une seule et même propriété et que dans l’acte notarié qui a séparé les deux fonds, il n’a rien été stipulé de contraire à cette situation.
Concrètement, sauf stipulation particulière dans l’acte notarié, si les fonds divisés, sur lesquels sont plantés les végétaux litigieux, appartenaient à un seul et même propriétaire, et que les plantations litigieuses existaient lors de la division de la propriété, alors les règles de distance et de hauteur du code civil ne s’appliquent pas.
c) La prescription trentenaire
Il est impossible de se prévaloir des règles de distances et de hauteur prévues par le code civil lorsque la plantation irrégulière existe depuis plus de 30 ans sans que le voisin n’ait jamais formulé aucune protestation pendant cette période.
Attention : le point de départ du délai de prescription court à compter du jour où la plantation a atteint la hauteur maximale autorisée et non au jour où le végétal litigieux a été planté.
2) Application des règles du code civil sous réserve des règles locales d’urbanisme ou des usages locaux
Les règles du code civil s’appliquent sous réserve que les documents d’urbanisme, et notamment le plan local d’urbanisme, ou que les usages locaux ne prévoient d’autres règles.
Il convient donc en premier lieu, et avant de se reporter aux règles du code civil, de vérifier auprès de la mairie s’il existe des règles particulières concernant notamment la limitation, la protection ou l’interdiction d’abattage d’arbres ou des dispositions particulières sur la Commune prévoyant des distances plus importantes ou moindres que la distance légale.
En outre, si votre terrain est situé à proximité d’un monument historique, dans un site inscrit, classé ou sauvegardé, la coupe ou l’abattage des arbres devront faire l’objet d’une autorisation.
Les usages locaux peuvent également prévoir des dérogations aux règles de distances prévues par le code civil.
A Paris et en région parisienne par exemple, aucune distance minimale de plantation n’est imposée aux propriétaires.
Nombre d'inconvénients sur les propriétés résultent des dégats causés par les arbres ou arbustes
(branche, racine) implantés sur des propriétés voisines - Crédit photo : Albert Cheng©Fotolia
3) Les plantations par rapport à la voie publique
L’article R 116-2-5° du code de la voirie routière interdit de laisser pousser des haies et des arbres à moins de 2 mètres de la voie publique. Toutefois là encore, il convient de se référer aux règlements locaux, et notamment au plan local d’urbanisme, qui peuvent imposer, des distances plus ou moins importantes selon les voies et les risques.
Concernant les plantations à proximité des chemins ruraux, qui appartiennent au domaine privé de la Commune, le code rural n’impose aucune distance : il convient également de se référer aux documents d’urbanisme.
Toutefois, le code rural pose un certain nombre de règles dictées par des impératifs de sécurité.
L’article D 161-22 du code rural prévoit que les plantations d'arbres et de haies vives peuvent être faites le long des chemins ruraux sans conditions de distance, sous réserve que soient respectées les servitudes de visibilité et les obligations d'élagage prévues à l'article D. 161-24 du même code.
Toutefois, dans un souci de sûreté et de commodité du passage, le maire peut, par arrêté, désigner les chemins de sa commune le long desquels les plantations devront être placées à des distances au plus égales à celles prévues pour les voies communales.
L’article D161-23 du code rural prévoit quant à lui que les plantations privées existant dans l'emprise du chemin peuvent être conservées lorsqu'elles ne troublent pas la sûreté ou la commodité du passage et qu’elles ne peuvent en aucun cas être renouvelées.
Cependant, lorsque la viabilité du chemin rend nécessaire leur destruction, les propriétaires sont mis en demeure, par arrêté du maire, d'avoir à les enlever dans un délai déterminé.
Si les plantations ont plus de trente ans d'âge, le droit des propriétaires se résout en une indemnité qui est réglée à l'amiable ou, à défaut, comme en matière d'expropriation.
Enfin, l’article D161-24 du même code impose aux propriétaires riverains ou exploitants de couper les branches et racines des arbres qui avancent sur l'emprise des chemins ruraux dans des conditions qui sauvegardent la sûreté et la commodité du passage ainsi que la conservation du chemin.
Le texte précise que les haies doivent être conduites à l'aplomb de la limite des chemins ruraux.
Dans le cas où les propriétaires riverains négligeraient de se conformer à ces prescriptions, les travaux d'élagage peuvent être effectués d'office par la commune, à leurs frais, après une mise en demeure restée sans résultat.
La responsabilité du propriétaire de plantations
Le propriétaire de plantations ou arbres a l’obligation de se conformer aux règles en vigueur s’agissant de l’entretien des haies mitoyennes, de la distance des plantations par rapport à la propriété voisine et de leur hauteur.
Le code civil là encore réglemente les droits des propriétaires dont les plantations voisines viendraient à empiéter sur leur propriété (1.)
Cependant, et quand bien même les plantations respecteraient les distances légales prévues par les diverses réglementations, il n’en demeure pas moins que la responsabilité du propriétaire de ces plantations peut être engagée si celles-ci causent un préjudice.
Le propriétaire de plantations peut voir sa responsabilité engagée pour les dommages causés par un arbre qui lui appartient (2).
Il est de la responsabilité de chacun d'entretenir ses haies afin d'éviter leur débordement qui pourrait nuire
aux voies de circulation attenantes - Crédit photo : Barbara Helgason© Fotolia
1 - Les recours en cas de violation des réglementations relatives aux plantations
Que faire si le copropriétaire d’une haie ou de plantations mitoyennes refuse de participer aux frais d’entretien ?
En cas de difficulté, et si toutes les démarches amiables restent sans effet, il est possible de contraindre le voisin à respecter l’article 670 du code civil.
Le contentieux afférent au respect des distances et hauteurs de plantations est extrêmement fréquent et récurrent devant les tribunaux.
Une action judiciaire peut être précédée au préalable d’une mise en demeure ou d’une démarche amiable : les avocats sont là pour vous conseiller et vous assister si votre voisin se montre récalcitrant.
Quels sont mes recours si le voisin ne respecte pas les distances ou les hauteurs ?
Si les distances ne sont pas respectées, l’article 672 du code civil prévoit que vous pouvez exiger de votre voisin l’arrachage des plantations ou la réduction à hauteur légale.
Attention : il est interdit de procéder vous-même à ces travaux.
A défaut d’accord amiable ou de refus répété de votre voisin de respecter les dispositions légales, vous avez la possibilité de saisir la juridiction compétente pour le contraindre à se mettre en conformité.
Les branches de l’arbre de mon voisin ou les racines de ses plantations empiètent sur ma propriété : que puis-je faire ?
Cette question est tranchée par l’article 673 du code civil :
– Les branches de l’arbre voisin avancent sur votre propriété : vous avez la possibilité de contraindre votre voisin à couper ses branches, étant précisé que les fruits de l’arbre qui tomberaient sur votre propriété vous appartiennent ;
Attention : Vous ne pouvez cueillir les fruits de l’arbre voisin dont les branches dépassent sur votre terrain.
Là encore, il ne vous appartient pas de couper les branches, mais vous pouvez exiger de votre voisin qu’il réalise les travaux d’élagage.
– Des racines de l’arbre voisin, des ronces ou des brindilles avancent sur votre propriété : c’est en principe au voisin de vérifier que ces plantations n’envahissent pas le terrain limitrophe.
Vous avez cependant la possibilité, jusqu’à la limite séparative de votre propriété, de couper vous-même ces racines ou ronces, à charge le cas échéant de demander indemnisation des frais engagés par vous à cette fin auprès du voisin négligent.
Il convient cependant de demeurer prudent, notamment pour tout abattage des racines arrivant sur votre propriété car si l’arbre meurt, le voisin peut envisager de rechercher votre responsabilité.
En tout état de cause, le droit d’exiger l’élagage des branches et le droit de couper les racines, les ronces et brindilles qui avancent sur votre propriété ne s’éteignent pas par le non usage. Ces droits sont imprescriptibles. Ceci revient à dire que le fait d’avoir toléré cet empiètement des plantations voisines n’éteint pas le droit de demander au propriétaire de réaliser les travaux d’élagage ou son propre droit de couper les racines et ronces.
Si les branches ou ronces de l’arbre du propriétaire voisin viennent à causer des dommages (ex : racines qui déstabilisent une terrasse ou engendrent un mouvement de l’immeuble avec apparition de fissures), la responsabilité du propriétaire peut être recherchée.
L’arbre est un être vivant, il faut donc prévoir son évolution et l’implanter au bon endroit
tout en respectant les distances légales - Crédit photo : Couleur Média
2 - Les plantations et les troubles anormaux de voisinage
L’article 544 du code civil définit le droit de propriété comme "le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou les règlements". Les juridictions françaises sont particulièrement vigilantes au respect de ce droit. Néanmoins, l’adage populaire selon lequel " la liberté de chacun s’arrête là ou commence celles des autres" trouve également à s’appliquer en droit. Ainsi, des restrictions peuvent être apportées au droit de propriété par le principe selon "lequel nul ne doit causer à autrui aucun trouble anormal de voisinage". Cette théorie trouve à s’appliquer lorsque les plantations causent un trouble aux propriétaires voisins. Néanmoins, la jurisprudence exige que ce trouble soit anormal, c'est-à-dire qu’il excède les inconvénients normaux du voisinage.
Les plantations de mon voisin gênent ma vue ou provoquent une perte d’ensoleillement, que puis-je faire ?
Il n’existe pas de droit acquis à la vue ou à l’ensoleillement : ce n’est qu’à la condition
que la perte d’ensoleillement ou la perte de vue excèdent les inconvénients normaux de voisinage que le juge pourra intervenir. Ainsi, les tribunaux considèrent qu’il n’y a pas perte d’ensoleillement si les plantations engendrent une perte d’ensoleillement limitée et temporaire (ex : en fin d’après midi).
Mon voisin se plaint des feuilles de mon arbre qui bouchent ses gouttières, quel est mon recours ?
Attention à ce que les feuilles perdues par vos arbres ne provoquent pas des dommages aux propriétés voisines. Si votre voisin doit supporter que les feuilles de votre arbre tombent chez lui, cette chute peut être considérée comme un trouble anormal de voisinage si les feuilles ou branches provoquent des dégâts sur sa propriété. Dans tous les cas, c’est une appréciation au cas par cas et en fonction des situations qui leurs sont soumises que les Tribunaux trancheront.
Un jardinier averti en vaut deux…
Aurélie VIVIER, Avocate à Nailloux