Une légende de l'aviation : Antoine de Saint Exupéry
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L’Aéropostale est cette compagnie de transport du courrier aérien fondée par Pierre Latécoère à Toulouse-Montaudran en 1920 ; son souvenir, celui des pilotes célèbres comme Mermoz, Guillaumet, Reine sont toujours très vivants dans l’esprit des Toulousains et des historiens. Le courrier était acheminé de Toulouse à St Louis du Sénégal par Narbonne, le Perthus, Barcelone, Gibraltar en suivant la côte espagnole, le Maroc, le Sahara, St Louis-Dakar. Antoine de Saint Exupéry fut aussi l’un des pilotes prestigieux ayant participé à cette grande aventure de l’Aéropostale. |
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Les phares
A partir de 1926 on construit des phares pour la navigation par temps de brouillard ; ceux de Baziège et de Montferrand sont toujours là, celui de Montferrand en excellent état avec des cartes et des panneaux explicatifs ; à Baziège une association vient d’être créée pour le restaurer.
Les pilotes
Une foule de livres ont étudié les pilotes célèbres durant ces dernières années ; celui qui fut le plus édité fut sans aucun doute Jean Mermoz disparu en 1935 au dessus de l’Océan Atlantique. Henri Guillaumet s’écrasa dans les Andes et survécut pendant trois jours sur un glacier avant de rejoindre un village indien ; sa mort aussi est originale : son avion est abattu près de la Tunisie, en 1941, par la chasse italienne alors que nous n’étions plus en guerre avec l’Italie, une erreur...
Antoine de Saint Exupéry est un pilote doublé d’un écrivain de génie, il est l’auteur de nombreux livres lus dans le monde entier : "Le Petit Prince" (1942) est beaucoup plus célèbre aux Etats Unis qu’en France ; aujourd’hui "le Petit Prince" est étudié dans tous les collèges et lycées de France. Autres ouvrages très connus : "Terre des Hommes", "Courrier Sud", "Pilote de guerre".
Une personnalité unique et exceptionnelle
Antoine de St Exupéry est né le 29 juin 1900 à Lyon, issu d’une famille de vieille noblesse limousine. Il y a 5 enfants. Le père, comte de Saint Exupéry, meurt lorsque Antoine n’a que 4 ans. Son enfance sera difficile, avec plusieurs déménagements dans la famille : à Ambérieu puis au Mans. Antoine entre au collège chez les jésuites, élève irrégulier, désordonné, rêveur et épris de poésie. Ici, la discipline est stricte et il est régulièrement puni pour ses taches d’encre sur les doigts, son côté "tête en l’air", déjà !, son manque d’application aux études. Eté 1912, vacances à Ambérieu ; tout près de Saint Maurice de Rémens, Antoine se rend à l’aérodrome, à vélo, il reste des heures à rêver devant les avions, mais aussi à harceler de questions les mécaniciens sur le fonctionnement des moteurs ; en juillet, enfin son baptême de l’air, souvenir impérissable qu’il a retracé dans un poème :
"Les ailes frémissaient sous le souffle du soir
le moteur de son chant bercait l’âme endormie,
le soleil nous frôlait de sa couleur pâlie”.
Il est aussi musicien et joue du violon. Il obtient le Bac en 1917, et ne fait pas la guerre. En 1921 il accomplit son service militaire, près de Strasbourg, dans l’aviation ; puis il ira au Maroc. En 1942 il est affecté au Bourget ; pendant quelques années il est représentant de camions Saurer ; il sera aussi journaliste pour “Paris Soir” et fait des reportages sur la Guerre d’Espagne (bataille de Lérida).
Saint Ex et l'Aéropostale
En 1926, le 14 octobre, il est engagé par Beppo de Massimi, administrateur des lignes Latécoère. A Montaudran, après le passage obligé à l’atelier, Didier Daurat, directeur de l’exploitation des lignes de la compagnie Latécoère lui confie un Bréguet 14 sur la ligne Toulouse-Casablanca, ensuite Casablanca-Dakar ; c’est à cette date qu’il dut survoler le Lauragais en se guidant sur les phares de Baziège, Montferrand, Castelnaudary. En 1927 il est nommé chef d’escale à Cap Juby, au Maroc espagnol (cette région saharienne est une colonie espagnole appelée le Rio de Oro), avec pour mission d’améliorer les relations de la compagnie et des tribus maures pillardes. Durant 18 mois il mène une vie très dure dans le désert et c’est de cette aventure africaine que surgira son premier livre "Courrier Sud" ; c’est ici qu’il rencontre Mermoz et Guillaumet. En 1929 il est nommé chef pilote de l’Aéroposta Argentina et organise la ligne de Natal (Brésil) jusqu’en Patagonie (Argentine méridionale). En 1931 il rentre à Paris et épouse à Nice, Consuelo, écrivaine et artiste originaire du Salvador (petit état de |
Henri Guillaumet et Antoine de Saint Exupéry, pionners de
l'aviation française. "Mon camarade je te dédie ce livre"
("Terre des Hommes") : cette phrase est une dédicace d'Antoine
à son ami Henri qui participa à l'histoire de sa vie. |
l’Amérique centrale) ; en même temps il publie son deuxième livre : "Vol de Nuit" prix Fémina. A partir de 1932 il vit difficilement. L’Aéropostale fait faillite, mais il reste pilote d’essai chez Latécoère ; il est victime de très nombreux accidents, a failli brûler, se noyer... En 1935 il fait le tour de la Méditerranée pour des conférences, à Casablanca, Alger, Tunis, Tripoli, le Caire, Istanboul, Athènes. |
Saint Ex dans la guerre 1939-1944
En 1939 il réussit, malgré son délabrement physique, à entrer dans l’armée de l’Air, dans un groupe de reconnaissance, à haute altitude ce qu’il fera à nouveau avec les Américains, en 1944. Après la défaite de 1940, il réussit à gagner les Etats-Unis où il vit jusqu’en 1943. Il écrit alors "le Petit Prince" et ébauche "Citadella" qui ne paraîtra qu’en 1948. Saint Exupéry est un partisan du maréchal Pétain et déteste de Gaulle qu’il qualifie de dictateur ; il refuse de s’engager dans les Français Libres gaullistes. En novembre 1942 les Américains débarquent au Maroc et en Algérie. L’Afrique du Nord française reprend le combat avec le général Giraud que Saint Ex suit aveuglément ; il regagne l’Afrique du Nord. Avec l’appui d’un général américain, après maintes vicissitudes, il réussit à entrer dans l’aviation américaine (et non française). Voici quelques lignes sur ce passage : "relancé de mois en mois par Giraud, Eisen-hower, excédé, appelle son chef d’état-major : ces Fran-çais sont impossibles, Gi-raud le premier ! Ce Saint Exupéry nous casse les pieds. Réintégrez le ! Il nous embêtera peut être moins en l’air que sur la terre ! "; à l’autre bout du fil, le général Bedel Smith griffonne quelques mots qu’il transmet au commandant en chef de la MAAF (Méditerranéas-seau Allied Air Force) : "le pilote français Saint Exupéry, actuellement radié, est réintégré dans la fonction de pilote : signé Eisenhower (commandant en chef)". Malgré son âge, 44 ans, ses multiples blessures, incapable de passer, seul, sa combinaison de vol, Saint Ex pilote un avion de reconnaissance extraordinaire, un P 38, un Lightning.
Le Petit Prince est l'œuvre la plus connue d'Antoine de Saint Exupéry. Publié initialement en 1943 à New-York,
c'est un conte poétique et philosophique sous l'apparence d'un conte pour enfants. Phénomène culturel,
le Petit Prince est encore lu de nos jours partout dans le monde. Située à Lyon, Place Bellecour,
cette sculpture représente Saint Exupéry et le Petit Prince.
Sa dernière mission : 31 juillet 1944
Cette machine américaine, surpuissante, est un avion original : un bimoteur, un fuselage double et une vitesse unique, 700 km à l’heure.
Il était plus rapide que les chasseurs allemands Messerschmidt et même Foke Wulf. Il vole à 10-12000 mètres ou au ras du sol. L’unité de Saint Ex est basée à Foggia en Italie, puis en Corse à Borgo, près de Bastia. Il sera chargé de photographier la vallée du Rhône jusqu’à Lyon, les Alpes, l’Italie du Nord pour préparer le débarquement en Provence du 15 août 1944. Durant ces missions, il subit de nombreux incidents : feu à un moteur, mauvais fonctionnement de la radio, panne d’oxygène. Le 31 juillet 44, 8 heures du matin, près du Lightning n° 223, deux officiers, le mécanicien et un sous officier aident Saint Exupéry à boucler son parachute, sa ceinture, à mettre son casque, brancher le masque à oxygène, la fiche radio, vérifier les instruments au cours du démarrage des moteurs. L’adjudant chef Roussel et le sergent chef Potier procèdent aux dernières vérifications au sol, moteurs, trains d’atterrissage, volets, gouvernes. On enlève les cales sous les roues, signal habituel de la main, c’est le départ 8h45.
On ne le reverra plus ; sa mission était de photographier Lyon, le Nord des Alpes, Grenoble. Son autonomie était de 5 heures, donc retour prévu vers midi. A Borgo, vers 13 heures, on s’inquiète, le contrôle radar est alerté ; rien sur les écrans. A 14h30 ,le carburant de l’avion est épuisé ; à 15h30 l’officier Vernon Ro-bison remplit et signe la fiche : “ Pilot did not return and is presumed lost. No pictures”. L’une des plus célèbres énigme de la guerre commençait. Où, quand et comment, Saint Ex avait-il disparu ? Toutes les recherches, après 1945, sont infructueuses, toutes les hypothèses sont formulées, jusqu’à une histoire de gourmette en argent.
Antoine de Saint Exupéry pilotait cet avion de chasse,
le Lockheed P38 Lightning USAF, le jour de sa disparition.
Ce chasseur de haute altitude était doté
de 4 mitrailleuses et un canon. |
Antoine de Saint-Exupéry laisse le souvenir d’un aviateur parfois distrait. Le surnom de "Pique la Lune" lui est ainsi resté, non seulement en raison de son nez en trompette mais aussi d’une tendance certaine à se replier dans son monde intérieur. |
La gourmette est repêchée le 7 décembre 1998
Ce jour là, un bateau de pêche au chalut quitte l’Estaque à l’Ouest du Vieux Port de Marseille. Le patron marseillais s’appelle Jean Claude Bianco, le bateau est "l’Horizon". Ils pêchent au Sud Est de Marseille au milieu d’ilôts de l’archipel Riou, à quelques milles à peine du continent. Lors du retour, les pêcheurs vident le chalut qui, outre peu de poissons, rejettent les détritus : pneus, bouteilles, débris métalliques, une concrétion noirâtre avec un point brillant. La gangue brisée, une gourmette apparaît avec une inscription qui authentifie la découverte : "Antoine de Saint Exupéry-Consuelo puis C/O REYNAL AND HISTCHCOCK. INC 386 4th Ave. N.Y. USA", soit les coordonnées des éditeurs américains du "Petit Prince". Le célèbre écrivain avait disparu à quelques encâblures de Marseille ! D’autre part, des vestiges de l’avion piloté par Saint Ex ont été repêchés et authentifiés par la firme américaine Loockheed qui l’avait construit.
Un pilote allemand parle
Après de multiples tractations, un journaliste et un professionnel de plongée sous-marine, mènent de minutieuses enquêtes et recherches pendant des années. Ils retrouvent un pilote allemand, Horst Rippert, qui affirme avoir abattu le P 38 de Saint Ex.
Agé de 88 ans il vit en Allemagne avec ses souvenirs ; c’est un as de la chasse allemande avec plus de 25 victoires homologuées et est titulaire de la plus haute décoration de l’armée de l’air allemande remise par Goering lui même. Voici le témoignage de Hors Rippert : “Un certain 31 juillet 1944, je me souviens parfaitement de ce jour-là, je suis parti pour une mission de reconnaissance et d’interception vers Toulon puis Marseille. Il fallait vérifier ce qui se passait dans cette zone où l’on avait repéré des avions américains. Tout à coup, après Toulon, j’aperçois ce Lightning à double fuselage se dirigeant vers Marseille ; je me demande ce que vient faire ce type, tout seul, dans mon secteur. Je le laisse accomplir un arc de cercle, je vire à mon tour en pensant qu’il déguerpirait. Rien du tout. Je le suis. Il volait de manière bizarre, regardant toujours vers le bas, allant deci, delà, décrivant de grandes courbes. Un vol que je qualifierais d’amateur, un style hésitant, à 2000 mètres d’altitude. Quand on est dans un combat aérien très dur, et qu’on y est habitué, voilà qui n’est pas normal. C’était donc une mission d’observation. Ordinairement, le Lightning évolue à 10 000 mètres pour prendre des photos. Là, il était beaucoup plus bas. Et il ne se souciait pas de moi ! La situation se prolongeait. Alors je me suis dit : mon gars, si tu ne fous pas le camp, je vais te canarder. J’ai plongé dans sa direction et j’ai tiré non pas sur le fuselage mais sur les ailes. Je l’ai touché, le zinc est abîmé, droit dans l’eau. Il s’est écrasé en mer. Personne n’a sauté. Je ne saurais en dire davantage. Le pilote, je ne l’ai pas vu, et quand bien même, il m’aurait été impossible de savoir que c’était Saint Exupéry. J’ai espéré, et j’espère toujours que ce n’était pas lui. Dans notre jeunesse, à l’école, nous l’avions tous lu ; on adorait ses bouquins, ses aventures dans l’hémisphère Sud et au-delà. C’était un mordu. Il savait admirablement décrire le ciel, les pensées et les sentiments des pilotes. Son oeuvre a suscité la vocation de nombre d’entre nous. J’aimais le personnage. Je n’avais vu que quelques photos de lui. Ca ne m’aurait pas permis de le reconnaître dans les airs. Si je l’avais su, je n’aurais pas tiré, pas sur lui ! Son zinc a fait une chandelle. On m’a appris plus tard que ce devait être celui de St Exupéry. Quelle catastrophe. Mais qu’est ce que tu as fait, me suis-je dit. Mais je ne l’ai pas vu. Je n’ai pas visé un homme que je connaissais. J’ai tiré sur un avion ennemi qui s’est abattu. Voilà ce qui s’est passé”.
Saint Ex, un être fascinant
Du phare de Baziège qui m’est cher, j’ai suivi Saint Exupéry depuis Juby, le Brésil, l’Egypte et pour finir près de Marseille, un certain 31 juillet 1944. Le 15 août, 500 000 Américains et Anglais, Français de Delatre, débarquaient entre Toulouse et Saint Raphaël ; les photos de Saint Ex avaient permis ce succès spectaculaire. Je vais relire “le Petit Prince” et “Pilote de Guerre”.
Jean ODOL
Bibliographie :
Jacques Pradel et Luc Vanrell : "Saint Exupéry et l’ultime secret" - Editions du Rocher - automne 2008, ouvrage de référence
Alain Vircondelet : "Antoine et Consuelo de Saint Exupéry, un amour de légende” Editions : les Arènes - 2005
Jean Odol : dossier documentaire avec les pièces communiquées par Jean Brousse, gérant de l’Hôtel du Grand Balcon à Toulouse, pendant 40 ans où descendaient St Ex, Mermoz ainsi que d’autres pilotes et mécaniciens.
Couleur Lauragais n°110 - Mars 2009