Saint Michel de Lanès : les conscrits de 1870 ?
Les promenades dans les villages du Lauragais conduisent régulièrement vers le monument aux morts de chaque commune, et l’on peut y découvrir des inscriptions très intéressantes. Ainsi à Saint Michel de Lanès, sur la face nord, sont inscrits les noms des 6 soldats tués durant la guerre Franco-Allemande de 1870-71. C’est un cas unique. St Michel de Lanès est situé à 4 km à l’Ouest de Salles sur l’Hers (département de l’Aude), dans une petite région du Lauragais appelée la Piège. La superficie de la commune est grande : 1903 hectares, avec une population (en 1999) de 250 habitants contre un millier vers 1880-1914. Ce fut un petit centre commercial assez actif mais l’exode rural a vidé la micro-région de ses habitants. |
Remarques sur les monuments aux morts du Lauragais
Toutes les communes ont au moins un monument aux morts, parfois plusieurs : 3 à Nailloux, par exemple, comportant des listes un peu différentes. Par contre, la très petite commune de Belbèze, près de Montgiscard, n’a pas de monument, ses disparus sont inscrits sur celui de Montgiscard. A Montesquieu Lauragais l’âge des disparus est indiqué faisant ainsi apparaître le drame vécu par la jeunesse Française, l’immense majorité est comprise entre 18 et 25 ans, mais aussi la violence des combats durant les douze premiers mois de la guerre: 50% des morts, un million de tués et blessés pour la seule période août-septembre 1914 ! A Baziège, 55 morts, dont un en Indochine, avec un nom d’origine italienne : Bruno Fattore.
La commune de Saint Félix comprend cinq monuments (un pour chaque ancienne paroisse constituant la commune actuelle), avec cinq églises, cinq cimetières et sur chacun d’eux, la même citation en occitan : "An fayt la guera à la guera" (ils ont fait la guerre à la guerre). A Castelnaudary, les grandes plaques de marbre sont impressionnantes par leurs dimensions. A Toulouse, le monument aux Poilus de la ville est au cimetière de Salonique, contigu à celui de Terre Cabade, et comprend 5000 morts.
La guerre franco-allemande de 1870-1871
Voici quelque éclairage sur ce conflit qui nous paraît fort éloigné dans notre passé. En 1870, nous sommes à la fin du Second Empire (1852-1891) avec l’Empereur Napoléon III. L’Allemagne n’est pas unifiée car les pays germaniques (Bavière, Saxe, Wurtemberg…), sont dominés par le plus peuplé : la Prusse (région autour de Berlin) qui avait joué le premier rôle en 1813 dans les défaites (Leipzig) de Napoléon Ier.
La cause du conflit se situe en Espagne où le trône espagnol étant vacant, la candidature d'un prince prussien, amène une violente réaction française, avec comme argument le risque de reconstitution de l’Empire de Charles Quint, c’est à dire l’encerclement de la France. Malgré les assurances de généraux français, la France n’était plus prête pour un conflit en Europe après son malheureux échec au Mexique (1860-1866).
Les opérations militaires (2 août - 4 septembre 1870) se déroulent sur trois terrains. Partout les Français sont battus et leurs défaites provoquent l’effondrement de l’Empire. En Alsace, les Prussiens encerclent Strasbourg qui se rendra après 39 jours de bombardements. En Lorraine, Metz est encerclé avec la meilleure armée française. Dans la région de la Meuse, une autre armée et l’Empereur Napoléon III se laissent enfermer dans Sedan et doivent se rendre aux Prus-siens qui capturent 82 000 hommes valides, 14 000 blessés, 10 000 chevaux, 600 canons, 39 généraux, 1 maréchal (Mac-Mahon) et un empereur.
Napoléon III rencontre Bismarck peu avant de signer la reddition des armées françaises, le 2 septembre 1870.
Reproduction d'une œuvre de Wilhem Camphausen datant de 1878.
La chute de Sedan est connue à Paris le 3 septembre : le peuple envahit l’Hôtel de Ville où la République est proclamée, le Sénat aboli, le Corps législatif dissous. Mais la guerre continue sous l’impulsion du Gouvernement de la Défense Nationale, avec Gambetta et Jules Favre Thiers, durant six mois. Ces derniers lèvent des armées en Pro-vince afin de désserrer l'étau autour de Paris.
Sous la Défense Nationale, la ville de Paris est investie par les Prussiens et commence, en octobre, le célèbre siège. Gambetta quitte la ville en ballon. Dans la ville bombardée, une puissante garnison (300000 hommes) résiste à tous les assauts, mais échoue dans ses tentatives de sorties. Les privations deviennent chaque jour plus pénibles : le charbon et le bois manquent par un hiver d’une rigueur exceptionnelle ; les rations de pain, noir et indigeste, et celles de viande sont insuffisantes. On en arrive à manger les animaux du Jardin des Plantes, les chiens, les chats, les rats... Les armées de province échouent dans leurs tentatives de délivrer Paris malgré un très vigoureux redressement militaire. Ces armées remportent parfois quelques victoires initiales et locales, mais finalement, en janvier 1871, les opérations cessent. Le gouvernement signe un armistice le 28 janvier 1871 qui met fin aux combats. Pour la paix de Francfort, les conditions sont très dures : l’armée prussienne défile sur les Champs Elysées, paiement d'une indemnité financière de cinq milliards de francs, perte de l'Alsace et de la Lorraine du Nord. Français et parisiens sont humiliés et songeront à l’idée de revanche jusqu’en 1914.
Les défaites de 1871 sont une des causes de la Grande Guerre 1914-1918 : il faut recouvrer l’Alsace et la Lorraine du Nord annexées par l’Allemagne. La victoire prussienne a une conséquence inattendue : à Paris, le roi de Prusse, dans la Galerie des Glaces du château de Versailles se proclame Empereur Allemand.
Après la capitulation de Sedan, Paris instaure un gouvernement de Défense nationale et décide de continuer la résistance
face aux armées prussiennes. Tableau "Le siège de Paris" par Jean-Louis-Ernest Meissonier.
La Commune (18 mars - 27 mai 1871) suit de très près les évènements de Paris: il s’agit d’une terrible guerre civile, entre français qui fait 30 000 victimes parmi le peuple de Paris (et 800 soldats gouvernementaux) durant la Semaine Sanglante (20-27 mai 1871). Après les hostilités franco-prussiennes des élections ont lieu en France le 8 février. Une assemblée nationale a très forte majorité royaliste émerge : 200 députés républicains et 400 royalistes, mais Paris envoie 37 députés d’extrême gauche sur 43 représentants. L’assemblée siège à Bordeaux puis à Versailles, loin de Paris qui souffre d’être "décapitalisée".
Beaucoup de parisiens sont sans travail, d’autres attendent d’être démobilisés. Ils disposent de nombreuses armes dont 227 canons achetés par souscription et qu’ils regardent comme la propriété du peuple. Le pouvoir politique, à Versailles, est dominé par la personnalité d’Adolphe Thiers, un républicain modéré qui commet un certain nombre d’erreurs comme la suppression de la solde (1,5 francs par jour) accordée aux gardes nationaux pour qui elle est souvent l’unique salaire, l'obligation de payer les loyers d'avril immédiatement. Un historien écrit : "il fallait la méconnaissance de la vie de Paris pour laisser commettre des fautes si graves ; Paris valait bien que l’on préoccupât de ses embarras, de ses souffrances, de son lendemain" (Gabriel Hanotaux). Les gardes nationaux désoeuvrés conservent leurs armes. L’armée reste dans les casernes ou se mèle à la population. L’affaire des canons déchaîne le conflit lorsque Thiers veut faire enlever les canons (227) qui étaient entreposés dans les quartiers ouvriers de Belle-ville et de Montmartre. Le régiment, 88ème de ligne, refuse d’obéir au général Lecomte quand celui-ci, pour se rendre maître des canons, ordonne le feu sur la foule et se joint aux gardes nationaux qui les gardent. Un autre général, Clément Thomas, est arrêté et les deux sont fusillés. Le gouvernement fait évacuer Paris dont les insurgés se rendent maîtres.
Un Conseil Général de la Commune de Paris se met en place avec de profondes divisions entre les révolutionnaires comme Ferré et Rigault, Varlin et Benoît Malon. Quelques troubles éclatent également en province, à Saint Etienne, Mar-seille, mais les manifestations sont facilement réprimées. A Toulouse les manifestants sont conduits par Armand Duportal. Paris est isolé.
La lutte entre "Versaillais" et "Communards" s’engage sous les yeux des Allemands qui occupent les forts. Elle revêt tout de suite un caractère d’extraordinaire brutalité. La Commune prend des otages : l’archevêque de Paris, des prêtres, des magistrats. Thiers réuni une armée de 100 000 hommes qui encerclent Paris.
Elu chef du pouvoir exécutif de la République en février 1871, Adolphe Thiers signe le traité de Francfort avec Bismarck et fait assiéger Paris. Il matera la Commune dans le sang en faisant exécuter plus de 25000 Communards.
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La perte de l'Alsace et de la Lorraine ainsi que les compensations exigées par la Prusse seront le terreau du nationalisme qui aboutira à la première guerre mondiale. |
La guerre dans les rues de Paris : à coups de canons, la Commune est écrasée. Le 21 mai l’armée de Versailles entre à Paris par une porte non gardée et avance avec prudence vers le centre. La ville est coupée de barricades munies de canons. Pour retarder la poursuite, des immeubles sont incendiés, ainsi les Tuileries et la Cour des Comptes. Les otages, une cinquantaine, sont massacrés, dont l’archevêque de Paris Mgr Darboy, le président Bonjean, le curé de la Madeleine. Durant la "Semaine Sanglante", du 21 au 28 mai 1871, les Versaillais se rendent maîtres de Paris. Le dernier combat a lieu au cimetière du Père Lachaise où de nombreux Communards sont fusillés. Les insurgés prisonniers sont traités en assassins et sont exécutés.
Les chiffres traduisent l’horreur des combats, la rigueur de la répression : 30 000 tués ou fusillés, 330 000 dénonciations, 38 000 arrestations ; 7 500 sont condamnés à la déportation en Nouvelle Calédonie (dont Louise Michel). Les forces révolutionnaires sont écrasées et elles mettront plus de vingts années avant de se reconstituer. Je reprends la conclusion d’un historien spécialiste de cette période : "La Commune, qui avait été faite sans idée sociale, deviendra pour les ouvriers le symbole du soulèvement contre la bourgeoisie au nom de la lutte des classes et de la révolte du prolétariat français" (Lucien Genêt “ Histoire du 19ème siècle” page 556).
Quel a été l'impact de ces événements en Lauragais et à Saint-Michel de Lanès ?
La Commune a dû être complètement ignorée car la presse débute à peine dans les campagnes et bourgs Lauragais : la Dépêche du Midi est crée en 1870 pour donner des nouvelles, des dépêches ou télégrammes (d’où son nom) de la guerre que j’ai esquissé plus haut. Le Lauragais est une forteresse royaliste, puis bonapartiste. Le pouvoir local appartient aux grands propriétaires fermiers, aux négociants (en grains, surtout en blé : les bladiers).
Le Lauragais occidental (Villefranche) a toujours eu des députés de droite ou d’extrême droite (Henri Auriol) jusqu’en 1936 date où il envoie à la Chambre des Députés le forgeron de Bragayrac (Esparbès). L’influence de la Dépêche sera décisive pour introduire les idées républicaines puis radicales même si, jusqu’en 1914, la distribution se fera uniquement sur abonnement. Les nouvelles politiques étaient bien souvent commentées après la messe du dimanche matin.
Récemment repeint, le Poilu veille sur le nom des soldats morts durant les deux guerres mondiales mais aussi, particularité de Saint Michel de Lanès, sur ceux de la guerre franco-prussienne de 1870. Crédit photo : Jean Odol |
Rares sont les monuments aux morts français qui honorent les soldats de la guerre de 1870. Saint Michel de Lanès a payé un lourd tribu pour la levée du siège de Paris : 6 morts pour une population de moins de 1 000 habitants. Crédit photo : Jean Odol |
La guerre de 1870 a eu un impact important. A Saint Michel de Lanès : 6 tués contre 19 en 14-18, 2 en 39-45. L’hécatombe de 1918 apparaît très nettement, il s’agit d’une catastrophe démographique dont le Lauragais ne se remettra jamais : l’agriculture survivra difficilement en faisant appel en 1920-25 à des milliers d’Italiens, Espagnols, Polonais.
Les disparus de 1870 étaient vraisemblablement tous des paysans occitanophones (les lois de Jules Ferry introduisent la langue française en 1881), pas de date de leur décès ; je suppose que c’est le sursaut du gouvernement de la Défense Nationale, avec Gambetta, qui met sur pied de nombreuses armées pour tenter de desserrer le siège de Paris encerclée par les armées prussiennes. Le chiffre me semble cependant élevé pour un petit village comme Saint Michel et cette guerre ne doit pas être oubliée.
Jean ODOL
Bibliographie :
Lucien Genêt : "Histoire du 19ème siècle" 1980 - "Histoire de la Commune" 4 tomes 1975