Histoire

Les habitants des Tabernoles étaient-ils des fraudeurs ?

"Les Tabernoles" est le nom d'un quartier de Villefranche de Lauragais situé à l'est de la ville, le long de la route nationale 113. Avant 1864, ce hameau faisait partie de la commune de Renneville. Dès le début du XIXe siècle, Villefranche et Renneville se disputèrent cette portion de territoire. Il a fallu soixante ans pour que les villefranchois puissent annexer le hameau des Tabernoles à leur commune. Quel était le problème ? L'octroi : le point épineux L'octroi : un souvenir lointain pour les plus âgés et méconnu pour les autres. Le grand Larousse encyclopédique, dans son édition de 1963, nous explique que l'octroi était un droit octroyé à une ville de lever à son profit certaines taxes.

Un accueillant jardin public occupe aujourd'hui l'espace autrefois dévolu au cimetière de Villefranche. Crédit photo : Jacqueline Soulie-Daunic

Par extensionpproché de Villefranche, favorise la fraude et qu'il faut imposer un octroi de bienfaisance à ce hameau. De plus, il demande le rattachement de ce dernier à sa commune.
Bien sûr, le conseil municipal de Renneville défendit les accusés en allégant que ce hameau était composé de sept maisons de cultivateurs misérables qui ne vendaient que quatre ou cinq barriques de vin. Ce même conseil municipal demandait "aux autorités supérieures" d'examiner quelle fraude ce hameau pouvait favoriser au préjudice de l'octroi de Villefranche.

La fontaine des Tabernoles, située sur la place du même nom, fut édifiée deux ans après le rattachement du hameau à la commune de Villefranche. Crédit photo : Jacqueline Soulié-Daunic

Rebondissement de l'affaire suite à un décret impérial
Un décret impérial du 17 mai 1809 vient préciser que : "les banlieues et dépendances des villes, bourgs et villages appartenant à un autre territoire pourront être assujettis à la perception des droits d'octroi". Ce texte était un argument de poids pour la commune de Villefranche dont le conseil municipal s'empressa de demander que "l'autorité supérieure veuille bien ordonner que le hameau de Lastabernolles, commune de Renneville, soit assujetti au droit d'octroy comme la présente commune de Villefranche".
Le 30 juillet 1810, le sous-prefet de l'arrondissement de Villefranche fait savoir que la délibération du conseil municipal de Villefranche en date du 17 juin 1810 doit être approuvée et que le droit d'octroi doit être étendu jusque sur le hameau des Tabernoles.

La municipalité de Renneville se défend
Le 1er mars 1812, le conseil municipal de Renneville fait savoir son désaccord en estimant que la commune de Villefranche n'a pas le droit de s'immiscer dans ses affaires et en rappelant que "la surveillance immédiate de la perception des octrois appartient aux maires".
Une pétition des habitants des Tabernoles expliquant qu'ils portent le fruit de leur travail à Villefranche mais que leurs intérêts les plus chers sont à Renneville vient appuyer l'avis de celle-ci.
Mais malgré ce combat acharné des rennevillois, le sous-préfet de Villefranche ne veut rien entendre. Pourtant, rien ne bougera avant 1860.

La construction du chemin de fer relance le débat
Le 23 décembre 1860, le conseil municipal de Villefranche se réunit pour délibérer sur le projet d'annexion à sa commune d'une portion du territoire de la commune de Renneville. Les arguments principaux sont les suivants :
De par sa situation, le hameau des Tabernoles fait partie essentielle de la ville de Villefranche puisqu'il forme le prolongement de la rue principale tandis qu'il se trouve éloigné de trois kilomètres du village de Renneville.
La ligne de chemin de fer de Bordeaux à Sète ayant été mise en activité dans le courant de l'année et, traversant la commune de Renneville, les habitants des Tabernoles "trouvent plus d'obstacles à communiquer avec le chef-lieu de leur commune tandis qu'il leur est beaucoup plus facile de communiquer avec celui de la commune de Villefranche qui n'est séparé du hameau que par le ruisseau du Courdet sur lequel se trouve un pont pour le service de la route impériale n°113".
En outre, "par la contiguïté à Villefranche le hameau des Tabernoles sert journellement à frauder les droits d'octroi qui se perçoivent dans cette ville sur les boissons et liquides, les Comestibles, les Combustibles et les fourrages compris au tarif".
Le conseil municipal de Villefranche a donc délibéré qu'il fallait "joindre à la commune de Villefranche le hameau des Tabernolles". Suite à cette réunion, celui de Renneville se rassemble le 21 juillet 1861 et résume ainsi la situation :
Vus les différents arrêtés et procès-verbaux, ainsi que d'autres pièces...
Considérant que déjà par trois fois cette demande s'est renouvelée depuis 1810 sans qu'elle ait pu aboutir, ...
Rappelant la pétition des habitants eux-mêmes...
Alléguant que la commune de Villefranche cherche uniquement à se créer des ressources au détriment d'une commune voisine "que l'on voudrait dépouiller",
Considérant que "les propriétaires de Renneville n'ont vu qu'avec terreur les folles dépenses entreprises à Villefranche",
Considérant qu'il serait "inhumain de réunir le hameau des Tabernoles à Villefranche pour forcer les habitans à avoir devant leurs yeux, tous les jours, et à la vue, des tombes venant de se refermer sur un père, une mère, un époux, un enfant et les sacrilèges qui se commettent dans le cimetière de Villefranche" (le jardin public de Villefranche a été établi à l'endroit où se trouvait alors le cimetière)...
"qu'il n’existe aux Tabernoles aucun établissement de nature à favoriser la fraude pour ce qui est des droits d'octroi"...
Par tous ces motifs, le conseil repousse toute demande tendant à réunir une partie quelconque de la commune de Renneville à celle de Villefranche.

Le réglement de la commune de Villefranche indique les produits d'octroi ainsi que les tarifs pratiqués et les conditions de contrôle des marchandises

Malgré tous ces arguments, la commune de Villefranche parvient à ses fins
C'est dans sa réunion du 16 janvier que monsieur Carrière, maire de Villefranche, annonce que le hameau des Tabernoles a été annexé à sa commune. Le conseil municipal considérant que par sa contiguïté à Villefranche, la portion de terrain en litige servait "journellement à frauder les droits d'octroi, qu'il s'agissait d'une injustice et qu'il était unanimement d'avis d'adopter les propositions le Monsieur le Maire".

Comme on le voit ici, le rattachement des Tabernoles à Villefranche a été une très longue histoire oubliée aujourd'hui. Ces querelles pour des portions de terre et les arguments avancés semblent bien dépassés de nos jours où toutes nos communes accueillent de nouveaux venus.
Cependant, ce rappel des faits pourra être utile à certains généalogistes du quartier des Tabernoles qui sauront ainsi que, cent cinquante ans en arrière, leurs ancêtres figurent à l'état civil de Renneville.

Jacqueline SOULIE-DAUNIC

Sources :
Délibérations des conseils municipaux de Villefranche et de Renneville
Règlementation de l'octroi à Villefranche à la période étudiée (ADHG 20 1386 et 20 1387)

N.B. : L'orthographe des Tabernoles a varié au cours des siècles. On trouve au fil des textes Las Tabernoles, Les Tabernolles ou Les Tabernoles que nous connaissons aujourd'hui. l’auteur a cherché, autant que faire se peut afin de ne pas nuire à la compréhension, à conserver l'orthographe de l'époque pour les noms propres et certains noms communs.

Couleur Lauragais n°109 - Février 2009