Les Lieux-dits |
Aux détours des chemins, les noms des fermes et autres lieux-dits interpellent le promeneur : suivant l’expression consacrée… "Que veulent-ils dire ?". En raison de l’évolution de la langue parlée en Lauragais depuis la nuit des temps, la signification des microtoponymes reste souvent bien mystérieuse, pourtant ils sont un véritable condensé d’informations. |
Les noms de lieux les plus répandus en Lauragais
Les noms de métairies les plus répandus en Lauragais sont ceux qui sont formés à partir du mot "borde" : ils sont plus de deux cent cinquante et leur signification est claire. Le mot borde écrit parfois bourde avec ou sans suffixe diminutif (Bordette) ou augmentatif (Bordasse) est souvent suivi d’un adjectif qualificatif basse, haute, petite, neuve, (parfois agglutiné, Bordeneuve) longue, vieille (ancienne), noble. Ces mots sont précédés parfois de l’article la ou de la préposition occitane en qui a le sens de "dans, en, dans l’espace de, chez". Les noms qui commencent par Saint ou Sainte sont presque aussi répandus : ils sont près de deux cents ; Saint-Jean avec plus d’une vingtaine de métairies est le plus présent, suivi de Saint-Pierre, Sainte-Marie et Saint-Sernin.
De nombreux lieux-dits du Lauragais sont en relation avec la nature du sol
Les mots occitans ròc ou ròca roc, roche, affleurement rocheux et pèira pierre ont donné de nombreux lieux-dits avec un suffixe approprié : le Roc, en Roche, la Roque, en Péri, Périac, en Péric, Périé, le Périer, en Perière, les Périès, Perière, Pérille, Périole, les Péris, Pérou, Perricaud. D’autres toponymes comme Cailhavel, Caillau, Caillavel, Caillol, Caillou, Calhavel, viennent de l’occitan cailhau caillou, tandis que grava et grau gravier, sol graveleux se retrouve dans la Grave, en Gravelle, la Grausse, les Grausses, Grausette, la Graousse. La nature du terrain apparaît aussi avec bolbena terre argilo-sablonneuse dans la Boulbène, les Boubènes et avec grassa terrain fertile dans la Grasse.
Le relief est très présent dans les lieux-dits
Si le mot mont tas, amas de terre, colline, montagne, a donné plusieurs dizaines de toponymes, c’est le mot pech qui est le plus typiquement utilisé en toponymie lauragaise pour désigner hauteurs et collines ; décliné sous les formes les plus diverses par usure et déformation, il prend par exemple la forme de pèg dans Péguillem écrit aussi Péquilhem (avec un double suffixe diminutif) et de pé dans Pédelmas (del Mas ou nom de personne). A ces toponymes évoquant le relief, il faut ajouter ceux venus de la nuit des temps, qui proviennent de la langue de populations installées dans la région avant l’arrivée, il y a plus de 2000 ans, des celtes (peuple indo-européen), appelés faute de mieux pré-indo-euro-péens : un grand nombre d’oronymes (reliefs, monts) provient de ce fonds archaïque constitué de racines. Ces racines sont trop nombreuses pour que nous les évoquions toutes ici (voir ref.1). A cette liste de noms venus de temps très reculés appartiennent par exemple des toponymes curieux comme Barbet, Barbette, Barbut, Barbier, Barbil, Barbinat, Barbut, ... tous situés sur des hauteurs, probablement issus de la base bar-b- qui a le sens de hauteur et qui subsiste en français dans Barbette plateforme et dans l’occitan barbeta bosse (bosse d’embarcation).
La faune et les noms de personnes ont contribué aussi à la formation des noms de lieux
Les brebis feda en occitan et ses synonymes oelha, oelha, aulha, olha (ouaille en français ancien) ont donné respectivement fédou Bas, Fédou haut et les Aouilles.
Toponymes liés à la présence d’arbres, bois et taillis
Parmi les toponymes les plus répandus, il faut citer ceux issus de la présence d’arbres, de bois et de taillis.
Les mots bois (français) et bosc (bois, forêt en occitan) entrent dans la composition d’un grand nombre de microtoponymes. Fixés paradoxalement au moment du défrichement, ces lieux-dits conservent en négatif la trace de paysages souvent disparus. Ces mots sont précédés de l’article le ou de la préposition occitane en qui a le sens de "dans, en, dans l’espace de". Ils sont parfois suivis d’un qualificatif qui permet de les distinguer par une particularité propre bas, haut, clair, etc. ou de les localiser Bois de la Périère, Bois de Lux, etc.. Les diminutifs et dérivés (avec un suffixe diminutif, collectif etc.) sont nombreux Boscarel, Bosque, Bosquet, Bouet.
L’occitan barta qui désigne un terrain couvert de broussailles (ronces, genêts, bruyères) a donné Bartas, Bartassou, Bartaud, la Bartaude, la Bartège, la Bartelle, Barterose, le Barthas, la Barthasse, en Barthe, la Barthe, les Barthes, Barthès, la Barthete, les Barthioles, Bartissol, la Bartole.
L’occitan boisson buisson et bois buis se retrouvent avec un suffixe dans les lieux-dits Bouissonade, Bouyssou, Boissonnat, Bouissonnette, la Bouissède, la Bouissière, en Bouyssède, Bouysset et la Bouisse.
Les essences végétales sont très présentes dans la toponymie lauragaise, en commençant par les différentes variétés de chênes. L’occitan casse chêne a donné la Cassagne, la Cassaigne, en Cassaing, en Cassan, en Cassé, la Cassère, les Cassés, la Cassignole, la Cassigno-lette, Cassignolis, en Cassiou. Appelé aussi garric en occitan (chêne blanc), le chêne apparaît dans en Garric, Garrigal (taillis de chênes), la Garrigole. Le chêne rouvre, roire en occitan se retrouve dans Rouaix et Rouaret. L’occitan ausin chêne vert ou yeuse apparaît dans l’Auzine.
La bruyère, bruga en occitan a donné le Brougal, les Brougnous, les Brougues, Brouguet, les Brouguets, Brugail, Brugasse, les Bruges, les Brugues.
Le châtaignier, castanh en occitan a donné Castagnac, en Castagné, la Castagne et Castanet.
Le genêt genèsta ou ginès en occitan se retrouve dans la Ginelle, Ginestas, la Ginestiere, Ginestou et Ginesty.
L’orme et l’ormeau, olm, ol, om ou on en occitan ont donné l’Orm, l’Ormette, l’Hom, les Homs et explique les toponymes obscurs comme l’Homme Mort déformation de l’occitan l’Om mòrt soit "l’orme mort".
Le hêtre, fau ou fag en occitan a donné le Faget, Fajac, Fajole et le Fau.
La fougère falgièra ou faugièra en occitan se retrouve dans le Falga, Falgayrac Falgayros et Falguerolle.
Le roseau raus en occitan se retrouve dans Rauzel, Rauzet, Rosel, Rosette, Rouzaud, Rouzaut, Rou-zilhac, Rouzilles et Rou-zine mais aussi dans des toponymes situés en bordure de ruisseaux comme la Rose et les Rosiers attribués à tort à la fleur.
L’aulne vèrn ou vèrnhe en occitan a donné Vergnes, la Vernède, Vernès, la Vernèse, le Vernet, la Vernière et Verniole.
Les défrichements et la mise en valeur des terres
Lors de la mise en valeur des terres entre le Xe et le XIIIe siècle, bois et taillis ont été défrichés. La toponymie garde la mémoire de ces dé-frichements de la terre lauragaise à travers l’occitan eissart, issu du latin exsartum terre récemment défrichée qui a donné en français essarter, arracher les herbes et les broussailles après déboisement. C’est à ce mot que les toponymistes rattachent à l’unanimité les lieux-dits du Midi Issard, Issarts et Isserts. En Lauragais, ce mot se retrouve probablement dans Anizard (déformation de En Izard) qui signifierait "à l’endroit du défrichement" et dans Malissard (Mal Issard avec la base mal qui a ici le sens de mont) mont défriché.
Les lieux-dits en Taillades, en Tailhan, les Tailladasses, la Taillade, en Taillades, les Taillades, le Tailladou, venant de l’occitan talhar couper, tailler ou de talh coupe, désignent généralement un bois en coupe réglée ; cependant le mot talhadis signifiant aussi bien "bois en coupe réglée" que "taillis" il est difficile de faire la part de ces deux sens.
Dans le contexte de mise en valeur des terres, le latin defensum "défendu" a donné en occitan devés bois interdit, pâturage interdit, terrain réservé, jachère, friche qui se retrouve dans les lieux-dits sous la forme de Devèze suivi d’un qualificatif, petite ou grande par exemple.
Les animaux qui chantent dans les noms de lieux
Comment ne pas être interpellé par la longue série de toponymes apparemment formés à partir du verbe chanter cantar en occitan et d’un nom d’animal : le grillon dans Cantegril, la perdrix dans Canteperdrix, la grenouille dans Cantegrenouille, la rainette (petite grenouille verte) dans Cantaranne, le merle dans Cantemerle. Ces toponymes ont fait couler beaucoup d’encre et il semblerait que pour un certain nombre d’entre eux la réalité est tout autre et que l’on doivent ce sens apparent à l’attraction du verbe issu de latin cantare chanter et au désir d’avoir un nom de lieux romantique.
Le sens de certains de ces toponymes est donné par l’occitan et Louis Alibert dans son dictionnaire indique que cantagrilh, cantaperditz et cantacigala désignent en occitan un "terrain aride et pierreux" ; ces mots ont donné les toponymes Cantegril et Canteperdrix qui ont ce même sens. L’explication de l’origine de ces toponymes est à rechercher dans la nuit des temps, car ils proviennent de la racine pré-indo-européenne can-t- signifiant pierre, rocher (voir le paragraphe sur le relief en début d’article). Le pourquoi et le comment ces racines pré-indo-européenne sont parvenues jusqu’à nous, reste bien mystérieux et soulève de nombreuses questions. Peut-être faut-il admettre modestement que les hommes passent mais que les toponymes les plus accrochés au sol restent.
Lucien ARIES
1 - Les noms de lieux du Lauragais, dictionnaire étymologique, Lucien Ariès, Ed. A.r.b.r.e. Baziège.
2 - Les noms de lieux du Lauragais, Lucien Ariès, Couleur Lauragais 89, 2007.
3 - Le Lauragais, terre de passages, d’échanges et de cultures, Lucien Ariès, Ed. A.r.b.r.e. Baziège, livre 250 pages, Imp. Jouve, Paris 2005.
Crédit photos : Lucien Ariès