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Couleur Lauragais : les journaux
Reportage

Mystère de Haute-Garonne

Patrick Caujolle, reconnu pour ses poésies couronnées notamment par le Prix Aragon de la Société de poètes français, publie ce mois-ci les Mystères de Haute-Garonne, un recueil d'histoires insolites et énigmatiques. Passionné d'histoire, l'auteur a exhumé vieux grimoires, journaux locaux et archives municipales aux quatre coins du département pour nous croquer une centaine de faits divers, d'anecdotes ou de personnages illustres. Couleur Lauragais se propose de vous en faire découvrir quelques pages.

Baziège ou la bataille oubliée
La révolte était pleine, puissante. Le loup, Simon de Monfort, venait d’être tué sous les remparts de Toulouse et tous, en Albigeois, en Agenais, en Toulousain, n’avaient de cesse que de "vouloir détruire et tuer du Français".
En ce matin de printemps 1219, voilà déjà plusieurs mois qu’ici, en cette ville de Baziège, se masse un fort contingent de troupes occitanes. À l’intérieur de l’enceinte, Raimon le Jeune, le futur comte de Toulouse, septième du nom, soutenu par les comtes de Foix, de Com-minges et des troupes navarraises, attend. Il attend, impatiemment, avidement, d’en découdre enfin avec ces étrangers venus du nord qui n’hésitent pas à piller les récoltes et à déposséder de leurs terres les nobles insoumis.
Quand les croisés arrivent sur la plaine, en ce matin brumeux, les cris de "Foix-Toulouse" et de "Montfort-Berzy" se nouent déjà aux insultes respectives, aux trompes et aux hennissements qui les accompagnent de toutes parts.
Brusquement, toutes bannières au vent, les troupes du comte de Foix abaissent leurs lances et chargent les barons du nord réfugiés derrière des chariots ou des bosquets. Aussitôt, les cavaliers se heurtent, les armes crissent, les injures redoublent. L’engagement est total, violent mais somme toute équilibré. Ce sera lors le moment choisi par Raimon le Jeune pour participer à la mêlée et lancer, totale innovation pour l’époque, une unité spéciale de cavalerie légère, "les percussores", piqueurs uniquement armés d’arbalètes et de javelots. Montés sur des chevaux légers, ceux-ci, supérieurs en nombre, foncent, esquivent, frappent puis finissent par repousser les soldats croisés.
Jeune, impétueux, intrépide, Raimon a face à lui Berzy, pillard autant que soldat, mais valeureux et expérimenté. Qu’à cela ne tienne ! Soucieux de prouver sa valeur, juché son cheval noir et luisant, à l’encontre des recommandations de tous, Raimon s’élance à l’assaut de son rival. Là, en quelques instants, parant les coups, frappant, hurlant, le voilà qui parvient à briser l’armure de Berzy, à désarçonner ce dernier et à le faire prisonnier. Dès lors, devant ce signe divin, va se dérouler la dernière phase de l’attaque.
Restée jusque-là en retrait, la cavalerie lourde occitane décide d’intervenir, réussissant au mieux son objectif : désarçonner le plus grand nombre de cavaliers ennemis afin que les sergents à pied, les routiers, puissent les capturer et les décimer sur place. Dans un assourdissant vacarme où seul le bruit des hurlements parvient à concurrencer le fracas des armes sur les côtes de maille, bon nombre d’entre eux, faute de pouvoir s’enfuir, tombent et se font ainsi exterminer. La victoire sera totale, un des rares épisodes guerriers où les armées du comte Raimon VII et du comte de Foix sont vainqueurs des Croisés. L’après-midi, dira la Chanson de la Croisade, "tant de Français étaient tués et dépecés, que le sol et la berge en étaient jonchés et rougis".
Oubliée, la bataille de Baziège ? Par certains historiens, c’est vrai, pour l’Histoire, c’est faux. Car plus qu’une simple victoire pour venger la déroute de Muret, c’est elle qui, non seulement servira d’assise à l’autorité du futur Raimon VII, mais surtout de base à cette "reconquista" des terres occitanes qui provoquera cinq ans plus tard le retrait momentané des troupes du nord.

Emblématique des batailles du Moyen-Age, la chevalerie exerce sa suprématie sur le champ de bataille
Emblématique des batailles du Moyen-Age,
la chevalerie exerce sa suprématie sur le champ de bataille.
La guerre réunissait, sous la bannière d'une famille ou d'un seigneur, fantassins et cavaliers. Guerroyant souvent
pour leur prestige personnel, les chevaliers "oubliaient" souvent de suivre les ordres.
Sceau de Raimon VII, comte de Toulouse
Sceau de Raimon VII, comte de Toulouse, portant
l'inscription "sigillum Raimundi, Dei gratia comitis Tholose".
Il figure sur le traité de Meaux-Paris (1229) qui scelle
le sort du comté de Toulouse et son rattachement
à la couronne de France.

Les apparitions d’Arnaud-Guilhem
Qui ne connaît Fatima, au Portugal, et ses fameuses apparitions ? Mais qui sait véritablement que chez nous, en Haute-Garonne, au cœur du Comminges, dans le petit village d’Arnaud-Guilhem situé non loin de Saint-Martory, a eu lieu, en 1859, un cas totalement similaire ?
C’est le 23 juin de cette année-là que trois petites filles vont voir leur première apparition : s’élevant subitement du bois vers lequel elles étaient tournées, un personnage mystérieux, tout blanc et les mains jointes. Regagnant son domicile, Félicie, l’une d’elles, entend alors une voix : "Venez me tirer un clou de la main, un autre des pieds, un autre de la tête". Sur ce, raconta Félicie, "je remarquai au-delà du ruisseau et à une distance d’environ trente pas, au milieu de petits chênes, une petite fille debout, de la taille d’un enfant de quatre ans, vêtue d’une robe d’or et d’un voile noir. Elle pleurait beaucoup, et à chacun de ses côtés, se tenaient deux anges, plus petits qu’elle, qui étaient habillés de blanc et portaient une ceinture rouge. Elle les tenait par la main."
L’ayant rejointe, Marianne et Françoise virent alors la même chose, se demandant si ce n’était "quelque fille de Saint-Martory venue leur faire peur".
Françoise décida alors de s’adresser à elle.
"Comment t’appelles-tu ?
- Marie du ciel
- Est-il bien beau le ciel ?
- Oui, il est bien beau.
- Comment s’appelle ce drôle qui est à côté de toi ?
- Il s’appelle Pierre."
Le lendemain, elles se rendirent à nouveau au bois et virent la Sainte Vierge qui les attendait près du ruisseau. Les faits dureront ainsi plusieurs mois.
Le curé Baron, prêtre de Pointis-Inard, rapportera les faits suivants : "Un jour que l’une des enfants était alitée car fiévreuse, je demandai au docteur la nature de la maladie, lequel me répondit qu’il s’agissait d’une bronchite très avancée ; si cette enfant, me dit-il, se lève ce dimanche pour aller au pré avec les autres comme elle me l’a annoncé et promis, j’y verrai de l’extraordinaire. Mais elle n’en fera rien et ne quittera le lit que lorsqu’on l’en retirera morte". Au jour et à l’heure qu’elle avait annoncée, la malade était guérie.
Les autorités judiciaires intervinrent à leur tour, conduisant les enfants à Saint-Martory devant les plus hautes instances locales, lesquelles leur conseillèrent de ne plus manifester d’extravagances, sous peine de prison. Le lendemain, les apparitions recommençaient. La Vierge leur demanda d’aller à Lourdes et d’y rencontrer Bernadette. Par un temps neigeux et un froid intense, elles prirent alors leur chariot découvert et partirent pour la ville mariale. L’une d’elle, atteinte d’une fluxion de poitrine, se retrouva guérie.
Après environ dix-huit mois d’apparitions, les petites filles firent leur première communion après quoi la Sainte Vierge leur demanda de suivre les conseils du prêtre paroissial et d’entrer dans la vie religieuse. De leurs interrogatoires successifs et de leur comportement, plusieurs données et plusieurs constantes ont été notées tant par les prêtres que par les autorités laïques :
- Elles ne s’écarteront jamais ni des faits relatés ni de la ligne de conduite qu’elles adoptèrent dès le commencement.
- Leurs extases furent régulières. "J’éprouve le besoin d’affirmer que je suis certain de ce fait et qu’il est indubitable quoiqu’on ait dit du contraire", dira le prêtre.
- Elles conserveront toujours une grande tranquillité d’âme, n’appréciant pas de parler de leurs épreuves.
Alors, que s’est-il vraiment passé à Arnaud-Guilhem ? Le curé Baron avait-il la réponse ? Parmi les plus anciens villageois de la commune, plusieurs personnes rapportent encore ce qu’elles ont entendu de la bouche même de leurs aïeux : à la mort du prêtre, en 1860, fut trouvé dans sa poche un papier écrit de sa main sur lequel on pouvait lire : "Les petites disent la vérité".

A Cessales, en souvenir d'apparitions survenues au XIe siècle, chaque année, le dimanche le plus proche du 8 septembre, une statue de la Vierge Marie est portée en procession.
A Cessales, en souvenir d'apparitions survenues au XIe siècle, chaque année, le dimanche le plus proche du 8 septembre,
une statue de la Vierge Marie est portée en procession - Crédit photo : Couleur Média


Déodat de Séverac
Lorsque le vent d’autan s’est levé, en ce 20 juillet 1872, il n’y avait pas que les blés ou les oiseaux du Lauragais pour percevoir ses écarts de langage. Marie, Joseph, Alexandre Déodat de Séverac venait à peine d’arriver au monde, à Saint-Félix-de-Caraman, que déjà les rafales qui battaient la maison familiale venaient de lui faire comprendre que "sans la musique, la vie serait une erreur".
Il y aura bien sûr la famille, un père artiste dans l’âme, musicien, peintre et ami de Monet, une mère qui ne fera rien pour le détourner de son talent, mais il y aura surtout la Nature, cette nature qui ne le décevra jamais, cette terre en qui la plupart ne voient que des couleurs ou des sons, mais en laquelle, lui, percevait déjà des notes. Ses premières notes émaneront du piano de son père, avec lequel il s’initiera aux infinies sonorités du clavier, clignant de doigt en doigt, de touche en touche, un peu comme une hésitation entre un réel aphone et un ailleurs qui l’appelait.
À 14 ans, l’uniforme bleu roi et la culotte pourpre de la proche école militaire de Sorèze le revêtiront pour recevoir, pendant quatre ans, les difficiles fondements de l’enseignement d’alors. Plus tard, la faculté de Droit puis le Conservatoire de Toulouse l’accueilleront autour de sa vingtième année pour que l’acquisition du solfège et de l’harmonie puissent se lier à son incomparable talent d’improvisation. C’est là qu’il côtoiera, comme un tremplin à sa carrière, un grand nombre de poètes et de peintres, autrement dit le type même de créateurs qui pouvaient donner de l’air à sa pensée.
En octobre 1896, ce sera sous les impulsions de son ami Charles Bordes et de Vincent d’Indy qu’il quittera le Conservatoire de Paris pour entrer à la "Scola Cantorum" et laisser libre cours à sa nouvelle passion, à cette expression qu’il considère comme le summum de l’art : le chant grégorien. Mais si belle soit-elle, la beauté des églises ne remplace pas celle de la terre, de sa terre du Midi, de cette lumière qui commençait déjà à lui manquer et que ses compositions n’allaient pas tarder à approcher. "En Languedoc" ou "le Coeur du moulin" sentiront "l’odeur du terroir, le parfum du sol, les courses sous le soleil et les haltes à l’ombre", les cloches lascives, les heures discrètes et la montée du rêve à l’arrivée du soir. Ses notes y respiraient, aspiraient le Sud, épousant au mieux ce parfum que ses mesures restituaient en écho.
Portrait de Déodat de Séverac
Dès lors, l’inspiration de ses œuvres exprimera d’autant ses idéaux. Sa terre de naissance, le Lauragais, et sa terre d’adoption, le Roussillon fourniront les thèmes principaux à sa musique. Car un jour, il découvre Céret, ses ruelles étroites, ses vergers flamboyants et sa montagne odorante. Ce sera le déclic. C’est là, dans ce pays du Vallespir, qu’il va découvrir, dans l’essence de cette culture catalane, la matérialisation de ses plus profondes aspirations. Picasso, Braque ou Max Jacob l’y rejoindront, comme un supplément d’âme nécessaire à la coloration de ses notes.
En 1912, telle une apothéose, mille cinq cents Toulousains reprendront en chœur "le Chant du bouvier" et "le Roi Renaud" lors d’un rassemblement populaire. Malheureusement, de cures ariégeoises en traitements toulousains, ses problèmes d’urémie mineront une santé qui ne cessera de se dégrader pour voir arriver l’issue fatale en1921. "Il aimait l’ail et le cassoulet", la simplicité vestimentaire, refusait son titre nobiliaire de "baron", méprisait l’extravagance de certains honneurs et aimait passionnément la chaleur d’un Sud qui lui permettait d’enfanter dans le bonheur. Aujourd’hui, grâce à l’action d’harmonies locales comme celle de Caraman et à l’initiative d’un festival qui porte son nom, Déodat de Séverac est toujours là, nourrissant encore de ses notes ce terroir et cette ruralité dont il s’était lui-même repu à satiété.
Georges Braque était son ami. Laissons-lui donc le dernier mot, en quelque sorte celui de sa vie : "Le vase donne une forme au vide et la musique au silence".

Les rugbymen braqueurs
Et pourtant, que la soirée était douce. Francis, au demeurant fonctionnaire de police à la PJ de Toulouse venait, en cette soirée de septembre 1995, de terminer la tapisserie de son appartement et de s’asseoir à la table d’un restaurant en compagnie de son épouse enceinte et d’un ami. Le lapin chasseur commençait à peine de réveiller ses papilles qu’il faillit s’étouffer. Deux clients, solides gaillards en l’occurrence, venaient de s’asseoir à la table voisine.
"Ce sont eux, bien sûr, c’est certain… mais bon, à voir leurs tronches toute la journée, est-ce que tu ne débloquerais pas un peu ? " se dit-il. "Et puis, si à l’heure qu’il est tu appelles dix collègues et que c’est pas bon, tu vas passer pour un c… pour le reste de ta carrière."
Francis décida de téléphoner…
"Jean-Pierre, tu m’entends ? Je suis au resto…je suis pas seul… nos amis sont là…je pense que c’est bon mais viens vérifier, je te fais mettre un couvert".
Les amis en question, Lucien C. et Eric L., deux dangereux braqueurs de banques étaient recherchés, sans résultat et depuis de longs mois, par toutes les forces de police et de gendarmerie du Sud-Ouest.
Lorsque Jean-Pierre G, collègue et ami de Francis, s’assit et prit la carte en main pour choisir son second repas de la soirée, un rapide coup d’œil à la table voisine lui suffit à comprendre.
"Alors, dit Francis, qu’en penses-tu de ce menu ?... moi, ça me semble pas mauvais… ça me semble même très bon, répondit-il… allez, on appelle la cavalerie".
Vingt longues minutes après, pendant lesquelles Francis s’aperçut que son ami éprouvait quelques difficultés à se verser du vin et que lui-même commençait à manger ses pommes de terre bouillies avec la peau, la cavalerie lourde arriva, se positionnant le plus discrètement possible autour de leur objectif.
Lorsque le commissaire Gilles S. leva son bras droit pour saluer l’un de ses amis, celui-ci retomba inexorablement sur Eric L., Francis C. se ruant quant à lui sur son complice. Aussitôt menottés et fouillés, ils furent conduits au commissariat central de l’Embouchure où leur fut notifiée leur garde à vue.
À l’intérieur de leur véhicule, bien sûr faussement immatriculé, furent découverts deux sacs contenant deux revolvers approvisionnés, deux grenades quadrillées, un calepin mentionnant des éléments de repérage sur diverses agences et plusieurs liasses de billets. L’affaire était entendue.
Voila comment, d’une tapisserie à refaire et d’un repas à prendre, fut menée l’interpellation de deux individus d’une extrême dangerosité, interpellation qui apporta aux gendarmes chargés de l’affaire une belle promotion et à Francis C. une lettre de félicitation et une prime de circonstance.

Patrick CAUJOLLE

Patrick Caujolle dédicacera son ouvrage le samedi 20 décembre (matin) à la librairie du Beffroi, à Revel ainsi qu'au Carrefour Labège l'après-midi du même jour.


 


Couleur Lauragais n°108 - Décembre 2008/Janvier 2009