Août 1944, les Alliés en Lauragais
En octobre 2007, la presse publie un article sur les Rencontres aéronautiques de Gimont (département du Gers, à l’Ouest de Toulouse) dans lequel est évoqué le sort tragique d’un avion de reconnaissance américain, un Mosquito, tombé à Pujaudran le 12 août 1944. L’avion escortait des bombardiers américains B 17 venus de Foggia (Italie) bombarder l’aérodrome de Toulouse-Francazal. Des chasseurs célèbres, les P 51 Mustang participaient aussi à l’opération. Or, ces bombardiers B 17, je les ai vus avec un copain de Baziège, René Anduze, lorsque les six vagues de B 17 sont au dessus de Villefranche et Baziège. Le bombardement de Francazal, je l’ai entendu...
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Le 12 août 1944
J’étais à la pêche aux goujons du Canal du Midi, sur la commune d’Ayguesvives, à hauteur de Baziège, au lieu dit "les Landes", près du port où s’embarquait le blé de ce gros marché céréalier qu’était Baziège. Le canal était fabuleusement riche en poisson blanc, goujon, ablettes, gardons, brêmes, perches françaises, perches japonaises. La seule vraie difficulté était le passage des barques tirées par deux chevaux : il fallait tout déménager, cannes, boîtes, panier le long du talus qui domine "le tira" ou en français, le chemin de halage.
Vers 11 heures, sans doute... nous n’avions pas de montre, donc pas d’heure, mais René dont le père était cheminot, connaissait approximativement l’heure des trains qui passaient à Baziège... donc vers 11 heures, dans un silence total, un bruit sourd de moteurs se distingue en direction de Villefranche. Des bruits d’avions, mais rien à voir avec les moteurs allemands, les petits Messer-schmitt 109 ou encore les trimoteurs Junkers 52 et autres Heinhel 111. Un bruit sourd, profond, des moteurs très puissants et venant de loin, ou de haut. A hauteur de Villenouvelle, nous les apercevons : des bombardiers américains ! Ils se dirigent de l’est vers l’ouest, depuis Villefranche, en direction de Toulouse.
Le passage des bombardiers
Il dura dix à quinze minutes. Il se déroula en six vagues successives, chacune composée de six ou huit appareils (cette imprécision est due à la très haute altitude où ils évoluaient : 10000 m environ). On ne distinguait pas le nombre exact de moteurs (4). En revanche, on voyait très bien les fines lignes de trainées de condensation. Leur vitesse n’était pas très grande et le spectacle magnifique : les Américains au dessus du Lauragais, la Libération était proche ! J’appris plus tard que les petits points brillants autour des bombardiers (ou au-dessous d’eux) étaient des chasseurs d’escorte, des Mustang P 51, les chasseurs les plus rapides de l’Air Force. Un peu avant le passage des bombardiers arrivèrent au sol de petits serpentins d’aluminium destinés à brouiller les radars allemands. Ils étaient lâchés par l’avion d’exploration, un Mosquito.
D’où venaient-ils ? D’après la direction du vol, deux hypothèses : d’Algérie ou d’Italie, dont la capitale, Rome, tombe le 4 juin 1944, (presque en même temps que le débarquement en Normandie, le 6 juin). Je penchais pour l’Italie en fonction de leur trajectoire. Ils venaient en effet de Foggia, un grand aérodrome allié où stationnait le 25th Bomb Group Squadron de l’US Air Force.
Du Mosquito, avion ultra rapide et léger, en bois, de conception anglaise, nous ne vîmes rien. Ce n’est qu’en 2007 que j’apprends son existence et sa fin tragique au dessus de Pujaudran, près de Colomiers : abattu à la suite d’une méprise par les chasseurs Mustang qui l’auraient confondu avec un avion allemand. Une stèle indique le crash de l’appareil : Le pilote est tué, le navigateur réussit à s’éjecter et finira ses jours aux Etats-Unis en 1995.
Le Mosquito est un bimoteur très léger, une merveille en bois et toile. Ce fut l'un des appareils alliés les plus efficaces de toute la guerre. Premier vol en 1940 à 650 km/h, puis avec des moteurs plus puissants à 685 km/h.
Il peut voler en rase-motte ou à 10000 mètres.
La très faible réaction allemande
Pas un chasseur n’apparut, mais que pouvaient-ils faire contre des Américains volant à 10000 m ? Les modèles les plus récents de Messerschmidt 109 E ou D, F ou les Focke Wulf n’atteignaient pas cette altitude. En mai 1944, les chasseurs allemands étaient très nombreux à Francazal qui comprenait une école de formation de pilotes de chasse. Ces petits chasseurs volaient au-dessus du sol, à 10 ou
20 m environ, sautant les haies du bocage lauragais. Durant ces exercices périlleux, deux appareils s’écrasèrent au sol en mai "du temps ou l’on sarclait le maïs", sur les territoires de la commune d’Ayguesvives et de Baziège près de la RN 113.
Ce 12 août, nous sommes à quelques jours du débarquement allié en Provence (15 août) et de la décision d’Hitler d’évacuer la France (18 août). Francazal a été en grande partie évacué par l’aviation allemande et la DCA, sans doute vers la Normandie. Lors du passage des bombardiers, la DCA allemande réagit cependant avec quelques coups de canon dont les obus éclataient très en dessous des avions américains. Ces canons de Francazal, je les vois le dimanche matin (19 août), lorsqu’ils se dirigent de Francazal vers Castanet, Villefranche, Narbonne... Le passage d’une armée en déroute.
Les bombes sur Francazal
Le bombardement débute une dizaine de minutes après le passage au-dessus de Baziège. Dans chaque groupe, un seul avion posséde un appareil de visée ultra-perfectionné et, lorsque la cible est bien repérée, il donne l'ordre aux autres avions du groupe de lâcher leur chargement de bombes. Ces grappes atteignent le sol toutes à la même seconde, et provoquent, donc, une seule explosion. Francazal fut bouleversé par cette action destinée à protéger le débarquement de Provence contre une éventuelle réaction allemande.
Avec René, nous attendîmes longtemps le retour des B17 en route pour l'Italie (ou l'Algérie). Ils auraient dû reprendre le trajet aller, mais j’appris plus tard que les chasseurs qui escortaient les B17 étaient partis du côté de Pujaudran et du Gers. Quant aux bombardiers, ils gagnèrent l'Angleterre.
Le Mustang P51 est américain. Sa vitesse en fit le chasseur allié le plus rapide de toute la guerre : 784,
puis 800 km/h. Il est le maître du ciel allemand en 1944-45, escortant les B17 jusqu'à Berlin et en Pologne.
15 août : Les Alliés débarquent en Provence
Décidée à la conférence de Téhéran, l'opération ANVIL, c'est à dire le débarquement d'armées alliées en Provence débute le 15 août. L’objectif principal était de s'emparer du port de Marseille, nécessaire pour faire entrer en opération la quarantaine de divisions dont disposaient les Américains. Des bombardements préalables s'abattent sur les voies de communications du Midi de la France, puis le matin du 15 août les troupes débarquent en cinq points entre Cavalaire et Saint-Raphaël. Le succès est total, la résistance allemande est submergée : le 19 août l'ordre de retraite générale est donné pour toute la France. Les Français s'emparent de Marseille et de Toulouse.
Durant toute la journée du 15, à Baziège, Villefranche, Castelnaudary, nous avons entendu un sourd grondement prolongé pendant la matinée, venant de l'est, il s'agissait des bombardements alliés sur les fortifications côtières ou les routes de la vallée du Rhône. Si certains lecteurs estiment la distance trop grande, je rappelle que les habitants de Nailloux et de Mirepoix ont, en janvier 1939, entendu les bombardements franquistes sur les troupes républicaines en retraite (la Retirada) dans la région du Perthus, près de la frontière.
Le départ des troupes allemandes
Durant l'après-midi du 18, nous entendîmes de violentes explosions en provenance de Toulouse : les Allemands faisaient sauter quelques dépôts de munitions vers Blagnac et Francazal. Durant la nuit, la circulation de camions fut plus active et toujours dans le même sens : Toulouse-Narbonne.
Le samedi 19 août fut une journée mémorable et extraordinaire pour moi ! Les armées allemandes en fuite, les miliciens français affolés... Le désordre était indescriptible : passaient la garnison allemande de Toulouse qui partait en débandade, les "souris grises" (nom familier donné aux auxiliaires féminines de l’armée allemande) qui ne souriaient plus, les agents de la Gestapo dans leurs tractions Citroën 11 ou 15 chevaux, des cheminots allemands vêtus d’un uniforme spécial qui souriaient en agitant amicalement leurs mains, pour nous dire au revoir... Les miliciens français avaient perdu leur arrogance et certains leur immense béret. Ils fuyaient avec leurs familles, des enfants, des matelas.
Pas de SS, la panzer-division Das Reich qui avait stationné à Baziège était partie le 10 juin pour la Normandie. Sur son passage, elle brûle 600 femmes et enfants dans l'église d'Oradour-sur-Glane, pend 99 civils à Tulle...
Le défilé dure toute la journée, moins dans l'après midi. Dans les premières lueurs de dimanche il n'y avait plus rien sur la RN 113.
Le dimanche 20 août, l’aviation anglaise attaque un convoi allemand bien ordonné. Il s’agit de la garnison de Francazal, la Luftwaffe, soigneusement organisée avec leur uniforme différent du "feldgrau" traditionnel, plutôt vert-violet. Les camions sont remplis de soldats correctement habillés, fusils entre les jambes. "A l'heure de la messe" précisent les témoins baziégeois, la colonne est attaquée par trois avions de chasse alliés, entre Villenouvelle et Baziège. Les soldats se cachent dans les champs de maïs. Les Spitfire anglais cherchent à atteindre les citernes, tournent au dessus de Montlaur et de Montes-quieu. Le spectacle dure un quart d'heure environ. L’attaque passée, les Allemands emportent leurs blessés et leurs morts. Les avions anglais disparaissent vers l'est, vers la Méditerranée.
Le Supermarine Spitfire anglais : à une question d'Hermann Göring qui lui demandait ce qu'il pouvait faire
pour aider ses pilotes à gagner leurs combats contre les britanniques pendant la bataille d'Angleterre,
un pilote allemand a répondu : "Monsieur le Maréchal, donnez nous des Spitfire".
Les derniers allemands occupant le Lauragais, une cinquantaine d’hommes, dont beaucoup étaient blessés, passèrent à pied ou à vélo dans la journée du 21 août. Ils se rendirent aux gendarmes d’Avignonet.
L'Occupation était terminée. Un silence surprenant dura deux jours : pas un train à Baziège, pas un véhicule sur la route, pas de piétons (crainte des colonnes attardées). Nous n’avions aucun moyen de communication sauf la ligne privée du canal d'Ayguesvives à l'écluse de Matabiau qui nous permit d’apprendre que des combats violents s'étaient déroulés à la gare, que la ville était occupée par les maquisards venus du Lot, de l'Armagnac (Gers) et de Tarbes (Corps Franc Pommiès - ORA) et que les pillages des Magasins Généraux, situé près de la gare, étaient terminés...
Iliouchine ll-2 Sturmovik : Redoutable contre les blindés et les convois allemands,
cet avion d'attaque au sol soviétique fut produit à plus de 36000 exemplaires.
La venue du Général de Gaulle à Toulouse
La Libération a donné naissance à la légende de la République rouge de Toulouse, une situation "révolutionnaire" chaotique avec une ville occupée par les maquis venus de tous les départements voisins. Deux formations étaient solidement encadrées par des officiers : le Corps Franc Pommiès et le Bataillon de l'Armagnac. Le Commissaire de la République (Pierre Bertaux) se heurtait au Comité Dépar-temental de Libération et au Comité local de la Libération. le Parti Com-muniste organisait une sorte de police supplétive : les milices patriotiques. Une agitation très vive secouait la population toulousaine mais il n’y eut aucune tentative de prise de pouvoir par des "révolutionnaires". Devant cette situation, de Gaulle vint rapidement à Toulouse, le 16 septembre. Goubet précise dans son ouvrage que "le voyage de de Gaulle à Toulouse sonne le glas des illusions. Mal informé, prévenu contre l'agitation toulousaine, il traite avec condescendance les FFI, leurs chefs et les responsables locaux de la Résistance... au point d'être menacé un temps d'enlèvement par certains d'entre eux ! Soucieux de faire respecter la souveraineté nationale, il ordonne aux différentes missions alliées de quitter Toulouse dans les plus brefs délais, sans tenir aucun compte des services qu'elles ont rendus".
L'annonce faite à P. Bertaux de l'envoi d'un militaire de carrière, le général Collet, à la tête des forces de la région militaire va dans le même sens : celui de la reprise en main. Toutefois, dans l'immédiat, les apparences sont encore préservées. En témoigne cet extrait du discours du général de Gaulle, le 16 septembre 1944, devant une foule enthousiaste, massée place du Capitole : "Toulouse, Tou-louse libre, Toulouse fière, fière parce qu'elle est libre et fière parce qu'au milieu de toutes les larmes, de toutes les angoisses, de toutes les espérances qu'elle a traversées, jamais Toulouse n'a cru la défaite acquise, jamais Toulouse n'a cru que la France était perdue, jamais Toulouse n'a renoncé ni à la grandeur du pays, ni à sa victoire, ni à la liberté des hommes, ni à celle des Français et des Françaises..." un hommage vibrant et reconnaissant à tous les Résistants toulousains et haut-garonnais.
Jean ODOL
Bibliographie :
Goubet et Debauges : "Histoire de la résistance en Haute-Garonne", Milan, 1986
Jean Odol : "Le maquis de Saint Lys" Résistance R4, n° 7 - mars 1979
Article de La Dépêche du Midi daté du 05/10/2007 - www.ladepeche.fr
Atlas des avions de la 2ème Guerre Mondiale - Editions Atlas - 2001
Couleur Lauragais n°107 - Novembre 2008