Garrevaques,
le Sor &
le canal
du Midi
C'est au travers de l'ouvrage de Léo Semenou, "Garrevaques & Gandels en pays Lauragais" que nous étudions aujourd'hui la relation très étroite qui unit la plaine revéloise et le canal du Midi. Léo, ancien agriculteur devenu historien de qualité, est un homme très attaché à son passé, ses animaux et ses outils. Il a longuement étudié les archives municipales et l'état civil de la commune de
|
|
Garrevaques-Gandels auxquels il a ajouté ses souvenirs personnels pour nous donner un aperçu très vivant, varié et anecdotique d'un passé si riche en enseignement qu'il nous aide à mieux comprendre notre Lauragais contemporain.
|
Engarravacôs
Garrevaques-Gandels en pays Lauragais est situé à 6 kilomètres au nord-ouest de Revel et est traversé par la route départementale 45 ; d'une superficie de 680 hectares, le village compte 250 habitants ; il se place dans le canton de Dourgne, département du Tarn et jouxte la Haute-Garonne et la ville de Revel. C'est une commune rurale peuplée de paysans, nombreux avant 1950 et le début de la mécanisation intensive des travaux agricoles, rares aujourd'hui. Garrevaques est un zone de collines taillée dans la molasse aquitaine avec une large vallée drainée par le Sor, cette abondante rivière venant de la région d'Arfons, dans la montagne noire, et affluent de l'Agout. Les sols, terreforts et boulbènes, sont très fertiles, donc des terres types du Lauragais si riche.
Garrevaques - La boulangerie-tabac. Carte postale des années 1950.
Aux origines
Le pays des mille collines est une entité historique ancienne. De nombreuses traces d'habitats gallo-romains ont été recensées dans le Lauragais et la plaine de Revel. On rencontre ainsi des vestiges gallo-romains sur les coteaux de St Félix Lauragais et de St Julia ainsi que sur des promontoires à Roumens et à Nogaret. Plusieurs sites d'occupation gallo-romaine se localisent dans la plaine de Revel. Sur le territoire de Couffinal (une section de Revel), au pied du château de Beauregard, une dizaine de pièces de monnaie en bronze datant du Bas-Empire ont été trouvées dans du sable extrait d'un petit ruisseau.
A l'habitat dispersé du haut Moyen-Age succède une concentration des foyers autour des églises et des châteaux. La découverte en 2002, à Garrevaques, d'une fosse commune liée sans doute au rudes combats de Montgey durant la croisade contre les Albigeois en 1211 témoigne des troubles occasionnés par la guerre. Cette bataille, la seule remportée par les languedociens contre les croisés fit, selon la chanson de la croisade, 6000 morts parmis les "allemands". (Voir CL-99).
Garrevaques : les dates clés
1211 : La bataille de Montgey. Les troupes du comte Raymond-Roger de Foix défont une armée croisée composée de frisons et d’allemands en marche pour porter assistance à Simon de Montfort. Quelques “6000 croisés allemands” selon les chroniqueurs (mais ce chiffre a été fortement exagéré) sont tués, blessés ou faits prisonniers. Raymond-Roger, aussi cruel que son adversaire, fait couper le nez et les oreilles des survivants. Les milliers d’ossements trouvés par hasard dans les champs des environs de Garrevaques-Gandels sont regroupés au calvaire d’Auvezines.
1470 : Fondation du château de Garrevaques. Jusqu’au 12 germinal An V, Garrevaques et Gandels sont deux entités séparées. La seigneurie de Gandels appartient jusqu’en 1600 à l’abbaye de Sorèze. En 1730, la famille d’Andrieu de Moncalvel (seigneur de Souilhe) la vend à la famille de Falguerolles. Le consulat de Garrevaques, qui est jusqu’en 1339 propriété de l’abbaye de Sorèze, est cédé à la famille de Roquefort à qui appartiennent déjà les chateaux de Montgey et Roquefort (voir CL n°4 et 13). En 1763, il devient propriété de la famille d’Ayguesvives.
Le château, quant à lui, bien qu’incendié durant la Révolution, est reconstruit vers 1800 et demeure la propriété des descendants du comte Félix de Gineste.
1790 : Les paroisses de Garrevaques et Gandels, toujours séparées, sont rattachées au canton de Sorèze.
12 germinal An V : La municipalité de Gandels est réunie à celle de Garrevaques.
An X : la commune est rattachée au canton de Dourgne.
Durant la 2nde Guerre Mondiale, le château de Garrevaques est occupé par les troupes allemandes de la 11ème panzer-division. Miné par les allemands, l’ordre de mise à feu ne fut pas donné lors de la retraite de leur armée en août 1944.
Le nom même de Garrevaques témoigne de son rapport étroit à l'agriculture. Il viendrait de l'occitan "engarrar" qui signifie blesser au jaret, rendre boiteux ou entraver. Il faut y voir un rapport avec le fait d'entraver les vaches. Mais selon, Léo Semenou, cette interprétation est erronée car, "si tel était le cas, cela les rendrait incapable de faire les travaux de traction. Pour nous, les anciens paysans la logique prévaudrait que c'est une formation du verbe occitan 'enquarra' qui signifie atteler à un timon (...)". Quelle que soit l'origine exacte, force est de constater qu'elle est agricole.
Le rôle de l'eau
Elevage, cultures céréalières et prairies faisaient, en effet, la richesse de Garrevaques et, plus largement de tout le bassin revélois. Il est donc évident que la gestion de l'eau a depuis longtemps été une préoccupation primordiale. Avant la construction du canal du Midi, le Sor et le Laudot, par exemple fournissaient à la population un "arrosage bienfaisant", au rythme des saisons. Peu de crues néfastes puisque leurs lits pouvaient absorber leurs débits naturels.
Au pied de la Montagne Noire, s'élance le Sor, ruisseau à ses heures, torrent à d'autres.
Le débit du Sor était utilisé pour actionner, sur le modèle de la roue à aube, les martinets, ces marteaux hydrauliques servant à travailler le cuivre. Plusieurs d’entre eux étaient encore en acti-vité avant la 2nde Guerre Mondiale. L’actuelle renommée de Durfort, village artisanal, est héritée du travail de ces martineurs et chauffeurs d’antan (voir CL n°34). La distillerie de Garrevaques, par exemple, nécessitait une importante quantité d'eau pour le nettoyage des betteraves et la fabrication de l'alcool. Les moulins à eau étaient nombreux puisqu'on en dénombrait vingt-deux sur le Sor, entre Lescout et Pont Crouzet.
Léo Semelou évoque dans son ouvrage de nombreux souvenirs liés à l'eau dans sa commune et plus largement dans le bassin revélois. La pêche était un passe-temps et un complément alimentaire prisé même si la présence de gourps (trous d'eau) rendait parfois cette activité risquée tant pour le pêcheur trop téméraire que pour la maréchaussée chargée de faire respecter la réglementation sur la pêche. "Attenciou aun l'aïgo dourmis i a um gourp" : Attention où l'eau dort il y a un trou ! Entre ces gourps, les nuits d'été lorsque? le débit et la profondeur étaient faibles, se pratiquait la pêche à la fourchette, technique interdite qui consistait à embrocher les goujons d’un geste vif.
Entre Montagne Noire et canal du Midi
Quand
M. Riquet inondait
la plaine revéloise
Les travaux occasionnés par la construction du "canal des Deux-Mers" à partir de 1667 vont bouleverser à la fois l'économie et l'écosystème de la vallée du Sor. Ce canal doit permettre la navigation commerciale, à terme, entre la Méditerranée et l'Atlantique en reliant Marseillan à Toulouse, soit 241km de voie navigable artificielle. ?Pierre Paul Riquet présente son projet à Colbert, contrôleur général des finances de Louis XIV en 1662. Il escompte collecter les eaux des ruisseaux du versant méridional de la Montagne Noire, les réunir dans une rigole de dérivation (connue aujourd'hui sous le nom de rigole de la Montagne) puis les jeter au moyen d'un épanchoir dans le Sor. Un test est réalisé pour s'assurer de la faisabilité du projet : une rigole de deux pieds de large entre Revel et Naurouze est creusée et achemine l'eau de la Montagne Noire jusque dans la plaine où elle s'écoule de part et d'autre du seuil, à la fois en direction de l'océan et de la Méditerranée.
Le projet originel est, cependant, par la suite quelque peu modifié puisque le chevalier de Clerville, commissaire général aux fortifications, décide de renoncer à approvisionner le canal du Midi par les seules eaux du Sor mais d'utiliser principalement "les magasins ou réservoirs d'eau", au nombre de quinze ou seize, qui se rempliraient pendant l'hiver. Les cours d'eau n'étaient plus utilisés que de façon annexe. "(...)
Après avoir pris les eaux de la rivière d'Alzeau, écrit M. de Clerville, et les avoir détournées dans la rigole par les moyens ci-devant expliqués, il faudra ensuite prendre celles de Vernassonne, de Lampy, de Lampillon et du Rieutort, pour les mener par la même voie et manière ci-dessus mentionnée jusqu'au village des Cammazes, d'où il les faudra toutes jeter dans la rivière de Laudot (...) afin de les conduire au point de partage".
Ce projet avait l'avantage de ne pas déverser dans le lit du Sor une quantité d'eau que celui-ci ne pouvait supporter et de faciliter le remplissage du bassin de Saint-Ferréol.
Mais, Pierre Paul Riquet, déclaré adjudicataire des travaux le 14 octobre 1666, décide de revenir à son plan initial, en violation des instructions contenues dans l'édit royal. Plutôt que de faire aménager la rigole de la Montagne dans le vallon de Vaudreuille, il préféra l'amener au Conquet et, de là, déverser les eaux dans le lit du Sor.
Ce choix fut lourd de conséquence puisque les eaux étaient déversées quel que soit le niveau d'eau du Sor, fut-il en crue. Il aurait fallu bâtir des infrastructures permettant de réguler les eaux rejetées dans le Sor mais les moyens matériels ne furent pas mis en oeuvre, au grand désespoir des riverains.
Ceux-ci ne tardèrent pas en référer aux Etats du Languedoc qui, pression écono-mique aidant, ne purent contraindre le concessionnaire au respect des astrein?tes du projet et se contentèrent de demander la vague construction "d'épanchoirs de distance en distance". Les inspections successives validèrent l'ensemble des travaux.
Pierre Paul Riquet fut le
premier à découvrir le seuil de partage des eaux à Naurouze, où il a ensuite suffit d'amener les eaux stockée à Saint-Ferréol pour alimenter les deux versants du canal.
Sur le papier, le canal disposait des eaux du Sor "pendant les sept mois d'hiver" (de novembre à mai), nous rappelle Léo Semenou, tandis que les "cinq mois de l'été" étaient réservés aux communes riveraines.
Dans les faits, l'administration du canal revit souvent à la hausse ses ponctions dans le Sor, notamment lors de l'ouverture du canal de la Robine (1787), lorsqu'il fallut inonder les vignobles du Bas-Languedoc pour détruire le phylloxéra ou lors des années de sécheresse. Les mois d'été assèchaient le Sor tandis que les pluies d'hiver innondaient la plaine, portant préjudice aux cultures, au bétail et à l'industrie locale.
Les communes riveraines présentèrent de nombreuses pétitions à l'administration du canal et portèrent l'affaire devant les Etats du Languedoc puis du département du Tarn.
Illustration en est faite dans le livre de Léo Semenou qui cite une pétition adressée à la Chambre des députés en 1820 par les riverains du Sor : "Les propriétaires riverains de la rivière de Sor dans les communes de Revel, Garrevaques, Gandels, Montgey, Auvezines, Poudis, Paleville, Las Touzeilles, Blan et Lamothe ont l'honneur de vous exposer qu'à l'époque de la construction du canal du Midy, ils se virent priver d'eaux de cette rivière (...). Il nous parait juste que tous les riverains qui en supportent ce dommage (...) jouissent une partie de cette eau lorsqu'elle devient utile."
En 1905, ces communes se regroupèrent au sein du Syndicat de la Vallée du Sor, ?toujours en vain.
Selon l'IIAHMN "Pendant près de trois siècles, les habitants du Lauragais vont donc regarder passer cette eau réservée à l'alimentation du canal du Midi sans pouvoir en bénéficier."
Construit de 1954 à 1957 et mis en service en 1958, le barrage des Cammazes est une réserve d'eau potable pour les communes aux alentours de Revel.
L'oeuvre de Riquet aujourd'hui.
Ce n'est qu'en 1958 avec la mise en service du barrage des Cammazes puis, dans les années 60, avec les travaux de réaménagement du lit du Sor que la situation se stabilisera.
Le génie de Pierre Paul Riquet, au delà de la construction du canal du Midi et de ses infrastructures visionnaires pour l'époque, fut aussi de mettre en valeur le rôle de "château d'eau naturel" de la Montagne Noire, située au confluent des bassins méditerranéen et atlantique. Ses ouvrages ont le mérite d'assurer une gestion globale et d'éviter les initiatives hétéroclites.
La retenue des Cammazes ravitaille en eau quelques 100 000 habitants sur trois départements, permet l'irrigation, notamment en assurant au Sor un débit plus linéaire, et assure au canal du Midi un approvisionnement régulier en eau. Sa capacité est de 20 millions de m3 dont 4 quatre sont réservés à l'alimentation du canal du Midi.
C'est sur le cours du ruisseau du Laudot qu'est construit le barrage de Saint-Ferréol.
Le bassin de "Saint-Ferriol" voulu par Riquet permet, quant à lui, de stocker 7 millions de mètres cubes d'eau qui seront acheminés jusqu'au canal par la rigole de la Plaine. (La commune se prépare d'ailleurs à ouvrir un musée sur Pierre Paul Riquet et le canal du Midi dans les murs de la Maison de l'Ingénieur). C'est à Vauban, cependant qu'est revenue la tâche de parachever l'oeuvre de Riquet : Il fait percer un tunnel (connu sous le nom de "trouée ou percée des Cammazes") entre le Sor et le Laudot afin de mieux alimenter le bassin de Saint-Ferréol. Ce dernier reçoit donc les eaux du versant méditerranéen (ruisseaux d'Alzeau et du Lampy) et du versant atlantique (ruisseau du Laudot).
C'est l'IIAHMN (institution interdépartementale pour l'aménagement hydraulique de la Montagne Noire) qui s'occupe, depuis 1948, de la gestion des eaux de la Montagne Noire qu'il s'agisse de couvrir les besoins des populations, de l'irrigation ou du canal du Midi. Cette institution a pour champs d'action 186 communes dans trois départements (Aude, Haute-Garonne et Tarn).
Ainsi se rétablit l'équilibre hydraulique entre la montagne et la plaine. Et pour sceller cette réconciliation, en juin 1996, le banquet de clôture des assises du canal des Deux-Mers marquant le classement du canal du Midi au patrimoine mondial de l'humanité s'est déroulé au château de ... Garrevaques.
Le canal du Midi a été classé au Patrimoine Mondial de l'Humanité par l'UNESCO en 1996.
Chronologie des ouvrages relatifs à l'eau :
1667 : Début du creusement du canal du Midi et du bassin de Saint-Ferréol.
1682 : Ouverture officielle du canal du Midi.
1687 : Vauban fait creuser la “percée des Cammazes”, rehausse la digue et y installe 3 ‘robinets’.
1787 : Mise en service du canal de la Robine.
1905 : Création du Syndicat de la Vallé du Sor.
1948 : Création de l’IIAHMN (institution interdépartementale pour l’aménagement hydraulique de la Montagne Noire).
1958 : Début de travaux de construction du barrage des Cammazes.
1962 : Arrivée de l’eau courante à Garrevaques.
Pascale CATANZARO
Bibliographie :
Couleur Lauragais : CL-99, Jean Odol, La croisade contre les albigeois de 1209 à 1229.
CL-64, Jacques Batigne, Sur les pas de Riquet. En parcourant la Montagne Noire.
CL-34, Pascal Rassat, Durfort et l’industrie du cuivre.
Couleur Lauragais n°104 - Juillet-Août 2008