En parodiant une célèbre chanson, on pourrait entonner à propos de l’Hers Mort : “Elle coule, coule, coule... car l’Hers Mort est une amante, et son amant, c’est le Lauragais”. En effet, l’Hers mort est, sans conteste, la rivière du Lauragais : elle y prend sa source, elle y reçoit tous ses affluents, sauf la Saune.
Partons à la découverte des paysages d’une partie de la vallée de l’Hers Mort, de Fonters du Razès à Gardouch, en passant par Payra sur l’Hers puis Salles sur l’Hers et St Michel de Lanès. |
Les sources de l'Hers Mort. A proximité de la "Pierre Levée" les broussailles soulignent le chenal d'ordre 1. Au second plan, bande à genèvriers.
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Commençons par observer la carte ! Les noms de lieux sont parfois surprenants : ainsi Fonters du Razès, pour les lauragais, se situe dans la Piège, et non dans le Razès ! Peyrefitte sur l’Hers ne se trouve pas sur l’Hers et encore moins dans sa vallée ! En effet, ce village est perché à 50 m au dessus de la rivière, à 3 km à vol d’oiseau... Payra et Salles sont bâtis sur le versant de la vallée. Le seul village qui possède des habitations sur chaque rive est St Michel de Lanès. |
La source de l'Hers
La carte n’est pas le seul outil à notre disposition. Il existe d’autres documents. Le bassin versant de l’Hers Mort a fait l’objet de nombreuses études, notamment dans les années 70. Il a été considéré par des géographes comme un “laboratoire” car, d’une part, il s’agit d’un ensemble relativement homogène du point de vue de la roche en place et du climat (on sait que la molasse d’âge stampien est épaisse de 400 m environ et "supporte" la totalité du bassin). D’autre part, les crues de l’Hers Mort étaient redoutées et parfois redoutables : le 30 novembre 1968, lors d’un débordement, le maire de Baziège avait dû se rendre à la mairie en... barque, les parties basses du village étant inondées. Aujourd’hui, suite à de nombreux aménagements : surcreusement du lit, élargissement... ce danger semble écarté. L’homme a apporté des modifications aux paysages que l’on hésite à qualifier de "naturels". Pour la plupart ils sont donc "hérités".
L'Hers Mort à Villefranche : En ce mois de décembre le débit est faible (novembre a été un mois sec). On remarquera l'occupation du lit par des formations végétales buissonnantes, arbustives mais aussi arborées.
L’Hers Mort prend sa source à 390 m d’altitude, au Sud Ouest de Laurac, à proximité du lieu dit "Pierre levée". Nous sommes dans une région de collines, sur le toit du Lauragais. Le point culminant est le Puy de Faucher, 415 m, tout proche. Si on y regarde de plus près, les formes de relief sont des buttes, parfois des lanières qui constituent la haute surface du piémont molassique.
Mais où donc naît l’Hers Mort ? Du lieu dit "La Pierre Levée" en se dirigeant vers Fonters par la route départementale 15 apparaissent sur notre gauche des vallons, encore peu formés. Ils sont recouverts de végétation. Un peu plus bas, on croirait que ce sont des fossés car ils limitent les parcelles. Ces chenaux primaires que les hydrologues qualifient d’ordre 1 se rejoignent. L’ordre 2 est alors atteint : ça y est, l’Hers Mort est né ! C’est le début d’un long parcours de 70 km environ. Nous ne le suivrons que jusqu’à Gardouch, sur une distance évaluée à 20 km.
Si l’on excepte les arbres et broussailles qui "accompagneront" notre rivière, le couvert végétal est particulier : il s’agit d’une formation herbacée qui coiffe les buttes et lanières. Ce milieu a t-il été victime de déboisement ? Les sols sont minces et pauvres ; même quand la pente est faible, ils ne sont pas mis en valeur. Cette pelouse est par endroits, colonisée par des genèvriers, colonisation que l’on pressent conquérante ! Elle a le mérite de protéger ce sol fragile et offre une certaine résistance au ruissellement direct.
Aussitôt que le sol s’épaissit et que la pente s’affaiblit, l’exploitation se fait sous forme de labours. Les abords des premiers chenaux, inaccessibles aux engins agricoles, marquent, par leur végétation, la présence d’eau. Il y a là certainement une ou plusieurs sources. Une ou plusieurs nappes se vident pour alimenter l’Hers Mort.
Payra, la façade du château
De Fonters jusqu’à Payra une vallée, certes aux dimensions modestes, se dessine. Ses versants sont dissymétriques. Rive droite la pente est forte, rive gauche elle est plus douce ce qui est particulièrement visible au lieu dit "Henriques” au croisement de la D 15 avec la route de Cas-telnaudary à Mirepoix (D 6). De cet endroit jusqu’à Payra un fond plat
de vallée commence à s’inscrire. Le lit de l’Hers, peu profond (1 à 2 m) est pratiquement rectiligne. Pas de méandre, il est vrai que la pente est forte : le dénivelé est de 146 m à Payra, ce qui peut paraître beaucoup, mais nous ne sommes pas en haute montagne et l’Hers Mort n’est pas l’Hers Vif qui descend du St Barthélémy en véritable torrent. L’alimentation en eau est ici plus faible et la perméabilité des terrains supérieure. On sait en effet que la molasse est composée de matériaux fort divers. Formation détritique aux faciès de sables ou de graviers, parfois elle présente des “lentilles” perméables qui permettent des infiltrations de l’eau.
Terroir boisé de la vallée. Photo prise dans la "Côte des clous" (clous laissés sur la chaussée par les chevaux).
Le propriétaire aménage un espace pour la pâture des bovins - en stabulation libre.
Il n’est pas rare, notamment en fin d’été, de voir cette partie de la rivière partiellement à sec. Il en est de même pour ses affluents. En novembre 2007, le mois ayant été particulièrement peu arrosé avec 5 mm seulement, un mince filet d’eau avait beaucoup de mal à se frayer un chemin au fond d’un lit trop grand pour lui.
La couverture végétale
La couverture végétale a changé. Ce qui domine dans ce secteur, c’est l’arbre. Nous sommes en présence de bois, cela est bien souligné par la toponymie : bois bouzi, bois blanc au Nord de St Amans. Les noms des fermes sont évocateurs : “le Garrigal” dénonce la présence de chênes (Ouest de St Amans). Plus loin “Ginestou” entre Mayreville et Payra fait allusion au genêt à balai et “La Piboulette“ Nord Est de Payra, au peuplier. L’espèce dominante est tout de même le chêne (pubescent). Il peuple surtout le versant pentu de la rive droite, lorsque l’accès est facile, la pente étant plus faible, l’exploitation est possible. Il y a même des bois comme celui d’Henriquès visible depuis la route, qui ont été clôturés ; des ovins les occupent, ce qui permet l’entretien d’une partie du sous bois et procure de l’ombre en été.
L'Hers Mort à Saint-Michel de lanès : Le seul village bâti sur les deux rives, bien que le noyau ancien soit établi sur un promontoire, rive droite. Le lit a été aménagé, surcreusement et construction de murs le long des rives, pour éviter les inondations.
Ce couvert végétal protège un sol mince, surtout lorsque les pentes sont fortes. Heureusement la décomposition des feuilles, des branches vient l’enrichir en humus. Les racines “fixent” ce sol fragile, donc le protègent lorsqu’une coupe trop sévère n’a pas facilité le ruissellement direct et parfois un début d’érosion des sols. Les chênes sont de taille très moyenne : 5 m est le maximum de leur hauteur. On peut se demander pourquoi ? Comme toutes les formations végétales dominantes, ils sont le témoignage d’un équilibre entre les ressources qu’ils puisent dans le sol et celles qui leur parviennent par la partie aérienne. En effet, c’est au moment où leur croissance végétative nécessite le plus d’eau (été) qu’ils en sont sevrés. Comme dans tout le Lauragais, dans notre belle vallée, c’est le mois de juillet qui est le plus sec. Si les précipitations de printemps n’ont pas été suffisantes les racines de nos chênes auront vite fait de “pomper” l’eau des nappes. Un printemps arrosé est donc indispensable d’autant plus que l’évapotranspiration est à son maximum en juillet. Lors de ce qu’il est convenu d’appeler “années sèches” on peut voir, déjà fin juillet, des feuilles sèches tomber à terre. Nos chênes souffrent. ils attendent les premiers orages d’août comme une véritable bouée de sauvetage. C’est aussi à cette époque où le vent d’autan renforce le déficit dû aux hautes températures. Il est sec et fait “tomber” l’humidité relative. Il est chaud, relève les minima et réduit les amplitudes thermiques. N’oublions pas que c’est en juillet où il atteint ses plus grandes vitesses. Il participe par son action au processus “d’assèchement“ général dû essentiellement à la faiblesse des précipitations mais aussi et surtout à l’augmentation des températures.
Un paysage de transition : vers Saint Cristol
Un paysage de “transition” après St Christol (route de Mirepoix) à l’intersection de la D 15 avec la route de Castelnaudary à Mazères. Transition car les bosquets dominent sur les hauteurs, la petite plaine alluviale “Hersienne” se dessine. Le lit est souligné par de grands arbres, peupliers pour la plupart, et des broussailles. Les sols sont cultivés dans la plaine. En hiver, lorsque les labours ont été effectués, on peut distinguer l’opposition entre les parcelles du haut du versant, notamment sur la rive droite, et celles du bas, proches de l’Hers. La couleur du terrefort plus claire, avec des mottes plus grossières, fait contraste avec celle de la vallée où les limons sont venus apporter au sol un enrichis-sement que les agriculteurs locaux ont su apprécier. Un bon exemple est donné par un ensemble de parcelles de la rive droite situées entre Payra et Salles : sur le côteau sont installées des céréales (blé dur) ou du tournesol. Mais à proximité de l’Hers ce sont des cultures légumières, beaucoup plus délicates, nécessitant des sols plus riches et surtout arrosables. Le barrage sur la Ganguise n’est pas loin ( 2 km environ) et surtout le confluent avec le Jammas, ruisseau affluent de la rive gauche, a créé une plaine allluviale digne du plus grand intérêt. On retrouve le même phénomène quelques kilomètres après St Michel de Lanès où l’Hers reçoit cette fois sur sa rive droite, la Ganguise. Bien connue en Lauragais en raison de sa retenue d’eau récemment augmentée, qui offre le double intérêt d’être une réserve pour l’irrigation et une base de loisirs fort appréciée.
Saint Cristol, partie sud.
Après cette confluence (nous sommes à une altitude de 190 m) le paysage change, l’horizon “s’élargit”. La forme de relief dominante est la vallée. Le lit de l’Hers s’est installé au milieu d’une véritable plaine alluviale qui peut atteindre 2 km de large à l’approche de Villefranche. Le seul accident est un talus de terrasse. Il constitue souvent un site d’habitat où se sont installées des fermes, à l’abri des inondations de la basse plaine. On peut le suivre des deux côtés, rive droite et gauche. Plus ancienne que la plaine actuelle, cette terrasse présente une évolution morphologique plus poussée. Un (petit) réseau hydrographique y a installé quelques vallons comme on en trouve face à Montclar-Lauragais. Elle raccorde aux versants molassiques et domine de 10 à 12 m la plaine inondable.
L’Hers coule dans un lit profond (parfois 5 m) et large (8 m), de plus il est rectiligne. On a du mal à croire que son élaboration résulte de la seule "érosion” fluviale. En fait, il s’agit d’aménagements humains. Le cours a été “rectifié”, le lit approfondi et ceci dès le début du 18ème siècle. D’autres travaux d’élargissement ont eu lieu en 1975 (la crue de 1968 avait marqué les esprits) et en 1990. La rivière qui occupait à l’origine le fond d’un axe dépressionnaire a été aidée par les hommes qui craignaient les crues. Rivière artificielle ? non, simplement “humanisée”. Le cours “sauvage” de la Piège s’est transformé en une sorte de canal.
La plaine alluviale de l'Hers Mort au niveau de St Cristol. On devine le talus de terrasse sur la rive droite.
Les fermes se sont établies sur les hauteurs. (Le sens d'écoulement de la rivière va de doite à gauche sur la photo).
Les formations végétales d'origine "naturelle" ont pratiquement disparu. Ici règne le terroir labouré où l'on s'aperçoit que la pente joue un grand rôle. En effet, une pente supérieure ou égale à 20% ne supporte qu'un sol peu épais : de 10 à 15 cm. En revanche, une pente inférieure ou égale à 4% engendre un sol d'une épaisseur de 50 cm, ou plus. Comme les pentes "douces" sont dominantes dans ce secteur, il faut s'attendre à ce que les sols soient "confortablement" installés et par là même favorables à une agriculture souvent intensive. Même si les abords immédiats de l'Hers et de ses affluents ont été laissés en friche suivant les directives agricoles en vigueur.
Cette "règle des pentes" n'est pas immuable car il faut tenir compte de l'exposition du versant. Un "souleilha", c'est à dire faisant face au Sud se comportera différemment d'un autre orienté vers le Nord, beaucoup plus propice à la solifluxion. C'est la raison pour laquelle la rive droite, dans ce secteur où l'Hers a une orientation Sud Est-Nord Ouest, mieux exposée, aura la préférence.
Entre Payra et Salles. Cultures légumières (salade) à proximité du lit de l'Hers Mort,
souligné par une couverture végétale arborée.
Autre facteur : la nature de la roche ou du sol. Dans le terrefort apparaissent parfois des sourcins. De loin ils se devinent à leurs auréoles sombres. Parfois même, au beau milieu d'une parcelle, ils apparaissent comme des "ilôts" abandonnés par les engins agricoles. Il s'agit le plus souvent d'une lentille sableuse qui permet à une nappe de se vider à cet endroit précis, l'environnement immédiat étant imperméable.
Les terroirs
labourés
Les terroirs labourés sont soumis aux aléas climatiques. Si les fortes précipitations, en quantité et en intensité, n'avaient qu'un rôle secondaire dans l'érosion des sols herbeux et boisés, ici, ce n'est plus le cas. En effet, les années pluvieuses apportent d'abord en automne, puis au printemps suffisamment d'eau pour remplir les nappes. Voici un réservoir plein (ce qui n'est pas arrivé depuis longtemps). L'Hers et ses affluents vidangent ce premier apport. Si les nappes étant au maximum, la hauteur des précipitations augmente, un autre réservoir se remplit, ce que les hydrologues appellent : "la capacité aux champs". Les sols sont alors saturés. Un surplus de précipitation entraîne, surtout quand il tombe sous forme d'orages, un ruissellement direct sur les versants labourés et parfois une érosion des sols. Les particules fines, comme les limons sont entraînées vers le bas du versant, sur la route, quand elle limite la parcelle. Si bien que le sol s'épaissit en aval et s'amincit en amont. On a pu déterminer que sur une pente de 20%, aux sols déjà fort minces, la saturation étant installée, il suffit d'un orage d'une heure avec une hauteur d'eau de 14 mm pour que le ruissellement direct soit établi. Interviennent à ce niveau d'autres facteurs favorables comme le type de culture et le mode de culture. Un labour, même dans le sens de la pente n'est pas toujours atteint car l'eau s'infiltre tout de même un peu sur la partie aérienne des mottes qui n'est jamais totalement saturée. Le terrain le plus favorable reste le champ ensemencé, par exemple de maïs. La surface a subi en effet plusieurs passages des machines et tracteurs agricoles. Elle est tassée et lorsque un engin, notamment un semoir, a tracé des sillons dans le sens de la pente, les conditions sont alors favorables à un ruissellement direct orienté.
On s'aperçoit que ce paysage, le plus humanisé, est aussi le plus fragile. L'érosion des sols notamment dans les secteurs pentus peut s'exercer si l'on n'y prend pas garde. Elle est irréversible le plus souvent.
L'église de St Michel de Lanès
De Fonters à Villefranche, la haute vallée de l'Hers nous a livré des paysages fort différenciés dont les rapports avec l'eau permettent de réfléchir sur leur évolution. Véritable artère de vie pour le Lau-ragais avec ses affluents comme la Ganguise qui permet grâce au barrage une irrigation bienfaitrice, l'Hers est loin d'être mort ! Que de nombreux exploitants agricoles du sillon chaurien aimeraient l'avoir. Au lieu de cela, avec le Tréboul et le Fresquel, ils ne possèdent que deux petites rivières dont le débit est insuffisant. La comparaison entre le versant méditerranéen et océanique du point de vue de la richesse en eau "courante" tourne nettement à l'avantage du bassin occidental.
C'est volontairement que nous avons écarté de ce bref parcours les paysages urbains et ceux qui comprennent des fermes. Les paysages "habités" mériteraient à eux seuls une description détaillée. Les monuments aussi ! car de Fonters à St Michel de Lanès, c'est une série de chapelles et d'églises romanes qui souligne cette vallée. St Cristol
(XIIème siècle), Salles sur l'Hers, Payra (église du XIème siècle) sont des oeuvres remarquables et parfois méconnues.
L'église de Salles sur l'Hers
Régis GABRIELLI
Crédit photos : Régis Gabrielli
Couleur Lauragais n°103 - Juin 2008