La vie des paysannes et des paysans en Lauragais
aux 19e et 20e siècles (avant 1950)
Couleur Lauragais vous présente une étude sur la population paysanne du Lauragais traditionnel aux 19 et 20ème siècle, avant 1950 ; plus particulièrement nous voulons mettre en valeur les travaux et la condition des femmes paysannes qui, au prix d’un labeur exténuant, étaient le moteur vital de la borde. |
|
l’utilisation des engrais chimiques, de nouvelles variétés de plantes transforment complètement le genre de vie, de très nombreuses exploitations disparaissent, les paysans quittent la campagne. Durant une période de dix ans (environ) l’agriculture a évolué plus que durant les millénaires précédents. Nous allons étudier ici les hommes et les femmes qui labourent avec les boeufs gascons, qui sarclent le maïs avec une houe, le porc élevé avec beaucoup de soins était sacrifié en février... |
Condition de la femme
La condition de la femme paysanne nous apparait comme très pénible ; dotée d’un squelette puissant sa force physique est souvent comparable à celle d’un homme, une solide charpente et une musculature lui permettent de participer à tous les travaux. Son dynamisme, son ardeur sont exceptionnels. Dans les champs, elle tient parfois le manche de la petite charrue (l’arnès) et elle sait parfaitement retourner le brabant ; elle conduit les attelages lors des labours ou pendant la fenaison et participe au chargement des charrettes ; lors des moissons elle construit les garbels (tas de gerbes) et pendant la dépiquaison elle est sur le batteur ou aux endroits où jaillissent les poussières. La femme est une spécialiste pour semer le maïs et les haricots ; le sarclage si pénible exigeait des heures de travail. A la borde, son royaume était les volailles et la préparation des glousses (les poules qui couvent), la nourriture des poussins ; le gavage des oies et des canards lui était réservé. Elle devait ensuite préparer les repas d’une famille très souvent nombreuse, s’occuper du linge, des lessives ; les enfants se reposaient sur elle. C’est elle enfin qui allait au marché et qui ne manquait jamais la messe dominicale. La paysanne lauragaise était le pilier central de la borde.
Le gavage était réservé aux femmes |
Les animaux de la borde Quel que soit le type d’exploitation, fermage, métayage ou faire valoir direct, la borde fut très souvent, jusqu’en 1914, une unité de production autarcique pratiquant une polyculture de base céréalière, fourragère et animale qui demandait un dur labeur à un monde paysan peu mécanisé. La volaille était destinée aux besoins de la ferme et la consommation familiale mais aussi à la vente sur le marché voisin : Revel, Castelnaudary, Belpech ou Baziège. Poules et coqs étaient de couleur noire avec une race lauragaise identique à celle de Caussade, on comptait généralement un coq pour douze poules. Parmi les poules il y avait les bonnes pondeuses et les bonnes couveuses ; après une semaine de couvaison par la glousse, les oeufs étaient mirés un à un par la fermière qui retirait du nid ceux dont le germe n’ayant pas grossi laissait passer trop de jour (au-dessus de la petite flamme de la bougie). Après trois semaines (21 jours) pour les poules, 28 pour les canes, les premiers poussins apparaissaient et aussitôt retirés (lorsqu’ils sont secs) et placés bien au chaud sous un édredon ; pendant les deux ou trois premiers jours ils étaient nourris avec du pain trempé dans de l’eau à laquelle on ajoutait quelques gouttes de vin "pour les fortifier". |
Le lecteur de ces lignes sera peut être surpris des détails que j’avance mais cette vie au milieu de la volaille et des boeufs, je l’ai vécue dans mon adolescence dans la petite borde de mon arrière grand-mère et ma grand- mère, près du canal du Midi, entre Baziège et Ayguesvives durant les années 1930-1940. En 1944 j’ai vécu trois mois chez des amis paysans et j’ai participé modestement aux travaux des champs, comme le sarclage du maïs (à la houe), les moissons, la dépiquaison, les vendanges ; j’ai partagé les durs travaux de ces paysans courageux qui m’ont accueilli lorsque ma famille avait la gestapo, la milice aux fesses...
Pendant les quatre semaines où on gavait les oies, il ne fallait pas les "défumer" car ma grand mère prétendait que la chaleur les faisait grossir et tous les jours on ajoutait un peu de paille pour les tenir propres ; c’était important pour bien vendre le duvet et la plume que venait chercher le "pelharot" (chiffonnier) de Villefranche.
Les canards étaient très nombreux chez ma grand mère car leur mare était immense : ils barbotaient dans le canal du Midi ! Ils étaient rôtis tous les dimanches (1 ou 2) et jusqu’à l’âge de 10 ans je n’ai connu que cette alimentation carnée.
Le foulard : accessoire traditionnel de la paysanne
Dessin Paul Sibra
Crédit photo : Collection Martine Trinquelle
A Lanta comme ailleurs, les femmes
étaient chargées de faire le marché
Dans toutes les bordes on "faisait venir" un porc, parfois deux, le second étant destiné au propriétaire (voir le contrat de métayage que j’ai récemmment publié dans Couleur lauragais, décembre 2007). Le porc était d’abord nourri avec le "farnat" (bouillie) mélange de pommes de terre, de farine de maïs et d’orge ; pour l’engraissement “la millette du Lauragais” était très recherchée avec ses petits grains, très durs, donnant une farine très riche. Le sacrifice de l’animal s’appelle "la tuée" (en occitan : "la tua del porc") ; c’est un des temps forts de la vie paysanne, une véritable fête qui me faisait manquer l’école de ce jour tant attendu : ma mère venait me chercher à l’école pour que je prenne le repas vers 14-15 heures ; c’est une fête avec des amis et les voisins. L’eau était chauffée dans une grande lessiveuse puis l’animal est égorgé par un spécialiste : le sagnaire ; le nettoyage de la bête se fait dans "la maie", grand récipient en bois dans lequel le porc est soigneusement débarrassé de ses poils avec des "rasclets"(racloirs), puis on le vidait de ses tripes qui étaient recueillies dans des corbeilles et préparées pour y mettre la chair à saucisse et les saucissons le lendemain. Le grand moment de la journée était le repas ; l’après midi on préparait le boudin puis avec l’eau de cuisson de ce boudin, dans laquelle nageait de la graisse et des morceaux de viande, ma grand mère préparait le millas. Le lendemain on préparait saucisse et saucissons et divers pâtés et enfin les jambons qui sont copieusement salés et placés dans les cendres.
La pause du laboureur - Dessin Paul Sibra
Crédit photo : Collection Martine Trinquelle
Les grands animaux, moutons et boeufs gascons
Dans chaque borde vivait un troupeau de brebis (le troupel) : 30 têtes en moyenne de race lauragaise qui a fusionné depuis avec les brebis de Lacaune ; il s’agit d’animaux très rustiques, mal nourris, donnant peu de lait, peu de viande, peu de laine ; se nourrissant de mauvaises herbes dans les talus, les friches, les bois, dans les fossés, ils engloutissaient les ronces, comme les chèvres.
Les boeufs sont le coeur de la borde, le moteur animal avec lequel on fait les transports mais essentiellement les labours, la fenaison. Les animaux sont achetés sur les foires très actives de Bram, Belpech, Villefranche, Montgiscard, Caraman, Baziège, à l’âge de trois ans environ, ou parfois des couples en pleine force : 5-6 ans ; généralement le bordier élève aussi des jeunes de 2 ans afin de les dresser. Le matin, avant le jour, le propriétaire, avant toute chose, jette un oeil dans l’étable pour voir si tout est normal. Vers l’âge de 12 ans, les animaux sont engraissés avec de l’orge et du maïs, puis vendus pour la boucherie.
Les grands travaux
L’année agricole commençait le premier novembre par les semailles du blé, les parcelles sont préparées et labourées durant les mois de septembre et d’octobre ; les principales variétés sont la bladette, "Manitoba", "Carlota" mais aussi le blé blanc du Razès, le blé fin du Roussillon ; les rendements sont modestes : 7 quintaux /ha au 18ème siècle, 12 quintaux au 19ème, 15 au 20ème siècle ; les rendements sont tributaires de la fumure qui est de plus en plus abondante avec les progrès des prairies artificielles. Avant la semence, le blé était traité contre le charbon au sulfate de cuivre. Les semailles sont une opération délicate lorsqu’elles sont faites à la main ; le semeur divisait le champ en bandes avec des bâtons piqués en terre qui lui permettront de marcher droit (c’est une des raisons qui expliquent la petitesse des parcelles ( 80x40 m en moyenne) ; les opérations sont plus faciles avec le semoir mécanique qui apparait au début du 20ème siècle ; aussitôt semé le grain est couvert par un outil appelé la "canadienne" puis tassé au "plombeur" (sorte de rouleau) ; au mois de mars on passe à nouveau un coup de rouleau pour le tallage, parfois la herse pour éclaircir.
Les moissons (las segas) débutent vers la Saint Jean (24 juin) et sont effectuées avec la faucille (au 18ème siècle), la grande faux (au 19ème siècle) la moissonneuse lieuse, enfin la moissonneuse-batteuse en 1950. Le grand progrès est la moissonneuse-lieuse exigeant un attelage de deux paires de boeufs qui assurait la coupe et la liaison en gerbes très pesantes. La corde qui serre les tiges était du sisal très résistant, pendant la guerre 39-45 la corde était en papier ce qui provoquait d’innombrables ruptures. Les gerbes étaient ensuite mises en tas; les tabels circulaires, soit 10-12 gerbes avec les épis au centre ; après une quinzaine de jours, on "gerboyait" c’est à dire que les gerbes sont transportées près des bâtiments de la ferme, l’ensemble formant un gerbier. En juillet venait le temps du battage ou dépiquaison. Cette opération ultime était très importante ; elle est effectuée successivement avec le fléau, le rouleau, le piétinement par des chevaux, enfin les batteuses mécaniques apparaissent vers 1914 le batteur étant animé par une locomobile (à vapeur), puis par un puissant tracteur vers 1936. Tous ces appareils appartenaient à des entrepreneurs de battage qui se déplaçaient de ferme en ferme. Le dépiquage exigeait une quinzaine de personnes, les voisins venaient apporter leur aide, tout ce monde se retrouvait dans une ambiance de fête pour les différents repas du déjeuner, du dîner et du souper où les volailles rôties, cassoulets, civets ou daubes précédaient fromages et croustades. Le grain était stocké dans le grenier avant d’être vendu aux négociants que l’on rencontrait aux grands marchés de Caraman, Baziège, Castelnaudary ou de Fanjeaux.
Le maïs était la base de l’alimentation populaire, des maîtres-valets et des métayers ; F. Pariset écrit en 1867 : "la culture principale, après le blé est celle du maïs ou millet qui occupe une surface peu inférieure à celle du blé ; le grain sert à la nourriture des personnes et des animaux ; il fournit par sa tige et ses feuilles un produit très apprécié des bêtes à cornes, mais encore un combustible précieux".
Les semailles du maïs commençaient vers le 15 avril sur une terre défoncée au brabant : "quan le cocut canta, podem far milh" (quand le coucou chante, on peut semer le maïs). Semé très épais, certains pieds étaient enlevés lors du sarclage, opération très pénible, conduite avec le foussou (binette) ; on amassait la terre au pied de la tige. Vers le 15 août on enlevait les crêtes, partie supérieure de la tige qui était servie en fourrage aux bovins ; la cueillette des épis commençait vers le 15 septembre, à la main. Les grains étaient détachés de la rafle le soir à la veillée d’hiver, puis avec des égrenoirs mécaniques mus à la main puis électriques.
La fenaison était la récolte des fourrages (luzerne, sainfoin, trèfle) pour les animaux ; avec la grande faux puis la faucheuse mécanique et l’appareil qui préparait les herbes en balles.
Les vendanges étaient un autre moment très fort de la vie des paysans lauragais. En septembre les voisins venaient en aide à la ferme étudiée, les opérations duraient 2 à 3 jours ; tous les travaux sont manuels, la cueillette dans d’immenses paniers vidés dans des comportes, puis les raisins sont écrasés dans un appareil à rouleaux ; ma grand mère écrasait les raisins de notre vigne dans une comporte avec ses pieds nus. La fermentation se déroulait dans une énorme barrique en bois, la tina. Les vendanges étaient une fête très prisée avec des agapes toujours très riches.
La procession à Payra |
Au village, la vie religieuse |
Les Rogations sont des processions qui se déroulent durant les trois jours précédant l’Ascension ; les fidèles accompagnés du curé et des enfants de choeur, partaient en procession vers les croix situées sur les chemins de la commune, en chantant et récitant "les litanies des saints" ; la bonté divine était implorée pour protéger les fruits de la terre. Il y avait encore bien d’autres manifestations religieuses comme les flairons de la Saint Jean, la Saint Roch (bénédiction des animaux, y compris parfois les chiens de chasse), la procession des Morts à la Toussaint, la procession des charrettes en octobre, pour les métayers qui allaient prendre leur nouvelle métairie à la Toussaint. Cette vie traditionnelle a totalement disparu entre les années 1950 et 1965. Le bocage a laissé la place à des paysages de "campagne ouverte" comme la Beauce. Ce qui surprend surtout, c’est le silence qui règne près des bordes ; plus de chant d’un coq ou l’aboiement d’un chien. Un "Lauraguès" est mort en 1950, un autre est né à partir de la même date avec ses énormes tracteurs et les bâtiments géants des silos des coopératives... De nouveaux lacs illustrent le paysage, la Ganguise, la Galaube, Montbel ; une civilisation nouvelle en 2008 apparait et prend forme sous nos yeux. |
Le laboureur et ses boeufs sont l'emblème du Lauragais, terre à blé par excellence Jean-Paul Laurens (Salle des Illustres au Capiole de Toulouse) |
Jean ODOL
Bibliographie :
F. Pariset : "Moeurs et usages du Lauragais" 1867 et 1979 (archives départementales)
Francis Poudou : "Vilatges al pais" région de Salles sur l’Hers, ouvrage de référence 1997 (Mairie de Salles sur l'Hers)
Les thèses de R. Brunet, G. Jorre (archives départementales)
Jean Odol : "Le Lauragais" 2005 - Editions Privat
Lo Lauraire (en occitan) Lo pagés va laurar. Ten nauta l’agulhada, Es arribat dins la bosiga assolelhada; Lo Cèrç bufa, la fred la crebassar las mans ; Tanben aurà talent, al vèspre... Quin regal,
|
Le Laboureur Le paysan va labourer.Il tient haut l’aiguillade, il suit sa forte paire de boeufs qu’il a achetés à Fanjeaux et il songe, en sifflotant, que, par là bas, son champ envahi par le chiendent fera luire le versoir rouillé. Il est arrivé dans l’essart ensoleillé ; toute la journée, il a le poing attaché au mancheron de sa charrue : Le cers souffle, le froid fait gercer les mains; le robuste laboureur n’a pas peur du rhume, et, le coeur empli de joie, dans les sillons il chemine. Aussi, il aura faim, ce soir... Quel régal pour lui, s’il trouve à sa métairie du vin dans la bouteille, une platée de légumes et du pain de seigle ! Prosper Estieu |