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Couleur Lauragais : les journaux

Faune et Flore en Lauragais

Des ours dans la Montagne Noire il y a 30 000 ans

Pendant les événements de mai 1968, qui faisaient la une des médias, deux spéléologues (Roger Julia et Jean Paul Calvet) de la Société de Recherches Spéléo Archéologiques du Sorèzois et du Revélois à bord d’une Renault 8 gravissaient les pentes de la Montagne Noire, par une de ces vallées encaissées qui mènent au plateau d’ Arfons (la vallée du Sant).
Ils allaient vérifier une information : un tir de carrière avait ouvert une cavité naturelle, près du Plo del May, haut lieu historique du maquis de la Montagne Noire…
Arrivés sur les lieux, après s’être équipé avec "l’habit de l’obscurité" et la lampe à acétylène, ils pénétraient, après beaucoup de difficulté, dans une fissure très étroite qui donnait accès au bout de quelques mètres dans une salle au plafond bas, mais au développement important.
Stupéfaction … Le sol de la salle était jonché d’ossements, de crânes.
Un rapide examen donnait le verdict, il s’agissait d’une tanière d’Ursus Spelaeus, le fameux "ours des cavernes" dont l’espèce a disparu depuis plus de 10 000 ans.
La découverte était importante. Les autorités alertées, c’est l’Institut du Quater-naire de l’Université de Bordeaux, qui allait prendre en charge ce site, la direction des fouilles était menée par un bénédictin d’En Calcat, le Père Pierre Marie.

Fouilles paléontologiques
Fouilles paléontologiques : l'équipe de l'Institut du Quaternaire de Bordeaux

L'ours, une vieille histoire
L’origine des "Ursides" remonte à plus de trente millions d’années. L’ours a subi comme toutes les espèces animales et végétales les lois de l’évolution. Les spécialistes, depuis quelques décennies, ont déterminé les différentes espèces antérieures à nos actuels ours bruns ; elles ont pour nom Ursus Deningeri - Ursus Etruscus - Ursus Spelaeus - Ursus Arctos (actuel).
Le Spelaeus et l’Arctos ont été contemporains, et dans la grotte du Plo del May, cela a été vérifié. Si l’ours des cavernes était assez proche morphologiquement des actuels ours bruns, il était par contre beaucoup plus grand et gros, et sa nourriture était essentiellement végétarienne (voilà un ours qui aurait plu aujourd’hui aux éleveurs ariègeois …). Les ours des cavernes sont faciles à différencier des ours bruns par leur museau moins développé et leur front fuyant et bas. Leurs canines, même si elles sont bien développées, le sont beaucoup moins que leurs molaires puissantes et plus complexes, preuves d'un régime fondamentalement végétarien, avec toutefois un apport carné plus restreint que pour la majorité des ours. Les pattes avant sont plus longues et plus robustes que les pattes arrière, ce qui donne à l'animal un profil surbaissé à l'arrière-train.
Son extinction à la fin de la dernière glaciation (wurm III) soulève encore bien des questions. Chan-gement climatique, habitude alimentaire, hyper spécialisation de l’espèce, consanguinité … quels ont été les facteurs de sa disparition ?

Ours devant sa tanière
Ours devant sa tanière (montage virtuel)
à l'entrée de la grotte du Plo del May (commune de Verdalle - Tarn) … il y a 30 000 ans

Calvarius ursus côté
Calvarium ursus
Calvarium ursus face
Calvarium ursus côté, dessus et face
Plo del May - Crâne d'ursus spelaeus - 27 000 ans

L’ hiver … on hiverne
Une des caractéristiques des ours (y compris le spelaeus) est son adaptation au froid. Durant la mauvaise saison (d’octobre à avril - mai) ils hivernent. Au paléolithique supérieur, bien souvent, c’est dans les cavernes qu’ils se mettaient à l’abri, véritables conservatoires naturels où les restes sont le mieux conservés.
Les sujets affaiblis, malades ou trop vieux n’avaient aucune chance de survivre jusqu’au printemps suivant. C’est pour cette raison que dans la grotte du Plo del May, plusieurs dizaines de squelettes d’ours ont été découverts. Triste constatation, les os les plus volumineux étaient repoussés vers les parois au cours des ans, par les ours vivants qui revenaient chaque hiver dans la cavité…
La présence d’ossements de hyène des cavernes est démonstrative, ces charmants animaux nettoyaient la grotte…
Les traces laissées par les ours, parfois parfaitement conservées dans les cavités naturelles sont :
- les bauges, lieu de couchage en creux dans l’argile plastique des sols,
- les griffades sur les parois caractérisées par quatre traits parallèles et verticaux,
- les traces de pas imprimées sur le sol.

trace ursus spelaeus
Traces laissées dans une cavité de la Montagne Noire par un ursus spelaeus il y a 28 000 ans

Le culte de l'ours
Si l’ours a vécu dans les grottes, il était un locataire parfois gênant pour les hommes préhistoriques qui occupaient la même "niche écologique". L’homme a du chasser l’ours ; l’ours a du attaquer l’homme. Toutefois il a fasciné nos ancêtres, allant jusqu’à lui donner un pouvoir cultuel, que l’on saisit au travers des gravures, peintures, modelages de l’homo sapiens, arrangements anthropiques d’ossements.

Les sites paléontologiques de la Montagne Noire
L’exploration systématique des cavités de la Montagne Noire (plus de 200 phénomènes karstiques) a permis de découvrir plusieurs sites, par mesure de protection la plupart restent inaccessibles au public (protection physique), d’autres ne seront pas volontairement divulgués.

- Plo del May (Verdalle) il s’agit d’une grotte-habitat de l’ours des cavernes (ursus spelaeus), la plupart des squelettes provenant de sujets qui sont morts "in situ" lors de l’hivernation. La datation donne une date de 28 000 ans av. J.C. (datation radio carbone) qui correspond à la dernière période de maximun glaciaire (wurm III - époque de la colonisation du continent américain par le détroit de Behring - baisse du niveau de la mer jusqu’à - 150m).
Les fouilles menées par Pierre Marie et la SRSASR dans les années 1970 à 1980, ont permis après étude au laboratoire du quaternaire de Bor-deaux (Prat et Laville) de mieux comprendre l’évolution et la contemporanéité de l’arctos et du spelaeus (cinquante sujets étudiés).
La découverte d’ossements d’oursons à côté d’ours adultes démontre que les cavernes étaient un lieu de résidence habituel. Elles ne servaient pas uniquement à hiberner. Ces petits aimaient apparemment s’amuser. Dans la grotte du Tuc d’Audoubert (Ariège), ils faisaient du toboggan en se laissant glisser sur une pente argileuse pour finir par un plongeon dans une mare. On a retrouvé les traces de glissade et des restes de fourrure sur la piste de jeu. Les petits naissaient dans les grottes et parfois mourraient à la naissance (plus de 20%). Des ossements de fœtus découverts démontrent le décès des femelles gravides.
Fouille du gisement d'ursus spelaeus du Plo del May
Fouille du gisement d'ursus spelaeus
à la grotte du Plo del May en 1969

FICHE D’IDENTITE

Classe MAMMIFERE

Ordre HERBIVORE (parfois CARNIVORE)

Famille URSIDES

Genre URSUS

Espèce SPELAEUS

Taille 3,50 m

Poids plus de 400 kilos
(deux à trois fois plus qu’un ours actuel)

Couleur (supposition) du beige au noir pur

Age 15 à 20 ans env.

Les grandes glaciations du dernier million d'années

L’homme a du affronter quatre grandes glaciations séparées par des stades interglaciaires (toponymie provenant du nom de rivières allemandes) :

GUNZ
(-900 000 à -600 000 ans)

MINDEL
(-500 000 à -350 000 ans)

RISS
(-230 000 à -110 000 ans)

WURM
(-80 000 à -20 000 ans)


- Calel (Sorèze) - au fond d’un gouffre profond de plusieurs dizaines de mètres, de nombreux animaux ont été piégés. Des squelettes d’ours sont mêlés dans une brèche ossifère de faune du quaternaire comprenant du bison, cheval, renne, auroch.

- Dourgne (le Castellas) dans ce cas aussi, les ours sont tombés dans un piège naturel constitué par un petit gouffre. La présence d’une pointe de sagaïe travaillée par l’homme dans une défense de mammouth (- 27 000 ans / datation radio carbone), démontre que l’animal a été blessé et est venu mourir dans la cavité. Démonstration est ici faite que l’"homo sapiens" local côtoyait (et chassait) dans notre région le mammouth et l’ours…

Brêche pléistocène du Calel
Brêche pléistocène du Calel : au fond d'un gouffre, soudés par la calcite dans le remplissage d'une grotte, de nombreux ossements de la faune de la dernière glaciation ( 20 000 à 30 000 ans)

- St Jammes (Saint Amancet) - des ossements ont été transportés par un ancien ruisseau aujourd’hui "fossile".

- Aven Viala (Saint Amancet) - les ossements découverts au fond d’un gouffre de 130 m de profondeur, démontrent ici aussi le transport alluvial du mobilier ostéologique.

- Aven de Berniquaut (Sorèze) - associé à une riche faune du pléistocène (élan, bison, cheval, cerf élaphe, hyène, isard, bos primigenius, chevreuil). La plupart des espèces sont des espèces anciennes et disparues.

Les fossiles du Lauragais et de la Montagne Noire "témoignent" des importantes variations climatiques
On parle de plus en plus du réchauffement de la planète, et des profondes modifications qu’il peut engendrer sur les paysages et les espèces animales, végétales. Des changements qui surviendraient à court terme (quelques décennies) et provoqués essentiellement par l’activité humaine.
L’homme, cet animal qui a réussi a échapper à la spécialisation anatomique (il peut voler, aller dans l’espace, sous les mers, dépasser la vitesse du son…), est aussi capable de modifier les climats, d’avoir un impact sur les phénomènes géologiques…. Ça c’est un élément nouveau dans l’histoire de la terre.
L’histoire géologique de notre globe terrestre démontre que sur plusieurs centaines de millions d’années, de fortes fluctuations climatiques ont eu lieu, et les traces sont visibles dans notre pays.

Les "ours des cavernes" de la dernière glaciation ne sont qu’un tout petit témoignage. Toute une faune de climat froid a été découverte essentiellement dans ces conservatoires naturels que sont les grottes de la Montagne Noire (ours, lion des cavernes, panthère spélaea, bouquetin, élan, mammouth, auroch, bos primigenius, equus caballus…). Les "pelotes" de rapaces renferment de nombreux ossements de micro faune, leur étude est très intéressante pour mieux connaître les "paléo climats" (grotte du Castellas à Dourgne).

Citons aussi les études palynologiques ou de morceaux de charbons de bois étudiés à la grotte de Roquemaure qui a permis de constituer une "image" de la flore de la montagne il y a 5000 ans (climat plus humide et plus froid).
Les dépôts de loess du Lauragais démontrent qu’au Pléistocène, du limon a été transporté par le vent (souvent violent) sous climat froid et sec. Les pierres situées en surface ont été fortement érodées par l’érosion éolienne (les "dreikanter") et parfois peuvent laisser penser qu’il s’agit de bifaces travaillés par l’homme préhistorique.

Mais il y a aussi les restes fossilisés de faune et flore de climat chaud (30 à 50 millions d’années) découverts dans les roches an-ciennes des coteaux occidentaux de la plaine de Revel (St Félix, St Julia, Puylaurens…) : fossiles de crocodiles, de tortues géantes, de feuilles de palmier, témoins d’un climat tropical, à l’époque où la surrection des Pyrénées faisait remonter la Montagne Noire de plusieurs centaines de mètres, mettant en place les reliefs actuels.
Et que penser de ces coquilles de planorbes, fossiles de plus de 40 millions d’années, enchâssées dans les calcaires de Saint Ferréol ou du "Pont Crouzet" près de Revel.
Ces animaux vivaient dans un grand lac qui occupait le Lauragais sur un vaste territoire (Albi - Gaillac - Mazamet - proximité de Toulouse).
Quant aux dinosaures … peu de chance d’en trouver… notre région n’est pas dotée de terrains sédimentaires de cette époque. Si vous voulez en rencontrer allez donc au musée d’Espéraza dans l’Aude …

Côte de gros mammifère
Côte de gros mammifère indéterminé fossilisée
découverte près de Saint Félix
(25 millions d'années)

molaire de mammouth
Molaire de mammouth
Grotte de la Montagne Noire

femur d'ursus
Fémur ursus concrêtionné (stalagmite
prouvant l'ancienneté des ossements)
découvert tel que en mai 1968

pointe de sagaie
Pointe de sagaïe aurignacienne - 26 550 ans
pièce en ivoire taillée dans une défense
de mammouth - Castellas Dourgne


feuille de palmier
Feuille de palmier fossilisée découverte
près de Saint Félix (30 millions d'années)

Une belle leçon d’humilité donnée par la nature pour l’homme.
Les espèces vivantes se sont adaptées, ont évolué selon les changements climatiques, d’autres espèces ont disparu (+ de 99,9 % des espèces ont disparu depuis l’origine de la vie sur plusieurs centaines de millions d’années). L’homme n’est qu’une espèce parmi d’autres, et il est d’apparition récente (quelques millions d’années), faisons en sorte qu’il reste un "homo sapien sapien", un homme sage deux fois… en préservant sa planète.

squelette ours
Reconstitution du squelette d'un ours des cavernes du Plo del May (ancien Musée de Spéléologie de Revel)

Jean Paul Calvet
www.lauragais-patrimoine.fr
Crédit photo : Collection Jean-Paul Calvet
et Galerie Archéologique Office du Tourisme de Revel

Evaluation de la population
mondiale humaine


100 000 individus
au paléolithique (?)

150 millions d’individus
au début de notre ère

300 millions en 1350

600 millions en en 1700

1 milliard en 1830

2 milliards en 1940

4 milliards en 1975

6,5 milliards en 2004

il y en aura 8 milliards en 2020

timbre

 

Couleur Lauragais n°101 - Avril 2008