Nouvelles recherches sur le Canal du Midi |
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En 2008, Vauban et ses oeuvres seront classés au prestigieux Patrimoine Mondial de l’Humanité par l’UNESCO, c’est à dire les Nations Unies pour l’Education, la Science et la Culture. 2007 a été en France l’année culturelle Vauban pour marquer le Tri-centenaire de sa disparition, en 1707. Son oeuvre immense a été publiée en octobre 2007 sous le nom "oisivetés". |
L'aqueduc d'Ayguesvives permettant le passage des eaux de l'Amadou |
Couleur Lauragais s’associe à cet hommage envers un homme exceptionnel, et peu connu, par de nouvelles recherches sur la végétation qui accompagne le canal et les "aqueducs de Vauban" des années 1685-1695 dont ceux d’Ayguesvives, de Montesquieu, Gardouch et de Villefranche. Vauban est connu comme ingénieur des fortifications entourant la France de places bastionnées. Il a travaillé à 300 places anciennes, en a construit 33, a dirigé 53 sièges, participé à 140 batailles. Toute la frontière est de lui : Besançon, Briançon, Toulon, mais aussi : Montlouis, Villefranche de Conflent, Bellegarde, Saint Jean Pied de Port, Bayonne, Rochefort, Blaye (au Nord de Bordeaux), Brest, Belle-Ile. C’est un architecte génial, doublé d’un urbaniste. Un voyageur incroyable : 180 000 kilomètres pendant toute sa vie, et cela sur les routes du 17ème siècle ! C’est lui qui connaît le mieux la France pour l’avoir parcourue en tous sens, de Bayonne à Lille, mais aussi il dénonce la misère épouvantable des paysans, les famines) notamment celle de 1692-94, 2 millions de morts) qui ravagent le pays et dont il dénonce les causes : la guerre, toujours la guerre. Il n’hésitait pas à écrire des mémoires au roi pour expliquer les maux dont souffrait le royaume dans un style très direct, jamais d’un courtisan. A la fin de sa vie, il sera cependant disgracié. |
Qui était donc Vauban ?
Vauban s’appelait Sébastien Le Prestre de Vauban, maréchal de France, né en 1633 à Saint Léger-Vauban (dans le Nivernais), disparu en 1707. Issu de la petite noblesse, il passe au service de Mazarin. Honnête, laborieux, habile dans toutes les techniques, il est distingué par Louis XIV qui le nomme commissaire des fortifications et le charge de couvrir de forteresses les frontières du royaume. Adaptées au terrain et aux progrès de l’artillerie, à demi enterrées, avec double ou triple enceinte, des bastions avancés triangulaires, les villes fortifiées deviennent imprenables. Solides trois siècles après, ses travaux sont toujours là, ses bastions, ses banquettes, ses courtines, ses casemates. Il a révolutionné l’art de l’attaque comme celui de la défense, trois lignes entourent la forteresse et reliées par des boyaux zigzagants ; il perfectionne les feux croisés, le tir par ricochet. Il est l’inventeur de la baïonnette à douille.
Vauban est un philosophe des lumières
On appelle la Philosophie des Lumières un grand courant littéraire et philosophique du 18ème siècle dans lequel s’illustrent par leurs écrits Montesquieu, Voltaire, Rousseau, Condorcet : les principaux travaux paraissent dans la "Grande Encyclopédie" de Diderot et D’Alembert. Interdit par la censure, l’ouvrage sera cependant imprimé grâce à la complicité de la marquise de Pompadour. Ce bouillonnement d’idées nouvelles aboutira à la Révolution de 1789. Vauban se place dans ce grand courant par sa liberté de pensée religieuse : il écrit au roi un mémoire pour dénoncer les conséquences néfastes de la révocation de l’Edit de Nantes octroyé par Henri IV en 1598 aux protestants de France qui pouvaient librement exercer leur culte.
En 1685, Louis XIV supprime l’Edit brutalement : 300 000 protestants quittent la France pour l’An-gleterre, les Pays Bas, la Prusse. C’est une catastrophe pour l’industrie textile française. En 1701, les paysans protestants des Cévennes se soulèvent : c’est la guerre des Camisards (1701-1712) pendant laquelle des centaines de villages sont incendiés par l’armée royale. Vau-ban demande au roi de prendre des mesures pour permettre le retour des protestants partis à l’étranger, en vain. Ils ne retrouveront leur état civil qu’en 1787.
Vauban dénonce encore au roi les causes de la terrible crise démographique des années 1692-1693. La famine, les maladies font périr 2 millions de français sur un total de 20 (10%). Dans mes travaux j’ai retrouvé la trace de ce drame à St Léon et Nailloux : 120 décès dans ce dernier village. Vauban dénonce les causes : la misère effroyable des paysans, les mauvaises récoltes, la lourdeur des impôts ; un nouvel impôt est même créé en 1695 pour financer la guerre. Vauban se dresse contre la guerre, toujours la guerre. Enfin, et surtout Vauban est un réformateur social en instaurant l’égalité devant l’impôt. Dans son ouvrage : "La Dîme Royale" (rééditée en no-vembre 2007), il propose l’égalité de tous les Français devant l’impôt, y compris les privilégiés exonérés (la no-blesse et l’Eglise catholique), les principaux propriétaires du royaume. La population est divisée en quatre catégories ; le taux de l’impôt unique appelé "la Dîme Royale" serait de 10% de tous les revenus et levé par une nouvelle administration royale créée pour cela.
Quelques exemplaires de l’oeuvre de Vauban seront imprimés clandestinement en 1707. Mal accepté par le Roi, Vauban est disgracié. Aujourd’hui on le redécouvre comme un esprit tolérant et très moderne.
Vauban et ses aqueducs ont sauvé le Canal 1685-1695
Riquet craignait de manquer d’eau pour le remplissage et le fonctionnement de son canal. Il ne possédait pas d’appareil pour mesurer le débit des torrents de la Montagne Noire (Alzeau, Lampy) qu’il utilisait et surtout quels seraient les besoins en fonction du trafic. Ses prévisions étaient fort loin des 200 barques qui navigueront vers 1770-1780. Pour avoir de l’eau en abondance, il fit déboucher tous les ruisseaux directement dans le canal, mais ces petits cours d’eau apportent aussi du sable, des terres, des alluvions diverses lors des crues d’orages. Le canal est rapidement menacé d’ensablement, et les fils de Riquet et l’entourage de Louis XIV parlent de l’abandonner. Le roi envoie Vauban sur les lieux en 1686 et c’est lui qui fait construire 49 aqueducs entre 1687 et 1695. Ces ouvrages sont indifféremment appelés "aqueducs", "pont aqueducs", "aqueducs ponts" :
L'aqueduc Nostre Seigne : il disparait sous la végétation
il s’agit de constuctions qui permettent au canal de franchir les cours d’eau qu’il rencontre par des conduites appelées "voûtes" qui accueillent les eaux du ruisseau devenu ainsi souterrain en se glissant "sous" le canal. Vers l’amont, les eaux débouchaient dans un bassin de décantation dans lequel se déposent les sables et autres terres lors des crues ; il fallait nettoyer et enlever fréquemment ces alluvions glissaient dans un bassin (une cale) et dans les voûtes dont le nombre varie en fonction du débit du ruisseau, 1, 2, 3 voûtes, 4 parfois. Ainsi l’aqueduc de Nostre Seigne (Montgiscard) est à une voûte, Ayguesvives 2, 3 pour la Thésauque à Négra (Montesquieu Lauragais), 3 à Villefranche pour l’Hers mort. Lors de très violents orages comme ceux que connaît le Lauragais en juillet-août, les voûtes sont incapables d’évacuer tout le débit énorme du ruisseau et les eaux se déversent alors dans le canal pour peu de temps. On disait alors que le ruisseau "a sauté". L’entretien de ces aqueducs était permanent durant les périodes de chômage (arrêt de la navigation), on enlevait les alluvions (sables) déposées dans le bassin de décantation. Des travaux gigantesques durèrent neuf ans pour 49 aqueducs construits entre Agde et Toulouse ; ce sont Saint Victor, Malpas, Eltou, Poilhes, Guerry, Saint Pierre, Saisse (ou Capestang), Nostre Seigne (près Capestang) Roubiolas, Malviès, Quarante, Sériège, Frénicoupe, Cesse, Delfieu, Ventenac, Saint Paul, Roubia, Argens, Pechlaurier, Bassanel, Argent Double, Ribassel, Saint Martin, Mercier, Millegrand, Saint Félix, Orbiel, Dejean, Trapel, Arnouse, Saume, Sauzens, Delfay, Lespitalet, Rebenty, Mezuran, Tréboul, Baragne, Radel, Lers, Gardigeol, Négra, Encons (Sallefranque), Aigues-Vives, Nostre Seigne (près Baziège), Rieumory, Castanet et Madron. Vau-ban les appelait les "égoûts souterrains".
Pour illustrer ce paragraphe, j’extrais quelques lignes de l’ouvrage du spécialiste des "ouvrages d’art du canal" M. Adgé pages 139-140 : "Je prendrai pour exemple l’aqueduc d’Aigues Vives qui est l’un des plus complets et encore aujourd’hui intact ; les terriers et le lit du canal sont complètement interrompus par l’ouvrage et font place aux maçonneries ; le canal passe entre deux murs sur un puissant massif dans lequel se glissent les deux voûtes ; la pente de celles-ci est uniforme, l’ensablement étant moins à craindre en raison de la faible longueur de l’ouvrage. Les murs de façade et les ailes sont peu élevés au dessus de l’eau, ils sont actuellement preque à fleur d’eau et ils peuvent servir de réservoirs de surface. A l’amont, l’ouvrage se termine par un mur rectiligne dont le couronnement est plus bas que celui des ailes et il sert ainsi de réservoir de surface pour les eaux du ruisseau (lorsque le ruisseau "saute" dans le canal) ; toutes les précautions ont été prises pour éviter l’envasement de ces aqueducs. Enfin autre originalité : un pont a été lancé sur les ailes de la façade de sortie et il permet la continuité du chemin de halage (la tiro)". Cet aqueduc a été restauré récemment, en 2003.
Les promeneurs utilisant la piste cyclable du canal se demandent souvent à quoi pouvaient servir les petites constructions s’élevant au pied des terriers ; il s’agit de blocs de pierres maçonnés, soignés, de la forme de cubes de 1 mètre à 1,4 m de côté à la base, 1 mètre de haut ; à la partie supérieure : un bloc vertical. Ce sont les bornes fixant les limites du terrain cédé à Riquet par le roi sous forme de fief ; c’est à dire que Riquet avait en plus de la propriété de la bande de terre sur laquelle sera creusé le canal, des droits de police et de justice, comme un fief médiéval. Il y avait des "gardes du canal" portant uniforme. Depuis une borne on doit apercevoir la suivante, aussi sont elles très proches les unes des autres lorsque le canal dessine des courbes, des sinuosités ; elles sont éloignées lorsque le bief est rectiligne.
Borne limitant la propriété de Canal
Borne portant le n°248 gravé dans la pierre
La végétation plantée sur les bords de la voie d’eau
Les arbres sont d’espèces très variées pour couvrir et retenir la terre extraite de la cuvette et reportée des deux côtés formant ainsi des sortes de digues qu’on appelle des "terriers" et francs-bords. Rapidement les paysans occupèrent ces terriers pour y cultiver du blé, des légumes, des fourrages ; les pluie violentes et les orages attaquèrent les pentes et des terres, des sables envahirent le bief au cours des premières années (1681-1700). Menacé de disparition le canal est sauvé par la construction d’aqueducs et un boisement systématique réalisé au 18ème siècle sur 240 kilomètres.
Un tableau, vers 1780, nous montre la variété des espèces utilisées, ainsi dans le district de Tou-louse, nous relevons des frênes, des ormes, des peupliers de pays, des noyers, des platanes, des chênes, des saules de Babylone, des pommiers greffés, des pommiers sauvages, des cerisiers, des mûriers ; dans le district de Naurouze : des frênes, peupliers, ornes, cerisiers ; district de Trèbes : des frê-nes, peupliers d’Italie, peupliers du pays, cerisiers, ormes, oliviers ; district du Somail : frênes, platanes, noyers, peupliers ; Béziers : platanes, oliviers ; Agde : cyprès, frênes. Le mûrier est partout, ce qui montre l’importance de l’élevage des vers à soie dans le Lauragais. J’ai relevé l’existence d’une magnanerie à Baziège où une route (D 16) s’appelle "la route des mûriers". Les platanes sont introduits à partir de 1750, une espèce venant de Palestine, une autre de Virginie (Etats Unis) ; vers 1810, on aménage l’allée qui de la minoterie de Naurouze atteint l’écluse de l’Océan.
Chênes et platanes sur les terriers du Canal
Les platanes sont menacés de disparition
En 2008 ces magnifiques plantations sont menacées par un danger mortel. En novembre 2007 et janvier 2008, des travaux spectaculaires ont abattu tous les platanes entre les écluses de "l’Evêque" et de "Villedubert", entre Carcassonne et Trèbes. Des centaines ont été incinérés pour empêcher la propagation d’un ennemi mortel, le chancre coloré du platane : ceratocystis fimbriata forme platani. Il s’agit d’un champignon qui s’attaque aux arbres et provoque leur mort.
D’origine américaine, le champignon a débarqué en Provence dans le bois des caisses de munitions de l’armée américaine (débarquement franco-américain des 15 août 1944). Il a déjà tué 40 000 platanes dans le Sud Est de la France, dans le Vaucluse, et 100 000 aux Etats Unis ; identifié dans ce dernier pays en 1929, il sévit aussi en Grèce et en Suisse. Les spores de ce champignon sont transportés par le vent notamment le vent d’autan, et les eaux (notamment celles de la Rigole d’alimentation du canal). Un arbre contaminé a été découvert à Sorèze ; c’est l’hypothèse généralement admise pour expliquer l’arrivée du chancre sur les bords du canal. Avant même sa détection officielle en 2006, deux formes d’arbres contaminés avaient été repérées en 2005 le long des routes qui bordent l’ouvrage, à Capestang (Herault) et Sorèze (Tarn). Ce dernier cas est particulièrement inquiétant pour les sujets entre Naurouze et Ayguesvives.
Les platanes longent le Canal, vue de l'écluse de Ticaille (Ayguesvives)
Des spécialistes préconisent l’abattage préventif des sujets malades ; mais des recherches sont activement menées pour la mise au point d’une variété résistant au chancre.
Les travaux d’abattage entre Villedubert et l’Evêque seront terminés au printemps 2008 : malheureusement, deux cas de maladie ont été récemment découverts à Homps (Aude) et Marseillette et cela relance l’hypothèse d’un canal entièrement rasé de ses platanes.
Le parasite infecte officiellement 125 communes dans 16 départements, région (PACA, Rhônes-Alpes, Languedoc-Roussillon et Midi Pyrénées ; deux cas isolés en Corse et dans le Lot et Garonne).
Souhaitons qu'une solution soit trouvée rapidement pour éradiquer ce parasite car le canal sans platanes ne sera plus "notre canal".
Jean ODOL
Bibliographie :
Albin Bousquet : "Les plantations du Canal du Midi" Editions du Tricentenaire 1981 Tome 2 page 335
Michel Adgé : "Les ouvrages d’art du canal du Midi" ouvrage de référence 1984 ADGE
Sur les platanes : dossier de presse - novembre 2007
Crédit photos : Josiane Lauzé