BALADE EN LAURAGAIS
Le chemin de Saint-Jacques de Compostelle en Lauragais Depuis douze siècles, plusieurs "routes pèlerines" mènent à Saint-Jacques. L'une d'entre elles traverse notre Lauragais. Après un historique du pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle, nous sillonnerons le Lauragais le long de cette voie et visiterons les lieux remarquables proches. |
Gite à Revel - Crédit photo : Jacques Batigne |
Histoire ou légende
Depuis le IXe siècle, Saint-Jacques de Compostelle est devenu le troisième plus important lieu de pèlerinage de la Chrétienté, après Jérusalem et Rome.
Légende, tradition ou mythe ? "En l’an 813, on annonce la découverte des sépultures de l’apôtre Saint-Jacques le Majeur et de ses disciples Théodore et Anastase à Compostelle. L’ermite Pelayo (ou Pelage) instruit par un songe aurait en effet identifié l’emplacement des sépultures grâce à des lueurs dans la nuit. Compostelle en a tiré son nom : "Campus Stellaé, le Champ de l’Etoile"…
Théodomir, évêque Visigoth de Idra-Flavia (port sur la côte galicienne, aujourd’hui Padron) accourt aussitôt pour faire dégager les tombeaux et la nouvelle va faire l’effet d’un coup de tonnerre dans le monde de la Chrétienté."
Encore aujourd’hui, tous les historiens ne cessent de se contredire, d’engager controverses et polémiques, sur cette découverte nullement avérée. Plusieurs questions se posent en effet : Comment le corps du martyr exécuté à Jérusalem, sur l’ordre du roi des Juifs Hérode Agrippa Ier en l’an 44 de notre ère, pouvait-il se trouver huit siècles plus tard à l’extrémité nord occidentale de la péninsule ibérique ? Pourquoi l’apôtre Saint-Jacques aurait-il essayé d’évangéliser l’Espagne alors soumise aux peuples maures (musulmans) ? Serait-ce à la demande de Jésus ? Ses disciples auraient-ils ramené son corps dans ce lieu éloigné, mais plus réceptif à ses prêches ? Il est bien difficile de faire la part de la pure légende et de la réalité historique.
Les routes des pèlerinages
Aux alentours du premier millénaire de l’Ere Chrétienne, de nombreux pèlerins de tous les coins de l’Europe affluent en direction de Saint Jacques de Compostelle et des centaines de monuments s’élèvent sur leur passage. Monastères, abbayes, cathédrales, églises, chapelles et ermitages furent ainsi érigés pour confirmer leur foi. Pour faciliter le chemin, des hôpitaux, des hospices, des auberges furent construits pour accueillir les pèlerins, des ponts pour traverser les rivières et les calvaires pour indiquer la bonne route. Les châteaux, forteresses, citadelles et autres édifices civils (palais, hôtels de ville) contribueront à cet héritage architectural impressionnant, qui s’étend des Pyrénées Aragonaises, jusqu’à l’actuelle capitale de la Galice, Santiago. La majorité des monuments qui furent construits tout au long du Chemin de Compostelle au cours des siècles existent toujours, au grand émerveillement des milliers de voyageurs ou pèlerins qui suivent la vieille route baptisée "Chemin Français - El Camino Francès". Cette route est déclarée de nos jours premier itinéraire Culturel Européen au patrimoine mondial par l’Unesco.
Le "Codex Calixtinus", daté d'environ 1140, qui regroupe les textes du liber Sancti Jacobi (le livre de Saint Jacques), est considéré comme le premier guide touristique de l’humanité et donne de nombreux conseils pratiques aux pèlerins. Il indique quatre grandes routes (des vias), les chemins de Saint-Jacques qui traversent la France :
- de Paris et Tours par Bordeaux et Dax
- du Vézelay par Limoges Mont de Marsan et Orthez
- du Puy-en-Velay, par Conques, Moissac, Aire-sur-Adour et Navarenx
- d’Arles et St Gilles par St Guilhem, Toulouse, Auch et Oloron.
Les trois premiers chemins convergent vers le col de Roncevaux. Le quatrième franchit les Pyrénées au col du Somport. ils se rejoignent tous à Puenta-la-Reina (après Pamplona) pour n’en former qu’une seule en direction de Santiago de Compostela : "El Camino Francès" et la "Finis Terrae", fin de la terre vers l’océan Atlantique.
Le chemin d’Arles, est une voie majeure et la plus vieille. Elle fut empruntée par les pèlerins dans les deux sens, vers Saint Jacques de Compostelle et vers Rome et Jérusalem. Elle relie deux anciennes voies romaines : la via Aurélia du Latium (une région d'Italie) à Arles et la via Via Tolosana d'Arles à Puenta-la-Reina. Bien d’autres voies secondaires sillonnent la France, mais revenons chez nous, celle qui traverse notre Lauragais aujourd’hui.
Itinéraire Culturel Européen en Lauragais
L'itinéraire passant par le Lauragais a été modifié, car l’ancien chemin qui passait de Castres à Toulouse par Vielmur-sur-Agout, St Paul-Cap-de-Joux et Lavaur, a été mis à mal par l’urbanisation et le bitume.
Venant de l’est et Castres, nous entrons en terre lauragaise par Dourgne, première grande étape spirituelle avec ses deux abbayes : En Calcat et Sainte Scolastique (où l’on trouve gîte et couvert). La chapelle Saint-Ferréol et la statue de Saint-Stapin perchées sur la montagne à 560 m d’altitude dominent toute la plaine. La prochaine étape est Sorèze (Office de Tourisme), très jolie petite ville blottie autour de l’ancien clocher Saint-Martin, avec son ancienne Ecole Royale Militaire (XVIIIe siècle), ses vieilles maisons à colombages et encorbellements dominées par les premiers contreforts de la Montagne Noire. Là-haut se trouvent les ruines de Berniquaut, un important oppidum pré-romain, les grottes du Calel, ainsi que des traces d’exploitations minières moyen-âgeuses. Sur le plateau, les ruines de la chapelle Saint-Jammes. Dans la vallée du Sor, le village de Durfort, réputé pour son savoir-faire très ancien en artisanat du cuivre (depuis Dourgne environ 5 heures de marche, tout cela se trouve hors sentier mais qui vaut le détour).
Croix jacquaire indiquant le chemin de Compostelle au carrefour de la route de Castres - Revel
Crédit photo : Jacques Batigne
On entre ensuite dans la ville de Revel, par le chemin de la Roumenguière. Une croix jacquaire indique le chemin au carrefour de la route de Castres (RD 622). Revel est une importante bastide du XIVe siècle, avec en son centre une vaste halle qui date de la fondation, surmontée d’un beffroi (Office de Tourisme). Il fut reconstruit en pierre après l’incendie de celui en bois qui le précédait. Cette vaste place centrale est entourée de galeries couvertes, "las garlandos", où se trouvent tous les commerces. Toutes les rues, dans un quadrillage parfait mènent au coeur historique de la cité, place Philippe VI de Valois, fondateur de la bastide en 1342*. Sur les coteaux surplombant la ville, on découvre le vaste lac de Saint-Ferréol, barrage-réservoir construit au XVIIe siècle par Pierre Paul Riquet. Celui-ci sous le règne de Louis XIV, a réalisé une prouesse technique extraordinaire et impensable à l’époque. Il a relié les "Deux Mers" (Océane et Méditerranée) par un canal, le "Canal Royal en Languedoc" ou Canal du Midi, reliant Toulouse à Sète. Pour l’alimenter en son point de partage, Riquet a imaginé un système de rigoles qui permettait d'y conduire les eaux depuis la Montagne Noire.
De Revel à Naurouze
À partir du Moulin du Roy, à Revel, notre sentier (GR de Pays - Boucle P.P. Riquet) est des plus faciles et agréables à suivre, sur le chemin de service de la Rigole de la Plaine. Au passage voir Saint Félix de Lauragais, bastide du XIIe siècle. Patrie du musicien compositeur Déodat de Séverac, elle possède une collégiale du XIVe siècle avec de magnifiques orgues, ainsi qu'un château. Dans ce village se tint le premier "concile Cathare" en 1167.
Repartons sur notre sentier, et traversons le village des Cassès avec ses stèles discoïdales et son moulin à vent. Egalement perché, le village de Saint Paulet et son château des XIIIe et XVIe siècles qui appartient aux descendants du Grand Turenne, maréchal de France, au XVIIe siècle ; son coeur se trouverait en ces lieux. Depuis Revel et durant une quarantaine de kilomètres, nous avons suivi la rigole de la Plaine.
Nous arrivons à Naurouze, point de partage des eaux alimentant le Canal du Midi (190 mètres d’altitude). A voir : l’écluse de l’océan, l’obélisque de Pierre Paul Riquet, le parc ombragé. Tout près, le village perché de Montferrand, avec son phare aéronautique témoin de l’épopée de l’aéropostale et son point de vue imprenable (table d’orientation).
En redescendant, nous ferons un arrêt à Port Lauragais, sur l’aire de l’autoroute A61. Ce port sur le canal est très agréable pour les promenades.
Le long de son périple, le jacquet rencontre ce type de panneau lui indiquant son chemin
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D’Avignonet-Lauragais à Mervilla (près de Castanet-Tolosan)
Deux kilomètres plus loin, nous arrivons à Avignonet-Lauragais, village incontournable au sombre passé cathare pendant la croisade des Albigeois (XIIIe s.). A voir : une église du XVe siècle et son clocher octogonal, des vestiges de remparts, une tour. Traversons la RN 113 et le Canal pour suivre son chemin de halage jusqu’à l’écluse de Renneville, puis celle de Gardouch et son petit port de péniches. A 2 km, se trouve le village de Villefranche de Lauragais, petite ville sur l’ancienne "Via Aquitania", avec sa splendide église du XIIIe siècle et son clocher mur toulousain flanqué de deux tourelles, percé de six baies campanaires.
De retour à Gardouch, quittons les bords du Canal pour monter sur les côteaux vers Viellevigne, village perché, avec un château du XVe siècle. Puis, rendons-nous à Montesquieu Lauragais avec son église Saint-Jacques, de style gothique méridional, datant de 1600 ; puis, traversons le Canal et son écluse en direction d'Ayguesvives. À voir l’élégante église gothique datant de 1500 avec son clocher mur à cinq baies. Juste à côté (2 km), le village de Baziège, ancienne Badera romaine. A voir : l’église Saint-Etienne et son clocher mur fortifié qui renferme une borne milliaire Gallo-romaine du IVe siècle. Puis rejoindre Montgiscard avec son petit port sur le Canal ; à voir le lavoir très ancien. Notre chemin fera un détour sur le côteau pour voir l’église gothique, avec un splendide clocher mur du XVIe siècle à deux tourelles et six baies campanaires (depuis Naurouze jusqu’à Montgiscard, environ 35 km, soit 8h de marche).
En direction de Mervilla aux portes de Toulouse, nous passons à côté du village de Donneville. À voir : l’église Saint Pierre au clocher mur double pignon en pinacles, datée de 1469. Puis, le village de Montbrun Lauragais avec son vieux château du XVIe siècle, son moulin à vent, son église qui a conservé des fonts baptismaux romans du XIIe siècle. Le village suivant est Corronsac ; son vieux clocher aurait fait partie d’un ancien couvent des Templiers. Sur les hauteurs ventées, on se rend à Rebigue, et en empruntant le Chemin du vieux moulin à vent, nous arrivons aux ruines d’un château, le Castel Vieil. Enfin le village de Mervilla, près de Castanet, vieille seigneurie du XIVe siècle, sera le dernier village traversé en terre lauragaise.
Les pèlerins se rendront ensuite à la basilique Saint Sernin de Toulouse située à une quinzaine de kilomètres (3h30 de marche), haut lieu de la foi médiévale.
"Tous les sentiers de randonnée sont balisés : - rouge et blanc pour les circuits de Grande Randonnée (GR 7), |
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Le Pèlerin dans la pratique
On appelle les pèlerins Jacquets ou "Romieux" (nom qu’on leur avait donné quand ils se rendaient à Rome). Ils vont à pied, à cheval, à bicyclette, accompagnés d’un âne pour porter les bagages ou encore motorisés (voitures, autobus et autres moyens de transport). Les motivations des pèlerins sont multiples et diverses, il en est ainsi dans tous les pèlerinages aujourd’hui. Cela va de la foi aux croyances, en passant par l’aventure, la découverte, le tourisme… L’équipement traditionnel du pèlerin à pied : un bâton, le "bourdon", qui fait office de canne et éventuellement pour se défendre contre les chiens, une gourde, la "calebasse", une "besace", sac à dos de nos jours, le nécessaire de couchage en fonction de l'hébergement choisi (gîtes d’étapes, auberges, hôtels, camping), une tenue vestimentaire adaptée pour se protéger de la pluie (des vêtements modernes ont remplacé la grande capeline et le grand chapeau à larges bords), une petite trousse à pharmacie pour panser les ampoules aux pieds, une ou plusieurs bonnes paires de chaussures de marche, ainsi que tous les documents administratifs pour le voyage. Les pèlerins doivent se munir de la "Créantiale" ou "Crédential", document délivré par les paroisses, offices de tourisme ou associations "Jacquaires". Elle sera obligatoirement tamponnée à chacune de leurs étapes et leur permettra à Compostelle, d’obtenir la "Compostella", certificat délivré par le bureau des pèlerins de la Cathédrale de Santiago. Les Jacquets ont pour emblème la coquille Saint Jacques que l'on trouve en abondance sur les côtes de la Galice. Autrefois, ils ne pouvaient l’acquérir et l’arborer que lorsqu’ils arrivaient au terme de leur pèlerinage ; c’était la récompense suprême.
Le bourdon et la coquille St Jacques sont les symboles du pèlerinage |
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Arrivé au gîte de Revel, le jacquet reçoit ce tampon |
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Les pèlerins reçoivent des tampons sur leur créantiale le long du chemin |
Jacques BATIGNE
Bibliographie :
Les Chemins de Compostelle en terre de France, éditions Ouest France, 1997
Les Chemins de Saint Jacques de Compostelle, éditions MSM, 1999
Le Chemin d’Arles vers Saint Jacques de Compostelle, éditions de Randonnées Pyrénéennes, 1990
Le Chemin de Saint Jacques en Espagne, Rando éditions, 2006
El Camino de Santiago Monumental - Les Joyaux du chemin de Saint Jacques, éditions Planéta, 1998
Les Carnets de Saint Jacques de Compostelle, éditions Glenat, 1993
* à Revel : gîte étape randonneur-pèlerins gratuit (on peut faire un don), l'accueil est assuré par des Hospitaliers bénévoles de l'Association Chemins de Saint Jacques Quercy-Rouergue-Languedoc.