La Glacière de Castelnaudary - Square Victor Hugo Ou Petite histoire de l’usage de la glace |
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Avant la mise au point de la réfrigération artificielle, la glacière était une cavité en maçonnerie dans laquelle on entreposait la glace naturelle, récupérée en hiver sur les plans d'eau gelés, afin d'en disposer pendant la saison chaude pour rafraîchir des boissons, préparer des sorbets et surtout conserver des aliments. De simple excavation naturelle, la glacière devient pendant l'Antiquité un bâtiment architecturé de forme variable, au gré des particularités régionales. Une glacière a été découverte à Castel-naudary en septembre 2004 à l’occasion des travaux d’aménagement du square Victor Hugo (terrasse). Petite histoire de l’usage de la glace… |
Glaciaire primitive dans le rocher Abbaye de Maillezais (85) - XIIIème s. |
De l’usage de la glace à travers les siècles…
Le froid artificiel fourni par les réfrigérateurs est une invention relativement récente (milieu du XIXème siècle). Jusqu’à cette époque, la glace naturelle ou la neige, conservées du mois de décembre au mois d’octobre dans les glacières, permettaient de conserver les aliments au mieux.
Des tablettes en écriture cunéiforme datant de 2000 ans avant notre ère indiquent que les gla-cières existaient déjà dans la région de l’Euphrate ainsi que dans l’actuelle République d'Iraq. Aux environs de -1000 av. JC, un texte chinois signale des dépôts souterrains contenant de la glace en précisant qu’elle est distribuée uniquement aux personnes aisées.
Les Grecs utilisent aussi la glace…Durant le siège de Pétra, Alexandre le Grand se fait préparer un mélange de fruits et de miel réfrigéré avec de la neige conservée dans une trentaine de fosses qu’il avait fait construire à cet effet.
Hipocrate condamne l’usage de la glace pleine d’impuretés, mais malgré ses avertissements, les Grecs consomment de la glace à profusion comme en témoignent les nombreux rafraîchissoirs trouvés dans les fouilles des sites archéologiques en Grèce.
Chez les Romains, Pline l’Ancien nous parle des banquets de l’aristocratie romaine "quelques-uns boivent de la neige et d’autres de la glace et transforment ainsi les méfaits de la montagne en plaisir de la table". Dans les Thermes romains, l’eau est maintenue froide dans le frigidarium grâce à la glace. Sénèque lui attribue des vertus médicinales. À ce titre, l’Empereur Hadrien atteint d’hydropisie s’applique sur le coeur de la glace contenue dans une vessie de porc ; cela soulage la douleur qui lui étreint la poitrine et atténue ses angoisses.
Durant toute l’Antiquité, la glace est utilisée pour arrêter les hémorragies, soulager les coliques néphrétiques, la fièvre, la gangrène…
Au Moyen âge, les vertus de la glace se retrouvent dans les usages thérapeutiques. Dans le monde musulman, on en multiplie les usages comme en atteste le sorbet offert par Saladin à Richard Coeur de Lion au XIIème siècle.
La Renaissance est l’âge d’or de la consommation de la glace avec les Italiens et plus parti-culièrement Catherine de Médicis, qui apporte avec elle le secret des sorbets à base d’un mélange de glace, salpêtre et sel… Henri III et Louis XIV en sont friands et toute la noblesse et la bourgeoisie, qui cherchent à les imiter, vont peu à peu se faire construire des glacières qui deviennent monnaies courantes dans tous les châteaux de France et de Navarre.
Ainsi le XVIIème siècle, voit l’usage de la glace se démocratiser. En 1684, l’Italien Procopio Cultelli ouvre un café à Paris, Place de la Comédie Française (l’actuel café Procope). Il va très vite devenir à la mode car on y vend une multitude de glaces et de sorbets. Le commerce de la glace s’intensifie et restera florissant jusqu’à la fin du XIXème siècle.
La construction d’une bonne glacière est coûteuse, ainsi que son remplissage et de fait la glace naturelle reste pendant longtemps un produit assez rare, cher et réservé aux plus fortunés.
Les sources de la Glace naturelle
La glace naturelle est produite pendant l’hiver sur des lacs, des étangs, des bassins, des douves, des canaux, des grottes… On peut aussi creuser des bassins de 50 cm de profondeur, très étendus et alimentés par de petits cours d’eau spécialement pour y recueillir la glace qui s’y forme en hiver. On les appelle "des bassins de congélation". En France des bassins de ce type ont été aménagés dans le massif de la Sainte Beaume au début du XVIIème siècle et dans les Alpes de Hautes Pro-vence au XIXème siècle. Dans certaines régions de montagne, d’altitude modérée (1000 m), il existe des cavités où s’accumule de la neige en grande quantité souvent sous l’action du vent. Cer-taines grottes peuvent ainsi procurer naturellement de la neige et de la glace par un phénomène d’évaporation lorsque leur configuration permet une infiltration d’eau et un courant d’air froid et sec. C’est le cas de la grotte de la Grâce Dieu à 30 km à l’est de Besançon.
La neige peut aussi être directement ramassée dans les champs (comme ce fut le cas dans la Montagne Noire). Elle est alors compactée dans des récipients métalliques formés de deux demi co-quilles qui assurent un démoulage pratique et rapide. On dit alors que la glace est "bulleuse".
Coupe d'une glacière hangar à double paroi et avant glacière Bastide Arboin - Saint-Vallier-de-Thiez (06) |
Glacière hangar transformée en grange et garage Bastide Arboin - Saint-Vallier-de-Thiez (06) |
Conservation et stockage
Le secret de la conservation de la glace réside dans son stockage. La glace doit être isolée de l’extérieur, ainsi que de l’eau de fonte qui doit être évacuée. Plus la masse de la glace est importante et homogène, mieux elle se conservera. Une glacière bien conçue avec un volume d’environ 50 m3 peut conserver la glace pendant au moins 6 mois avec une perte de 20 % seulement.
Les premières glacières étaient de simples anfractuosités naturelles dans lesquelles on entassait la neige compactée que l’on recouvrait de branchages. Des constructions plus élaborées apparaissent vers le Xème siècle en Iran notamment. Elles sont constituées de fosses artificielles revêtues de briques et coiffées d’une couverture conique en argile. Mais elles ne comportent pas de drain donc la glace fond plus rapidement et se conserve mal.
En France, les glacières les plus anciennes datent du XIIème siècle. Les mieux conservées sont du XVIIème et XVIIIème siècle.
La construction
Une glacière comporte un réservoir de glace appelé "cuve". Les cuves mesurent généralement entre de 4 à 6 m de diamètre et de 3 à 5 m de haut. Elles sont plus ou moins enterrées et maçonnées le plus souvent de forme circulaire ou tronconique.
L’ensemble est surmonté d’une coupole où sont percés un ou plusieurs orifices d’accès latéraux munis de portes formant des sas. Au sommet on trouve parfois des crochets qui permettent la fixation de poulies de manutention. Les matériaux utilisés sont la pierre de pays et la brique.
La porte extérieure de chargement est très souvent orientée au nord pour éviter les rayons du soleil. L’accès pour le remplissage se fait par une ou plusieurs ouvertures aménagées dans la partie supérieure de la cuve juste au-dessus du niveau maximal de la glace (soit la partie inférieure de la coupole). L’accès unique à la glacière est constitué d’un couloir muni d’au moins deux portes. L’une donnant sur la cuve, l’autre donnant sur un sas vers l’extérieur. Le couloir peut-être droit ou coudé. Les portes d’origine en bois ont presque toute disparu. Seuls demeurent les gonds dans la maçonnerie. Parfois des ouvertures supplémentaires situées au sommet de la coupole servent au chargement de la neige.
Au centre de la cuve, on aménage un puisard avec une canalisation qui évacue l’eau de fusion. Le sol est parfois suffisamment perméable pour absorber l’eau de fonte. Le fond de la cuve est généralement recouvert de branchages, de paille ou encore d’un platelage de bois qui permet d’éviter le contact direct de la glace avec la maçonnerie.
Au niveau de l’entrée de la glacière on trouve parfois un bâtiment "l’avant glacière" qui permet la préparation des blocs de glace avant le chargement pour les livraisons.
Exploitation des glacières
La glace est prélevée sur une étendue glacée par exemple lorsque son épaisseur atteint au moins 15 cm. A l’aide de pics on détache des blocs. La récolte est rapide et s’effectue généralement la nuit. Les blocs de glace ou la neige sont acheminés vers la glacière à dos d’âne, dans des chariots, ou à dos d’homme dans des hottes. On descend les blocs dans la cuve où l’on tasse la neige. On arrose ainsi les différentes couches d’eau de manière à solidifier les strates. Une fois que le chargement est fini on recouvre l’ensemble d’un lit de paille. Lorsque l’on achète la glace, le "fer-mier" (la glacière est donnée le plus souvent en fermage) débite les pains de glaces à l’aide d’un pic et les vend sur place à la demande.
Gravure du 19ème siècle - Récupération
(Collecte) de la glace dans un bassin
Le commerce de la glace
Au Moyen âge, la glace est consommée par quelques seigneurs et des abbayes pour soigner les malades.
A partir du XVIème siècle l’usage de la glace se répand. Les propriétaires des glacières acceptent que la population locale bénéficie de la glace moyennant paiement ou en échange de leur parti-cipation au remplissage.
A la fin du XVIIème siècle, le commerce de la glace se développe surtout dans le sud de la France. À partir de 1701, Louis XIV organise et contrôle le commerce, obligeant les particuliers qui ont des glacières à les déclarer et interdit à quiconque, excepté les nobles, de vendre de la glace sous peine d’amendes. Au XVIIIème siècle, les grandes villes achètent au roi le privilège de commercialiser la glace.
Le commerce libre : l’approvisionnement est assuré par des particuliers qui gèrent leur propre entreprise. Les prix fluctuent selon la demande et la quantité de glace disponible.
Le système du fermage : ce système est conçu pour éviter à la municipalité toute possibilité de manquer de glace. Le fermier s’occupe de remplir la glacière, il l’entretient. Mais très vite, la contrebande et les fraudes sont constatées et dans les grandes villes, des intendants veillent à la distribution et à l’approvisionnement.
La socialisation nouvelle après la Révolution Française fait de l’usage du froid une nécessité quotidienne et l’accroissement des population des villes est à l’origine de la création des grandes glacières urbaines.
À partir de 1850, les premiers congélateurs font leur apparition, mais restent un produit de grand luxe… C’est après la première Guerre Mondiale que les glacières seront vraiment délaissées, notamment à cause du manque de main d’oeuvre pour le remplissage, le nettoyage et le débit des glacières.
La glacière de Castelnaudary
Il s’agit en fait d’une ancienne tour du rempart du XIVème siècle (5,60 m de diamètre) réaménagée en glacière à la demande d’Andréossy en 1701 :
"Seule et unique promenade de la ville, devenue absolument inutile si l’on ne faisait une muraille de ce côté où la terrasse s’était éboulée, tant pour soutenir les terres du côté d’orient que pour prévenir la chute de la badosque (tour) qui menace une ruine prochaine ; qu’il (le consul qui parle) avait été sur les lieux avec le Sieur Andréossy, ingénieur du diocèse lequel, convaincu de la nécessité indispensable qu’il y avait de faire promptement cette réparation… et parce que cette badosque appartient à Monsieur le Maire depuis qu’elle est baillée par la communauté à ses pré-décesseurs pour débiter de la glace ou pour aller à la glacière, attendu que cette badosque ôte la vue de la promenade, il offre de la démolir et de sacrifier au bien public, à condition qu’on bâtira une autre loge pour le même usage et une route pour aller à la glacière." (AM 4E76 / BB 16 12 juin 1701).
Ce texte justifie ainsi l’état de construction de notre ensemble, car, la base en pierre corres-pondrait à la base de la tour "sacrifiée". On l’aurait "étêtée" pour la couvrir d’un dôme en brique exceptionnel et l’enfouir sous l’aménagement progressif de la terrasse.
Le sol de la tour retrouvée lors du nettoyage de la glacière était composé de dalles de terre cuite. Lorsque la glacière a été aménagée, on a percé au centre de la cuve un petit puits avec une canalisation qui partait vers l’ouest et déversait l’eau de fontes vraisemblablement dans les fossés de la ville (côté Monument aux Morts).
Porte d'accès intérieur de la cuve et dôme en brique |
Couloir d'accès à la glacière de Castelnaudary |
Après avoir passé l’entrée, on doit emprunter un couloir d’accès coudé au milieu duquel se trouvait une porte faisant sas, puis une deuxième porte donnait accès à la cuve.
Cet ensemble a été propriété de la ville jusqu’en 1742, date à laquelle l’hôpital l’a rachetée.
Caniveau d'évacuation des eaux de la cuve
Sur divers moellons dans la cuve, à hauteur d’homme (particulièrement sur la paroi sud), plusieurs dates gravées dans la pierre sont visibles, ainsi que des noms. La plus ancienne date est 1702 la plus récente 185(?) .
Sur une même pierre, on peut lire : 1702, 1710, 1840, 1849 et 18(??), ainsi que le mot "CALA" et IIIIII.
Sur une autre pierre : 185(?) Et "IZARD". L’une des grandes famille de glaciers de Pradelles Cabardès s’appelait Izard… Les Izard ont-ils fournit de la glace à Castelnaudary ?… cela est fort possible.
Sur une autre encore : 182(?) (au charbon de bois) et 1829.
D’une manière générale, la Glacière de Castelnaudary s’inscrit dans la présentation générale que nous venons de faire des glacières. Mais sa particularité est qu’elle est exceptionnellement bien conservée. Son histoire, un peu atypique (tour médiévale réaménagée), l’inscrit dans l’ensemble patrimoniale déjà très riche de la ville.
Actuellement, la municipalité travaille avec un architecte toulousain sur le projet d’aménagement de la glacière afin que les chauriens et les touristes puissent venir découvrir ce trésor caché…
Stéphanie Tonon
Archéologue, Historienne,
Directrice de l’Office de Tourisme de
Castelnaudary et Bassin Lauragais
Crédit photos : Stéphanie Tonon
Cet article utilise de nombreux extraits du livre de Jean Martin "Glace naturelle et glaçières". Ce livre est disponible chez l'auteur 28, rue de Fontenay 92320 Châtillon - Tél. 01 46 57 73 61.